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Convention sur la sécurité et la santé des travailleurs
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981 (projet n° 688 [2023-2024], texte de la commission n° 287, rapport n° 286).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, de l’Organisation internationale du travail (OIT).
La ratification de cette convention marquera notre volonté indéfectible de promouvoir les droits fondamentaux au travail, reconnus à l’échelon international et incarnés par l’OIT. Cette agence onusienne tripartite associe gouvernements et représentants des travailleurs et des employeurs. La France est l’un des dix membres permanents de son conseil d’administration et le deuxième pays au monde, sur les 187 États parties, en nombre de ratifications des conventions.
Par la ratification de ce texte, nous renouvellerons notre reconnaissance à l’égard de l’action normative de cette organisation. Nous insisterons sur le principe de disposer d’un environnement de travail « sûr et salubre », l’accident du Rana Plaza au Bangladesh en 2013 ou la crise du covid-19 en ayant tragiquement rappelé toute l’importance. Il s’agira non plus seulement d’une question de réglementation, mais bien d’un droit fondamental et d’un principe universel.
Ce texte, dont l’adoption par l’Organisation internationale du travail remonte à 1981, a, de fait, connu un regain d’intérêt au mois de juin 2022, date à laquelle la santé et la sécurité au travail ont été érigées au rang des principes et droits fondamentaux, au même titre que la liberté syndicale, l’élimination du travail forcé ou l’abolition du travail des enfants.
La convention n° 155 étant la seule des dix conventions fondamentales de l’OIT qu’elle n’a pas encore ratifiée à ce jour, la France fera preuve d’exemplarité en s’y attelant aujourd’hui.
Au-delà de ces grands principes, mesdames, messieurs les sénateurs, quels sont les objectifs concrets de la convention soumise à ratification ?
Tout d’abord, je tiens à souligner que ce texte s’applique à toutes les branches d’activité, du secteur privé comme du secteur public, et à tous les travailleurs, même s’il prévoit des exclusions limitées. À ce titre, le Gouvernement n’a retenu que des réserves strictement nécessaires, compte tenu des règles applicables aux travailleurs concernés : elles portent sur l’exercice du droit de retrait pour le personnel des secteurs de la navigation maritime et de l’aviation civile, et pour les militaires et agents de la fonction publique chargés de missions de sécurité des biens et des personnes.
Ensuite, la convention énumère les mesures que les États doivent prendre en matière de santé et sécurité au travail, comme la détermination de procédés de travail en fonction des risques et la procédure de déclaration des accidents du travail. Elle indique aussi les obligations des employeurs.
Enfin, elle enjoint aux États membres de mettre en place un système de contrôle de l’application des lois et des prescriptions afin d’appliquer des sanctions en cas d’infraction à ces règles. De plus, elle tend à l’instauration d’un système d’inspection approprié et suffisant.
Ce texte insiste sur la prévention. En la matière, elle met l’accent sur la participation des partenaires sociaux, en particulier par la consultation des travailleurs ou de leurs représentants.
Je souligne d’abord l’importante œuvre d’expertise des services du ministère du travail, des autres départements ministériels concernés, en particulier ceux du ministère de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification, pour s’assurer de la conformité de nos dispositifs nationaux aux exigences contenues dans la convention de l’OIT.
Je salue également le travail rigoureux accompli par la direction des affaires juridiques, au sein du ministère de l’économie, et par la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’homme et de la francophonie, au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Elles ont procédé à toutes les études et consultations interministérielles nécessaires, avec le concours de la déléguée du Gouvernement auprès de l’OIT.
Des consultations ont enfin été réalisées avec les partenaires sociaux – c’était un impératif –, qui ont plaidé pour une ratification rapide de cette norme.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de la qualité de votre travail. Mesdames, messieurs les sénateurs, je connais l’attachement de la représentation nationale au fait que la France agisse dans un cadre multilatéral. Aussi, autoriser la ratification de cette convention permettra à notre pays de rester fidèle à son message universel de respect, de protection et de promotion des droits fondamentaux au travail. Je vous invite donc à la soutenir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. Michel Masset. Très Bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui autorise la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail, adoptée en 1981 et récemment reconnue par cette instance comme l’une de ses conventions fondamentales. Ce texte porte sur un enjeu essentiel : la sécurité et la santé des travailleurs.
Permettez-moi tout d’abord de rappeler brièvement l’histoire et le rôle de l’OIT.
Créée en 1919 dans le cadre du traité de Versailles, cette institution, unique par sa structure tripartite réunissant gouvernements, employeurs et travailleurs, assume depuis plus d’un siècle une mission fondamentale, celle de garantir un travail décent pour tous. La France, en tant que membre actif, a toujours soutenu les objectifs de cet organisme et a ratifié un grand nombre des conventions en émanant. Cette tradition d’engagement témoigne de notre attachement aux principes universels de justice sociale et de progrès économique équilibré.
La convention n° 155 vise à établir un cadre général pour promouvoir des conditions de travail sûres et salubres. Elle engage les États membres à adopter des politiques nationales cohérentes et inclusives en matière de santé et de sécurité au travail. Au mois de juin 2022, elle a été élevée au rang de texte fondamental par l’OIT, marquant une reconnaissance internationale de l’importance des enjeux qu’elle couvre.
En France, nous bénéficions d’un cadre législatif avancé en matière de santé et de sécurité au travail. Tandis que le code du travail impose aux employeurs une obligation générale de sécurité, des structures telles que les services de prévention et de santé au travail jouent un rôle clé dans la protection des travailleurs.
Toutefois, malgré ces avancées, la ratification de la convention n° 155 représente une étape importante, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle consolidera nos dispositifs nationaux en les intégrant dans une perspective internationale. En harmonisant nos pratiques avec celles des autres États membres de l’OIT, la ratification renforcera notre capacité à relever des défis communs, tels que les risques psychosociaux, les répercussions des transitions numériques et écologiques, ou encore les crises sanitaires globales. Elle viendra également combler certaines lacunes de notre système actuel, notamment en matière de coordination entre acteurs et d’intégration des nouvelles technologies dans les pratiques de prévention.
Ensuite, elle inscrira notre politique en matière de santé et de sécurité au travail dans un cadre de coopération internationale. De fait, il est notamment exigé par la convention n° 155 une coordination accrue entre les différents acteurs, qu’il s’agisse des employeurs, des syndicats ou des institutions publiques. Cette exigence fait écho aux efforts déployés en France. Je pense à ceux qui sont accomplis dans le cadre du plan Santé au travail 2021-2025, lequel vise à améliorer la prévention des accidents graves, à lutter contre les risques émergents et à adapter nos politiques aux évolutions économiques et sociales. Ce plan, une fois appuyé sur la convention, pourrait bénéficier d’une nouvelle impulsion afin que soient atteints ses objectifs ambitieux.
En outre, la dimension préventive de cette convention mérite d’être soulignée. Est mis l’accent sur la nécessité d’évaluer les risques professionnels et de les éliminer à la source, démarche qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit de notre code du travail. Néanmoins, dans certaines entreprises, notamment les PME, et dans le secteur informel, cette exigence reste encore difficile à appliquer. Par cette convention, l’OIT apporte une réponse en favorisant une approche systématique et participative, impliquant activement les travailleurs dans la définition et la mise en œuvre des mesures de prévention.
Enfin, cette ratification sera une opportunité pour renforcer la protection des salariés dans les PME et dans le secteur informel, où les ressources dédiées à la sécurité sont souvent limitées. Elle offrira un cadre pour uniformiser les pratiques et pour diffuser une culture de prévention, essentielle pour garantir des conditions de travail dignes et équitables. Par ailleurs, l’adoption de cette convention soutiendra nos efforts pour mieux répondre aux risques émergents tels que ceux qui sont liés au changement climatique ou à l’essor des nouvelles technologies. Ces enjeux, devenus centraux dans le monde du travail, nécessitent des solutions coordonnées et innovantes.
À l’échelon international, la ratification de la convention n° 155 revêt une dimension stratégique. Ce faisant, la France réaffirmera son rôle de leader dans la promotion des droits fondamentaux au travail. Elle s’alignera sur les priorités de l’Union européenne en matière de santé et de sécurité au travail et contribuera à l’universalisation de normes protectrices pour tous les travailleurs.
De plus, cette ratification confortera notre position au sein des instances internationales, en cohérence avec notre engagement historique en faveur des droits sociaux. Je vous rappelle, en outre, que cette convention date de 1981. Il est plus que temps de la ratifier !
À ce jour, quatre-vingt-deux États l’ont fait, dix-huit d’entre eux sont membres de l’Union européenne. Il suffisait de deux ratifications pour que le texte entre en vigueur. C’est donc chose faite ! Pour la France, ce sera le cas douze mois après l’enregistrement de la décision auprès de l’OIT.
Je tiens également à souligner que cette convention n’est pas seulement un outil juridique, elle est aussi l’opportunité de renforcer notre crédibilité à l’échelle mondiale. Elle tendra à nous engager à actualiser régulièrement nos politiques et pratiques pour répondre aux mutations rapides du monde du travail. Des exemples récents, telle la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, montrent l’importance cruciale de disposer d’un cadre solide et adaptable pour protéger nos travailleurs.
Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, la commission des affaires étrangères vous propose d’approuver ce texte qui constitue une avancée majeure pour la santé et la sécurité des travailleurs, dans notre pays comme à l’étranger. Il s’agit d’un engagement fort, cohérent avec nos valeurs et nos ambitions, ainsi que d’une contribution décisive à un monde du travail plus sûr et plus juste.
Adopter cette convention, c’est envoyer un message clair, celui d’une France qui continue à défendre les droits des travailleurs et à se placer à la pointe des enjeux de santé et de sécurité au travail. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de juin 2022, la Conférence internationale du travail (CIT), que l’on présente souvent comme le Parlement international du travail, a décidé de reconnaître comme fondamentale la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs.
Ériger en principe le droit à un « milieu de travail sûr et salubre » constitue une avancée majeure, saluée à juste titre par la Confédération syndicale internationale et par la Confédération européenne des syndicats. Ainsi, aux quatre catégories de principes et de droits déjà reconnus – la liberté syndicale et le droit de négociation collective, l’abolition du travail forcé, l’abolition du travail des enfants, l’élimination de la discrimination – vient s’ajouter une cinquième catégorie : la sécurité et la santé au travail.
La convention n° 155 aurait dû être ratifiée en 1988, mais le Conseil d’État avait alors émis un avis défavorable. Sa reconnaissance comme convention fondamentale en 2022 par la CIT a relancé le processus.
Certes, les conventions doivent être ratifiées par les États avant d’entrer en vigueur, mais, dans le cas d’une convention fondamentale, réputée d’application universelle, tous les États membres de l’Organisation internationale du travail ont l’obligation de la respecter, en l’absence même de ratification.
Il n’en demeure pas moins que la ratification de cette convention par la France est un signal politique important. Notre pays est un membre actif de l’Organisation internationale du travail et dispose d’un siège permanent au sein de son conseil d’administration.
Je souhaite insister sur les apports de ce texte.
Premièrement, la convention souligne la nécessité de considérer la sécurité et la santé au travail comme une question d’intérêt national.
Deuxièmement, elle définit les objectifs et les principes d’une politique nationale, mais aussi les actions requises tant à cette échelle que dans l’entreprise.
Troisièmement, elle s’applique à toutes les branches d’activité, y compris la fonction publique, et vise à enjoindre aux États de définir, de mettre en application et de réexaminer périodiquement une politique nationale cohérente en matière de sécurité, de santé des travailleurs et de milieu de travail.
Quatrièmement, elle prescrit aux États membres de mettre en place un système de contrôle approprié de l’application des lois ainsi que des prescriptions concernant la santé et la sécurité au travail.
Cinquièmement, pour l’application de ces objectifs, elle établit des normes et des directives pour aider les gouvernements, les employeurs et les travailleurs à prévenir les accidents du travail, les maladies professionnelles et autres problèmes liés à la sécurité et à la santé au travail.
Sixièmement, la convention n° 155 encourage la participation des travailleurs et de leurs représentants à la mise en œuvre de mesures de sécurité et de santé au travail.
La France a-t-elle la volonté d’agir et se donne-t-elle vraiment les moyens de son ambition ?
L’article 9 de la convention dispose que « le contrôle de l’application des lois et des prescriptions concernant la sécurité, l’hygiène et le milieu de travail devra être assuré par un système d’inspection approprié et suffisant ». Pourtant, selon la direction générale du travail, le nombre théorique d’inspecteurs du travail est de 2 000. Notre pays continue à supprimer des postes sans compenser les départs à la retraite, alors que le nombre de salariés du secteur privé ne cesse de croître. La situation est encore plus critique quand on prend en compte les effectifs réellement présents sur le terrain et non pas le nombre de postes théoriques.
Si l’on rapporte le nombre d’inspecteurs du travail à celui des salariés, la France se place en deçà du ratio de l’Organisation internationale du travail, qui lui-même est insuffisant en pratique. Nous sommes confrontés à un problème de fond. La ratification de la convention ne peut pas nous exonérer de notre responsabilité lorsque les enquêtes de terrain nous apprennent qu’en moyenne, chaque jour, deux personnes meurent dans un accident dans le cadre de leur emploi, chiffre d’ailleurs sous-estimé, car il n’intègre ni les suicides ni les maladies.
En la matière, la France est souvent présentée comme l’un des pires élèves européens. Je ne veux pas noircir le tableau, car ce constat s’explique par la reconnaissance presque systématique dans notre pays des malaises fatals comme accidents du travail, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Toutefois, comment douter que cette situation n’est pas le révélateur d’un problème systémique ?
Voter pour faire de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail un droit dans d’autres parties du monde sans appliquer les mêmes normes dans son propre pays constituerait une forme d’hypocrisie qui nuirait à la crédibilité du discours politique à l’échelle nationale et altérerait l’image de la France à l’étranger.
En dépit des observations critiques que je viens de soulever, en particulier concernant la faiblesse chronique du corps de l’inspection du travail et la surcharge inévitable que subiront les agents chargés de l’inspection en matière de santé et sécurité au travail, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur du projet de loi de ratification pour plusieurs raisons.
Si la France est l’un des dix membres permanents du conseil d’administration de l’OIT et le deuxième pays au monde en nombre de ratifications de conventions de cette organisation, la convention n° 155 est la seule des dix conventions fondamentales de l’organisme que la France n’a pas encore ratifiée à ce jour. Il faut combler cette lacune.
Notre pays, qui promeut le développement comme le renforcement de la protection des droits attachés aux travailleurs dans les enceintes multilatérales, doit faire preuve d’exemplarité en agissant sur le territoire national, par une législation adaptée et protectrice, mais aussi partout dans le monde, par le biais de ses programmes de coopération internationale et de ses échanges commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux.
La convention n° 155 s’inscrit parfaitement dans l’ensemble de la politique européenne en matière de santé et de sécurité au travail, fondée sur un nombre considérable de directives. À cet égard, nous plaidons pour que le droit français, qui est déjà conforme aux dispositions du présent texte sur le papier, s’applique réellement et au quotidien en matière de travail. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1981, une convention sur la sécurité et la santé des travailleurs a été adoptée dans le cadre de l’Organisation internationale du travail. Le Gouvernement a déposé un projet de loi autorisant sa ratification, sur lequel nous nous apprêtons à voter.
Les projets de loi de ratification sont, le plus souvent, discutés en séance publique selon la procédure d’examen simplifié, après avoir été débattus par la commission des affaires étrangères. La présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky a demandé le retour à la procédure normale pour l’examen de ce texte afin de permettre aux groupes de s’exprimer sur le sujet.
Cette convention vise à promouvoir des conditions de travail sûres et salubres. Dix-huit pays de l’Union européenne l’ont déjà ratifiée. En le faisant à notre tour, nous contribuerons à renforcer l’harmonisation de la réglementation des conditions de travail au sein de l’Union européenne. Il était temps que la France suive, même si notre code du travail impose non seulement une obligation générale de sécurité aux employeurs, mais aussi des structures de prévention et de santé qui assurent déjà un niveau élevé de protection des travailleurs.
Faire bien ne doit pas nous empêcher de faire mieux.
La France s’est ainsi dotée d’un plan national de santé au travail couvrant les années 2021 à 2025. Dans ce cadre, plusieurs initiatives sont prises pour améliorer la prévention des accidents graves. C’est l’occasion de rappeler que nous devons constamment adapter nos politiques aux évolutions de la société : les risques émergents doivent être couverts le plus tôt possible.
Si la ratification de cette convention contribue à une meilleure prise en compte de la sécurité et de la santé au travail, il ne faut pas surestimer sa portée. Son application, comme celle de toutes les conventions internationales, dépend d’abord de l’interprétation et du bon vouloir des parties signataires.
La France n’a pas attendu la ratification de cette convention pour assurer un haut niveau de protection aux travailleurs de notre pays. A contrario, des interrogations légitimes existent quant aux conditions de travail prévalant dans certains pays déjà signataires.
Les conventions internationales sont un moyen de promouvoir des valeurs de progrès au bénéfice de tous. Pour ce qui est de la protection effective des individus, force est de constater que seules les démocraties libérales protègent effectivement les minorités et les droits individuels ; elles doivent continuer de le faire.
Le progrès technologique ouvre de nouvelles perspectives s’agissant d’assurer la sécurité des travailleurs, de détecter les nouveaux risques et de participer à les parer.
Le développement de l’intelligence artificielle, sujet important, s’annonce comme la prochaine révolution que connaîtront nos sociétés. Le monde du travail en sera très probablement bouleversé.
Chaque crise contient des opportunités qu’il faut savoir saisir. Nous devons nous assurer que cette technologie est employée pour améliorer les conditions de travail, la sécurité et la productivité des individus.
L’Organisation internationale du travail a produit quelques publications sur ce thème. Elle doit absolument approfondir le sujet afin de formuler des recommandations propres à renforcer la sécurité au travail.
Attaché à la protection des individus, le groupe Les Indépendants votera pour la ratification de cette convention. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec 129 conventions et 2 protocoles définitivement approuvés depuis son adhésion en 1919, la France peut s’enorgueillir d’être le deuxième membre de l’Organisation internationale du travail à avoir ratifié le plus d’instruments juridiques émanant de cette institution.
Ce faisant, notre pays se montre bien sûr fidèle à ses valeurs, mais aussi à ses intérêts bien compris, tant il est vrai que l’affermissement des normes internationales du travail relève d’un double impératif, à la fois économique et humain : impératif économique, d’une part, car, dans un contexte de compétition globalisée, où compte chaque élément de compétitivité, l’édiction de règles communes en matière de travail est un moyen de progresser peu à peu vers un cadre de concurrence qui soit, sinon loyal, en tout cas plus équitable ; impératif humain, d’autre part, car les conventions de l’OIT sont une déclinaison des droits de l’homme dans le monde du travail, où doivent trouver à s’appliquer aussi bien le pilier des droits économiques et sociaux que le pilier des droits civiques et politiques.
Cependant, la consolidation de cette branche du droit international obéit à un processus souvent long et complexe, parfois erratique, et son application effective sur le terrain reste un sujet constant de préoccupation. C’est pourquoi il est essentiel, lorsque des jalons importants sont posés, qu’ils fassent l’objet d’un soutien politique fort, ce qui passe en premier lieu par l’acte de ratification.
Notre pays n’est généralement pas le moins prompt dans ce domaine. Force est toutefois de constater qu’il aura pris tout son temps avec la convention sur la santé et la sécurité au travail qui nous est soumise aujourd’hui. En effet, près de quarante-cinq ans auront été nécessaires pour que ce texte trouve son chemin jusqu’à la représentation nationale.
Permettez-moi de souligner que ce délai est naturellement beaucoup trop long, mais aussi qu’il peut donner le sentiment fâcheux d’une forme de désinvolture de la France lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre certains de ses engagements internationaux.
Ce retard est d’autant plus surprenant qu’il ne provient pas d’une difficulté de fond. En effet, si la procédure de ratification initiale est tombée dans les limbes, c’est simplement parce que le Conseil d’État a demandé au Gouvernement de conduire des consultations permettant de définir les secteurs qui, en vertu des deux premiers articles de la convention, pouvaient être exclus de son champ d’application.
C’était en 1988… Tout porte d’ailleurs à croire que le texte serait resté dans l’oubli si, en 2022, les droits qu’il protège n’avaient été élevés au rang de principes fondamentaux du droit international du travail.
Sur ce fondement, les consultations demandées ont finalement pu être menées, aboutissant, pour d’évidentes raisons de sécurité, à une restriction du droit de retrait dans les armées, l’aéronautique et la navigation maritime.
En conséquence, nous pouvons enfin nous pencher sur un texte porté au pinacle des normes internationales, qui figure désormais aux côtés des conventions proclamant la liberté d’association et le droit de négociation collective, l’élimination du travail forcé, l’abolition du travail des enfants et l’interdiction de la discrimination.
Son importance symbolique est donc à l’évidence absolument considérable, ce qui contraste avec sa portée normative qui, dans notre pays, devrait être pour le moins limitée.
En effet, à partir du moment où le droit à un environnement de travail « sûr et salubre » a été érigé en principe fondamental, les conventions qui sous-tendent ce droit sont elles aussi devenues fondamentales. Dès cet instant, elles sont devenues d’application universelle, tous les États membres de l’OIT étant tenus de les respecter, quand bien même ils ne les auraient pas ratifiées.
Dans les faits, la convention n° 155 de l’OIT est donc directement opposable, en France, depuis le 10 juin 2022.
Par ailleurs, notre régime de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles est déjà particulièrement étoffé. De nombreux textes européens se combinent ainsi aux législations nationales, y compris les plus récentes, aux conventions collectives et à l’action des pouvoirs publics pour bâtir un cadre global répondant très largement aux exigences de la convention.
La ratification de cette convention représente cependant bien davantage qu’une simple formalité.
Il y va, en premier lieu, de la crédibilité internationale de la France, laquelle s’appuie régulièrement sur les textes de l’OIT pour promouvoir ses idées en matière de protection des droits humains ou d’évolution du commerce international.
Il s’agit, en second lieu, de renforcer encore, sur le territoire national, l’attention portée à ces questions essentielles. Si notre cadre est robuste, les pistes d’amélioration n’en restent pas moins nombreuses.
D’ores et déjà, cette convention, même non ratifiée, a inspiré certaines évolutions de nos politiques publiques et de nos législations. Son approbation aujourd’hui pourrait donner un nouvel élan en la matière, ainsi qu’encourager une application encore plus fine des préceptes promus par ce texte majeur.
Ceux-ci – je les cite pêle-mêle – font de la prévention un axe prioritaire de toute action, consacrent l’implication et l’association de toutes les parties prenantes, en particulier des travailleurs eux-mêmes, promeuvent la mise en place de systèmes d’évaluation et d’adaptation continues, mettent l’accent sur une coordination accrue, notamment entre autorités publiques et partenaires sociaux.
Dès lors, ils nous invitent à revoir constamment et collectivement la pertinence de nos politiques et de nos pratiques, face à un monde du travail en proie à des transformations toujours plus rapides et plus profondes.
Ils nous invitent, en somme, à faire toujours mieux, et c’est pourquoi le groupe Les Républicains soutiendra la ratification de cette convention, qui permettra à la France de rejoindre les quatre-vingt-trois États ayant déjà franchi cette étape.