Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Salmon, Mme Guhl, MM. Jadot, Gontard, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur (n° 186, 2024-2025).
La parole est à M. Daniel Salmon, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vivant s'effondre sous les coups de boutoir d'activités humaines insoutenables. Alors que nous provoquons la sixième extinction de masse de l'histoire de la vie sur terre, nous continuons de développer un modèle agricole destructeur et ne parvenons pas à sortir de l'impasse d'un productivisme aveugle.
Les nombreuses régressions que contient cette proposition de loi sont un condensé des démarches et pratiques les plus néfastes défendues par l'agro-industrie.
Revenons quelques années en arrière. Il y a vingt ans, le Parlement, réuni en Congrès, votait à l'unanimité la Charte de l'environnement. Notre pays se plaçait ainsi en précurseur de la protection du vivant et de la biodiversité.
Ce texte, comme vous le savez, a intégré le bloc de constitutionnalité lors de la révision constitutionnelle du 1er mars 2005. En outre, le Conseil constitutionnel a, dans une question prioritaire de constitutionnalité de 2014, reconnu une valeur constitutionnelle aux considérants de la Charte. Ces derniers devraient donc éclairer nos débats.
Sur de nombreux points, la présente proposition de loi entre en contradiction avec la lettre et l'esprit de ce texte fondateur. Elle contrevient gravement aux principes constitutionnels en s'attaquant à des normes environnementales essentielles à la santé de nos concitoyens et à la préservation de nos ressources naturelles et du vivant.
Au travers de cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, nous vous demandons de rejeter intégralement cette proposition de loi pour des raisons à la fois juridiques, politiques, écologiques et économiques.
En premier lieu, l'article 2 de la proposition de loi revient sur l'interdiction des néonicotinoïdes, adoptée en 2016 dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Parmi les poisons que l'humanité déverse quotidiennement dans les cours d'eau, propage dans l'air ou laisse s'infiltrer dans les sols, les néonicotinoïdes sont l'un des plus pernicieux et dangereux. Ils multiplient par six la mortalité des colonies d'abeilles domestiques et déciment les populations de pollinisateurs sauvages, dont nous avons le plus grand besoin.
Ils font également partie de la famille des perturbateurs endocriniens. Derrière ce terme se cache une myriade de maladies : Parkinson, cancers, malformations, infertilité, etc.
Pour rappel, quelque 1 200 études, dont la qualité et l'indépendance ne peuvent être mises en doute, ont montré le danger que représentent les néonicotinoïdes. Cela n'empêche pas la montée du déni environnemental, où les faits scientifiques ne sont qu'une opinion comme une autre. Cela nous inquiète particulièrement.
L'utilisation des néonicotinoïdes a été partiellement réautorisée pour la culture de betteraves sucrières par la loi du 14 décembre 2020. Le Conseil constitutionnel n'avait approuvé la validité de ce texte qu'à plusieurs conditions.
Tout d'abord, il a reconnu que le législateur avait cantonné l'application de ces dispositions au traitement des betteraves sucrières. Or la présente proposition de loi édicte une autorisation générale.
Ensuite, il avait souligné que l'autorisation n'était que transitoire. Le présent texte, lui, prévoit de rendre l'autorisation permanente.
La réautorisation partielle créait déjà un précédent grave. Celle qui est envisagée aujourd'hui, plus globale, ne manquerait pas de faire jurisprudence et de menacer d'autres réglementations acquises de haute lutte. Nous estimons qu'elle contrevient en particulier à l'article 2 de la Charte de l'environnement, qui dispose : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. »
Par ailleurs, le texte en discussion ne définit aucun cadre légal suffisant pour protéger le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, pourtant garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement.
Cette proposition de loi est également une attaque en règle contre le droit européen. En 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par renvoi préjudiciel, a pourtant été très explicite : la protection de la santé humaine et animale et de l'environnement doit primer sur l'amélioration des cultures végétales lorsque des autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques sont accordées.
La CJUE a également rappelé que le principe de précaution prime, y compris en l'absence de solutions de substitution. En clair, l'objectif de protection de la santé humaine et de l'environnement doit prévaloir sur l'objectif de croissance des rendements.
Les dispositions du présent texte, contraires au droit européen, exposent clairement la France à des amendes. L'argent public serait mieux investi dans des dispositifs visant à accompagner la transition agroécologique !
Dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a consacré la préservation de l'environnement comme enjeu supérieur à la liberté d'entreprendre. Il a ainsi reconnu que « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » pouvant justifier des atteintes à la liberté d'entreprendre.
Par une décision du 10 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a précisé que les limites apportées par le législateur à l'exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. »
Les mesures introduites dans ce texte – réautoriser l'usage de substances toxiques, rendre facultatif le conseil stratégique phytosanitaire, légaliser les promotions sur des produits ayant des conséquences graves sur la santé… – ne procureront qu'un bénéfice on ne peut plus limité en termes de liberté d'entreprendre ; surtout, elles ne sauraient se rapporter à un motif d'intérêt général.
Lever l'interdiction des remises, rabais et ristournes à l'occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques est contraire à l'avis du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), qui recommande d'éviter toute incitation commerciale pouvant conduire à l'utilisation inappropriée des pesticides.
J'en viens à l'épandage par drones, à l'article 2. La loi Égalim prévoyait la mise en place d'une expérimentation relative à la pulvérisation aérienne de précision de produits phytopharmaceutiques, qui s'est achevée en octobre 2021. Dans son rapport consacré aux résultats de cette expérimentation, l'Anses n'a pu démontrer la présence d'avantages manifestes pour la santé et l'environnement.
Par ailleurs, dans un arrêt du 12 avril 2013, le Conseil d'État a jugé que l'existence d'un tel risque devait être regardée comme une « hypothèse suffisamment plausible en l'état des connaissances scientifiques pour justifier l'application du principe de précaution ». En l'occurrence, le risque posé par cette proposition de loi est pour le moins plausible – c'est même un euphémisme !
Rappelons que la loi pour la reconquête de la biodiversité a consacré le principe de non-régression du droit de l'environnement, selon lequel la protection de l'environnement ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante. Il est par ailleurs considéré comme un principe général du droit international de l'environnement ; or force est de constater que la présente proposition de loi y contrevient.
Outre les points évoqués, nous pouvons ajouter la mise à mal de l'indépendance de l'Anses – après sa réécriture en commission, le texte reste incompatible avec le droit de l'Union européenne, au moins partiellement –, une nouvelle définition des zones humides, ce qui amoindrit leur protection, la reconnaissance d'un caractère d'intérêt général majeur pour les mégabassines ou encore la nouvelle réglementation que vous souhaitez appliquer aux ICPE.
Le rapporteur a d'ailleurs réduit à peau de chagrin la consultation du public, déjà fortement affaiblie par loi Industrie verte, pour tous les projets soumis à autorisation environnementale, pas seulement pour les ICPE agricoles.
Nous sommes très surpris que la commission ait laissé passer cet amendement, qui constitue de toute évidence un cavalier législatif aux termes de l'article 45 de la Constitution.
Le risque de non-conformité au droit de l'Union européenne se pose également. En effet, la réévaluation du seuil d'enregistrement pour s'affranchir d'une enquête publique va à l'encontre des directives européennes encadrant les fermes usines.
Enfin, nous sommes très inquiets de la remise en cause de la hiérarchie des usages de l'eau, pourtant cruciale, et dénonçons la reconnaissance systématique d'un intérêt général majeur, qui a un caractère néfaste.
Nous doutons fortement de la compatibilité du texte avec la directive-cadre sur l'eau, notamment en ce qui concerne le respect des objectifs de reconquête du bon état écologique des masses d'eau.
Pour conclure, cette proposition de loi nous paraît aller contre le sens de l'histoire. Alors que les sécheresses, les preuves de l'impact des pesticides et la pollution de notre ressource en eau devraient nous pousser à accélérer la transition, on voudrait nous contraindre à ralentir. Pire, on nous propose même de faire marche arrière en revenant sur les trop rares avancées acquises ces dernières années.
Par ailleurs, il est crucial de mettre fin à cette opposition factice entre économie et environnement. Cessez d'opposer agriculteurs et écologistes, car notre destinée est commune.
Les normes environnementales permettent de protéger la santé des agriculteurs et les services écosystémiques indispensables rendus par la biodiversité. S'attaquer à ces normes, c'est s'attaquer à la durabilité de l'agriculture française.
C'est sans doute plus facile que de résoudre les véritables problèmes qui menacent notre agriculture : promotion du libre-échange, dérégulation des marchés européens, politique agricole commune (PAC) inégalitaire et inefficace et répartition inéquitable de la valeur dans les négociations commerciales.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous demande d'adopter la présente motion.
J'entends les propos de la ministre et prends acte des efforts consentis par le Gouvernement pour refermer certaines des brèches ouvertes par cette proposition de loi. Il n'empêche que cette dernière demeure extrêmement néfaste et contraire au droit. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Cuypers, rapporteur. Vous pouvez aisément l'imaginer, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
Nous souhaitons laisser à notre assemblée le temps de débattre sur chacun des articles. Je ne prendrai donc pas la peine de répondre point par point aux questions que vous venez de soulever.
Remettons les choses en perspective : notre balance commerciale agricole et agroalimentaire décline de plus en plus. Pour ce qui est des produits consommés, les importations sont égales à nos productions. Nous n'avons jamais été dans une situation aussi délicate.
Est-il besoin de rappeler le cas de la filière noisette ? Avant l'interdiction de l'acétamipride, ladite filière affichait un taux de conformité de 80% ; or, en 2024, ce taux est passé à moins de 20 %.
Le choix est donc simple : soit nous laissons mourir la filière, auquel cas nous nous résignons à importer des noisettes étrangères traitées à l'acétamipride et à bien d'autres produits interdits en Europe depuis fort longtemps, soit nous faisons preuve de pragmatisme dès à présent en apportant des réponses urgentes à l'ensemble des filières qui en ont besoin. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Divers rapports le démontrent, la séparation des activités de conseil et de vente ne fonctionne pas. Je ne m'étendrai donc pas sur ce point.
Les évolutions apportées au texte initial, fruits d'un travail constructif et exigeant, mais aussi de compromis naturels, doivent être prises en compte. Bref, ne caricaturons pas ce texte et débattons tous ensemble sur le fond. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Annie Genevard, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, pour plusieurs raisons.
Je sais l'importance que le Sénat accorde au débat. Nous pensons que celui-ci doit avoir lieu et doit porter sur l'ensemble des sujets évoqués. Chaque texte mérite d'être examiné en profondeur, il n'y a pas d'interdit. C'est dans l'enceinte de cet hémicycle que nous devons peser chacun des enjeux, confronter les idées et, si possible, proposer des solutions équilibrées. En tout cas, c'est en ce sens que j'ai travaillé avec le Sénat. Il est crucial que le débat ait lieu.
Ayant été parlementaire moi-même, j'ai toujours été convaincue que c'est au travers du dialogue, des échanges et des amendements que nous pouvions garantir le respect des impératifs qui incombent à la loi. Cette exigence est d'ailleurs ce qui motive la présente motion.
Ce débat est d'autant plus important que l'agriculture est un secteur fondamental, vital à la fois pour notre économie, pour nos territoires et pour notre sécurité alimentaire. Repousser cette proposition de loi sans même avoir discuté de l'ensemble de ses dispositions constituerait une erreur stratégique.
Ce texte a le mérite de soulever des enjeux majeurs, tout en proposant aux agriculteurs des solutions. Le Gouvernement n'est pas d'accord avec chacune des dispositions proposées, mais elles traitent de sujets concrets sur lesquels les agriculteurs souhaitent entendre les positions de chacun.
Le débat permettra justement de lever certaines des difficultés juridiques énoncées. Le Gouvernement proposera des solutions concrètes pour répondre aux interrogations posées, sans jamais céder, monsieur le sénateur, contrairement à ce que vous semblez suggérer, ni sur le plan du droit ni sur celui du respect de l'environnement. Sur ce dernier point, nous avons beaucoup de choses en partage, monsieur Salmon, à rebours de ce que vous pouvez parfois penser.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.
Mme Nicole Bonnefoy. Je tiens à exprimer la solidarité totale du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avec nos collègues écologistes pour rejeter ce texte de régression environnementale.
M. Patrick Kanner. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. Nous voilà réunis pour discuter d'une proposition de loi de Laurent Duplomb, porte-plume officiel de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) au Sénat. Nous comprenons, en cette période d'élections syndicales, qu'il a bien besoin de démontrer sa capacité d'influence au Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je partage en tout point les arguments qui se réfèrent à la Charte de l'environnement. Alors que nos agences de l'environnement démontrent la surabondance de substances chimiques toxiques pour l'écosystème, le présent texte prévoit de lever les quelques protections qui ont été intégrées de haute lutte dans notre code de l'environnement.
La réautorisation des néonicotinoïdes, la pulvérisation aérienne de pesticides, la mise en danger des zones humides et la fragilisation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail sont autant de coups de canif portés au principe de non-régression.
Ce dernier est ainsi défini à l'article L.110-1 du code de l'environnement : « la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »
Force est de constater que de nombreux articles de cette proposition de loi méconnaissent ce principe. C'est la raison pour laquelle notre groupe est farouchement opposé à cette nouvelle manœuvre dilatoire, (Exclamations au banc des commissions.) alors que l'agriculture requiert toute l'attention du politique.
L'agriculture doit être soutenue pour accomplir une transition qui se veut agroécologique. Il ne s'agit pas d'un concept fumeux ; au contraire, il pose les conditions nouvelles de la durabilité de notre exploitation.
Je suis effarée de constater que les auteurs de la proposition de loi, le rapporteur et la ministre n'ont jamais mentionné les mots « santé » et « biodiversité », alors qu'ils expriment l'essentiel de la vie. (M. Bernard Jomier renchérit.) Ce texte ne parle que d'économie, ce qui est absolument regrettable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour explication de vote.
M. Gérard Lahellec. Oui, il faut que le débat ait lieu, amendement par amendement. Et ce faisant, en nous focalisant sur l'anéantissement des normes, nous montrerons que l'adoption de ce texte aboutirait à la remise en cause d'objectifs et de dispositions qui protègent notre santé. C'est en cela que nous considérons que cette proposition de loi est dangereuse.
En outre, ce texte risque d'alimenter, voire d'exacerber encore le clivage entre la société et l'agriculture, dans la mesure où l'on se trompe de cible. Tout cela ne sert pas la cause du développement, nécessairement durable, de notre agriculture.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous soutiendrons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Une fois de plus, nous assistons à un clivage gauche-droite.
La gauche nous explique que tout va bien, (Vives protestations sur les travées des groupes GEST et SER.) que tout ce qui a été fait depuis dix ans a amélioré la situation française.
M. Patrick Kanner. Pas du tout !
M. Laurent Duplomb. Pourtant, depuis sept ans, sans l'aide du lobby de la FNSEA non plus que de la Confédération paysanne, pour répondre à mes accusateurs, j'ai essayé de démontrer, rapport après rapport, que la France décline. Cela ne vous plaît pas, mais elle décline bel et bien ! (M. Jean-Claude Tissot proteste.)
Et à chaque fois que vous imposez des contraintes supplémentaires aux producteurs français, vous poussez inéluctablement ceux de nos compatriotes qui devraient être vos électeurs, c'est-à-dire ceux qui ont le plus de difficultés à finir le mois et à se nourrir, ceux qui doivent faire un arbitrage devant les prix des denrées alimentaires, vers les produits importés. C'est ça, la réalité !
En 2018, je disais que les Français mangeaient des produits importés 1,5 jour par semaine. Cinq ans après, on dépasse 2,2 jours par semaine. (Mme Nicole Bonnefoy s'exclame.) Or la semaine ne compte pas trente jours, ma chère collègue, mais sept. Continuez dans cette logique ! Continuez à ne pas vouloir regarder la réalité en face ! Continuez à mettre les agriculteurs dans un corner ! Continuez à faire croire qu'une solution miracle est possible.
La seule chose que vous récolterez, c'est que les agriculteurs ne seront plus agriculteurs et que les paysages ne seront plus ceux d'aujourd'hui. La seule chose que vous offrirez aux Français, ce sont des produits importés ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Patrick Kanner. Vous serez jugé par l'histoire !
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ne votera pas cette motion. Il ne vote d'ailleurs aucune motion, qu'elle vienne d'un côté ou de l'autre de l'hémicycle, parce que notre groupe veut un débat démocratique, dans le respect et sans dogmatisme, qu'il soit économique ou environnemental.
J'espère que, tout au long de cette discussion, nous trouverons le bon chemin, dans l'intérêt général de tous nos agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. C'est tout de même extraordinaire ! L'agriculture française est en crise depuis un demi-siècle ; chaque décennie, 100 000 fermes disparaissent. Et ce serait de notre faute ?
Mme Kristina Pluchet. Oh que oui ! (Marques d'approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Yannick Jadot. La construction européenne depuis cinquante ans, c'est la France – et la FNSEA – qui définit la politique agricole et l'Allemagne qui paye. (M. Laurent Duplomb s'exclame.)
Et maintenant que les fermes ont disparu, que ce sont toujours les plus petits qui se cassent la gueule, qui disparaissent ou se suicident, vous mettez sur le dos des écologistes un modèle obsolète !
M. Laurent Duplomb. Oui !
M. Yannick Jadot. Le secteur connaît le plan social le plus dramatique de notre pays depuis des décennies. Vous avez soutenu tous les accords de libre-échange, à l'exception du Mercosur, et maintenant vous critiquez la mondialisation ?
M. Laurent Duplomb. Je ne suis pas là depuis trente ans !
M. Yannick Jadot. Je me souviens de Louis Le Pensec, qui pensait différemment l'agriculture : lors des accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'idée était la multifonctionnalité de l'agriculture, mais vous vouliez pouvoir bloquer les importations ou leur imposer des droits tout en subventionnant les exportations. Cela ne fonctionne pas ! On ne peut à la fois vouloir protéger nos éleveurs et profiter, avec d'immenses exploitations, de la grippe aviaire ou porcine qui se déclare de l'autre côté de la planète.
Duplomb, tu as cité la confédération paysanne et tu as raison : il y a bel et bien un débat au sein de la profession agricole. Ce n'est pas un combat entre les agriculteurs et le reste du monde, et ce débat est sain.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. C'est vous qui avez déposé une motion !
M. Yannick Jadot. À Chizé, les agriculteurs gagnent plus d'argent, alors que les pesticides ont été réduits de 50 %. C'est vers ce modèle-là qu'il faut tendre ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.
Mme Anne-Catherine Loisier. Le groupe Union Centriste ne votera pas cette motion.
Nous pensons qu'il ne faut pas diaboliser cette proposition de loi, qui a le mérite de soulever un certain nombre de questions fondamentales. Il est également important, au travers de nos débats, de dire à nos concitoyens exactement ce qu'il en est : ce texte ne remet pas en cause l'interdiction de l'ensemble des néonicotinoïdes, il ne concerne que l'acétamipride, autorisé par l'Union européenne jusqu'en 2033. (MM. Laurent Duplomb et Laurent Somon applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.
M. Bernard Buis. Le mois de janvier n'étant pas encore terminé, je formule un vœu : celui que nous débattions collectivement, dans le respect et l'écoute. À cette fin, notre groupe ne votera pas cette motion.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.
M. Vincent Louault. Bien évidemment, nous ne voterons pas cette motion.
Certains croient que nous n'examinons qu'un texte agricole, mais demain, nous parlerons du zéro artificialisation nette (ZAN), des zones à faibles émissions (ZFE), du diagnostic de performance énergétique (DPE)… Nous voulons que notre pays revienne au pragmatisme et à la simplification. (Mme Kristina Pluchet acquiesce.)
Si nous échouons à défendre nos agriculteurs, nous échouerons également à défendre la France de demain, car tous les arguments qui seront avancés dans les heures qui viennent pourront nous être opposés, quel que soit le sujet.
M. Yannick Jadot. En effet : climat, biodiversité, santé…
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le temps est venu pour notre assemblée de légiférer dans l'intérêt des agriculteurs français.
Dès aujourd'hui, et durant les semaines à venir, le Sénat va se pencher sur plusieurs textes, dont les articles relèvent de thèmes certes différents, mais dont l'objet reste le même : améliorer la vie des professionnels de l'agriculture dans notre pays.
Nous allons aborder des sujets délicats et nous aurons des désaccords. Toutefois, je crois fondamental de montrer, une fois encore, que le Sénat est un lieu de réflexion sérieux et utile pour la France. Les troubles sont nombreux à l'extérieur de nos murs, tâchons de préserver cet hémicycle.
Le présent texte vise à lever les contraintes pesant sur l'exercice du métier d'agriculteur. Comme s'il n'était pas assez exposé aux aléas du climat, force est de constater que nous y avons collectivement ajouté des contraintes normatives parfois inutiles, quelques fois invivables. Certaines sont justifiées, mais la nécessité de simplifier s'impose à nous.
Nous l'avons entendu à chaque manifestation et à chaque rassemblement des professionnels depuis maintenant plus d'un an : nos agriculteurs veulent être écoutés et surtout voir les promesses se traduire en actes.
Certaines mesures de cette proposition de loi vont dans le sens d'une simplification. Je pense ainsi à l'article 3, qui concerne la simplification du régime français des installations classées pour la protection de l'environnement. L'allégement de la procédure sera bien évidemment salué par les professionnels.
Je relève également la politique active de stockage de l'eau, ressource si précieuse et vitale pour notre planète et les êtres vivants qui la peuplent, mais au sujet de laquelle, hélas ! les hommes s'affrontent et continueront de s'affronter.
Pourtant, face aux sécheresses et aux déséquilibres de la pluviométrie, nous devons agir pour déclarer les ouvrages ayant vocation à prélever et stocker de l'eau à des fins agricoles comme étant d'intérêt général majeur. Ceux-ci sont en effet particulièrement nécessaires pour nos agriculteurs, qui souhaitent garder une agriculture de qualité malgré les effets du dérèglement climatique. Rappelons que 7 % seulement de la surface agricole française est irriguée. Il s'agit d'une nécessité.
Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher d'innover et de trouver des solutions pour prélever le moins possible, tout en stockant davantage. Je pense, par exemple, à la captation de l'eau de pluie dans les zones habitées ou artificialisées ou à la réutilisation des eaux usées. Selon Météo France, 2024 figure parmi les dix années les plus marquées par la pluie depuis 1959 à l'échelle nationale, avec une pluviométrie de plus de 15 % au-dessus de la moyenne.
N'oublions pas non plus les efforts de sobriété que nous pouvons toutes et tous réaliser afin d'éviter tout gaspillage. La révision de la définition des zones humides pourrait s'avérer pertinent, en précisant le caractère cumulatif des terrains hydromorphes et des végétations hydrophiles : pas l'un ou l'autre, mais bien l'un et l'autre.
Nous débattrons, bien entendu, d'autres mesures de simplification. Mais simplifier va de pair avec la volonté d'apaiser les relations de travail, que ce soit entre les professions agricoles et les créateurs de normes juridiques ou l'Office français de la biodiversité.
L'article 6 pourrait s'avérer particulièrement utile à l'OFB. En effet, il prévoit que les agents de l'Office privilégient la procédure administrative, afin d'éviter autant que faire se peut des procédures judiciaires dès lors que les faits poursuivis relèvent d'une primo-infraction ou d'une infraction ayant causé un faible préjudice environnemental. Les agents de l'OFB accomplissent un travail important, mais il est urgent que leurs relations avec les agriculteurs s'apaisent.
Pour ce qui concerne les relations entre les professions agricoles et l'État, l'article 2 prévoit que le ministre chargé de l'agriculture puisse statuer en lieu et place du directeur général de l'Anses. Toutefois, il a bien été précisé en commission que le ministre devra statuer selon les mêmes critères que ceux du directeur général de l'Anses, qui relèvent du droit européen.
De plus, le ministre de l'agriculture pourra demander à l'Anses d'examiner par priorité un dossier en matière phytopharmaceutique, afin de mieux répondre aux demandes urgentes émanant de filières se trouvant dans une impasse technique. Je crois que ces mesures sont attendues par les agriculteurs. Nous devons en effet stopper les surtranspositions du droit européen dans le droit français et appliquer le principe « pas d'interdiction sans solution » à nos politiques agricoles.
J'ai bien à l'esprit que des membres de notre groupe auront des avis différents en fonction de la réalité de leur territoire. Si je suis, à titre personnel et selon l'évolution de sa rédaction, favorable à l'adoption de cette proposition de loi, la liberté de vote sera de mise au sein du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)