M. Christian Cambon. Pourquoi vous abstenir après un discours si formidable ?

M. Olivier Cigolotti. La chute n’était pas au niveau du reste du propos !

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Mme Marie-Claude Lermytte applaudit.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, votre présence en nombre ce matin atteste de l’importance particulière de cette mission, qui regroupe 60 milliards d’euros de crédits de paiement.

Il y a plus d’une décennie, une guerre a débuté sur notre continent par une annexion. Nombreux sont ceux qui ont été tentés de s’en accommoder. Voilà bientôt trois ans que cette guerre a repris et, désormais, sa haute intensité nous contraint tous à reconnaître que la paix nécessite des capacités militaires de poids.

Après l’invasion de la Crimée, l’élection de Donald Trump en 2016 aurait dû inciter l’Europe à bâtir sa souveraineté. Hélas, nos partenaires européens ont continué à déléguer leur sécurité.

Dix ans plus tard, trois ans après l’invasion de l’est de l’Ukraine, quelques mois après la réélection de Donald Trump et peu de temps après que des câbles sous-marins ont été sectionnés, la situation n’a toujours pas fondamentalement évolué. Les vingt-sept pays européens ne comptent toujours qu’un seul porte-avions : le nôtre !

Le réveil est néanmoins en cours chez certains de nos partenaires européens. Les dépenses militaires des États membres ont ainsi augmenté de plus de 30 % depuis 2021 et devraient atteindre cette année 326 milliards d’euros, soit 1,9 % du PIB de l’Union européenne.

La France, quant à elle, n’a pas renoncé à entretenir ses capacités militaires et occupe une place particulière au sein de la défense européenne. Cependant, elle doit assurer la défense de son territoire hexagonal et ultramarin, ainsi que de la deuxième zone économique exclusive la plus étendue du monde. Nos armées peuvent beaucoup, mais elles ne peuvent pas tout.

Je saisis l’occasion pour remercier l’ensemble de nos militaires, qui méritent beaucoup de respect et de reconnaissance.

Alors que notre pays fait face à des contraintes budgétaires particulièrement fortes, le Gouvernement a fait le choix de poursuivre l’exécution de la loi de programmation militaire, un effort représentant cette année 2,1 % du PIB pour la mission « Défense », soit 60 milliards d’euros en crédits de paiement. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Cet effort significatif place les armées au deuxième rang des politiques publiques les plus prioritaires, après l’éducation nationale, même s’il convient de souligner le poids croissant de la dette. Un tel effort pour nos armées et la défense revêt une importance capitale. Les dépenses militaires sont en hausse partout dans le monde ; il en est de même pour notre pays.

Outre la défense du territoire national et des Français, nos armées se doivent également de soutenir nos alliés. Ainsi, l’armée de l’air et de l’espace a cédé 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie et plusieurs Mirage 2000 à l’Ukraine, laquelle a également reçu des canons Caesar de la part de l’armée de terre.

Ces efforts sont nécessaires pour défendre les valeurs et les intérêts de la France, ils requièrent cependant d’importants moyens. Les défis sont nombreux, qu’il s’agisse du maintien en condition opérationnelle des matériels existants, de la conception de ceux qui les remplaceront demain, comme le porte-avions de nouvelle génération, et, ce tout en garantissant une dissuasion crédible.

Sans les femmes et les hommes engagés pour la défense de la France, ces matériels ne seraient rien. Nous voulons rendre hommage au courage et au professionnalisme de nos soldats, de nos militaires, en y associant les réservistes.

Je prendrai l’exemple du département des Ardennes. Monsieur le ministre, vous connaissez bien le 3e régiment du génie. (M. le ministre opine.), puisque vous vous êtes encore récemment rendu à Charleville-Mézières où ce régiment historique est basé. Les liens qu’il entretient avec l’éducation nationale, à travers les classes de défense, les collèges et les lycées, sont importants.

N’oublions pas le passé militaire de nos départements. Malheureusement, dans certains d’entre eux, il ne reste plus que le délégué militaire départemental ; c’est pourquoi nous sommes si attachés non seulement à nos régiments, mais aussi à nos amicales régimentaires.

Gardons enfin à l’esprit la place de nos militaires dans le cadre de l’opération Sentinelle, qui joue un rôle si important pour notre pays.

Il nous faut indubitablement continuer à susciter des vocations, recruter et intégrer de jeunes militaires. C’est primordial. À cet égard, nous devons veiller à ce que les conditions de travail rendent la vocation militaire plus attrayante, un facteur important de l’accroissement des effectifs, mais également de la fidélisation dans les armées.

Le contexte actuel est lourd de menaces. Il y a quelque temps, la Russie a tiré un missile balistique hypersonique à capacité nucléaire sur l’Ukraine ; au Moyen-Orient, la chute de Bachar el-Assad constitue certes une bonne nouvelle dans l’absolu, mais la situation demeure explosive ; enfin, la Chine poursuit son action contre les démocraties et se montre particulièrement agressive envers Taïwan.

Partout, les tensions s’exacerbent. Par la diplomatie, la France doit s’efforcer de les apaiser, mais elle doit également se doter des moyens d’affronter des conflits plus durs. La sécurité de nos concitoyens et de nos alliés implique un strict respect de la loi de programmation militaire, qui s’avère fondamentale à travers de nombreux dispositifs.

Ne l’oublions pas : cette mission « Défense » est essentielle. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l’adoption de ses crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, RDPI et SER.)

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps perdu, paraît-il, ne se rattrape jamais. Et pourtant, c’est bien à cela que nous devons nous atteler aujourd’hui : rattraper les précieuses semaines que nous a fait perdre la censure endossée à l’Assemblée nationale par une alliance des contraires improbable et assez irresponsable.

Ces semaines sont précieuses, car, dans le domaine militaire plus que dans d’autres, le temps est toujours un élément capital. En matière opérationnelle, bien sûr, mais aussi en matière financière, car tous les crédits qui ne sont pas engagés au moment opportun, toutes les sommes qui ne sont pas décaissées en temps voulu se traduisent par des décalages dans la conduite des programmes.

In fine, c’est la remontée en puissance de nos industriels qui se voit entravée ; c’est le soutien, l’équipement et la préparation de nos forces qui se trouvent compromis ; et c’est avant tout la sécurité des Français qui est mise en jeu.

Dans le contexte que nous connaissons, moins que jamais, nos armées ne peuvent se payer le luxe d’attendre. Il leur faut au plus vite un budget, et j’ajouterai un bon budget !

Malgré les vicissitudes de notre vie politique, malgré l’état de nos finances publiques, il était indispensable que celui-ci puisse, a minima, demeurer conforme au cadencement prévu par la LPM à laquelle, mes chers collègues, nous avons largement participé. Avec son esprit visionnaire, le général de Gaulle affirmait que la défense est le premier devoir de l’État et que ce dernier ne peut y manquer sans se détruire lui-même.

Considérer, comme certains d’entre nous dans cette assemblée, qui sont absents aujourd’hui, qu’il y aurait là une source à laquelle puiser de nouvelles économies est purement irresponsable.

M. Christian Cambon. Tout à fait !

M. Bruno Sido. Très bien. !

M. Cédric Perrin. Ce serait choisir de ne pas regarder en face la marche du monde et ignorer que nous avons basculé dans une nouvelle ère, placée sous le signe de la polarisation et de la confrontation, dans laquelle les mouvements tectoniques de l’ordre international se font plus visibles, plus rapides et plus violents.

Je veux parler de l’antagonisme croissant entre Pékin et Washington, à l’ombre duquel se déploie l’opposition entre un supposé « Occident collectif » et un prétendu « Sud global » ; je veux parler du réveil des impérialismes et de l’enhardissement des dictatures qui accélèrent le délitement du multilatéralisme et libèrent le recours à la force ; je veux enfin parler du retour de l’incertitude stratégique pour l’Europe, prise en étau entre une menace russe réaffirmée et une imprévisibilité américaine qui met à l’épreuve la force et la nature du lien transatlantique.

Dans ce nouveau monde, la conflictualité ne fait que s’étendre et se durcir, les menaces s’intensifient et exploitent les évolutions technologiques pour se diversifier. L’essor des conflits confirme que la voûte nucléaire demeure notre garantie ultime de sécurité, mais il nous montre également que celle-ci peut être contournée et que, afin de ne pas en faire une nouvelle ligne Maginot, il nous faut réinvestir dans tous les segments de notre défense.

Parmi les périls qui pèsent aujourd’hui sur la France comme sur ses alliés, le plus vif provient assurément du flanc Est de notre continent. Depuis bientôt trois ans s’y déroule une guerre de haute intensité dont l’Europe avait perdu la mémoire et à laquelle elle demeure loin d’être préparée, une guerre dans laquelle les Ukrainiens résistent toujours héroïquement, mais de plus en plus difficilement, à l’agression russe.

À l’heure où se met en place une nouvelle administration américaine, qui pourrait radicalement changer la face du conflit, nous ne pouvons pas manquer à nos engagements ni renier nos propres intérêts. Dans cette phase si périlleuse pour l’Ukraine, le soutien que nous lui apportons ne saurait donc fléchir tant que, sur le terrain, son courage et sa volonté lui permettent de tenir.

Au-delà de ce théâtre, de nombreux autres conflits engagent notre sécurité. Au Moyen-Orient, bien sûr, où s’opère une vaste recomposition, à la fois chaotique et violente ; dans le Caucase, où, après avoir rayé le Haut-Karabagh de la carte, les visées panturques constituent désormais une menace existentielle pour l’Arménie ; dans l’Indo-Pacifique, où nos outre-mer font l’objet de toutes les convoitises, voire de toutes les déstabilisations, et où l’expansionnisme chinois vient de plus en plus souvent heurter la souveraineté de ses voisins.

Dans toutes ces zones, les armées françaises apportent leur coopération et contribuent à la stabilité. De la mer Rouge à la Jordanie, de l’Europe occidentale aux rivages asiatiques, elles prouvent chaque jour leur valeur. Elles permettent à la France de tenir son rang dans le concert des grandes puissances militaires ; je tiens ici à leur exprimer de nouveau notre profonde gratitude et à saluer le dévouement sans faille des hommes et des femmes qui servent sous nos drapeaux.

Dans le même élan, je souhaite souligner que le meilleur hommage que nous puissions leur rendre, c’est de nous assurer qu’ils disposent des moyens dont ils ont besoin. Il s’agit à mon sens d’un engagement moral : celui de respecter les femmes et les hommes qui servent sous le drapeau tricolore. Ces militaires qui mettent leur vie en jeu pour protéger les nôtres méritent une armée à la hauteur de leur courage et de leur dévouement.

Or, si je me réjouis bien évidemment que la trajectoire financière de la LPM soit respectée, il me semble également nécessaire d’en souligner certaines limites qui se font jour.

En effet, 2025 sera une année charnière de la programmation, avec pas moins de 51 milliards d’euros engagés en matière d’équipement. Pour plus des deux tiers, ces crédits seront consacrés à des chantiers d’avenir : la modernisation de notre dissuasion nucléaire, le remplacement de notre porte-avions ou encore le passage du Rafale au standard F5.

Ces incontournables de notre posture stratégique sont des éléments fondamentaux pour nos armées, comme pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD), et cela nous oblige naturellement à les maintenir au plus haut niveau d’efficacité.

Cependant, il est à noter que le coût de ces programmes structurants semble avoir été évalué au plus serré. Par ailleurs, et même si les crédits doivent être décaissés sur le temps long, il faut garder à l’esprit que ces dépenses contribueront à rigidifier la suite de la programmation. Dès lors, elles viendront nécessairement contraindre les marges de manœuvre, lesquelles apparaissent de plus en plus minces.

Nous le savions déjà : les améliorations dues à la LPM sont réelles et certaines sont déjà visibles sur le terrain, mais elles n’aboutiront pas pour autant à des forces étoffées. Aviation de chasse, frégates de premier rang ou programme Scorpion, pour chacune de nos armées, les formats resteront taillés au plus juste.

En outre, nos forces sont désormais confrontées à une multiplication des aléas stratégiques qui se traduit par une sollicitation croissante. Elles assument un soutien à l’Ukraine qui pèse parfois lourd sur certains parcs et sur certaines dotations, et elles sont confrontées à de nouveaux besoins capacitaires qui apparaissent régulièrement dans des domaines tactiquement ou technologiquement très évolutifs.

Préparer l’avenir tout en répondant à ces enjeux immédiats exige donc un budget suffisamment ambitieux pour pouvoir être suffisamment réactif ; à défaut, nous prendrions le risque de voir nos faibles marges opérationnelles se changer en trous capacitaires extrêmement préjudiciables, a fortiori à l’heure du « pivot vers la haute intensité ».

Or, au moment où nous portons notre regard sur l’année 2025, force est de constater que 2024 appelle de notre part une certaine vigilance. Entre reports, gels, surgels et annulations de crédits portés à des niveaux inhabituellement élevés, cet exercice aura en effet connu une exécution pour le moins mouvementée, parfois difficile à retracer, et qui a souvent suscité des interrogations ou de l’inquiétude quant à la bonne mise en œuvre de la LPM.

Cette exécution budgétaire aura surtout mis en exergue les conséquences très directes que peuvent emporter les dépenses exceptionnelles dans le cadre d’un budget qui, certes, augmente, mais qui demeure néanmoins contraint au regard des impératifs stratégiques.

Ainsi, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 a opportunément ouvert 837 millions d’euros de crédits supplémentaires pour prendre en charge les surcoûts opérationnels survenus l’année dernière. (M. le ministre opine.)

Pour autant, dans le même mouvement, il a été procédé dans ce texte à plusieurs annulations ; les crédits du programme 146, notamment, ont été amputés de 532 millions d’euros. De ce fait, on observe de nouveau un lien inquiétant entre surcoûts imprévus, d’une part, et érosion des crédits d’équipement, d’autre part.

Cette situation devra être d’autant plus surveillée que les provisions pour opérations extérieures et missions intérieures ont été largement revues à la baisse sur l’ensemble de la programmation.

Certes, la fin de l’opération Barkhane amoindrit la charge ; certes, on peut espérer que le surcroît d’activités intérieures de 2024 demeure conjoncturel. En revanche, les opérations de réassurance ou de sécurité internationales, telles que Lynx et Aigle en Europe de l’Est, ou Aspides en mer Rouge, semblent s’installer dans la durée.

Tout porte donc à croire que leur financement devra être pris en compte à moyen, voire à long terme, ce que ne permet pas la loi de programmation telle qu’elle est actuellement bâtie.

Enfin, j’insisterai sur les reports de charges. Ceux-ci auront en effet utilement contribué à nous faire franchir la bosse budgétaire liée à l’inflation et au coût des carburants. Mais force est de constater qu’ils s’inscrivent désormais dans une trajectoire qu’il faut maîtriser, d’abord parce qu’ils représentent autant de marges de flexibilité en moins pour le budget des armées, ensuite parce qu’ils font peser une contrainte financière sur les épaules des industriels de la défense et, en bout de chaîne, sur celles des PME.

Le financement de ces dernières reste pourtant une préoccupation majeure, autant qu’un angle mort de la préparation à la haute intensité et à l’économie de guerre. En effet, en dépit des bouleversements de l’environnement stratégique, en dépit de la prise de conscience collective qui s’est ensuivie, leur difficulté d’accès aux crédits bancaires semble toujours aussi prégnante.

En particulier, les taxonomies européennes et autres instruments de responsabilité, comme d’ailleurs les politiques internes des banques, n’ont connu aucune évolution notable et perturbent toujours les circuits d’investissement et d’innovation, une situation ubuesque au regard du contexte international et des crises auxquelles nous faisons face. L’état d’esprit des banques doit changer.

Vous le savez, monsieur le ministre, le Sénat a formulé des propositions très concrètes en la matière, et il reste évidemment plus que jamais disponible et mobilisé pour faire aboutir ces idées.

De manière générale, c’est l’environnement global des entreprises de défense qui doit être amélioré, ainsi que cela a été largement souligné lors de l’examen de la LPM. La conduite des programmes s’égare dans trop de complexité et de sophistication ; les normes et les procédures s’empilent, notamment en matière de marchés publics, les règles civiles s’avérant totalement inadaptées aux spécificités de la défense et notamment à l’importance, et surtout au rythme, de l’innovation.

Résultat : des délais indus, des surcoûts inutiles et, parfois, des équipements inadaptés ou trop coûteux. La réorganisation de la direction générale de l’armement (DGA) ou l’évolution de certains de ses process sont à ce titre des jalons importants.

Pour autant, nous sommes encore loin du choc de simplification annoncé, et surtout espéré par les industriels, lesquels attendent aujourd’hui que ce chantier soit approfondi pour qu’eux-mêmes puissent continuer à accélérer.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les défis posés à notre outil militaire sont désormais aussi nombreux qu’exigeants. Ils vont de la conduite des grands programmes d’armement au maintien en condition opérationnelle, de l’innovation à la production en masse, du recrutement et de la fidélisation à l’activité des forces, ou encore, bien sûr, de la sécurité de nos compatriotes à la préservation de la stabilité internationale.

Le général de Gaulle, encore lui, nous avertissait déjà de l’importance de l’anticipation : « l’intelligence consiste à prévoir », disait-il.

Face à l’ampleur de la rupture stratégique que nous vivons et malgré nos profondes difficultés budgétaires, seule la constance de nos efforts permettra de relever ces défis. En ne déviant pas de la ligne d’horizon minimale définie par la LPM, c’est avant tout cette perspective que le projet de loi de finances pour 2025 permet de préserver au bénéfice de nos armées.

Prévoir, c’est investir aujourd’hui dans une armée résiliente et moderne qui pourra répondre aux crises sans compromis sur son autonomie stratégique ; prévoir, c’est aussi refuser que nos soldats soient contraints de faire face à l’adversité sans disposer des moyens nécessaires pour cela.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, investir dans la défense, ce n’est pas céder à une logique belliciste, mais simplement affirmer que la France, forte de son héritage et de son indépendance, doit rester maîtresse de son destin.

Alors, honorons les enseignements de l’histoire, honorons la vision du général de Gaulle et donnons à nos armées les moyens d’assurer la sécurité de notre nation aujourd’hui et demain.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti, Michel Masset et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à présenter nos meilleurs vœux aux femmes et aux hommes engagés dans nos armées, sans oublier ceux d’entre eux qui ont fait le sacrifice ultime de leur vie pour le pays, ainsi que leurs proches. Nous ne les oublions pas.

Ce matin, nous examinons les crédits de la mission « Défense » pour 2025 dans un contexte inédit à bien des égards.

Inédit au niveau national, tant nous avons le sentiment que, dans un autre hémicycle, règne la volonté de jouer aux quilles avec les gouvernements plutôt que de légiférer dans l’intérêt général du pays. Cela explique que nous nous retrouvions ce samedi de janvier pour reprendre l’examen d’un budget d’une année déjà entamée.

Inédit également au niveau international, puisque le monde tel qu’il est se caractérise par des crises simultanées et persistantes en de nombreux endroits. En somme, un état de « permacrise » et de « polycrise ».

Ce qui caractérise aussi notre monde, c’est le retour de la puissance à l’état brut, avec des visées affichées de prédation territoriale, de prédation de ressources matérielles et immatérielles, le tout s’accompagnant de nouvelles frontières pour les théâtres d’opérations, notamment dans le cyberespace et le spatial.

L’examen des crédits de cette mission nous renvoie à notre responsabilité profonde de protéger les Français, d’assurer leur défense et celle de nos intérêts. Félicitons-nous que, depuis 2017, les budgets successifs de la mission « Défense » s’inscrivent dans une volonté de réparation, avec une hausse budgétaire continue, passant de 32 milliards d’euros en 2017 à 41 milliards d’euros en 2022, pour atteindre 50 milliards d’euros cette année.

Mes chers collègues, ce budget est l’affirmation d’un choix, celui du strict respect de la trajectoire financière inscrite dans la dernière LPM, et donc du respect du vote des parlementaires.

En dépit d’une situation financière des plus contraintes, la sécurité des Français et les crédits de la mission « Défense » ne seront pas une variable d’ajustement, comme en témoignent ces 3,3 milliards d’euros de crédits additionnels.

Dans quel but ? Notre environnement évolue, nous devons nous adapter, « être souples comme le cuir, mais trempés comme l’acier pour être et durer », aurait dit le général Bigeard.

M. Rachid Temal. Voilà une référence pour le moins douteuse !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Notre environnement stratégique est nouveau et nécessite à la fois des capacités de projection rapide et d’engagement dans des conflits de haute intensité.

La guerre en Ukraine a démontré les besoins en très grande quantité de munitions d’artillerie, de munitions de petits calibres, de systèmes de frappe dans la profondeur et, bien sûr, de drones de différents formats. De fait, nous constatons une augmentation de plus de 12 % des crédits du programme 146. L’année 2025 verra aussi la livraison des missiles moyenne portée (MMP), ces missiles antichars très attendus dans l’armée de terre.

La haute intensité des conflits implique également la mobilisation sur un temps long des ressources humaines. De ce point de vue, le présent budget se veut respectueux de nos forces. Nous touchons là au sujet de la condition militaire, un enjeu majeur et structurel pour l’avenir, en particulier dans une société où l’engagement à long terme et, potentiellement, au sacrifice de sa vie, n’est plus une évidence.

Le ministère l’a bien compris. Je veux saluer l’évolution du plan Famille II, devenu plan Fidélisation 360, avec une nouvelle dynamique, l’amélioration des conditions de vie en emprise militaire, la nouvelle politique de rémunération des militaires, ainsi qu’un certain nombre d’efforts indiciaires.

J’en viens à un point sur lequel nous devons nous mobiliser pour trouver des solutions, notamment avec Bercy : les reports de charges évoqués par le rapporteur spécial Dominique de Legge. Ceux-ci ont augmenté et pourraient représenter le linceul des LPM, car ils alimentent ce que l’on appelle la bosse budgétaire. Or nous ne souhaitons naturellement pas anéantir les efforts réalisés difficilement.

De ce point de vue, les parlementaires sont utiles, car ils peuvent aiguillonner le travail interministériel. Chacun sait que beaucoup a déjà été fait pour soutenir notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Continuons dans cette voie.

Notre BITD est en pointe en matière d’innovation : je salue le fait que ce budget permettra la livraison du supercalculateur le plus puissant en intelligence artificielle (IA) militaire classifiée d’Europe. (M. le ministre approuve.) Cette IA va irriguer tous les usages opérationnels.

Il en va de même s’agissant du domaine quantique, et l’observatoire mis en place dans ce domaine sera précieux pour fédérer toute une communauté d’experts. Il convient de ne pas s’attarder, car nos adversaires, nos compétiteurs, ne nous attendront pas.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à la lumière de tous ces éléments, le groupe RDPI votera avec conviction les crédits de la mission « Défense » pour 2025.

Permettez-moi de profiter du temps de parole qu’il me reste pour remercier et féliciter l’armée des champions, c’est-à-dire les sportifs de haut niveau présents au sein de nos armées. Grâce à tous ces athlètes, nous avons remporté vingt et une médailles, soit 30 % des médailles françaises aux jeux Olympiques de 2024.

Je pense plus particulièrement à l’Icaunaise Eugénie Dorange, qui a permis à l’Yonne d’atteindre la petite finale de canoë,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … à l’aviateur Nicolas Gestin, également en canoë,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … au second maître Shirine Boukli,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … ou au matelot Joan-Benjamin Gaba,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … et je pourrais en citer bien d’autres.

Ils ont battu le record mondial de médailles obtenues par des militaires aux jeux Olympiques. Cela en dit long et témoigne d’un état d’esprit d’excellence de nos armées. Nous en sommes fiers et reconnaissants : militaires et sportifs font résonner La Marseillaise et portent haut les couleurs de la France ; je les en remercie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous donner lecture de l’allocution d’André Guiol, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, retenu dans son département du Var.

« En mars dernier, la destruction d’un drone américain par un chasseur russe au-dessus de la mer Noire a illustré, si certains en doutaient encore, le retour des rivalités de puissance dans des espaces autrefois stabilisés.

« Dès lors, il est normal que, dans ce contexte, le montant accordé à notre défense pour 2025 atteigne 50,5 milliards d’euros, soit 3,3 milliards d’euros de plus qu’en 2024. Pour autant, nous ne devons pas nous réjouir de cette hausse, qui dépeint une situation ponctuée par le retour des conflits de haute intensité et l’émergence de nouvelles menaces hybrides. La montée en puissance de technologies innovantes, comme les drones, l’intelligence artificielle et le domaine cyber, nous impose un effort sans précédent.

« Ainsi, l’augmentation des crédits se concentre sur plusieurs priorités majeures.

« Tout d’abord, le renouvellement de la dissuasion nucléaire, qui représente près de 40 % du financement consacré à la modernisation de nos forces armées. Cet investissement crucial pour garantir une dissuasion crédible repose notamment sur la construction de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération (SNLE 3G), le développement des missiles M51.3 et des missiles air-sol nucléaires de quatrième génération (ASN 4G).

« Le programme Rafale devra s’ajuster pour rester en phase avec les objectifs de la loi de programmation militaire 2024-2030. Concrètement, cela signifie qu’il nous faudra atteindre un parc de 178 avions, tous modèles confondus, pour l’armée de l’air et la marine d’ici à 2030, avec une montée en puissance à 225 appareils prévue à l’horizon 2035.

« Dans le même esprit, la dotation de 130 millions d’euros figurant dans le programme 178 pour la mise en œuvre du supercalculateur de l’agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense est un indicateur positif sur l’état de préparation de nos armées.

« L’anticipation des sauts technologiques dans les domaines de l’espace, des fonds marins, du cyber et des drones justifie l’augmentation significative des crédits de la mission.

« Cependant, cette trajectoire ambitieuse ne doit pas masquer certains défis structurels qui persistent.

« Le report de charges, estimé à près de 3 milliards d’euros, et les surcoûts des missions intérieures, comme l’opération Sentinelle, mettent sous tension la préparation opérationnelle de nos armées. Si ces dispositifs restent indispensables pour protéger nos concitoyens des menaces directes et pour répondre aux catastrophes naturelles exacerbées par le changement climatique, ils révèlent certaines limites.

« Il est crucial de maîtriser la réquisition des armées, en la concentrant sur des missions à forte valeur militaire. Cela nécessite de privilégier une réquisition maîtrisée, combinant réactivité et désengagement rapide.

« Le coût des matériels et des opérations pèse lourdement sur notre modèle de défense, ce qui doit nous inciter à repenser en commun l’effort industriel, afin de maintenir le cap du multicapacitaire. Cette soutenabilité financière doit être au cœur de nos réflexions pour éviter que nos ambitions stratégiques ne se heurtent une fois de plus à l’agenda américain.

« Notre notoriété dans les domaines technologiques de pointe devrait nous permettre d’impulser une dynamique tendant à l’élaboration d’un projet de défense commune. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur la manière dont les objectifs de la LPM prennent en compte l’ambition européenne en matière de défense.

« Même si le texte mentionne certains projets conduits en commun avec des États partenaires, comme le système de combat aérien du futur (Scaf), développé conjointement avec l’Allemagne et l’Espagne, il semble ignorer notre rôle au sein de l’Agence européenne de défense et les moyens qu’il faudrait y consacrer.

« Je crois pourtant qu’il est temps de placer la coopération européenne au centre de notre politique militaire. Nous ne pourrons pas faire réellement aboutir l’Europe de la défense sans une évolution institutionnelle majeure qui implique que nous levions l’ambiguïté autour de notre autonomie stratégique.

« Comme l’écrit Jean Monnet dans ses Mémoires : “L’Europe se fera dans les crises. Elle sera la somme des solutions qu’on apportera à ces crises”.

« Les membres du groupe du RDSE, plus que jamais soucieux de défendre l’Europe, voteront les crédits de cette mission. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)