M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’humanité fait face à un nombre sans précédent de crises concomitantes.
« Dans un contexte géopolitique multipolaire et à l’heure où de graves crises touchent de nombreuses parties du monde, la France doit, plus que jamais, maintenir son statut de grande puissance sur la scène internationale. » Ces mots, je les ai prononcés à cette tribune il y a un an lors de l’examen de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2024.
Les conflits se multiplient, l’aide publique au développement française est loin d’atteindre 0,7 % du revenu national brut, un objectif fixé pour 2025. La place de la France dans la solidarité internationale recule et notre pays est déclassé au rang de cinquième bailleur mondial.
Consciente du rôle de la France à l’international, je déplore bien évidemment ce constat ; je regrette également que la présente mission souffre d’une baisse inédite de ses crédits. Les populations bénéficiant de notre aide publique au développement seront les premières à en souffrir.
Créatrice de solutions, l’APD permet de protéger les biens publics mondiaux que la France s’est engagée à préserver ; elle vise également à nous prémunir de potentielles crises graves – sanitaires, alimentaires ou sécuritaires. En luttant contre les inégalités, contre la pauvreté ou encore pour l’accès aux soins et à l’éducation, l’APD s’attaque aux causes profondes qui contribuent à l’émergence de ces crises.
Outre son volet humanitaire, elle constitue un véritable instrument de la diplomatie française. Elle nous permet ainsi de respecter nos engagements pris à l’international. J’ai notamment à l’esprit l’Agenda 2030 et le respect des objectifs de développement durable, figure de proue de l’APD depuis bientôt dix ans.
L’APD contribue au rôle moteur de la France sur la scène internationale ; elle porte la voix de notre pays sur tout le globe, déployant le soft power français dans une logique partenariale.
Bien que je déplore naturellement la diminution sans précédent des crédits de la présente mission, je suis parfaitement consciente que nous devons faire face à l’incertitude budgétaire. La France doit faire des économies, le gouvernement actuel s’y est engagé et tous les acteurs contribuent à l’effort national, y compris notre politique de solidarité et de développement.
Je tiens cependant à remettre dans son contexte la trajectoire budgétaire de cette mission. Entre 2017 et 2022, elle a été abondée de 5 milliards d’euros supplémentaires, conformément à la trajectoire pluriannuelle fixée par la loi de programmation du 4 août 2021.
Malgré les coupes budgétaires subies par la présente mission depuis 2023, la France n’a pas à rougir de sa politique de solidarité internationale ; elle n’a pas non plus renoncé à ses objectifs : celui de consacrer 0,7 % de son RNB à l’APD a simplement été reporté à 2030 en raison de la réalité budgétaire actuelle.
C’est aussi dans ce contexte que nous attendons, depuis plus de trois ans, la mise en place de la commission d’évaluation prévue par la loi du 4 août 2021. Cette commission, dont vous avez annoncé l’instauration prochaine, monsieur le ministre, lors de votre audition devant la commission des affaires étrangères et de la défense le 23 octobre 2024, aura un rôle éminent à jouer pour l’avenir budgétaire de l’APD.
Les exigences de transparence et de contrôle vis-à-vis des fonds alloués à l’APD et de leur utilisation concrète sont légitimes ; elles ont plusieurs fois été rappelées lors de nos échanges en commission et elles sont au centre du débat public. Le contrôle budgétaire effectué par cette instance pourra permettre à l’APD de reprendre une trajectoire dynamique en 2026, ainsi que l’a annoncé le Gouvernement.
Le groupe RDPI votera les crédits de la présente mission.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons entendu et nous entendrons encore de nombreuses fois la sacro-sainte expression qui encadre nos débats sur le projet de loi de finances pour 2025 : le redressement des comptes publics !
Je vais donc la reprendre, non pour la tailler en pièces, mais pour remarquer, au nom du RDSE, qu’elle a plusieurs interprétations. Ses traductions en chiffres ne doivent pas se réduire à des coupes claires qui donnent la très désagréable impression que le Gouvernement cède aux tristes tentations du repli sur soi.
L’aide publique au développement semble particulièrement bien indiquée pour déplorer certains choix effectués par le Gouvernement comme pour supporter l’ire de certains. Évidemment, il n’est pas dans mes intentions de contester la dure réalité des déficits publics et je comprends que les efforts doivent être partagés. Encore faut-il que ceux-ci s’inscrivent avec sagesse dans la loi de finances et qu’ils soient répartis avec équité, intelligence et modération.
Ce n’est absolument pas le cas pour les crédits du programme 110 « Aide économique et financière au développement ». Avec 2,52 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 1,72 milliard d’euros en crédits de paiement, ce programme subit une baisse de plus de 35 % qui ampute l’ambition de notre pays en matière de solidarité et d’influence internationales.
Alors que le réchauffement climatique frappe particulièrement les nations les plus pauvres, que les conflits se multiplient et s’enlisent et que l’agression russe contre l’Ukraine menace directement l’unité européenne, comment accepter ce recul ?
Dans un monde qui se fracture, alors que les incertitudes alimentent les inquiétudes, la France, à l’unisson de nombreux pays, réduit la voilure. C’est un peu comme s’il fallait accepter les critiques de ceux qui jugent ces programmes coûteux, inefficaces et inutiles sans jamais mesurer la finalité de cette mission.
Ce qui est coûteux, c’est de fermer une main qui devrait être tendue ; ce qui est inefficace, c’est de se replier sur soi ; ce qui est inutile, c’est de laisser la pauvreté gagner la bataille.
Alors que les besoins mondiaux en matière de développement augmentent, est-il possible de choisir la voie du rabougrissement ?
Alors que les pays pauvres sont confrontés à des crises sociales et économiques dont la dureté nourrit les migrations, devons-nous infliger un sévère coup de rabot à nos programmes ?
Alors que cette mission doit être un soutien à ces pays démunis, devons-nous la réduire à un instrument comptable au service de nos propres turpitudes politiques ?
M. Rachid Temal. Bravo !
Mme Mireille Jouve. Mes chers collègues, raboter, tailler, couper, voilà des choix de facilité.
M. Rachid Temal. Et de jardinage !
Mme Mireille Jouve. Le faire avec une telle brutalité ne fait que repousser les indispensables réformes que nous devrions engager en faveur de l’aide au développement. Plus que jamais, celles-ci sont indispensables pour accompagner des initiatives en faveur de la santé, de l’éducation ou encore de la lutte contre la malnutrition et la précarité.
C’est tout le sens des amendements engagés et justes que nous avons déposés. Si ces évolutions, que nous estimons nécessaires, n’étaient pas intégrées, malgré la rencontre des représentants de notre groupe avec les ministres Éric Lombard et Amélie de Montchalin, le RDSE votera contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est belle, elle est grande, quand elle est ouverte, dynamique, généreuse. Au travers de l’action qu’elle mène depuis longtemps déjà en matière d’aide publique au développement, elle montre qu’elle essaie de tendre la main aux peuples qui, dans le monde, se trouvent en difficulté.
Il est important de reconnaître cette situation, ainsi que la volonté constante de l’État de poursuivre, en matière d’aide publique au développement, un certain nombre d’engagements au service d’enjeux identifiés.
L’aide publique au développement, à 60 % bilatérale et à 40 % multilatérale, est diverse. Son importance ne doit pas faire oublier celle de l’aide que des centaines de milliers de nos concitoyens apportent à titre privé, en soutenant sous la forme du bénévolat ou d’une participation financière les nombreuses associations et organisations non gouvernementales (ONG) qui œuvrent par exemple en faveur de l’éducation, de la création d’infrastructures pour faciliter l’accès à l’eau ou du développement de programmes culturels ou sociaux.
L’aide publique au développement est aussi marquée du sceau des politiques et des stratégies que nous ambitionnons de défendre en nous appuyant sur elle – je pense notamment à la francophonie.
Notre pays a connu un certain nombre de difficultés et de déboires, en particulier en Afrique et plus précisément au Sahel. J’ai regretté que, l’an passé, le Gouvernement ait pris la décision d’arrêter un certain nombre de programmes de l’aide publique au développement dans cette zone sans que le Parlement en ait été informé ou y ait été associé. (M. Rachid Temal acquiesce.)
Je rappelle la trajectoire budgétaire de cette mission : 5,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 5,1 milliards d’euros en crédits de paiement. La France fait-elle autant ou moins que les autres pays ? À l’échelle mondiale, nous nous classons au cinquième rang des contributeurs en matière d’aide au développement, y consacrant 0,45 % de notre revenu national brut (RNB) contre 0,36 % en moyenne dans le reste de l’OCDE.
Mais notre pays connaît des difficultés financières et budgétaires et nous devons trouver les moyens de réduire notre déficit et faire preuve de responsabilité collective à l’égard des générations futures. L’effort que nous ferons aura cependant de lourdes conséquences sur les crédits de l’aide publique au développement.
En 2021, nous avions voté de manière quasi unanime la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui fixait un objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’aide au développement en 2025. Ensuite, l’échéance a été reportée à 2030. Elle risque malheureusement d’être reportée une nouvelle fois, peut-être aux calendes grecques.
M. Rachid Temal. Ou à la Saint-Glinglin !
M. Philippe Folliot. Je le regrette, car notre politique en matière d’aide au développement s’affiche ainsi ambiguë et ambivalente. Nous adoptons des textes qui portent une ambition forte, mais les crédits que nous votons ensuite, chaque année, ne sont pas à la hauteur du cadre que nous nous étions fixé.
Par conséquent, si à l’avenir nous devons nous prononcer sur des textes qui définissent des objectifs pluriannuels, nous devrons veiller à nous donner les moyens de tenir jusqu’au bout la trajectoire décidée.
Les membres du groupe Union Centriste voteront les crédits de cette mission et saluent la volonté, le charisme et le dynamisme dont a fait preuve le rapporteur spécial Michel Canévet.
Monsieur le ministre, le vote des crédits de cette mission sera une étape importante. Même si le cadre que vous proposez n’est pas satisfaisant, il est de notre devoir de tenir compte des circonstances et de faire preuve de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qui était présenté comme une simple pause dans le déploiement de l’aide publique au développement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 s’est rapidement transformé, quelques mois plus tard, en un retour en arrière, lorsque le ministre des finances publiques de l’époque a décidé d’amputer les crédits votés de 800 millions d’euros, soit 13 % du budget de la mission.
En 2025, cette trajectoire se poursuit avec une nouvelle coupe de 700 millions d’euros.
Alors qu’un consensus parlementaire acté par la loi du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales avait fixé l’échéance de 2025 pour atteindre l’objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’APD, le Parlement assiste, impuissant, à la diminution retentissante des crédits de cette mission : le niveau d’aide au développement devrait finalement se situer à 0,45 % du revenu national brut en 2025.
Monsieur le ministre, comme si cela ne suffisait pas, vous entendez opérer une coupe supplémentaire de 641 millions d’euros par voie d’amendement. Finalement, si cet amendement venait à être adopté, le budget de l’APD serait réduit de près de 35 % par rapport à l’année dernière. C’est une décision irresponsable, populiste et absolument honteuse.
Un tel renoncement aux objectifs de la loi de 2021 est d’autant plus surprenant que d’autres lois de programmation comme la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la loi de programmation militaire ou encore celle de la justice sont, quant à elles, préservées.
Est-il utile de rappeler que la diplomatie au même titre que la justice, la défense ou encore la police constitue un monopole régalien ?
Le monde entre dans une période de grande incertitude. Nous sommes confrontés, comme jamais auparavant, à des catastrophes humanitaires et écologiques et à des menaces existentielles de conflits armés. Des souffrances terribles s’abattent sur les populations : un quart de celles du Sahel a besoin d’une aide humanitaire et 37 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique n’ont pas un accès sûr à l’eau.
Pourtant, les crédits de l’aide humanitaire diminueront de 44 % par rapport à 2024, alors même que votre prédécesseur avait pour objectif, monsieur le ministre, de les porter à un milliard d’euros.
Plus précisément, c’est le programme « Solidarité à l’égard des pays en voie de développement » qui portera l’essentiel de l’effort de réduction de crédits, en se trouvant amputé d’un tiers de ses moyens par rapport à l’exercice précédent.
Sabrer de manière aussi aveugle dans l’APD et la considérer comme une simple variable budgétaire, c’est sacrifier en conscience des vies humaines. C’est aussi déstabiliser les États les plus fragiles pour lesquels l’assistance financière internationale est cruciale. Or la France est le pays de l’humanisme et de l’universalisme comme aime le rappeler le Président de la République.
Outre les conséquences humaines déplorables, le choix budgétaire et politique que vous opérez aura pour notre pays des conséquences de nature diplomatique.
Notre engagement dans le cadre multilatéral sera légitimement remis en cause, car l’influence d’un pays dans les instances internationales se mesure à l’aune de sa participation financière. Une diminution aussi soudaine et violente de nos contributions entraînera l’effacement de la France dans les enceintes multilatérales.
En outre, dans le cadre bilatéral, le difficile arbitrage des projets conduira, de fait, à une dégradation de nos relations avec certains États.
Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe CRCE-K s’opposeront au vote de ce budget. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face aux guerres, au réchauffement climatique et aux catastrophes sanitaires, ainsi qu’à la faim dans le monde qui ne cesse de croître, la solidarité internationale n’a jamais été aussi cruciale.
Des centaines de millions de personnes comptent sur les pays les plus favorisés pour accéder à une aide humanitaire vitale, qu’il s’agisse de nourriture, d’eau potable, de soins médicaux ou tout simplement d’un abri. Cette aide ne relève pas seulement de la générosité ; elle incarne avant tout l’humanité qui doit guider nos actions.
L’aide au développement portée par l’Agence française de développement et les ONG joue un rôle clé dans la construction d’un ordre mondial plus juste. Elle constitue également un levier diplomatique essentiel pour la France. La diplomatie climatique, en soutien aux pays les plus défavorisés et les plus exposés au chaos climatique causé par nos modes de vie, est un enjeu prioritaire.
En 2021, le Parlement a adopté à l’unanimité une loi ambitieuse qui fixe notamment les objectifs suivants : l’allocation chaque année de 0,7 % du revenu national brut à l’aide au développement et l’encouragement des dons plutôt que des prêts. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires salue cette loi et est fier d’avoir contribué à sa construction.
Pourtant, alors que les crises s’intensifient et se multiplient à travers le monde, la France s’éloigne de ses engagements. En 2022, l’APD ne représentait que 0,56 % du RNB et le montant ne cesse de diminuer, de 11 % en 2023 et de 13 % en 2024. La trajectoire annoncée pour 2025 est toujours à la baisse, en particulier pour le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », qui serait amputé d’un tiers, soit de près d’un milliard d’euros.
Le Premier ministre nous promet un retour à la trajectoire initiale et a affiché, hier, un objectif avoisinant les 0,7 % du RNB l’année prochaine, mais le Gouvernement maintient son intention de réaliser en 2025 une coupe supplémentaire par rapport à ce qui était déjà prévu : le premier amendement qu’il avait déposé prévoyait 640 millions d’euros en moins et celui qu’il vient de déposer vise à porter cette coupe à 781 millions d’euros.
Qui peut encore croire que la France tiendra l’engagement qu’elle a pris, il y a soixante ans, devant l’Assemblée générale de l’ONU ? Cette politique de réduction du budget de l’aide publique au développement ternit la réputation de la France sur la scène internationale et projette une image d’indifférence et de repli sur soi.
Par ailleurs, la création du nouveau programme 384 « Fonds de solidarité pour le développement » suscite de vives inquiétudes parmi les ONG. Le Gouvernement crée ce fonds pour récupérer l’ensemble des recettes des taxes sur les billets d’avion et les transactions financières jusqu’à présent affectées aux ONG et il le soumettra sans aucun doute à de sévères coupes dans les prochaines années.
Il existe pourtant une autre possibilité qui consisterait à renforcer fortement la taxe sur les transactions financières, à élargir son assiette, à augmenter son taux et à reprendre le contrôle de son recouvrement, scandaleusement délégué à une société privée.
Le Premier ministre a semblé approuver un très faible relèvement du taux de la TTF à 0,4 %, ce qui est un premier pas. Mais a priori, cette hausse, plutôt que de servir à financer l’APD, sera reversée au budget général. Le diable se cache dans les détails ! Cette évolution permettrait pourtant de dégager des millions d’euros, qui seraient profondément utiles à la solidarité internationale.
Contrairement à ceux qui remettent en question la pertinence de l’aide publique au développement, je veux rappeler que la solidarité internationale ne se limite pas à améliorer la vie de millions de personnes. Elle permet également de prévenir les conséquences des crises humanitaires dont l’impact se fait directement sentir en France et en Europe, notamment par l’exode massif de populations qui fuient leur pays. C’est le rôle de l’aide publique au développement et de la France en particulier, compte tenu de son passé colonial, de bâtir un monde à la fois plus juste, écologique et solidaire.
Les membres du groupe GEST ont déposé plusieurs amendements visant à ce que la loi de 2021 soit enfin appliquée et pour que notre pays reste fidèle à ses valeurs universelles et soit à la hauteur des défis mondiaux.
À l’heure où la France perd pied sur la scène internationale, nous devons plus que jamais garder nos ambitions pour l’aide publique au développement. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue également le ministre Thani Mohamed Soilihi qui vient d’arriver et je le félicite tout comme M. Barrot d’avoir été reconduit au Gouvernement.
Comme l’ont dit les précédents orateurs, l’enjeu de ce débat n’est pas que budgétaire. Il porte aussi sur une certaine idée de la France et sur la place de notre pays dans le monde, et c’est là ce qui doit nous guider.
Fallait-il intégrer la mission « Aide publique au développement » dans le processus de réduction du déficit ? Oui, il fallait le faire, mais certainement pas en opérant des coupes aussi importantes – à la hache, si j’ose dire.
Certains ont cité la loi de programmation du 4 août 2021. Mon collègue Hugues Saury et moi-même sommes fiers d’avoir pu défendre ce texte avec le soutien ardent de votre prédécesseur de l’époque, monsieur le ministre. Le groupe socialiste avait d’ailleurs largement contribué à l’améliorer.
Nous voulions inscrire dans la loi le fait que la France devait investir pour rendre le monde meilleur, en étant consciente de son rôle et de la vision qu’elle souhaitait défendre, forte de ses valeurs humanistes et fidèle à ses objectifs de défense nationale, soucieuse de l’intérêt des populations tout autant que de celui de ses entreprises. C’est d’ailleurs en suivant cette ligne que la France a pu faire aboutir l’accord de Paris. Comment pourrait-on alors nous convaincre aujourd’hui qu’il faudrait tout sabrer pour réduire le déficit ?
Cette loi de programmation nous a donné un sentiment de fierté, car elle établissait une progression historique des moyens alloués. À l’inverse, la baisse historique des crédits qui est proposée cette année ne pourra que poser problème. Elle aura pour conséquence d’aggraver les difficultés des populations auxquelles nous venons en aide pour répondre à leurs besoins alimentaires, pour garantir leur accès à l’eau ou à l’éducation ou encore pour favoriser l’égalité des genres. Les ONG auront du mal à continuer de mener leurs actions.
Mais si je reviens sur les objectifs de cette loi, c’est aussi pour dénoncer le hiatus dans le discours du Gouvernement. Ainsi, le texte que nous avons voté établit la liste de dix-neuf pays prioritaires, il définit une trajectoire, mais tout cela a été modifié sur la seule décision du Président de la République !
De plus, à la place de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement que nous avions décidé d’instaurer, mais dont la mise en place a été bloquée, le Gouvernement nous vend une instance fantoche fonctionnant sur l’autocontrôle. Nos ambitions étaient bien différentes, lorsque nous avons élaboré la loi de programmation !
Je pourrais aussi vous rappeler le gel des crédits de l’APD dans le cadre de la loi de finances pour 2024 ou encore ce qui s’est passé sur la taxe sur les transactions financières. Créée pour financer l’aide publique au développement, cette taxe a fini par être détournée et, de surcroît, c’est une société privée qui la collecte. Ce n’est pas acceptable, nous en convenons tous, d’autant que d’importants trous dans la raquette ont été constatés…
Plutôt que de répéter qu’il faut de l’argent pour l’aide publique au développement, chiche, trouvons-le ! Si les crédits ne peuvent pas être trouvés dans le budget de l’État, tentons une autre solution ! Nous consacrons 0,3 % de notre RNB à l’aide au développement contre 0,5 % pour l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Si notre amendement visant à porter le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 % à 0,7 % avait été adopté, il n’y aurait plus de débat ! Notre outil d’aide publique au développement serait maintenu sans conséquence aucune pour le budget de l’État. L’Agence française de développement pourrait continuer ses actions, tout comme les associations à qui nous promettions dans la loi de programmation de 2021 qu’elles bénéficieraient d’un milliard d’euros de crédits en 2025.
Une fois que la faillite du système est organisée, il est facile de constater qu’il ne fonctionne pas et de déclarer qu’il faut agir et trancher, avant de nous faire accepter une coupe de près de 800 millions d’euros dans les crédits. Certes, en 2024, l’État aurait encore « perdu » 55 milliards d’euros sans que personne puisse dire où ils sont passés. Mais diminuer les crédits de la mission de plus de 2 milliards d’euros n’est pas acceptable !
La France risque d’être déclassée. Or on ne peut pas, d’un côté, regretter que la France perde pied, notamment sur le continent africain, et, de l’autre, décider de réduire encore plus l’aide au développement.
J’ajoute que la mesure qui figurait dans la loi de 2021 visant à opérer un réajustement entre les prêts et les dons n’a pas été suivie d’effets. Pourtant, un certain nombre de pays concernés directement ne peut plus accepter de prêts ; ils ont besoin de dons ! Voilà un autre grief qui nous est adressé.
De plus, la loi de programmation pluriannuelle a été votée deux ans après qu’elle a été élaborée, ce qui est assez exceptionnel. Il était prévu qu’elle cesse de s’appliquer en 2025. Nous y sommes ! Monsieur le ministre, j’espère que vous nous apporterez des éclaircissements sur ce point et que vous nous annoncerez une nouvelle loi de programmation dès cette année…
Vous tentez de nous rassurer en nous promettant une situation bien meilleure en 2026. Mais les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent… Comment croire que, après avoir gelé près de 800 millions d’euros de crédits en 2024 et avoir poursuivi dans cette voie en 2025, vous parviendrez à faire repartir la courbe à la hausse en 2026 ?
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe SER voteront contre l’adoption de cette mission. Monsieur le ministre, alors que la loi de 2021 dont je suis fier d’avoir été le rapporteur était pleine d’ambitions, vous vous en faites aujourd’hui le fossoyeur et je le regrette. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la mission « Aide publique au développement » est très fortement mise à contribution pour l’effort de redressement de nos finances publiques. Cela a été le cas dès 2024, avec des annulations de crédits intervenues en cours d’année pour un montant, rappelé à l’instant par Rachid Temal, de 800 millions d’euros. Cette tendance devrait se poursuivre en 2025 avec une baisse supplémentaire des crédits de la mission, le projet de loi de finances prévoyant de confirmer les réductions de 2024 et d’ajouter 200 millions d’euros d’économies supplémentaires.
Le Gouvernement a également déposé un amendement prévoyant 781 millions d’euros de réduction de crédits afin de porter une partie de l’effort d’économie supplémentaire de l’État annoncé par le Premier ministre.
Le budget de la mission pourrait ainsi se stabiliser à 4,4 milliards d’euros de crédits, en baisse de plus de 1,3 milliard d’euros par rapport à son niveau initial de 2024. Il convient de rappeler que cette mission disposait de 2,6 milliards d’euros de crédit en 2017. Le recul est certain, mais n’efface pas l’effort d’investissement conduit ces dernières années en faveur de cette politique.
Il serait difficile de garantir ici que nous pourrons, avec des moyens réduits, maintenir le plan de charge que nous envisagions, qu’il s’agisse de notre action en matière humanitaire, de nos outils bilatéraux, qui permettent d’incarner la relation que nous bâtissons avec des pays partenaires dans toutes les régions du monde, ou encore de nos contributions multilatérales, qui crédibilisent et valorisent la voix de la France sur les grands défis de notre temps, du changement climatique à la protection de nos océans, en passant par la lutte contre la désinformation et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Des choix seront nécessaires et je m’emploierai à préserver les secteurs et les outils sur lesquels un renoncement aurait des effets néfastes immédiats et très concrets. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant la commission des affaires étrangères, je m’efforcerai d’associer les parlementaires à ces choix.
Je pense à notre action humanitaire, qui nous a permis de nous tenir aux côtés des populations gazaouies, soudanaises, libanaises, mais aussi ukrainiennes, en leur fournissant rapidement de l’aide pour faire face aux tragédies humanitaires qu’elles traversent.
Au cours des derniers mois, l’utilité même de l’aide publique au développement a souvent été remise en cause. Voilà un exemple concret qui légitime son rôle lorsque des guerres et des catastrophes naturelles précipitent des populations entières dans un état de détresse totale. Celles-ci se retrouvent privées d’accès à l’eau, à la nourriture, aux soins ou à un logement. La France vient à leur secours, en leur apportant une aide d’urgence qui fait souvent la différence entre la vie et la mort.
Je pense aussi aux moyens de coopération bilatérale à la main de nos ambassades qui ont été déployés au cours de ces dernières années et qui ont déjà montré leur pertinence et leur efficacité.
Je pense à notre réseau d’experts techniques internationaux qui permet de faire rayonner le savoir-faire français et d’accompagner la conduite de politiques publiques dans des régions prioritaires.
Ces outils servent à défendre des causes qui nous sont chères comme la lutte contre la criminalité organisée, celle contre le trafic d’êtres humains ou encore les efforts d’adaptation aux bouleversements météorologiques issus du réchauffement climatique.
À travers le monde et malgré les moyens limités que nous allouons à ces outils, les autorités étrangères que je rencontre me disent l’intérêt qu’elles ont à travailler avec la France. Elles connaissent notre expertise de pointe dans plusieurs domaines. Elles connaissent la richesse de notre réseau culturel, scientifique et économique. Le premier pont que constitue bien souvent l’aide au développement est la création artistique, le carnet de commandes à l’export ou le vaccin de demain.
J’ai dit que les moyens de l’aide publique au développement pour 2025 seraient contraints. Il faudra donc procéder à une priorisation sur les deux blocs principaux auxquels nos crédits contribuent, à savoir les allocations que nous déléguons à l’Agence française de développement pour ses opérations en dons et en prêts et nos contributions multilatérales. Je serai à votre écoute pour identifier les actions qu’il est essentiel de préserver.
Un nouvel arrivant au sein de cette mission budgétaire est le programme 384 « Fonds de solidarité pour le développement ». Bénéficiant d’un budget maintenu à 738 millions d’euros, il prend la suite du fonds du même nom qui réceptionnait une partie des recettes de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion pour les aiguiller vers des dépenses de solidarité internationale. La structure de ce fonds n’était plus conforme aux dispositions de la loi organique relative aux lois de finances.
L’objectif est de poursuivre les actions de solidarité, essentiellement tournées jusqu’ici vers nos contributions multilatérales dans le domaine de la santé, du climat et de l’environnement, à travers ce nouveau programme budgétaire à la solidité juridique renforcée.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avec le ministre chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, Thani Mohamed Soilihi, nous sommes conscients des efforts indispensables à consentir pour le redressement des comptes publics de la France. Mon ministère est sans doute celui qui a le plus fortement contribué, en proportion de son poids dans le budget général de l’État, aux mesures envisagées dans ce nouveau cadre, en particulier sur ses crédits dédiés à la solidarité internationale.
Je m’attacherai à ce que les actions conduites dans le cadre de notre aide publique au développement soient connues et valorisées et à ce qu’elles répondent à quelques objectifs clés.
Premièrement, ces actions devront contribuer à consolider nos partenariats. Les moyens de l’aide publique au développement viendront renforcer les secteurs de coopération que nous souhaitons développer avec les différents pays du monde et nous permettront, en retour, de nous montrer exigeants vis-à-vis de nos interlocuteurs dans des domaines prioritaires pour nous.
Deuxièmement, ces actions devront avoir un effet d’entraînement. Notre aide sera pensée comme l’amorce d’un dispositif plus large plutôt que comme une fin en soi. Elle sera un levier vers des progrès de long terme, des services publics qui fonctionnent, des besoins primaires couverts, des infrastructures efficaces ou le moteur d’une mobilisation financière plus large impliquant d’autres bailleurs, des organisations internationales ou des acteurs privés.
Troisièmement – chacun d’entre vous l’a rappelé à l’instant à cette tribune –, ces actions devront être mesurables et traçables. Nous avons déjà progressé en ce sens grâce à l’établissement de dix objectifs thématiques concrets, assortis d’indicateurs. Ils favoriseront une lecture plus claire des résultats de notre action.
Par ailleurs, toutes les données de nos financements sont en ligne, facilement et intégralement accessibles depuis deux ans, conformément à la loi du 4 août 2021. Cet effort de transparence inédit de la part des autorités françaises est, je le crois, très utile.
Quant à la commission d’évaluation de l’aide publique au développement,…