Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » comprennent essentiellement les crédits affectés au remboursement de la dette. Je concentrerai donc mon propos sur cette problématique, qui constitue un enjeu pour notre souveraineté nationale.
De projet de loi de finances en projet de loi de finances, année après année, le groupe Les Républicains n'a cessé d'alerter les gouvernements successifs sur le risque que constituait le fait de ne pas s'attaquer au mur de la dette. Nous n'avons eu de cesse de prévenir qu'en cas de remontée des taux d'intérêt la situation pourrait devenir incontrôlable.
Longtemps, nous avons eu l'impression de prêcher dans le désert. Cette année, une prise de conscience semble enfin s'être opérée, y compris dans l'opinion. En effet, selon un sondage du 27 décembre dernier, 62 % des Français, soit 16 points de plus que l'année précédente, considèrent que l'augmentation des déficits est préoccupante.
Comme nous l'avions redouté, la hausse des taux d'intérêt est devenue une réalité. Alors que les taux étaient négatifs au mois de décembre 2021, ils ont explosé pour atteindre plus de 3,5 %. La dernière fois que nous avons franchi ce seuil, c'était en 2011, il y a douze ans.
Le projet de loi de finances pour 2025 est fondé sur l'hypothèse de taux à dix ans de 3,3 % à la fin 2024, de 3,6 % à la fin 2025 et de 3,7 % à la fin 2026. Pour mémoire, un point de taux d'intérêt en plus représente, au bout de dix ans, un coût supplémentaire de 40 milliards d'euros, soit quasiment le budget actuel de la défense. Trois points de plus, c'est 120 milliards d'euros en dix ans !
La charge de la dette a augmenté de plus de 7 milliards d'euros en 2024 et explosera au cours des prochaines années. Elle a doublé entre 2020 et 2024, passant de 29,7 milliards d'euros à 60,2 milliards d'euros. Elle devrait augmenter chaque année pour atteindre près de 100 milliards d'euros en 2028. Elle sera très bientôt le premier poste budgétaire de l'État, devant l'enseignement scolaire.
En 2027, la seule charge des intérêts de la dette à rembourser sera supérieure au montant de l'impôt sur le revenu : elle s'élèvera à 89,4 milliards d'euros, contre 88,1 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu. Très concrètement, sachant, comme l'a rappelé le rapporteur spécial Albéric de Montgolfier, que notre dette est détenue à 50 % par des avoirs étrangers, cela signifie que nos impôts financent les fonds de pension non français.
Comme le disent très justement le président du Haut Conseil des finances publiques et Premier Président de la Cour des comptes, il s'agit de « la dépense la plus bête qui soit » et d'un véritable gâchis. Tout euro perdu dans la dette est un euro en moins pour les services publics ou l'investissement. On ne peut traiter aucune grande question de la société dans ces conditions.
À cela s'ajoute l'instabilité politique qui a rendu les marchés encore plus frileux. Comme l'a rappelé le gouverneur de la Banque de France, auditionné hier par la commission des finances, notre spread avec l'Allemagne se creuse dangereusement – l'écart de taux est passé de 50 points de base de plus au début du mois de juin, avant la dissolution de l'Assemblée nationale, à 80 points aujourd'hui – et se rapproche de celui avec l'Italie – l'écart de taux étant passé de 90 points de base de moins à entre 30 et 40 points de base aujourd'hui.
Nos taux d'emprunt ont même dépassé à plusieurs reprises les taux grec, portugais et espagnol. La réalité, c'est que tous ces pays ont fait des efforts budgétaires. De 2020 à 2023, la France a diminué son déficit de 9 % du PIB à 5,5 % du PIB, avant une remontée à 6,1 % en 2024, tandis que l'Espagne est passée d'un déficit de 9,9 % à 3,5 %, la Grèce d'un déficit de 9,6 % à 1,3 % et le Portugal d'un déficit de 5,8 % à un excédent de 1,2 %.
Certes, nous ne sommes pas dans la situation de la Grèce. Notre pays est robuste et notre dette trouvera toujours preneur. Reste que, pour la Cour des comptes, la véritable question est de savoir si le poids de la dette permet encore d'agir.
La dette publique a franchi pour la première fois en 2023 le cap symbolique des 3 000 milliards d'euros. Elle s'élève désormais à 3 228 milliards au deuxième trimestre 2024, soit 48 750 euros par Français, ce qui va nous contraindre à emprunter le montant record de 285 milliards d'euros sur les marchés financiers en 2024, c'est-à-dire 15 milliards d'euros de plus qu'en 2023, une année qui constituait pourtant déjà un record.
La France est en décrochage en Europe. Au deuxième trimestre 2024, notre dette était de 112,2 % contre 88,1 % en moyenne dans la zone euro, 81,5 % dans l'Union européenne et 61,1 % en Allemagne. En matière de niveau d'endettement, notre pays est passé en 2023 du vingt-troisième rang au vingt-cinquième sur vingt-sept. Désormais, seules la Grèce et l'Italie ont un taux d'endettement supérieur à celui de la France.
À son pic, en 2012, l'endettement en Allemagne a atteint 79,9 % du PIB, il était de 61,9 % en 2023, soit 18 points de moins en onze ans. Notre niveau d'endettement étant supérieur de plus de 30 points à celui de l'Allemagne au moment du pic, notre décrue sera plus lente.
À condition que notre gestion des finances publiques soit aussi rigoureuse et efficace qu'outre-Rhin – ce postulat ne va pas de soi –, il nous faudrait, à compter de 2027, mes chers collègues, plus de trente-trois ans, au rythme du désendettement allemand, pour atteindre le niveau d'endettement actuel de notre voisine. Nous y parviendrions en 2060, soit l'équivalent de sept quinquennats. En outre, il faudrait pour cela que la croissance soit soutenue et que nous n'ayons pas de déficit public. Pour rappel, l'Allemagne a connu pendant plusieurs années un solde nul ou excédentaire, notamment entre 2012 et 2019.
Le Centre pour la recherche économique et ses applications, d'après ses calculs, aboutit à un résultat assez similaire. Dans des conditions aussi favorables, dont nous sommes encore loin, il nous faudrait trente-sept années pour revenir à un endettement de 60 %, mais avec un déficit de – 1 %, il faudrait 137 années pour parvenir à un taux de 65 %. Le rétablissement urgent des comptes est une ardente nécessité et non une option.
Le groupe Les Républicains proposera pour sa part plusieurs milliards d'euros d'économies dans ce projet de budget et votera bien sûr les crédits de cette mission, parce que nous n'avons d'autre solution que de tenir nos engagements auprès de nos créanciers. (Mme la rapporteure pour avis et M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons des missions importantes pour nos finances publiques, tant du fait de leur volume budgétaire que de leurs effets sur les partenaires financiers de l'État, les collectivités, les entreprises et les Français.
La mission « Engagements financiers de l'État » représente en volume budgétaire la deuxième mission du budget général, après la mission « Enseignement scolaire ». C'est une mission nécessaire dans la mesure où elle permet à l'État, par l'intermédiaire de l'Agence France Trésor (AFT), d'assurer son propre financement au meilleur coût.
Cinquante ans de déficits publics, une crise financière, une pandémie mondiale et des taux d'intérêt élevés nous obligent aujourd'hui à assumer une charge de la dette estimée à 54,2 milliards d'euros pour l'année 2025, via le programme 117, et à un effort pragmatique et fondé sur le compromis pour redresser nos finances publiques.
En ce qui concerne les autres programmes, il convient de souligner l'augmentation de 68 % des crédits alloués au programme 145 « Épargne », afin de mobiliser cette dernière dans notre tissu productif et de favoriser l'investissement dans le logement.
À l'inverse, d'autres programmes de la mission connaissent une baisse de dotation pour diverses raisons : une diminution de 14,3 % par rapport à la loi de finances initiale de 2024 des charges de la dette de SNCF Réseau, qui a été reprise par l'État ; l'extinction progressive du fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats financiers structurés à risque, qui ne concerne désormais plus qu'une centaine de prêts ; un amortissement maîtrisé, de – 20 %, de la dette liée à la covid-19 ; enfin, une réduction de 48 % des prêts garantis par l'État dans le cadre du redressement budgétaire, ce dispositif ayant conduit à octroyer 100 milliards d'euros à nos PME et TPE.
La mission « Remboursements et dégrèvements » est, elle, constituée de crédits évaluatifs pour un montant estimé à 147,14 milliards d'euros, soit une hausse de 4,74 %. Leur évolution résulte en partie du dynamisme des restitutions d'acomptes d'impôt sur les sociétés, pour 4,14 milliards d'euros, et de la progression des remboursements de trop-perçus d'impôt sur le revenu, pour 1,37 milliard d'euros, signe que nos concitoyens et nos entreprises saisissent mieux leurs droits en matière de remboursements et de dégrèvements d'impôts nationaux et locaux.
Enfin, en ce qui concerne les comptes d'affectation spéciale, nous saluons l'engagement de l'État dans l'acquisition de capital d'entreprises telles qu'Alcatel Submarine Networks et Atos, afin de préserver notre souveraineté et notre indépendance numérique.
Monsieur le ministre, nous soutiendrons toujours le pragmatisme économique qui caractérise ce projet de loi de finances : il convient de rationaliser les dépenses publiques pour faire mieux et de veiller ainsi à ne pas léguer une charge insupportable aux générations futures.
Le groupe RDPI votera donc ces crédits, qui sont nécessaires au redressement de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de 3 300 milliards d'euros de dettes : quel bonheur, quel bonheur ! Profitons de l'instant présent, profitons de ce bonheur en 2025. Pour paraphraser le célèbre vers du poème adressé par Rosemonde Gérard à son mari Edmond Rostand, voilà ce que m'inspire la gestion de la dette française : « chaque jour, [j'emprunte] davantage, aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain ». (Sourires.)
Il existe un véritable amour entre la France et la dette, un amour charnel, qui ne date pas d'hier. En 2011, la dette s'élevait à 1 100 milliards d'euros et le Premier ministre François Fillon, pessimiste, parlait d'« État en faillite ». Aujourd'hui, le montant de la dette est de 3 300 milliards d'euros. À ce rythme, il y a fort à parier qu'on arrivera bien à 5 000 milliards d'euros, avec un point d'étape à 4 000 milliards d'euros, monsieur le ministre. Sera-ce en 2025, en 2026 ou en 2027 ? Le suspense est insoutenable, mais nous allons y arriver. Nous sommes perfectionnistes dans ce pays...
Cet amour a un prix, il faut le reconnaître, un prix qui augmente d'année en année. Longtemps, on a cru qu'il était indolore et insignifiant ; on réalise aujourd'hui que la charge de la dette pourrait, d'ici peu de temps, décrocher le maillot jaune dans le budget de l'État et devenir le premier poste de dépenses, devant l'éducation nationale. Pis, au moment où les besoins d'investissement public se font pressants dans de nombreux domaines, 54 milliards d'euros seront utilisés pour rembourser la dette cette année, 87 milliards d'euros en 2027, plus de 90 milliards d'euros en 2029.
Pourquoi n'est-on pas arrivé à inverser la vapeur ? C'est simple : le logiciel « bercynien » est cassé. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est, d'une manière plus policée, la Cour des comptes, une maison connue pour son sérieux, dans un document publié au mois de février 2024.
Un pays trop endetté est un pays paralysé. Par conséquent, retroussons-nous les manches et proposons des solutions ayant du sens, dans l'intérêt des Français.
On parle de supprimer les fonctionnaires, cette idée étant populaire chez certains. Oui, mais où ? À l'hôpital ? Dans la police ? Dans les gendarmeries ? Chez les sapeurs-pompiers ? Chez les enseignants ? Non ! Il faut au contraire plus de fonctionnaires dans ces secteurs, les Français nous le demandent.
Il faut taper dans les cocons parisiens des ministères ou chez les opérateurs, comme je l'appelle de mes vœux, avec d'autres, un peu partout, depuis longtemps.
Les opérateurs, c'est 80 milliards d'euros de budget, plus de 400 000 équivalents temps plein. Mes chers collègues, connaissez-vous un seul Français, un seul citoyen, vous ayant dit que la santé s'est améliorée en France...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. On le voit !
M. Christian Bilhac. ... depuis que l'on a créé les agences régionales de santé ? Moi, je n'en connais pas.
Je pense également à l'Afit, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), aux agences de l'eau... La liste est longue. Certains opérateurs doivent certes être conservés, mais d'autres sont inutiles.
À titre d'exemple, les agences de l'eau instruisent les demandes de subvention des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les conseils départementaux, les services préfectoraux, pour l'obtention de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), font la même chose. Il faut donc mettre fin à ces doublons, à ces triplons, à ces quadruplons. Nous n'en avons plus les moyens. L'heure n'est pas à la procrastination. Il faut agir vite ou la France continuera de pousser son rocher de Sisyphe, à l'heure où le Gouvernement cherche à gravir son Himalaya budgétaire.
Malgré tout, le groupe RDSE votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les missions dont nous examinons les crédits ce matin paraissent anecdotiques. Pourtant, c'est franchement du lourd !
Les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements », première mission en volume budgétaire, dont le rapporteur spécial est Pascal Savoldelli, s'élèvent à 142 milliards d'euros ; ceux de la mission « Engagements financiers de l'État », troisième mission en volume budgétaire, juste derrière la mission « Enseignement scolaire » – 200 millions d'euros de moins –, dont le rapporteur spécial est Albéric de Montgolfier, atteignent 62 milliards d'euros ; ceux du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », représentent un peu plus de 12 milliards d'euros. C'est dire l'ampleur des montants que nous examinons aujourd'hui. Ces missions sont donc extrêmement importantes et le groupe Union Centriste y est particulièrement attentif.
Que peut-on en dire ?
Au sein de la mission « Remboursements et dégrèvements », le poste le plus important est le remboursement de la TVA. Les membres du groupe Union Centriste considèrent, à l'instar de notre collègue Nathalie Goulet, que beaucoup reste à faire pour empêcher les fraudes à la TVA. Albéric de Montgolfier a beaucoup travaillé sur ce sujet par le passé et poursuit son entreprise. Pour notre part, nous souhaitons que les risques de fraudes, lesquelles sont souvent particulièrement importantes, soient bien identifiés. C'est pourquoi nous avons proposé la création d'une commission d'enquête au Sénat, dont les travaux débuteront très prochainement, afin d'identifier l'ensemble des dispositifs de fraude et de proposer des actions. Nous devons lutter contre toute forme de fraude pour rétablir les comptes publics.
L'examen des crédits de cette mission montre une mauvaise estimation de l'impôt sur les sociétés.
Par ailleurs, la manière dont l'administration fiscale traite aujourd'hui les questions relatives à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, à laquelle un certain nombre de contribuables ne devraient pas être assujettis, n'est pas satisfaisante.
Nous espérons que les aménagements et les améliorations proposées par le rapporteur général dans le cadre de ce projet de loi de finances permettront de bien distinguer les résidences secondaires qui doivent être assujetties à cette taxe d'un certain nombre d'autres locaux, comme les maisons d'assistantes maternelles. Il n'y a pas de raison que ces dernières, comme certaines associations, soient redevables de la taxe d'habitation. Cela ne devrait pas être le cas.
Nous examinons également les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ». Si l'on ne fait rien, et cela préoccupe beaucoup le président du groupe Union Centriste, mais également l'ensemble de ses membres, l'augmentation de la charge de la dette risque de gangrener totalement la capacité de la France à mener une action publique cohérente.
À l'horizon 2030, si l'on n'y prend garde, le montant des intérêts pourrait atteindre 100 milliards d'euros. Il convient de mettre cette somme en regard des économies que le Premier ministre nous a appelés à réaliser hier pour parvenir à une maîtrise tenable du déficit de nos finances publiques et pour tendre vers la trajectoire de retour à l'équilibre que nous avons soumise à la Commission européenne.
Monsieur le ministre, il importe d'être particulièrement vigilant à cet égard et de consentir des efforts en ce sens. Les membres du groupe Union Centriste ont bien sûr formulé un grand nombre de propositions visant à permettre le retour à une meilleure situation des finances publiques.
Il faut que le Gouvernement soit particulièrement actif, que ce soit en matière de lutte contre la fraude – des propositions ont été faites – ou de maîtrise des dépenses, afin d'obtenir des résultats le plus rapidement possible.
En tout cas, vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur la détermination des membres du groupe Union Centriste à travailler au retour à l'équilibre des finances publiques. Il s'agit de préserver la notation de la France et d'éviter que la dette et les taux d'intérêt qui en dépendent n'explosent littéralement, faute de maîtrise de la trajectoire des finances publiques.
J'en viens pour finir au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Pour le groupe Union Centriste, il ne faut pas hésiter à vendre quelques actifs pour contribuer au désendettement de la France. Notre portefeuille de participations publiques est bien garni. Certes, il convient de conserver nos participations dans un certain nombre d'entreprises stratégiques, mais nous sommes tout à fait ouverts à certaines cessions.
Le groupe Union Centriste votera bien entendu les crédits de l'ensemble de ces missions et comptes d'affectation spéciale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France fonctionne. Oui, l'État peut lever l'impôt. Oui, la signature de la France, de ce simple fait, demeure solide. Ce constat en apparence ordinaire mérite pourtant d'être réaffirmé avec force tant certains s'époumonent pour annoncer une catastrophe de l'endettement.
Certes, le pilotage des finances publiques exige sérieux et lucidité. Et disons-le franchement, ces vertus ont cruellement fait défaut ces dernières années. Est-ce faire preuve de lucidité de couper dans le budget des collectivités ? Dans les dépenses d'éducation ? Dans les dépenses de santé ? Vous le savez, notre réponse est non, trois fois non.
De la même manière, est-il sérieux de comparer, comme l'a fait le Premier ministre ce mardi, la dette de l'État à celle d'un ménage ? Non plus ! L'État ne fait pas que consommer ou épargner. Il produit des infrastructures, des services, des emplois. Il agit directement sur la circulation du capital. S'endetter pour l'État, c'est investir, créer des richesses futures, organiser la société.
Le véritable problème, mes chers collègues, n'est pas tant le niveau de la dette que ses causes : l'effondrement des recettes fiscales, savamment orchestré par des exonérations injustifiées et une fiscalité toujours plus avantageuse pour les plus riches et les grandes entreprises.
Il faudra s'attaquer aux racines de ce problème, restaurer une progressivité fiscale pérenne, mettre fin à cet assistanat du capital, qui se fait au détriment de l'État actionnaire, et surtout redonner à l'État stratège les moyens d'agir dans les secteurs clés de notre économie, en particulier dans les outre-mer.
En métropole, prenons l'exemple de la filière automobile. Dans mon département du Nord, terre industrielle par excellence, trois grands constructeurs mondiaux, Toyota, Renault et Stellantis, se partagent sept sites de production, soutenus par plus de 550 fournisseurs et sous-traitants.
Certaines entreprises de ce tissu industriel dense sont aujourd'hui fragilisées par les stratégies des grands groupes : délocalisation, pression sur les coûts, recherche effrénée de marges toujours plus élevées. Résultat, ce pilier de notre économie vacille et des milliers d'emplois sont en danger.
Le recul de la puissance publique n'est pas sans rappeler d'autres dépendances. Aujourd'hui, plus de la moitié de notre dette est détenue à l'étranger. Demain, la charge de cette dette pourrait atteindre 7 % du budget de l'État. Pourquoi ne pas reprendre le contrôle de la structure de notre dette ? La question du circuit du Trésor, abandonné au fil des décennies, doit redevenir centrale dans nos débats.
Des solutions existent. La réactivation des planchers des bons du Trésor en est une. Il s'agit d'obliger les banques à détenir un minimum de titres de dette publique.
Je conclus en évoquant le lien entre instabilité économique et instabilité démocratique. En reprenant l'examen de ce projet de loi de finances comme si de rien n'était, monsieur le ministre, vous alimentez ces deux crises. Nos collègues députés n'ont pas censuré d'Hydre de Lerne, ce monstre mythologique dont les têtes repoussent sans cesse. Non, ils ont censuré une politique, une trajectoire budgétaire incohérente et injuste pour le monde du travail, que vous persistez à maintenir envers et contre tout. Nous sommes passés du « quoi qu'il en coûte » au « quoi qu'il advienne du vote des Français ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré la très grande diversité des crédits des différentes missions que nous examinons, j'entamerai mon propos, comme nombre de mes collègues, en évoquant le niveau historiquement élevé des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ». Ces crédits constituent désormais le deuxième poste de dépense du budget de l'État, en hausse de 5,5 % en un an.
Le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie a profondément modifié la situation économique et entraîné un retour de l'inflation et une remontée des taux d'intérêt. Malgré cela, rien n'a changé et l'ensemble des dépenses fiscales n'ont jamais été compensées par des recettes. Avec la remontée des taux d'intérêt, ces dépenses ont entraîné – et cela va continuer – une augmentation de la charge de la dette, devenue insoutenable pour nos finances publiques.
À cela s'ajoute pour la France un surcoût spécifique, relevé par le rapporteur spécial Albéric de Montgolfier. Les taux d'intérêt appliqués à la France sont en effet plus élevés que ceux de nos voisins européens, en raison des écarts au cours des deux derniers exercices entre les prévisions du projet de loi de finances et la réalité de la loi de finances initiale.
Le choix politique de l'insincérité, qui n'est pas de votre fait, monsieur le ministre, a entraîné une rupture de confiance dans le titre de dette française. Même notre crédibilité sur les marchés financiers est écornée par l'application, mutique, de la politique de l'offre.
J'en viens à la mission « Remboursements et dégrèvements ». En la matière, 2024 a été une année record, alors que l'on nous avait pourtant annoncé en loi de finances initiale une baisse par rapport à 2023. Il n'en fut rien…
Vous comprendrez donc notre fort scepticisme, monsieur le ministre, quand vous nous annoncez aujourd'hui que les crédits de la mission baisseront en 2025. À dire vrai, vous donnez l'impression de ne pas en être tout à fait sûr. Certes, vous mettez en avant une hausse de 4,7 % pour 2025 par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Toutefois, cela reste nettement inférieur à ce qui est réellement prévu pour 2024, sans que rien explique cette baisse.
Nous partageons les réserves du rapporteur spécial Pascal Savoldelli sur le ciblage des crédits d'impôt pour les services aux particuliers – plutôt, sur leur non-ciblage. Tous les ans, cela représente un coût en trésorerie considérable pour l'État et très peu contrôlable. En aidant ceux qui n'en ont pas vraiment besoin, nous réduisons fortement les marges de manœuvre de l'État. Au regard de l'état de nos finances publiques, ne serait-il pas temps d'intégrer des critères de revenus progressifs ?
Je termine en évoquant le volet collectivités. Ce projet de loi de finances marque la fin de la baisse des dépenses du programme relatif aux impôts locaux. On pourrait s'en réjouir, considérant que les rendements des impôts s'améliorent pour les collectivités ; en réalité, c'est simplement que la fiscalité locale est en repli…
Depuis bientôt huit ans, l'autonomie fiscale des collectivités ne fait que décroître et la dépendance aux transferts de fiscalité accordés par l'État rend celles-ci particulièrement vulnérables. La situation de cette année l'illustre parfaitement. À moins de trois mois de rendre leur budget, les collectivités sont dans la plus profonde incertitude quant à leurs recettes.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous émettons de très fortes réserves quant à la trajectoire budgétaire que reflètent ces missions. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin deux missions à caractère financier et un certain nombre de comptes d'affectation spéciale.
Je limiterai mon propos à la mission « Remboursements et dégrèvements », tant celle-ci est le réceptacle des errements de la politique menée par Emmanuel Macron depuis sept ans : une politique pro-business, faite d'aides aux entreprises substantielles jamais conditionnées au maintien de l'emploi dans nos territoires.
Depuis trois mois, les résultats sont désormais confondants. Comme vous le savez, les groupes Auchan et Michelin ont récemment annoncé des milliers de suppressions de postes, alors que leurs bilans financiers sont positifs et qu'ils ont bénéficié des transferts financiers importants, en l'occurrence 55 millions d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR) pour Michelin et 500 millions d'euros de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour Auchan entre 2013 et 2018. Et que dire du groupe Sanofi, qui a engrangé un bénéfice net en hausse de 8 % à 6,7 milliards d'euros et qui a annoncé à la fin de l'année 2023 la suppression de 1 200 postes dans la recherche et développement, et ce tout en ayant perçu un demi-milliard d'euros de CIR en dix ans ? Ces exemples relèvent assurément de tout sauf de l'anecdote.
Attardons-nous sur le CIR. En 2024, ce dispositif, qui permet de déduire jusqu'à 30 % des dépenses en recherche et développement, a coûté près de 7,7 milliards d'euros à l'État. Malgré cette aide, la plus avantageuse des pays de l'OCDE, la part d'investissement dans la recherche en France stagne depuis plusieurs années autour de 2,3 % du PIB, loin derrière l'Allemagne – 3,1 % – et le Japon – 3,3 %. On peut donc légitimement interroger l'efficience d'un tel dispositif.
Au-delà de cela, il est un sujet dont on ne parle jamais : les nombreux détournements d'aides publiques.
Ce phénomène n'est pas nouveau. Le 10 octobre 2019, le groupe Michelin annonçait la fermeture de son site de La Roche-sur-Yon, fort de 619 salariés, ainsi que la suppression de 74 emplois dans l'usine de Cholet. Sur ce dernier site, Michelin a utilisé 4,3 millions d'euros du CICE pour financer l'achat de machines. Sur huit machines achetées, seules deux sont installées sur le site, les six autres, encore dans leurs cartons, seront réexpédiées vers d'autres usines à l'étranger, en Espagne, en Roumanie et en Pologne.
Devant le tollé produit par cette information, le directeur France de Michelin avait alors déclaré que le groupe rembourserait les 4,3 millions d'euros perçus au titre du CICE, avant de finalement se rétracter, arguant que ce dispositif était non pas « assujetti à des critères spécifiques sur l'emploi », mais « destiné à soutenir les entreprises dans leur politique d'investissement ».
Pourtant, ne devrait-on pas considérer que l'aide à l'investissement, en permettant aux entreprises de pérenniser ou développer leurs activités, doit également avoir comme finalité naturelle de préserver les emplois en France ?
Ces aides non conditionnées, par ailleurs de plus en plus nombreuses, sont la cheville ouvrière de la politique de l'offre menée par le président Macron depuis sept ans.
Désormais, nous disposons d'assez de recul pour faire le bilan économique du macronisme. La politique de l'offre a produit une croissance faible. Elle a entraîné une productivité du travail, mais aussi du capital, en berne, avec même une productivité globale des facteurs nulle ces dernières années. Cette politique n'a pas non plus permis d'effacer nos déséquilibres commerciaux ni de faire baisser le taux de pauvreté. Enfin, elle a évidemment coûté très cher – les chiffres en attestent – et s'est traduite par une dérive des comptes publics.
Le macronisme économique, c'est 2 points de PIB de perte structurelle de recettes fiscales sans bénéfice pour l'économie française ! Les rares défenseurs du macronisme mettent encore sur la table deux arguments.
Le premier argument consiste à dire que 2 millions d'emplois ont été créés depuis 2017.
Certes, selon les dernières données de l'Insee, le nombre total d'emplois est bien passé de 28,3 millions en 2018 à 30,4 millions en 2023. Reste que, à bien y regarder, ce n'est pas lié aux politiques mises en œuvre. La démographie en baisse et la reprise de la zone euro jusqu'à la pandémie ont bien aidé à obtenir ces créations. Par ailleurs, la mise sous cloche de l'économie pendant le confinement, puis le développement de l'apprentissage, dont la Cour des comptes vient de pointer le coût exorbitant, ont joué leur rôle.
Malgré ces politiques massives de soutien public, les résultats français ne sont pas glorieux en comparaison de nos voisins européens. Entre 2017 et 2023, le taux de chômage hexagonal a baissé de 2,1 points, contre 2,5 points dans la zone euro ; par ailleurs, le taux d'activité, malgré une progression importante, reste à la traîne vis-à-vis de ces mêmes voisins.
Le rapport Bozio-Wasmer a montré que les 80 milliards d'euros annuels d'allégements de cotisations sociales sur les bas salaires sont très cher payés pour le peu d'emplois qu'ils rapportent. La source de création d'emplois n'est pas là.
Le second argument tient à l'attractivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers. Nous serions soudainement devenus, grâce à Emmanuel Macron, « hyper-attractifs ». Selon les dernières données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), entre 2017 et 2023, le stock d'investissements étrangers entrant en France a progressé de 22 %.
Les autres pays européens ne sont pas loin, avec des hausses de 16 % en Italie, de 17 % en Allemagne et de 18 % en Autriche, voire font bien mieux, avec des augmentations de 28 % au Portugal ou de 34 % en Espagne, sans parler de notre voisin britannique, qui enregistre une progression de 62 % ! La France a toujours attiré les investisseurs étrangers, et l'ère Macron n'a pas été marquée par des résultats exceptionnels en la matière.
Malgré des politiques massives de soutien public, les résultats français ne sont pas glorieux en comparaison de ceux de nos voisins européens.
Au final, les sommes engagées par l'État sont très importantes eu égard aux résultats économiques qu'elles induisent.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne peut donc pas avaliser une telle politique. C'est pourquoi il s'abstiendra sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements », de même que sur ceux de la mission « Engagements financiers de l'État ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)