Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget supplémentaire est un objet législatif encore nouveau et peu connu des Français. Ce n’est peut-être pas grave : il est vide de tous droits nouveaux pour les salariés et pour les foyers les plus modestes !
Comme je l’indiquais encore ce matin, le capital ne cesse de s’accumuler, sans être mis à contribution. Pour cette raison – elle est très claire, monsieur le rapporteur général –, ce texte a été légitimement rejeté à l’Assemblée nationale.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera contre pour deux raisons.
D’une part, ce projet de loi de finances de fin de gestion conclut une année budgétaire catastrophique pour la France. L’exercice 2024 a accru les déficits, fait exploser les inégalités et accéléré la crise de confiance envers la démocratie.
Dès le 9 octobre 2024, soit huit jours avant le début des discussions au Parlement, le ministre chargé des comptes publics assumait avoir besoin du 49.3 pour faire voter le budget.
M. Roger Karoutchi. Bah oui !
M. Pascal Savoldelli. C’est éclairant !
Ici même, le 30 novembre 2023, lors du vote de la première partie du PLF pour 2024, nous avions dénoncé un budget politiquement insincère. Notre groupe avait donné l’alerte concernant un manque de recettes insoutenable, pointant notamment du doigt un renforcement de niches fiscales qui promettait d’accroître comme jamais les déficits publics. Nous avions dénoncé le niveau de ce volet recettes, que la majorité sénatoriale, à l’époque, avait adopté. Ledit volet portait mal son nom, quand n’y étaient votées que des dépenses en faveur des plus hauts revenus.
De 49.3 en 49.3, le Gouvernement avait alors fait le choix de contourner le débat parlementaire et d’ignorer les alertes citoyennes, sociales et syndicales quant à la situation du pays.
Quelques mois plus tard, le 24 février 2024, il annonçait, sans aucun débat démocratique, une coupe de 10 milliards d’euros dans le financement des services publics. C’était bien la démonstration que ses prévisions étaient fausses et que le budget était insincère !
Pourtant, le Gouvernement faisait le choix de persister dans cette orientation libérale, autoritaire et injuste. Reconnaissez, monsieur le ministre, que les coupes effectuées dans l’éducation, dans l’hôpital ou dans les retraites ont été sévèrement sanctionnées lors des élections, européennes puis législatives ! L’exécutif s’est entêté à refuser tout budget rectificatif qui aurait pu entériner les choix des Français et le rejet démocratiquement exprimé alors, par leurs votes, d’une politique injuste et inégalitaire.
Voilà le bilan – disons plutôt le dépôt de bilan… – de cette année budgétaire que l’on nous demande d’approuver ! Ce projet de loi de finances de fin de gestion est le seul moyen de résorber la hausse de 58 milliards d’euros d’encours de la dette sur un an. Cet outil est pourtant ô combien limité, puisqu’il interdit à la démocratie parlementaire de voter des dispositions fiscales nouvelles.
Le niveau final auquel s’établit le déficit, 6,1 % du PIB, est en lui-même un aveu d’échec de la politique de l’offre et du ruissellement, et révèle l’hypocrisie des discours sur la dette.
D’autre part – j’en viens à la deuxième raison de notre vote contre –, ce projet de loi acte un besoin de financement de 317 milliards d’euros, dont 163 milliards au titre de nos déficits. Si quelques missions sont épargnées – la sécurité sort grande gagnante de cet exercice, avec 847,5 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires ouverts, visant principalement à financer le déploiement inouï des forces de sécurité en Kanaky –, vous proposez un nouvel affaiblissement de l’État, des services publics et donc de la cohésion sociale via plus de 6 milliards d’euros de coupes supplémentaires.
Le plan France 2030, dont l’objectif affiché était le renouveau industriel, perd 1,2 milliard d’euros : autrement dit, on abandonne les ouvriers de Michelin, de Sanofi ou de Vencorex. La mission « Écologie, développement et mobilité durables » perd 898 millions d’euros en autorisations d’engagement, la mission « Justice » 697 millions et la mission « Cohésion des territoires » 685 millions d’euros en crédits de paiement, principalement des fonds à destination du logement, alors que 12 millions de familles sont victimes de la crise qui frappe le secteur.
Pourquoi toutes ces coupes ? Pour une raison simple : les recettes fiscales nettes sont inférieures de 24,3 milliards d’euros aux prévisions de la loi de finances initiale. Pourtant, le Gouvernement propose d’augmenter de 7,7 milliards d’euros les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » ! Cette politique assumée en faveur des plus riches sanctionne les travailleurs et les victimes de la crise, comme les agents du service public et les agriculteurs.
Nous voterons donc contre ce projet de loi et nous appelons à son rejet.
M. Pierre Barros. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances de fin de gestion est le deuxième du genre présenté au Parlement, à la suite de la modification en 2021 de la fameuse loi organique relative aux lois de finances. Cette évolution émane d’une initiative parlementaire dont vous êtes l’auteur, monsieur Saint-Martin. Elle est cohérente avec la ligne politique défendue par les gouvernements nommés par le Président de la République depuis 2017 : les dépenses peuvent être ajustées, mais il ne faut surtout pas toucher aux recettes. Sans vouloir tirer de premier bilan de cette révision de la Lolf, j’affirme que cette ligne constitue le défaut majeur des PLFG, monsieur le ministre.
L’an dernier, les recettes fiscales de l’impôt sur le revenu ont été surestimées de près de 8 milliards d’euros à moins de deux mois de la fin de l’exercice. Les ministres de l’époque le savaient. Un projet de loi de finances rectificative aurait dû être l’occasion de redresser la barre et d’ajuster les recettes ; il n’en fut rien.
Pour 2024, la situation est pire encore : la comparaison des prévisions de recettes entre PLF et PLFG montre un décrochage de l’ordre de 24,3 milliards d’euros, dont 14 milliards pour l’impôt sur les sociétés. Or les deux seules variables d’ajustement sont dans le présent texte les coupes dans les dépenses et la dette.
Nous savons maintenant que le PLF pour 2024 était insincère. Dès le mois de février dernier et la publication d’un décret d’annulation des crédits, la détérioration brutale du solde public nécessitait un projet de loi de finances rectificative. Monsieur le ministre, hormis les soutiens du Président de la République – et encore : Bruno Le Maire en réclamait un lui-même ! –, chacun convenait qu’il n’y avait pas d’autre solution, y compris vos nouveaux alliés de la majorité sénatoriale. Votre rapport sur ce PLFG, monsieur le rapporteur général, ne dit pas autre chose.
Si le déficit a explosé sous nos yeux, c’est qu’aucun gouvernement n’a eu cette année la lucidité de traiter le sujet des recettes et des dépenses fiscales. Le texte présenté aujourd’hui n’y change rien, car les PLFG sont de toute façon techniquement conçus pour ne pas traiter du volet recettes.
Monsieur le ministre, votre vision dogmatique de l’économie, dont la politique de l’offre constitue le seul horizon, en arrive à déstabiliser jusqu’à vos alliés du parti Les Républicains. Même pour eux, l’ampleur des dépenses fiscales non compensées semble excessive, d’autant que ce projet de loi de finances de fin de gestion confirme l’échec économique et, surtout, la catastrophe financière provoqués par cet entêtement : 6,1 % de déficit hors période de crise, soit 163 milliards d’euros, alors même que tous les leviers possibles de réduction des dépenses ont été actionnés – décret d’annulation de crédits, gel, surgel –, désormais confirmés par ce texte.
Les politiques publiques sacrifiées sont justement celles qui ont vocation à préparer l’avenir en garantissant les conditions d’habitabilité de notre planète et notre capacité de vivre ensemble en faisant société. Je pense d’abord au sacrifice, comme à chaque fois, de la transition écologique, de la prévention des risques et de l’adaptation de notre territoire aux effets des dérèglements climatiques. Je pense ensuite à la rénovation thermique des logements et au droit d’être logé et de loger dignement. Je pense aussi au travail, notamment aux politiques en faveur des personnes les plus éloignées de l’emploi, dans un contexte de recrudescence du chômage. Je pense enfin à la recherche publique et à l’enseignement supérieur, ainsi qu’à l’aide publique au développement.
La lecture des tableaux d’ouvertures de crédits est révélatrice d’une défaillance forte de l’État en matière de trajectoire budgétaire. La France savait depuis 2017 qu’elle serait pays hôte des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, mais les crédits supplémentaires nécessaires à la sécurisation de l’événement sont seulement ouverts dans le présent projet de loi de finances de fin de gestion… Quel manque d’anticipation !
Pour en venir à la question de la Nouvelle-Calédonie-Kanaky, nous ne pouvons que regretter l’évolution de la situation sur place en 2024. Celle-ci résulte en grande partie, disons-le, du manque d’écoute du chef de l’État et de son incapacité à mener efficacement à terme le processus de décolonisation. Cette incapacité s’avère d’autant plus navrante que les ressources actuellement mobilisées pour le maintien de l’ordre auraient pu être mieux employées à réduire les inégalités persistantes entre les Kanaks, les Caldoches et les autres communautés.
Quant au coût de la dissolution de l’Assemblée nationale, qui a dû être supporté sans compensation par les collectivités, le Président de la République en porte l’entière responsabilité.
Au chapitre des collectivités, justement, le compte n’y est pas. Nous ne pouvons que déplorer l’absence dans ce texte de compensation des décisions de l’État relatives aux départements, notamment l’extension du Ségur aux professionnels du secteur sanitaire, social et médico-social et la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA). Il en va de même pour les crédits du fonds vert.
Ce PLFG aurait pu être l’occasion d’adopter enfin des dispositifs d’urgence à destination de nos nombreux compatriotes touchés cette année encore par des catastrophes dites naturelles. Tel n’est pas le cas. Nos amendements permettront de jeter la lumière sur ces manques, sans grand espoir d’un rééquilibrage : nous sommes lucides, en effet, sur l’issue des débats !
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce projet de loi de finances de fin de gestion, qui conforte la trajectoire prise par le Gouvernement avant les élections législatives : continuer sans limite les dépenses fiscales non compensées et ne réduire les déficits qu’en actionnant le levier de la baisse des dépenses publiques destinées au financement des services publics et de la préparation de notre avenir climatique et social. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, que dire ? Il est en effet difficile de trouver l’adjectif adéquat pour qualifier ce texte : « inquiétant » ? « surréaliste » ? « désastreux » ? Il est en tout cas inédit.
Présenté comme un simple ajustement technique, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 est en réalité révélateur des carences et des erreurs de la politique budgétaire des exécutifs ces dernières années. Depuis sept ans, les gouvernements successifs ont tous fait le choix de sacrifier les recettes fiscales sur l’autel de l’idéologie néolibérale, affaiblissant ainsi les capacités de l’État à faire face aux différentes crises. Les réductions d’impôts mises en œuvre depuis 2017 ont engendré un manque à gagner global d’environ 62 milliards d’euros par an.
Cette diminution des ressources fiscales a eu plusieurs conséquences notables.
En premier lieu, la dette publique a connu une augmentation marquée, en l’absence de réduction à due proportion des dépenses. Les baisses de recettes ont été financées par un recours accru à l’emprunt. Ainsi la dette publique française a-t-elle franchi en 2024 la barre des 3 100 milliards d’euros, soit environ 112 % du PIB, en augmentation de 14 points par rapport à 2017.
En second lieu, les déficits budgétaires se sont aggravés, la perte de recettes fiscales ayant mécaniquement conduit à les creuser. Alors qu’il était en baisse avant la pandémie de covid-19, le déficit a atteint en 2020 des niveaux records, 8,9 % du PIB, et reste très préoccupant : il s’établit à 6,1 % en 2024 alors que le Gouvernement tablait, dans la loi de finances initiale, sur 4,4 %. Il s’agit là d’une dégradation d’une ampleur exceptionnelle, hors période de crise.
Ne nous méprenons pas : il y va non pas seulement d’une question de chiffres, mais également d’une question de vision, de choix politiques et de respect – le respect dû au Parlement, aux Françaises et aux Français. Ce débat dépasse les frontières de l’arithmétique budgétaire : il touche au cœur même de la justice sociale et de la soutenabilité économique de notre modèle.
La situation que je viens d’exposer est la conséquence directe d’une politique marquée par des prévisions irréalistes et par des décisions irresponsables. Dès décembre 2023, le Gouvernement disposait de notes internes alarmantes sur la dégradation des finances publiques. Pourtant, aucune mesure corrective sérieuse n’a été prise. Pis encore, les responsables gouvernementaux ont maintenu des prévisions optimistes qu’ils savaient irréalistes.
Le président de la commission des finances et le rapporteur général décrivent parfaitement les choses dans le rapport de la mission d’information sur le dérapage de nos finances publiques : un « pari » politique risqué combiné à un « déni » des réalités économiques et budgétaires.
Face à une situation budgétaire critique, le Gouvernement aurait dû présenter un projet de loi de finances rectificative dès le premier semestre 2024, comme le groupe socialiste le demandait. Un tel texte aurait permis d’engager les ajustements nécessaires pour contenir le déficit. Las ! l’exécutif a préféré procéder de manière accélérée en utilisant des décrets d’annulation de crédits, privant le Parlement de son rôle de contrôle et de décision. Ce mépris envers le législatif est un affront à la représentation nationale.
D’ailleurs, il est profondément préoccupant de constater le mépris affiché par d’anciens ministres et Premiers ministres à l’égard du travail rigoureusement mené par le président de la commission des finances Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson. Ces ex-ténors du Gouvernement ont qualifié le rapport de notre commission de « réquisitoire d’opposants politiques, truffé de mensonges ». Cette réaction est non seulement injustifiée, mais elle témoigne surtout de leur fébrilité et de leur volonté de discréditer une assemblée qui a le défaut de ne pas être d’accord avec eux. Le rapport sénatorial repose sur des données factuelles et sur des analyses précises, loin des déclarations péremptoires.
Cela étant dit, un projet de loi de finances rectificative était indispensable non seulement pour maîtriser les dépenses, mais aussi pour explorer la possibilité de nouvelles recettes fiscales, en évitant les demi-mesures du Gouvernement. Schématiquement, la France fait face à un mur de financement, tant en investissement qu’en dépenses de fonctionnement quotidien. Pour reprendre l’expression de l’économiste Michaël Zemmour, la logique du Gouvernement est marquée par ce que l’on pourrait qualifier de « néolibéralisme de la stagnation ».
La logique austéritaire qui sous-tend ce PLFG est non seulement injuste, mais aussi contre-productive. Investir dans la transition écologique, renforcer nos services publics, voilà ce qui stimulerait l’économie tout en préparant notre pays aux défis de demain ! À l’inverse, persister dans cette logique d’austérité ne fera qu’aggraver les fractures sociales et territoriales.
Mes chers collègues, ce PLFG n’est pas un simple texte technique : il symbolise une politique budgétaire et fiscale à la fois injuste et inefficace. Malgré le dépôt par le rapporteur général, dont je tiens à saluer la persévérance sur ce sujet, d’un amendement de minoration des annulations de crédits relatifs à l’entretien des voiries communales, nous ne saurions entériner des décisions qui, à notre sens, ne prennent pas suffisamment en compte l’intérêt général.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste votera contre ce projet de loi de finances de fin de gestion, à moins que nos débats ne conduisent à une évolution majeure de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. le rapporteur général et M. Pascal Savoldelli applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau ministre de l’économie, M. Armand s’était estimé heureux « d’hériter d’un tel bilan ». Ce bilan, nous l’avons cet après-midi devant nous, et les Français en subissent les conséquences !
L’étude de ce projet de loi de finances de fin de gestion laisse pantois. Comme nous l’avons déjà suffisamment souligné, le déficit s’est dramatiquement creusé, le dérapage atteignant près de 50 milliards d’euros en une seule année, et ce sans qu’aucune crise majeure ni aucun retournement soudain de l’économie soient venus justifier une telle dégradation.
Lors de l’étude du projet de loi de finances pour 2024, nous avions alerté, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, sur les prévisions optimistes et même, oserai-je dire, irresponsables du Gouvernement. Le groupe Rassemblement national de l’Assemblée avait déposé une motion de censure contre le gouvernement d’alors, qui se refusait à présenter un projet de loi de finances rectificative. Apeuré par la perspective d’une déroute électorale, engoncé dans des vanités et des ambitions personnelles, le gouvernement Attal n’avait rien fait pour engager la reprise en main de nos comptes. Certes, un décret d’annulation de près de 10 milliards d’euros de crédits avait été pris, mais cette décision avait été aussitôt engloutie par l’ampleur du dérapage.
Cette situation m’inspire un rappel historique.
Il y a dix ans, le nouveau gouvernement grec découvrait les maquillages comptables laissés par son prédécesseur. Confronté à une situation critique, il lançait sans le vouloir son pays dans la plus grave crise financière et politique de son histoire, exposant aussi, ce faisant, les faiblesses congénitales de la zone euro. À l’époque, Athènes clamait n’être pas l’Argentine. Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous vous enfoncez dans le même déni, affirmant que nous ne sommes pas encore dans la situation de la Grèce, alors même que nous empruntons déjà à un taux plus élevé qu’elle. Ce parallèle est troublant et inquiétant.
Je veux pour preuve de la gravité de la situation les chiffres édifiants relatifs à la baisse des prélèvements obligatoires. Rien que pour l’impôt sur les sociétés, le Gouvernement tablait, selon ses propres chiffres, sur un rendement de 72 milliards d’euros. Résultat : l’État n’en a perçu que 57 milliards. Tous les intervenants auditionnés par la mission d’information de la commission des finances du Sénat sur la dérive des comptes publics ont tenté de justifier cette contre-performance en invoquant une prétendue élasticité nouvelle des recettes fiscales à la croissance. Ils ont affirmé qu’il était impossible d’anticiper, que tout avait été fait dans les règles, mais que des circonstances imprévues avaient empêché d’atteindre les objectifs fixés.
Cette justification malhabile ne saurait tromper personne. Face à la dérive volontairement occultée des comptes publics, entreprises et ménages renoncent à investir. De plus, la situation économique apparaît en réalité bien plus dégradée que le Gouvernement ne le pensait. Les Français entendent déjà résonner l’écho des plans sociaux, de Michelin aux usines de foie gras du Périgord, en passant, dans le Nord, par ArcelorMittal. Le chômage refait lentement surface, et avec lui son lot de malheurs.
Mes chers collègues, nous ne saurions donner quitus au Gouvernement : par ce projet de loi qui acte ses illusions et ses mensonges économiques, il ne propose que des économies éparses ou des reports importants qui grèveront le budget de l’année prochaine.
Des recettes fiscales en chute libre, des dépenses imprévues, des reports compromettant l’avenir et une opacité coupable quant à la réalité budgétaire : tout cela impose que nous ne votions pas ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (M. le rapporteur général applaudit.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte nous fait entrer dans une sorte de faille spatiotemporelle : le passé et l’avenir se télescopent brutalement. Ce matin, nous nous projetions vers le futur en entamant la discussion générale du projet de loi de finances pour 2025, dont nous commencerons dans un instant à examiner les articles. Dans l’intervalle, nous repartons vers le passé, pour clore les comptes de l’exercice écoulé.
Le projet de loi de finances de fin de gestion 2024 permet de dresser le constat d’un triple échec collectif : échec du redressement de nos comptes publics ; échec des prévisions macroéconomiques ; échec lié à la configuration politique de l’Assemblée nationale.
Premièrement, pour ce qui est du redressement de nos comptes, avec un déficit de 6,1 % et une dette de 112 % du produit intérieur brut, la France se trouve dans une situation déplorable.
Cela s’explique d’abord et surtout par un demi-siècle de légèreté budgétaire, au cours duquel le Parlement a cessé de croire qu’il est sain et même rationnel de voter un budget à l’équilibre. Pis, il s’est convaincu que notre économie se porterait mieux si nous nous endettions sans limites.
Cette logique est aux finances publiques ce que la consommation débridée est à la préservation de la planète : de même qu’un modèle de consommation infinie dans un monde aux ressources finies est un contresens, un modèle d’endettement infini dans un pays à la démographie déclinante et à la croissance morose est tout simplement une absurdité.
« OK, boomer ! », diraient mes enfants. (M. le ministre sourit.) J’ai envie de dire plutôt : « KO, boomer ! » Il faut changer de logiciel ; il faut changer de culture ; il faut changer de méthode. La génération qui exigera de ses responsables politiques qu’ils votent des budgets à l’équilibre est-elle déjà née ? Je l’ignore, mais, en tout cas, je l’espère vivement. En attendant, si nous voulons redresser nos comptes, il est urgent de retrouver un horizon de projection souhaitable, en dehors du matraquage fiscal et de la dépense à gogo.
Deuxièmement, ce PLFG permet d’acter l’échec de nos prévisions macroéconomiques. Le déficit public, cela a été rappelé, a dérapé de plus de 1 point de PIB depuis l’adoption du projet de loi de finances initiale. À qui la faute ?
Le rapporteur général et le président de notre commission des finances ont conduit une mission d’information visant à identifier les failles dans la chaîne de responsabilité. Au-delà de la mise en cause de telle ou telle personne, j’espère surtout que ces travaux seront l’occasion de formuler des propositions systémiques permettant d’éviter que de telles erreurs ne se reproduisent.
À mon sens, c’est surtout l’inflation qui est en cause, elle qui nous fait perdre la raison et qui nourrit nos démons. Les prix augmentent ? Vite, dépensons plus pour protéger les particuliers et les entreprises, car, de toute façon, les recettes augmenteront à due concurrence et le déficit, rapporté à la richesse produite, n’explosera pas ! Encore raté… L’augmentation des recettes n’a pas suivi celle des dépenses et nous voilà renvoyés à notre incapacité à nous focaliser sur la réduction de notre déficit public !
Il faut dire que la responsabilité budgétaire n’a pas vraiment le vent en poupe – et j’en viens au troisième échec collectif que j’évoquais. Les démagogues, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, promettent tout à la fois de baisser les impôts, d’augmenter les dépenses et de réduire le déficit.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le bonheur…
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ce sont eux qui ont rejeté, à l’Assemblée nationale, ce projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024. Ils excellent dans la critique, mais ne proposent rien pour améliorer la situation ; la tentation populiste n’a jamais été aussi forte dans notre pays.
Pour tenter d’apporter une solution structurelle à ce triple échec, je vous ai proposé, mes chers collègues, de changer de méthode en renforçant la programmation pluriannuelle. Cette option n’a pas prospéré, je le déplore. Peut-être n’était-elle pas la bonne ? En tout cas, je reste convaincue qu’il n’est pas possible de continuer ainsi très longtemps.
En attendant, le groupe Les Indépendants votera évidemment en faveur de ce budget de fin de gestion.
Tout d’abord, ce texte ouvre des crédits pour éteindre le feu social et économique qui a pris en Nouvelle-Calédonie et qui menace l’unité nationale.
Ensuite, il ouvre des crédits pour payer les primes promises aux agents qui ont assuré la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Lesdits agents ont contribué au rayonnement de la France dans le monde entier : nous le leur devons.
Enfin, ce budget ouvre des crédits pour nos forces armées. Celles-ci, il ne faut pas l’oublier, interviennent en appui de nos amis ukrainiens, lesquels doivent pouvoir compter sur notre soutien alors que la Russie rehausse l’intensité de ses frappes sur leur sol et menace la démocratie en Europe.
Voilà pour 2024 ! Nous avons vraiment hâte de tourner la page pour nous lancer, avec détermination et sans résignation, dans l’examen du projet de budget pour 2025. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. le rapporteur général applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024, qui a été rejeté par l’Assemblée nationale. Pourtant, comme cela a été rappelé, ce texte est nécessaire.
Même si je me réjouis de l’inflexion qu’il permet enfin, je serai un peu plus sévère que ce matin dans mes propos. Ce PLFG pour 2024 s’inscrit, en effet, entre testament et promesse.
Je commencerai mon propos en évoquant le testament.
C’est le testament d’une gouvernance passée, qui n’a su ni anticiper ses ressources ni freiner ses dépenses. Et le coût des frais de succession est particulièrement élevé pour le gouvernement actuel, mais surtout pour la Nation et les Français : une dégradation de 1,7 point du déficit public, soit un glissement de 50 milliards d’euros par rapport à la prévision initiale, et une impasse de 41 milliards d’euros sur les recettes publiques.
Je n’égrènerai pas ici, en particulier, la liste des recettes fiscales affichant une moins-value.
Si nous tenons une croissance de 1,1 %, inférieure aux prévisions de l’ancien gouvernement, mais conforme aux estimations des principaux instituts, c’est grâce à l’investissement public et au commerce extérieur, et non, comme à l’accoutumée, grâce au moteur de la consommation en berne.
On peut à ce titre regretter, et c’est un euphémisme, l’absence de collectif budgétaire au printemps. Elle marque une rupture démocratique que nul ne saurait accepter.
Face aux prévisions de recettes erronées, visiblement insincères, auxquelles s’ajoute une insuffisance de freinage de la dépense malgré quelques expédients de régulation budgétaire, nous devons agir en responsabilité, à la fois, en faisant face à l’urgence, mais aussi en nous inscrivant dans l’anticipation pour préparer les nécessaires réformes structurelles.
Soit Bercy a encore beaucoup plus de pouvoirs qu’on ne l’imagine, soit le politique a failli. Les deux hypothèses sont tout aussi inquiétantes l’une que l’autre. Quoi qu’il en soit, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 ont mis en péril l’avenir de notre pays ; pis encore, ils ont peut-être provoqué la crise démocratique que nous connaissons.
La mission d’information sur la dégradation des finances publiques, conduite par notre commission des finances sous la houlette de son président, Claude Raynal, et du rapporteur général, Jean-François Husson, a présenté ses conclusions accablantes voilà quelques jours. Après avoir remercié nos collègues pour leurs travaux, je veux m’y arrêter un instant, tant l’irresponsabilité budgétaire dont ont fait preuve les gouvernements en place d’octobre 2023 à septembre 2024 est grave, et tant le Parlement a été ignoré au cours de toute cette période.
Il est désormais avéré que, dès décembre 2023, le gouvernement en place connaissait l’état critique des finances publiques. Il aurait donc dû réagir vigoureusement, et il ne l’a pas fait. Le fort risque de dégradation des recettes par rapport à la prévision était même identifié dès le 30 octobre 2023. Le double discours des ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave est patent.
Au premier semestre de 2024, le Gouvernement et le Président de la République ont donc refusé de présenter un projet de loi de finances rectificative, pourtant seul à même de redresser la situation, d’après le ministre des finances lui-même. C’est une faute.
Au total, rappelons-le, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 prévoit un écart en recettes par rapport aux prévisions du PLF pour 2024 de 41,5 milliards d’euros, dont 22,6 milliards d’euros proviennent d’un point de départ plus dégradé que prévu du fait des résultats de 2023.
Le Gouvernement a pris des demi-mesures, pas toujours assumées, et sans doute justifiées par des calculs politiques de courte vue.
Avec le pari de la dissolution, pour lequel l’Histoire sera sans doute cruelle, l’exécutif a laissé filer le déficit au-delà de 6 % en 2024 ; si rien n’était fait, il attendrait près de 7 % en tendance en 2025. C’est irresponsable, et pourtant c’est peut-être l’impossibilité de construire un budget pour 2025 qui a conduit à cette dissolution coupable.
Comment les anciens responsables peuvent-ils aujourd’hui vous mettre en cause, monsieur le ministre, vous et l’ensemble du Gouvernement ? C’est inique !
On sait que votre tâche est immense et que le budget pour 2025, dont nous avons commencé à débattre ce matin, s’apparente à un budget impossible. Il porte pourtant une promesse, que l’on pressent déjà dans ce PLFG.
J’en viens donc à la promesse.
C’est une promesse que nous n’avions pas connue depuis longtemps, la promesse d’un nouveau chemin, d’une sincérité budgétaire, d’un freinage de la dépense… Bien sûr, ce chemin sera long. La première marche proposée en 2025 est haute, mais nécessaire si nous voulons retrouver notre crédibilité sur la scène internationale et garantir notre souveraineté.
Ce PLFG est un premier marchepied, avec un niveau de dépenses de l’État inférieur à ceux qui figurent dans la loi de finances initiale et dans la loi de programmation des finances publiques. Pour preuve, et je ne vais pas non plus les égrener, les diminutions de crédits portent sur la majorité des missions du budget général, tout en permettant l’accomplissement des missions jusqu’à la fin de l’année.
Hors remboursements et dégrèvements, le montant des crédits annulés est supérieur de 1,9 milliard d’euros à celui des crédits ouverts. C’est la première fois depuis 2019 que le collectif budgétaire de fin d’année présente des économies par rapport à la loi de finances initiale.
Dix missions connaissent des ouvertures nettes et vingt-trois missions des annulations nettes en crédits de paiement.
Je m’arrête toutefois un instant sur la mission « Sécurités », qui bénéficie de la plus forte hausse de crédits – 824,4 millions d’euros –, et cela à raison : il s’agit de répondre à différents enjeux, dont, notamment, la situation en Nouvelle-Calédonie.
Néanmoins, laissez-moi m’étonner, pour ne pas dire plus, de l’incapacité de notre pays à honorer les loyers de nos gendarmeries auprès des bailleurs sociaux ou des communes. Heureusement, cela va être modifié – et cette mesure justifierait, à elle seule, le vote de ce PLFG. Mais, là aussi, quels errements dans la gestion ! Quelle insincérité ! La charge locative ancienne est une charge certaine. Un ménage, une entreprise, une collectivité qui ne l’intégrerait pas dans son budget serait sanctionné, rappelé à l’ordre. Mais l’État « d’un monde liquide » se l’était autorisé… Nous allons y remédier par notre vote, et je m’en réjouis.
Face à un déficit budgétaire abyssal et historique à la fin de 2024, dont les gouvernements précédents portent seuls la responsabilité, un déficit subi par le Parlement et les Français, qui présente aujourd’hui un véritable risque de crise démocratique et institutionnelle, la nécessité de mesures de redressement conjuguant courage, responsabilité, rigueur, mais aussi espoir est bien certaine.
Vous vous y engagez, monsieur le ministre, et nous voulons vous y aider, parce qu’il y va de l’intérêt général, de la place de la France et de l’avenir des Français. C’est la raison pour laquelle notre groupe adoptera ce PLFG amendé. Certes, ce n’est qu’un premier pas, mais il y a là, enfin, une première inflexion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)