M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons le débat le plus important de l’année dans un contexte inédit : absence de majorité à l’Assemblée nationale, absence de consensus dans le pays, absence, en réalité, d’un gouvernement responsable, celui dont nous disposons étant ballotté dans une coalition des contraires et des ambitieux, incapable de se donner une direction – sa longévité même paraît incertaine, oscillant entre quelques semaines et plusieurs mois.
La situation budgétaire est dramatique et tous les constats sont déjà connus : des prévisions de croissance surévaluées, une faillite dans l’évaluation des recettes, un cycle économique qui se retourne, une situation internationale plus que dangereuse.
Face à cette réalité, la réponse semble évidente : réaliser des économies. Le Gouvernement prétendait fournir un effort immédiat de 60 milliards d’euros ; le Premier ministre affirmait même une fameuse règle des deux tiers : deux tiers d’efforts sur les dépenses publiques, un tiers de recettes nouvelles concentrées sur les grandes entreprises et la revue à la baisse des multiples exemptions de cotisations sociales.
Néanmoins, la Cour des comptes a bien montré que ce principe affirmé ne correspondait pas à la réalité du budget, ce qu’ont confirmé les débats parlementaires.
Voilà encore, en effet, un budget d’augmentation des dépenses publiques – un comble ! Les efforts portent principalement sur les collectivités et sur les droits sociaux des Français ; des impôts nouveaux apparaissent, certes, sur les grandes entreprises, mais également sur les plus petites, remettant en cause la politique d’allègement du coût du travail défendue durant les sept dernières années, et une dizaine de taxes supplémentaires sur les particuliers viennent encore accentuer la pression fiscale qui pèse sur les Français, qui sont déjà les contribuables les plus taxés au monde.
En complément de la nécessaire baisse des dépenses, sur laquelle je reviendrai, nous devons aussi miser sur la croissance. Seule une économie productive, créant des emplois et générant de l’activité, peut alléger le poids des efforts budgétaires. À cette obligation, par quoi répondez-vous ? Par un budget flou et récessif…
Alors même que la récession commence et que les plans sociaux s’égrènent, avec leur cortège de drames et de dépenses publiques nouvelles, vous désintégrez la confiance des ménages et des entreprises. Les investissements des entreprises privées sont pourtant déjà en baisse depuis plusieurs trimestres et il en va de même des investissements immobiliers des ménages.
Les collectivités portent 70 % de l’investissement public et nous arrivons en fin de cycle des investissements engagés par les élus, particulièrement municipaux ; pourtant, vous cassez la dynamique en leur imposant des coupes insensées de 5 milliards d’euros, alors même que leurs dépenses sont de plus en plus contraintes, sans possibilité d’agir via l’arme des impôts locaux, que les gouvernements précédents ont impitoyablement supprimés.
Cela étant, nous reconnaissons évidemment qu’il faut faire des économies. Le Rassemblement national a rendu sa copie en la matière : nous considérons qu’il faut procéder à des baisses de dépenses claires pour adresser aux acteurs économiques un message de confiance et de sérieux.
Vous ne touchez pas au coûteux maquis des opérateurs de l’État, lesquels se partagent, dans la plus grande opacité de gestion comme d’action, un pactole de 80 milliards d’euros.
Vous ne touchez pas à la gabegie structurelle de l’aide au développement. Ainsi, nos compatriotes seront heureux de savoir que nous continuons de distribuer des centaines de millions d’euros au Mexique ou à la Chine, qui en ont sans doute grand besoin !
Vous ne touchez pas au scandale entourant le développement inefficace de l’éolien, qui donne lieu, via des contrats léonins, à des milliards d’euros de dépenses nouvelles.
Vous n’opérez aucune remise en cause non plus du dogme immigrationniste : vous maintenez les 750 millions d’euros de subventions publiques à 1 350 associations pro-migrants, soit, sur dix ans, des subventions multipliées par trois pour un nombre de reconduites à la frontière divisé, lui, par trois.
Quant à nous, nous avons pris nos responsabilités en proposant 25 milliards d’euros d’économies réelles, gagées sur la rationalisation des dépenses publiques, la suppression des comités Théodule coûteux et inefficaces, la fin de délires budgétaires comme le plan Vélo de l’État ou les trop nombreuses aides à la presse.
Pour ce qui est des finances sociales, dont la chambre haute vient de finir de débattre, au lieu de toucher au tonneau des Danaïdes des aides sociales, dont le produit s’échappe par des frontières ouvertes à tous les vents, le Sénat a voté sept heures de travail gratuit pour financer nos retraites.
Mes chers collègues, le maintien de notre système social ne peut passer que par la croissance ; nous voulons une France qui travaille, une France des producteurs, non une France des subventions et des profiteurs. Las ! au lieu d’organiser, comme le propose Marine Le Pen depuis deux ans, un dispositif d’augmentation des salaires par le gel des cotisations sociales, vous augmentez ces dernières, au moment même où la consommation des ménages et la confiance des entreprises sont au plus bas.
Je pourrais poursuivre cette visite dans le musée des horreurs de vos propositions budgétaires : attachés comme le serf à la glèbe, vous ne remettez pas en cause le marché de l’énergie européen et vous proposez une énième réforme du dispositif de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui a condamné notre fleuron national EDF, en augmentant, au passage, les taxes sur l’électricité et les chaudières au gaz.
Par ailleurs, la contribution de la France à l’Union européenne progresse encore, comme si nous pouvions nous le permettre, alors que notre groupe à l’Assemblée nationale l’avait légitimement supprimée.
Une fois de plus, ce budget respire le conformisme des solutions éculées, la douceur endormante du déclin, l’irresponsabilité d’un système qui se refuse à être comptable, si ce n’est coupable, de la situation.
M. le président. Il faut conclure.
M. Aymeric Durox. En ces termes, nous ne pouvons l’approuver et nous attendons la rupture, d’abord gouvernementale, ensuite politique, qui nous permettra de remettre la France en ordre et au travail.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. le rapporteur général et M. Claude Nougein applaudissent également.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres – les deux ministres sont présents au banc, ce qui n’est pas si fréquent au début de l’examen du PLF ! –, mes chers collègues, « L’État, c’est moi. » : ainsi parlait Louis XIV devant le Parlement de Paris. Aujourd’hui, en République, l’État, c’est nous – nous tous. Mais qu’attendons-nous de l’État ? Quelle doit être sa place dans notre société ? L’État, mes chers collègues, est ce que nous décidons collectivement qu’il soit.
Et l’État, c’est avant tout ses missions premières, dites régaliennes, qu’il n’est pas inutile de rappeler dans cet hémicycle : la sécurité, la justice, l’armée, la diplomatie et la monnaie.
M. Olivier Paccaud. Et l’école !
M. Emmanuel Capus. Des missiles traversaient le ciel européen la semaine dernière, mais certains parlent encore de décaler la loi de programmation militaire qui porte nos dépenses à seulement 2 % du PIB.
Nous dépensons 38 milliards d’euros par an dans la politique du logement ; c’est trois fois plus que le budget de la justice. Pour quels résultats, mes chers collègues ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes d’accord.
M. Emmanuel Capus. Alors qu’il a neigé jeudi dernier dans nos villes et dans nos campagnes, des gens continuent de dormir dans la rue et une crise immobilière nous menace.
Nous dépensons deux fois plus en paiement des intérêts de la dette cette année que ce que nous allouons à nos forces de l’ordre pour nous protéger.
Le groupe Les Indépendants considère que l’État doit d’abord se consacrer à ses missions premières, mais aussi à la santé et à l’éducation – vous avez raison sur ce point, mon cher collègue Paccaud. Il doit aussi penser aux générations futures, en investissant dans la lutte contre le changement climatique et dans la recherche et l’innovation, qui nous permettront de nous maintenir dans la compétition mondiale.
Pour y parvenir, l’État a besoin d’un budget, et d’un budget équilibré.
Abordons pour commencer les recettes. Je cite Karl Marx : « Il n’y a qu’une seule façon de tuer le capitalisme : des impôts, des impôts et toujours plus d’impôts ». Je dois dire que cette recette se révèle assez juste et efficace. Malgré les très importants efforts consentis en la matière depuis 2017, nous demeurons, cette année encore, le pays de l’OCDE dont le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé. Ce record n’est pas une gloire : ainsi que le prédisait Karl Marx, il contraint nos concitoyens dans leur liberté et nos entreprises dans leur capacité d’innovation.
Aussi n’avons-nous presque plus de marge de manœuvre fiscale pour faire face à la crise budgétaire qui nous menace. Notre groupe a défendu pendant des années des baisses de la fiscalité qui ont produit des résultats sensibles : diminution du chômage, hausse des investissements étrangers, amélioration de notre compétitivité.
Toutefois, face à la chute imprévue et rapide de nos recettes et pour éviter une crise financière grave, le Gouvernement fait le choix d’une augmentation « exceptionnelle, temporaire et ciblée » – je vous plagie, monsieur le ministre – de la fiscalité sur les ménages les plus aisés et sur les plus grandes entreprises de ce pays.
Nous nous y résignons, à contrecœur, mais nous nous assurerons, dans le cadre de ce débat, qu’une fois la crise budgétaire évitée cette hausse des impôts s’éteindra – nous savons qu’en la matière la mémoire se montre parfois défaillante.
Venons-en maintenant aux dépenses. Comme je l’ai indiqué, les sénateurs du groupe Les Indépendants sont attachés aux dépenses régaliennes ; nous soutiendrons donc l’application complète des lois de programmation des ministères de la défense, de la justice et de l’intérieur.
Nous vous proposerons, ou nous soutiendrons, une série d’amendements tendant à diminuer les dépenses des missions non régaliennes, à l’exception de la santé, de l’éducation, de la lutte contre le réchauffement climatique, de la recherche et de l’innovation, que nous souhaitons sanctuariser.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Que reste-t-il ?
M. Emmanuel Capus. Lorsqu’on évoque les finances de l’État, il importe de prendre la mesure des choses. Chaque automne, dans cet hémicycle, il est question de milliards, voire de dizaines de milliards d’euros pour certaines missions.
Cependant, nous-mêmes, comme nos concitoyens, avons parfois perdu le sens de la dépense publique. Qu’est-ce que 1 milliard d’euros, mes chers collègues ? Que représentent 10 milliards d’euros ?
Permettez-moi de comparer nos dépenses publiques avec deux exemples palpables que chacun ici comprendra aisément.
Une enveloppe de 1 milliard d’euros, c’est précisément ce que l’État a décidé d’allouer en 2025 au fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, le fonds vert, créé par Christophe Béchu. Cette somme irriguera tout au long de l’année l’ensemble de nos territoires afin de financer les projets des collectivités locales dans les domaines de la performance environnementale, de l’adaptation au changement climatique et de l’amélioration du cadre de vie. Voilà ce que représente 1 milliard d’euros d’action publique : un an d’initiatives écologiques concrètes.
Passons à plus concret encore : 10 milliards d’euros, c’est le coût d’un porte-avions de nouvelle génération, celui dont la mise à l’eau est prévue d’ici dix à quinze ans. Nous ne construisons un tel navire que tous les trente ou quarante ans, et la France ne pourra s’en offrir qu’un seul.
Comparons maintenant ces montants avec les dépenses de l’État : en 2024, la charge de la dette de l’État s’élève à plus de 50 milliards d’euros. Chaque année, nous sabordons donc l’équivalent d’une flotte entière en nous acquittant des intérêts de la dette, fruit de cinquante années de mauvaise gestion, sans même rembourser le capital, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur général.
Sans ce fardeau, nous aurions pu, en l’espace de trois ans à peine, financer ce qui aurait probablement été la marine la plus puissante du monde. Tel est l’état de nos dépenses, mes chers collègues !
Le Gouvernement nous propose de réduire nos dépenses afin d’éviter une crise budgétaire ; il a bien raison. Néanmoins, au-delà de cette menace immédiate, il nous faut nous interroger sur le plus long terme, sur ce à quoi nos deniers publics sont réellement employés.
La baisse des dépenses publiques sur le long terme est une absolue nécessité ; cette politique avait été amorcée avec succès, il faut le dire, par Édouard Philippe lorsqu’il était Premier ministre.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Ah bon ?
M. Emmanuel Capus. La France avait alors su montrer sa capacité à respecter la règle des 3 %. Pour retrouver trace d’un tel sérieux économique, il faut remonter à 2006 !
Une fois la crise budgétaire évitée, il faudra que nous nous attelions sans délai à réduire durablement nos dépenses. Il s’agit non pas de sacrifier tel ou tel service public, mais de nous redonner des marges de manœuvre budgétaires afin de pouvoir décider, le moment venu, de renforcer tel ou tel service public. La diminution doit se concentrer sur les dépenses de fonctionnement des ministères et des agences, et non sur les dépenses d’investissement.
Il en va de même pour nos collectivités, cœur battant de notre République : elles sont prêtes à participer elles aussi à l’effort budgétaire de la Nation. Mais cet effort doit être soutenable, juste et équitablement réparti entre toutes les collectivités qui en ont les moyens. C’est pourquoi, aux côtés du rapporteur général et de la commission des finances, nous nous opposerons à une révision du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée ; c’est pourquoi aussi nous apporterons notre soutien au rapporteur spécial et à la commission des finances en ce qui concerne la substantielle révision du fonds de réserve demandée aux collectivités territoriales.
Telle est, mes chers collègues, la position du groupe Les Indépendants. Vous l’aurez compris, nous nous attacherons à soutenir loyalement le Gouvernement, en faisant porter l’effort majoritairement sur la diminution des dépenses publiques et, pour une part qui doit être la plus réduite possible, sur une hausse exceptionnelle, temporaire et ciblée de la fiscalité de ceux qui en ont les moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avez-vous déjà joué à un jeu de société ? Ces jeux nous enseignent quelques impératifs auxquels ce projet de loi de finances mériterait de se conformer.
La stabilité, tout d’abord : si vous jouez aux jeux de société, vous savez d’expérience que, sans règles claires et précises, il n’y a pas de jeu. Vous savez aussi qu’une fois définies les règles ne sauraient être modifiées en cours de partie : pareil changement risquerait évidemment de susciter l’ire des participants. En matière d’économie, c’est exactement la même chose : la règle doit être connue de tous et ne doit pas être modifiée.
C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible d’accepter la remise en cause a posteriori des règles régissant le FCTVA ou encore la modification de la trajectoire du malus auto, alors que les industriels ont adapté leur chaîne de production.
M. Olivier Paccaud. Très bien !
Mme Christine Lavarde. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de reporter l’inscription dans la loi du mécanisme de partage de la production nucléaire qui doit venir remplacer le mécanisme de l’Arenh au 1er janvier 2026.
Français, acteurs économiques, collectivités locales, tous ont besoin de sécurité juridique.
La lisibilité, ensuite : si vous jouez aux jeux de société, vous savez également qu’il est important que la règle soit simple et intelligible ; la complexifier inutilement conduit à perdre les joueurs.
Après la crise de 1958, le général de Gaulle, revenu au pouvoir, forme un gouvernement d’union nationale et se consacre à une tâche de stabilisation aux effets durables – toute ressemblance avec la situation politique et économique actuelle n’est pas fortuite… Après trente-neuf séances de travail, le comité Rueff remet au Général un rapport de vingt-cinq pages – ce serait inimaginable aujourd’hui – contenant quelques mesures essentielles et particulièrement courageuses. Le plan prescrit, en particulier, une cure d’amaigrissement de l’administration.
Il y a un an, à cette tribune, je pointais les 340 aides aux entreprises existant en matière d’accompagnement à la transition écologique. La situation a-t-elle changé depuis lors ? Les chantiers de simplification mis en œuvre depuis plusieurs décennies s’apparentent davantage à des opérations de communication qu’à une réelle ambition transformatrice. À l’illisibilité s’ajoutent la perte de sens et l’absence d’une vision de long terme.
Comment convaincre les Français de poursuivre l’électrification des usages quand l’électricité se trouvera demain la source d’énergie la plus taxée à la tonne de CO2 émise ? Au vu de l’évolution des prix toutes charges comprises de l’électricité, la fiscalité de rendement a du sens à court terme ; malheureusement, cette orientation envoie un mauvais message aux consommateurs pour ce qui est de leurs comportements de long terme. Il aurait été plus compréhensible d’appliquer la même règle à toutes les consommations d’énergie. Dans un contexte de baisse des prix de gros, les consommateurs sont appelés à rembourser partiellement l’aide que l’État leur a octroyée pendant la crise. Rappelons ici qu’il y va tout de même de 50 milliards d’euros…
Entrevoir la victoire sous le prisme du gain budgétaire ou politique, ce n’est pas gouverner : c’est succomber à la tragédie du moment. Savoir ne pas s’y soumettre est ce qui détermine, à mon sens, le sens de l’État.
Après la stabilité et la lisibilité, citons en troisième lieu le souci du nombre : si vous jouez aux jeux de société, vous savez qu’en fonction du nombre de joueurs le jeu sera très différent. Jouer au Cluedo à deux ou à huit ne relève pas tout à fait du même niveau de difficulté…
Année après année, nous votons un budget pour la France sans tenir compte du nombre de Français et de la chute très inquiétante de la démographie. Depuis 2010, le recul de la natalité est de 19,8 %. La branche famille est la seule branche déficitaire de la sécurité sociale ; c’est tout un symbole et, surtout, un mauvais signal.
Nous indexons les retraites sans tenir compte de la chute vertigineuse du nombre d’actifs cotisant pour les financer. Le projet de loi de finances pour 2025 est le premier à intégrer l’effet en année pleine de la réforme paramétrique de 2023 ; cependant, selon les projections publiées par le Conseil d’orientation des retraites (COR) en juin 2024, le système sera déficitaire dès cette année, et le déficit continuera à s’aggraver pour atteindre 0,4 % du PIB en 2030 et 0,8 % en 2070.
Nous votons un PLFSS sans tenir compte du vieillissement de la population et des milliards d’euros nécessaires pour financer la dépendance et le grand âge.
Comment repensons-nous l’organisation de l’enseignement afin d’éviter que n’augmente le coût par élève sans contrepartie quant à l’amélioration du niveau scolaire ?
Aux dames, aux échecs, dans tous les jeux de stratégie, si l’on veut avoir une chance de gagner, il faut anticiper les actions futures au moment de déplacer sa pièce. Comme dans les jeux de société, en économie ouverte, il faut tenir compte du nombre de joueurs et anticiper leurs stratégies.
Dernier impératif : l’égalité entre les joueurs. Si vous avez déjà joué au Monopoly, vous savez que la fiscalité n’est pas absente du jeu : deux cases du plateau prévoient un impôt sur le revenu et une taxe ; des cartes dites « Chance » et « Caisse de communauté » peuvent également imposer une contribution particulière. Or ces taxes sont prévisibles et fixes : il n’existe pas de prélèvement sur bénéfices exceptionnels surgissant au milieu du jeu.
Dans notre histoire récente, que fait l’État quand il manque de trésorerie et que les recettes sont moindres que prévu ? Il lève des impôts supplémentaires, ce qui crée de l’incertitude. Ce faisant, il profite de ses prérogatives pour dévier des règles qui s’appliquent à tous.
La lecture du dernier baromètre d’Ernst & Young sur l’attractivité est sans appel : en quelques mois, la confiance des investisseurs s’est évanouie. Les incertitudes législatives et réglementaires, ou encore la difficulté à bâtir des plans d’affaires fiables, sont la première cause du report des décisions d’investissement.
Pis, les entreprises quittent la France. Tikehau Capital, un fonds d’investissement qui gère plus de 50 milliards d’euros d’actifs, réfléchit à être coté à Wall Street ; le groupe Canal+ va s’introduire en bourse à Londres ; après sept ans d’absence des marchés financiers, Havas sera coté à Amsterdam à partir de décembre.
Les dirigeants interrogés avancent deux conditions au maintien de leur projet en France : la stabilité fiscale, alors que le taux de prélèvements obligatoires atteint des records, et une limitation de l’ampleur des ajustements imposés par le PLF, d’une part ; la réduction de la dépense publique, d’autre part.
La hausse de la fiscalité n’est acceptable que lorsqu’elle permet de corriger ou d’inciter à un comportement plus vertueux. Il y a du sens à punir celui qui ne respecte pas la règle, ou celui qui préfère utiliser un mode de production polluant plutôt que son alternative décarbonée plus onéreuse : c’est une application du principe de liberté et de responsabilité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Au Monopoly, la banque ne fait jamais faillite, elle peut mettre en circulation autant d’argent que nécessaire sous forme de reconnaissance de dette écrite sur du papier ordinaire. Cela fait rêver, messieurs les ministres !
Malheureusement, nos règles financières sont un peu plus complexes et l’État ne peut pas mettre en circulation autant d’argent que nécessaire, même si d’aucuns ont cru le contraire pendant la période du « quoi qu’il en coûte » – même si certains, ajouterai-je, le croient encore.
Le taux d’intérêt auquel emprunte la France pour financer sa dette a sensiblement augmenté ces derniers mois ; autrement dit, les investisseurs ont évalué à la hausse le risque français.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, durant les deux prochaines semaines, je crains que nous n’ayons pas le temps de jouer aux jeux de société. Cependant, gardons à l’esprit tout au long de nos débats quelques grands principes : disposer d’une ligne de conduite claire et intelligible ; ne pas changer la règle du jeu quand celle-ci a été intégrée par les acteurs économiques ; anticiper les évolutions démographiques et macroéconomiques pour construire une trajectoire soutenable à long terme ; se doter d’une fiscalité prévisible visant à orienter les comportements ; s’interdire toute politique de l’argent magique.
Telles sont, messieurs les ministres, les règles du jeu du groupe Les Républicains.
La France mérite que ce gouvernement réussisse. Pour ce faire, il importe de lier le courage à la responsabilité, la rigueur à la créativité, le souci du temps long à celui du plus grand nombre. Une fois ce budget adapté et voté viendra le temps des réformes structurelles que notre pays attend depuis trop longtemps, et qui devront répondre aux défis des transitions écologique, démographique et numérique.
Gardons tous ici à l’esprit que, comme le disait Jacques Chirac, « mobilité et stabilité ne sont pas antinomiques : un cycliste n’est stable sur sa bicyclette qu’en avançant. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation financière de notre pays est très préoccupante. Pour y répondre, il nous faut collectivement faire preuve de responsabilité et trouver la voie des compromis qui nous permettront de sortir de cette crise par le haut.
L’objectif premier de ce projet de loi de finances pour 2025 est naturellement le redressement des comptes de la Nation.
Face à la baisse des recettes, le précédent gouvernement avait amorcé ce mouvement en annulant 10 milliards d’euros de crédits dès le début de l’année 2024 puis en doublant le montant de la réserve de précaution, pour la porter à 16 milliards d’euros.
Il nous faut continuer dans ce sens et amplifier fortement le mouvement. Il y va de l’avenir de notre pays, c’est-à-dire de notre capacité à continuer d’investir pour transformer notre économie, adapter notre société aux changements climatiques et démographiques et faire face aux nouvelles menaces.
Si nous voulons ne pas être acculés par le poids de la dette, qui sera bientôt le premier budget de l’État, si nous voulons garder des marges de manœuvre budgétaires pour faire face aux prochaines crises, si nous voulons continuer à peser en Europe et dans le monde et conserver notre crédibilité, il nous faut, j’y insiste, redresser nos comptes.
La Guyane, mon territoire, nous donne d’ores et déjà une illustration des risques auxquels nous nous exposons. Notre souveraineté y est en effet bafouée par des garimpeiros venus par milliers piller notre ressource aurifère ou par des tapouilles venues par dizaines pêcher illégalement dans nos eaux.
L’effort sera très important, et même inédit, puisqu’il est chiffré à 60 milliards d’euros. La répartition choisie est de deux tiers pour les dépenses et d’un tiers pour les recettes, l’effort de modération des dépenses étant réparti entre l’État et ses opérateurs, les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale.
Permettez-moi de revenir un instant sur l’effort demandé aux collectivités locales, mes chers collègues.
Le groupe RDPI salue le choix du Premier ministre d’un discours de vérité sur la situation particulièrement difficile des collectivités. Alors que leurs dépenses incompressibles augmentent, on exige d’elles une participation importante au redressement de nos finances publiques.
La semaine dernière, à l’occasion du Congrès des maires, nous avons accueilli près de 8 000 élus locaux venus de toute la France ; ils nous ont fait part de leur inquiétude et, pour certains, de leur colère.
Nous nous félicitons donc que le Gouvernement ait choisi de réduire le taux du prélèvement prévu au titre du fonds de réserve créé à l’article 64 du projet de loi de finances ; nous resterons attentifs aux modalités qui seront proposées pour cette mise en réserve.
De même nous paraît salutaire l’ouverture d’un dialogue sur la pertinence de la réforme, à l’article 30, du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée.
L’objectif du Gouvernement est de ramener le déficit à 5 % du PIB, au lieu des 7 % qu’il pourrait atteindre si rien n’est fait. En dépit de ces efforts, nous ne renouerons pas avec la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques. Il convient en effet de nous prémunir contre le risque de casser la croissance et de provoquer une récession.
La prévision de croissance pour 2025 sur laquelle le Gouvernement a bâti son budget est prudente. Elle s’établit à 1,1 %, soit en dessous des prévisions de l’OCDE et du Fonds monétaire international (FMI). La baisse des taux d’intérêt, conjuguée à la baisse de l’inflation, passée sous les 2 %, permettrait de contrebalancer l’effet récessif du choc budgétaire.
Près de la moitié des rentrées fiscales supplémentaires de 2025 seraient liées à de nouvelles mesures. Selon les calculs de la commission des finances, celles-ci rapporteraient près de 15 milliards d’euros.
Il s’agit principalement de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, pour 8 milliards d’euros, de la contribution différentielle temporaire sur les très hauts revenus, pour 2 milliards d’euros, de la modulation des accises sur l’énergie et du retour à un taux normal de TVA sur les abonnements à l’électricité et au gaz, pour 2,8 milliards d’euros, de la suspension de la baisse de CVAE, pour 1,1 milliard d’euros et de la taxe exceptionnelle sur les entreprises du fret maritime, pour 0,5 milliard d’euros.
En règle générale, le groupe RDPI se positionne contre toute disposition visant à augmenter les impôts des Français, d’autant que, malgré les fortes baisses appliquées ces dernières années, le niveau de nos prélèvements obligatoires est déjà l’un des plus hauts de l’Union européenne. En 2023, le taux de prélèvements obligatoires a été abaissé de près de deux points en un an, pour s’établir à 43,2 % du PIB, soit le plus bas niveau depuis 2012. Du jamais vu ! Si de tels résultats n’étaient sans doute pas tout à fait anticipés, ils nous donnent un peu de souplesse pour les années à venir.
Nous soutiendrons la grande majorité de ces nouvelles mesures fiscales, pour la plupart temporaires, et auxquelles la volonté de faire contribuer plus fortement les hauts revenus et les grandes entreprises a très nettement présidé. Dans un contexte de redressement impératif des finances publiques, de telles mesures nous paraissent équilibrées.
Certaines de ces dispositions s’appliqueront toutefois à l’ensemble de nos concitoyens, quel que soit leur niveau de revenus. Je pense notamment aux taxes sur l’énergie, et notamment à l’augmentation de la TVA et à la hausse du tarif de l’accise sur la consommation d’électricité. Le groupe RDPI défendra le plafonnement dudit tarif à 32 euros le mégawattheure, afin qu’il ne dépasse pas le niveau qui était en vigueur avant la crise de l’énergie et la mise en place du bouclier énergétique qui s’en est suivie.
Nous pensons également que l’une des manières les plus efficaces de trouver des recettes est de lutter mieux et plus efficacement contre la fraude et les fraudeurs.
Nous présenterons à cet égard une mesure simple de lutte contre la fraude à la TVA : l’interdiction des logiciels de comptabilité dits permissifs autocertifiés.
Nous défendrons également un amendement tendant à doter l’administration fiscale de moyens supplémentaires pour lutter contre la fraude s’appuyant sur l’utilisation de comptes d’actifs numériques, ou cryptoactifs. De tels comptes, dont le nombre est en expansion constante, sont en effet de plus en plus fréquemment utilisés à des fins frauduleuses ou par des réseaux mafieux pour le blanchiment d’argent sale.
Nous avons par ailleurs déposé deux amendements visant à protéger les ressources des chambres consulaires, des chambres de commerce et des chambres d’amitié en leur assurant le respect de leur trajectoire pluriannuelle d’économies. Ces instances constituent en effet un maillon essentiel du soutien aux entreprises et partant, du développement économique des territoires.
En ce qui concerne les dépenses, les objectifs seront certainement plus difficiles à atteindre. En volume, elles devraient légèrement diminuer, pour s’établir à 56,4 % du PIB, soit une baisse de 0,4 point.
Les lettres plafond, qui ont donné le ton de ce PLF, ont pu susciter quelques inquiétudes. Nous estimons qu’il est nécessaire de faire des économies tout en veillant à ne pas casser les dynamiques de rattrapage engagées dans bon nombre de domaines.
Je pense par exemple à la justice qui, après de longues années de paupérisation, a vu son budget passer de 6,9 milliards d’euros en 2017 à plus de 10 milliards en 2024. Dans le projet de loi de finances initial, au regard de ce que prévoit la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, 500 millions d’euros manquaient à ce budget pourtant hautement prioritaire. Le Gouvernement s’est toutefois montré à l’écoute sur ce sujet et le Premier ministre a annoncé que les crédits de la mission « Justice » seraient complétés par voie d’amendement ; nous y serons attentifs.
Si les lois de programmation ne sont pas contraignantes, elles présentent l’intérêt de prévenir la tentation de faire porter les économies budgétaires sur des domaines que la Nation a jugés comme étant prioritaires et pour lesquels une continuité dans les investissements est indispensable.
L’équipement de nos armées répond à de tels critères et le contexte international tendu a certainement joué en faveur du budget de la mission « Défense », qui augmente de 3,3 milliards d’euros, conformément à la loi de programmation militaire.
Tout en se félicitant de cette évolution, le groupe RDPI déplore qu’il n’en aille pas de même des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Autre sujet de préoccupation : les paramètres de la baisse de 1,2 milliard d’euros des moyens alloués à l’apprentissage. Les politiques publiques menées en la matière par les précédents gouvernements ont pourtant été couronnées d’un formidable succès. En 2023, 850 000 jeunes sont en effet entrés en apprentissage. Si le coût de cette politique est élevé, le coût pour la société de jeunes non formés et sans emploi l’est certainement bien davantage. Il est assurément possible de rationaliser ces aides à l’embauche sans perdre en efficacité, mais de manière à limiter les effets d’aubaine, en en concentrant le bénéfice sur les très petites entreprises et les apprentis dont le niveau de formation est inférieur à bac+3.
Le groupe RDPI présentera par ailleurs un amendement visant à relever le taux de la taxe sur les transactions financières afin de l’aligner sur le taux retenu par nos voisins européens. Les recettes supplémentaires ainsi dégagées, qui s’élèveraient à 1,5 milliard d’euros, pourraient être fléchées vers le budget de la solidarité internationale ou encore abonder le fonds vert afin de le rapprocher de son niveau actuel.
Je ne saurais conclure sans évoquer l’outre-mer, où les crises se succèdent.
En un an, la Nouvelle-Calédonie, en raison d’une crise politique et sociale, et la Martinique, à cause de la vie chère, ont connu troubles et violences qui, bien que de niveaux d’intensité différents, ont à chaque fois entraîné des dégradations et des blocages et emporté de lourdes conséquences économiques et sociales.
Pour la deuxième année consécutive, la Guyane est quant à elle touchée par une terrible sécheresse, si bien que la préfecture a dû mettre en place un pont aérien pour ravitailler les communes qui, non connectées au réseau routier et ravitaillées en temps normal par pirogue via le fleuve Maroni, se retrouvent enclavées. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont concernées.
Les outre-mer craquent de partout, messieurs les ministres. Ce n’est vraiment pas le moment de faire des économies. Alors qu’il faut au contraire investir massivement, la baisse du budget de la mission « Outre-mer » est évidemment un très mauvais signal. Bpifrance, la banque publique d’investissement, verra par exemple son budget dédié à l’action « Financement de l’économie » divisé par quatre ; or elle est la seule à offrir des solutions bancaires aux entreprises qui souhaitent se développer et investir.
J’ai assez entendu le discours vantant les outre-mer, qui seraient « une chance pour la France ». Aujourd’hui, les Ultramarins sont de plus en plus nombreux à se demander si la France est une chance pour les outre-mer.
Au moins ce PLF ne reprend-il pas la réforme de l’octroi de mer. Est-ce le signe que nos alertes ont été entendues, messieurs les ministres ?
En tout état de cause, le groupe RDPI, premier groupe ultramarin du Sénat, a déposé de nombreux amendements relatifs au logement social, à la TVA sur les produits de première nécessité, aux aides fiscales à l’investissement ou encore à la possibilité de déroger à l’exigence de diagnostic énergétique pour bénéficier des aides à la rénovation en outre-mer. J’espère que ces amendements recevront un accueil favorable de la part du Gouvernement et des autres groupes politiques du Sénat.
Il nous faut être responsables, mes chers collègues, davantage que ne l’a été l’Assemblée nationale : les groupes doivent travailler ensemble et avec le Gouvernement.
La situation politique nous incitait à trouver des compromis en amont du débat en séance afin que chaque groupe puisse se retrouver dans le texte final. Il n’est pas trop tard ! J’en appelle donc à votre sens des responsabilités, mes chers collègues. Soyons les acteurs d’un compromis, faisons honneur au Parlement et au bicamérisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)