M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Mon cher collègue, je vous remercie de votre intervention. Vous venez en effet de rappeler l’importance de ce débat. Or, comme vous, nous avons envie de débattre, car cette discussion est nécessaire à plusieurs titres.
Je le répète, dans les circonstances difficiles que traverse notre pays, le Sénat a une responsabilité particulière, et même éminente. Nous devons notamment démontrer que la chambre haute, celle des territoires, est à même de confronter les différents avis, les différentes sensibilités qui parfois s’opposent en son sein, pour tracer des perspectives et trouver des solutions. C’est ce que nos concitoyens attendent de nous.
À la suite de la dissolution, les élections législatives anticipées nous ont placés face à une espèce de mikado politique. Dans ce contexte, les Français nous demandent de faire preuve de responsabilité.
Le travail qui nous attend est difficile – MM. les ministres l’ont dit eux-mêmes –, mais il faut absolument s’atteler à la tâche : nous devons tout faire pour apaiser les inquiétudes.
Nous sommes sur une ligne de crête : la voie est étroite, mais elle mérite d’être empruntée durant la quinzaine de jours dont nous disposons au Sénat.
Mes chers collègues, je vous invite à voter contre la motion qui vient d’être défendue. L’adopter serait se priver d’un débat extrêmement utile pour l’avenir de notre pays.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis en ligne avec les propos de M. le rapporteur général.
Monsieur le sénateur Barros, peut-être puis-je vous interroger en retour : auriez-vous déposé une telle motion si l’Assemblée nationale avait adopté son propre texte ? C’est une vraie question.
En effet, votre position ne tient pas tant à la forme : c’est avant tout sur le fond que vous vous opposez au texte gouvernemental. Dès lors, vous-même avez tout intérêt à laisser débattre la chambre haute : c’est à cette seule condition que vous pourrez défendre les options qui sont les vôtres, sur la base d’un constat que, me semble-t-il, nous partageons.
Nous avons au moins ceci en partage, en effet : si j’ai bien entendu votre propos, nous sommes d’accord pour dire – vous ne le niez pas – qu’il est nécessaire de redresser les finances publiques. Simplement, vos propositions diffèrent de celles du Gouvernement et, probablement, de celles de la majorité sénatoriale. C’est évidemment votre droit le plus strict. Mais, sur cette base, débattons, comme nous avons débattu à l’Assemblée nationale.
M. le président de la commission a insisté sur ce point : nous vivons un moment inédit. Dans un tel contexte, il serait profondément dommage que nous nous privions des contre-propositions émanant du Sénat. Du reste, jamais un gouvernement n’a été si ouvert à l’évolution du projet de loi de finances initial : ce texte est perfectible, nous le reconnaissons d’autant plus volontiers que nous avons dû le préparer dans des délais extrêmement contraints.
Bref, on ne saurait refuser le débat en tant que tel. Le fuir serait contraire à ce que requiert la séquence vécue par notre pays.
Chacun, dans cette assemblée, a tout intérêt à faire vivre la discussion, non seulement pour des raisons de positionnement politique, mais en vue de l’évolution du texte lui-même. Quant au Gouvernement, il est évidemment à la disposition du Sénat et le restera autant qu’il le faudra pour que, précisément, vive ce débat.
J’en viens, brièvement, au fond.
Vous avez, et c’est tout à fait normal, assez longuement évoqué le cas des collectivités territoriales. Je le redis, il serait contradictoire de rejeter le présent texte avant même que le débat n’ait lieu. Vous souhaitez faire évoluer la participation des collectivités territoriales : je l’ai dit à la tribune, nous y sommes d’ores et déjà ouverts, et, me semble-t-il, dans le sens qui sied à la majorité des membres de cette assemblée.
Nous sommes prêts en effet à revoir la définition du fonds de précaution, qui – je vous l’accorde – gagnerait à ce que l’on fixe son intitulé une bonne fois pour toutes. Qui doit y contribuer ? À quel titre ? Comment rétribuer les collectivités territoriales participantes ?
J’ai, de même, évoqué la non-rétroactivité du FCTVA, ainsi que le cas particulier des départements financièrement les plus fragiles. Si le débat n’avait pas lieu, le Sénat ne pourrait pas adapter ce fonds – je pense notamment à la participation des collectivités territoriales. Et la commission mixte paritaire ne pourrait pas en délibérer. C’est de tout ce travail que nous serions privés.
Sur la forme comme sur le fond, pour le groupe politique dont vous êtes l’élu comme pour le Sénat tout entier, j’estime sincèrement qu’il serait contre-productif d’adopter cette motion. Je le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, vous seriez vous-mêmes privés de ce débat et empêchés de délibérer.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. L’examen de cette motion donne le ton pour les prochains jours.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré : « je suis en ligne avec le rapporteur général ». Cette phrase – on le devine d’entrée de jeu – va revenir comme un refrain tout au long des travaux du Sénat.
Notre collègue Pierre Barros l’a rappelé, aucun amendement de l’Assemblée nationale n’a été retenu.
M. Pascal Savoldelli. J’ignore si ce constat vous attriste ou vous réjouit… Toujours est-il que, si nous défendons cette motion, c’est aussi par respect pour le travail de nos collègues députés.
En outre, c’est avec les voix du Rassemblement national que l’Assemblée nationale a rejeté la première partie du projet de loi de finances. Il faut le dire : c’est une question de clarté politique.
Vous nous dites qu’il faut de la transparence, de l’exactitude, etc. Eh bien, soyons précis : c’est tout le rôle de cette motion. Entre le rejet orchestré en première lecture, le 49.3 qui se profile et la CMP, le travail de l’Assemblée nationale va être rayé d’un trait de plume.
De votre côté, vous restez largement imperméables à ce qui se qui est en train de se passer : 7 500 ouvriers qui perdent leur travail, les agriculteurs et les éleveurs qui tirent la sonnette d’alarme – et je passe sur les nombreux autres mouvements qui traversent notre société.
Pour reprendre une expression que j’ai entendue ce matin, la discussion de cette motion nous offre donc, d’emblée, un petit moment de clarification…
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires s’opposeront évidemment à cette motion.
Étant par nature favorables au débat, nous nous opposons par principe à toute motion de rejet préalable. Pour le Sénat, refuser d’examiner les textes présentés par le Gouvernement ou transmis par l’Assemblée nationale, c’est tout simplement se tirer une balle dans le pied. Et il serait particulièrement aberrant cette année que nous renoncions à l’exercice de notre pouvoir, puisque le projet de loi de finances est encore vierge.
Cas de figure exceptionnel sous la Ve République, l’Assemblée nationale a rejeté la première partie : nous avons donc la responsabilité historique de modifier, d’amender, d’améliorer la version du Gouvernement, qui n’a pas été retouchée par nos collègues députés.
Si, par principe, refuser le débat est toujours une erreur, en l’espèce, cette année, le rejet préalable du projet de loi de finances serait une faute plus grave encore qu’en temps normal. À tout le moins, il faut débattre pour tenter d’améliorer ce texte, conformément aux pouvoirs que la Constitution nous confère. (M. Vincent Louault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Monsieur Savoldelli, on ne peut pas dire que nous n’avons pas respecté la volonté de l’Assemblée nationale : c’est elle-même qui a rejeté le présent texte ; le Gouvernement n’en est pas responsable.
Vous ne pouvez pas, pour motiver le dépôt de cette motion, arguer d’un prétendu déni de démocratie à l’Assemblée nationale…
M. Pascal Savoldelli. Il y a eu alliance avec le RN !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Si alliance il y a eu avec le Rassemblement national, c’est surtout pour faire adopter les amendements de fiscalité du Nouveau Front populaire… (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
En outre, je vous invite à lire en détail le résultat du scrutin sur la première partie du projet de loi de finances. Le socle commun et le groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) se sont prononcés de concert contre la version du texte qui a été soumise à l’Assemblée nationale : à eux seuls, ils disposaient d’une majorité de rejet sans avoir besoin des voix du Rassemblement national.
Croyez-moi : l’« alliance » avec le Rassemblement national, que vous dénoncez, n’est pas le fait du bloc central. Vous avez suivi les débats de l’Assemblée nationale : sur ce point, ils ont été très clairs.
M. Pascal Savoldelli. Eh bien, on va avoir des débats difficiles…
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-1541, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2025.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 77 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 260 |
Pour l’adoption | 18 |
Contre | 242 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous n’ignorons bien sûr pas la gravité de la situation ; ce que nous peinons à croire, néanmoins, c’est qu’il ait fallu attendre le début de l’automne pour découvrir l’ampleur du déficit. Une telle situation est carrément ubuesque. Bercy serait donc un organe malade de la République et le mal en serait au stade terminal…
Monsieur le ministre de l’économie, le directeur de cabinet du Premier ministre n’est autre que celui qui fut directeur de cabinet de votre prédécesseur, Bruno Le Maire, après avoir été directeur général des finances publiques et directeur de cabinet du ministre des comptes publics. Bref, il s’agit de l’homme qui a préparé tous les budgets depuis 2017.
Un tel constat n’enlève rien à la responsabilité politique, car la haute fonction publique est là pour exécuter les ordres des élus et non l’inverse. Mais avouez que l’on est en droit de s’interroger.
Je mesure l’inquiétude de nos concitoyens face au dérapage budgétaire, face à la situation économique préoccupante que nous connaissons et face à la crise politique qui nous menace. L’Assemblée nationale a échoué à trouver un compromis. Le Sénat se trouve donc, comme jamais, face à ses responsabilités.
Messieurs les ministres, je comprends pleinement l’urgence d’agir. Ce que je ne comprends pas, c’est l’exercice que vous nous demandez.
Je parle d’abord des objectifs : franchement, est-ce bien raisonnable de vouloir imposer 60 milliards d’euros d’économies dès cette année ? La récession de 1993, puis la crise de 2008 avaient plongé le solde public dans des profondeurs proches de celles que nous connaissons aujourd’hui. Chaque fois, le retour du déficit sous la barre des 3 % a pris sept à neuf ans. Ne pouvons-nous pas échelonner davantage l’effort prévu ?
Nous sommes face à un risque majeur : celui de plonger le pays dans une récession aux conséquences potentiellement dramatiques pour les Français.
Anciens maires ou anciens présidents d’exécutifs locaux, nombreux sont ceux qui, dans cette assemblée, ont géré des budgets pendant des années. Nous avons le sens de la responsabilité budgétaire, mais nous savons aussi ce qu’est l’action publique. Nous savons à quel point elle est indispensable à nos villes, à nos territoires et à notre économie tout entière.
La technocratie se penche sur des graphiques, des courbes et des tableaux. Elle s’attache à des critères, comme celui des 3 %. Mais elle ne regarde pas le gigantesque défi industriel qui se dresse devant nous.
J’étais vendredi dernier à Souillac, dans mon département, pour l’inauguration d’une chaîne de l’entreprise familiale Pivaudran. Ce nouvel équipement représente 7,5 millions d’euros d’investissements. Non seulement l’usine va doubler ses capacités de production, mais elle va réduire d’un tiers sa consommation d’eau et d’énergie tout en créant cinquante emplois.
Voici le paradoxe qui traverse l’industrie française : notre pays connaît nombre de plans sociaux et de fermetures d’usines ; mais, dans le même temps, il peut se prévaloir d’incroyables réussites, là où les mutations se font. Ces réussites, il faut les soutenir, si l’on veut amplifier cette métamorphose dont dépendent directement notre compétitivité, notre modèle social et notre souveraineté. C’est vrai pour l’industrie ; c’est vrai aussi pour l’agriculture – je ne vous apprends rien.
Messieurs les ministres, je ne comprends pas davantage la nature de l’exercice auquel vous vous livrez. S’agit-il d’un coup de frein ou d’un coup de volant ? S’agit-il d’endiguer l’hémorragie de nos dépenses ou de remettre en question nos politiques publiques, ce qui, en quinze jours de travail, serait – avouons-le – irréaliste, voire dangereux ? S’agit-il d’un exercice comptable ou bien d’un budget politique ? il faut le dire.
On a le sentiment que derrière l’invocation de l’urgence budgétaire se cachent en fait des choix politiques qui ne disent pas leur nom.
Être gestionnaire, en « bon père de famille », ne signifie pas être réactionnaire. Le coup porté aux collectivités locales, la brutalité des coupes budgétaires infligées aux solidarités internationales comme l’affaiblissement des ambitions en matière de recherche et d’innovation trahissent des politiques de recul, de repli et de renoncement. De telles mesures sont bien davantage que de simples ajustements budgétaires. Dès lors, je me réjouis d’autant plus que vous soyez disposés à prendre en compte certains amendements du Sénat.
Ce serait en effet une erreur funeste que de casser la croissance, dont on le sait qu’elle est tirée par la commande publique, et de renoncer à ce que nous sommes collectivement, à ce qui nous a permis jusqu’à présent de faire Nation.
Notre boussole, selon nous, doit être l’efficacité de la dépense publique. Les économies doivent être prises dans les dépenses de fonctionnement de l’État ; dans la simplification des normes et des opérateurs ; dans la lutte contre la suradministration, qui nous étouffe depuis si longtemps. Attaquons-nous à la prolifération des autorités administratives indépendantes, des observatoires et autres comités Théodule dépendant de Matignon.
Les Français attendent un budget de justice sociale et fiscale où l’effort sera partagé ; un budget dans lequel la redistribution des richesses financera non seulement la dépense sociale individuelle, mais aussi le redressement de nos services publics, à commencer par l’école et l’hôpital.
Patrimoine de ceux qui n’en ont pas, selon l’expression consacrée, le service public demeure le seul outil capable de lutter durablement, par-delà les générations, contre les inégalités sociales – ce constat ne dispense toutefois pas d’exiger une gestion plus rigoureuse à tous les échelons.
Le budget que nous attendons, c’est aussi un budget d’équité territoriale et d’aménagement du territoire : un budget qui répare les fractures et accompagne toutes les communes.
Notre pays a besoin d’un choc d’investissement public et d’un choc de déconcentration. C’est là le seul moyen de faire aboutir les projets en souffrance. Toutes les grandes nations qui se sont relevées des crises ont procédé ainsi, en conjuguant responsabilité budgétaire et audace dans l’investissement. Nous serons donc particulièrement attentifs à l’effort demandé aux collectivités locales.
Le budget que nous attendons, c’est encore un budget de progrès : de progrès techniques, scientifiques et écologiques ; de progrès humain, tout simplement, ce progrès auquel les radicaux croient encore.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous aussi !
M. Raphaël Daubet. Une nation comme la nôtre se sauvera par la recherche et le développement, par l’innovation, par l’université ; mais encore faut-il le vouloir !
Le budget que nous attendons, c’est enfin celui qui n’abîmera pas la politique étrangère de la France : un budget prenant en compte la double dimension du défi géopolitique qui est devant nous, alliant nos ambitions de défense et de sécurité à des politiques d’aide au développement susceptibles de faire entendre la voix d’une France crédible et sans arrogance.
Mes chers collègues, dans leur majorité, les élus du groupe RDSE ne sauraient soutenir ce budget en l’état. Mais, fidèles à notre tradition, nous aborderons les débats animés d’un esprit constructif,…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Raphaël Daubet. … non par compromission, mais par conviction ; non par facilité, mais par responsabilité.
La France mérite selon nous une autre copie : celle qui préfère l’audace à la peur, la confiance à la défiance et l’action au conservatisme. Nous allons y travailler ensemble. La grandeur de notre pays se mesure non pas à l’aune de ses économies, mais à celle de ses ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Canévet. Messieurs les ministres, les membres du groupe Union Centriste tiennent à vous souhaiter la bienvenue au Sénat pour votre premier projet de loi de finances.
Le présent texte a toute son importance, car – je le souligne à mon tour – la situation de nos finances publiques est particulièrement préoccupante : un sursaut est aujourd’hui nécessaire et, à cet égard, nous comptons sur vous pour accompagner le travail du Sénat.
D’ailleurs, si l’on avait un peu plus écouté le Sénat ces dernières années, la situation actuelle serait sans doute moins dégradée qu’elle ne l’est… J’y insiste, les élus du groupe Union Centriste vous invitent à tenir compte des propositions qui seront formulées pendant ces journées d’examen du projet de loi de finances.
Hier, dans le premier quotidien du pays, le gouverneur de la Banque de France déclarait : « La France vit au-dessus de ses moyens depuis trop longtemps ». Nous sommes très nombreux à partager ce constat et à le déplorer ; nous voyons bien que c’est la crédibilité même de la France qui est en jeu.
Notre santé économique devrait être prospère. Hélas ! elle est à la peine, étant donné la lourdeur des charges et des déficits que nous avons à supporter. Par ailleurs, notre parole au sein de l’Union européenne est quelque peu décrédibilisée par la situation financière de notre pays.
Il faut le dire, la France a toujours été un moteur de l’Europe, et elle doit continuer à l’être. Toutefois, nous ne serons crédibles que si nous sommes capables d’être exemplaires. Or, en matière de finances publiques, nous ne le sommes pas. À l’évidence, une telle situation appelle des redressements.
Le groupe Union Centriste défendra un certain nombre de principes à l’occasion de l’examen de ce projet de loi de finances. Ainsi plaidons-nous pour une véritable stabilité fiscale, de façon à renforcer l’attractivité de notre pays – c’est un point sur lequel je ne saurais trop insister.
En outre, il faut que des économies sur les dépenses soient véritablement effectuées. Bien entendu, les mesures qui s’imposent doivent être prises dans un esprit de justice et d’équité fiscales, pour l’ensemble de nos concitoyens.
Soyons clairs, la stabilité fiscale est essentielle. Nous avons mis beaucoup de temps à revenir dans les standards internationaux, par exemple en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés. Veillons à ce que les efforts accomplis en ce domaine ne soient pas battus en brèche par des mesures fiscales prises en sens contraire.
Monsieur le ministre de l’économie et des finances, je vous ai bien écouté tout à l’heure. Je partage votre propos sur la nécessité d’assurer l’attractivité de notre pays. Toutefois, j’appelle votre attention sur le fait que les mesures fiscales applicables aux entreprises risquent d’avoir un effet déstabilisateur.
Le baromètre Ernst & Young (EY) de l’attractivité de la France, publié lundi dernier, le montre bien : la moitié des investisseurs étrangers souhaitent reporter leurs investissements en France, vu la situation actuelle.
Les changements survenus après la dissolution de l’Assemblée nationale sont en cause, de toute évidence, mais il faut y ajouter l’ensemble des mesures fiscales annoncées, qui contribuent à obérer la lisibilité de la situation.
Soyons-y attentifs, d’autant que le taux de chômage dans notre pays reste supérieur, de presque 1 point, à la moyenne de la zone euro : c’est dire l’effort qu’il nous reste à réaliser pour que les entreprises puissent continuer à recruter.
Or nous sommes nombreux ici à nous accorder autour d’un principe : l’émancipation de nos compatriotes se fera par le travail et par les revenus qu’ils peuvent en tirer.
Au chapitre des économies, il est certain que l’État doit être exemplaire, de façon à pouvoir justifier l’effort qui sera demandé à l’ensemble de nos concitoyens.
Nous devons par exemple œuvrer très activement à la réalisation d’économies sur les dépenses de personnel. Ainsi proposons-nous de ne pas remplacer un départ à la retraite sur quatre pour les fonctions supports, c’est-à-dire celles qui ne nécessitent pas qu’un agent se tienne physiquement devant les usagers – voilà une mesure essentielle.
Nous souhaitons que les économies soient portées aux deux tiers par des réductions de dépenses et au tiers par des recettes fiscales supplémentaires. Aussi formulerons-nous un certain nombre de propositions pour moduler l’effort en ce sens, sachant que le Haut Conseil des finances publiques n’a pas tout à fait la même lecture que le Gouvernement quant à la manière dont l’effort est distribué dans le projet de loi initial.
Nous le disons clairement, ledit effort doit être collectif. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d’accroître la durée du temps de travail. (Marques de désapprobation sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Le ministre des comptes publics l’a rappelé, en France, le temps de travail annuel est inférieur de 132 heures à la moyenne des pays de l’OCDE. Nous partageons ce diagnostic ; le temps de travail doit donc être accru si nous voulons produire davantage et de façon plus efficiente.
L’augmentation de la TVA compte au nombre des propositions qui tranchent dans ce projet de loi de finances ; elle est formulée par le groupe Union Centriste. Nous préférons que l’effort soit assumé par tous…
M. Thierry Cozic. Par les salariés, surtout !
M. Michel Canévet. … plutôt qu’il ne repose sur les seules entreprises, sans quoi s’ensuivra un effet récessif que nous déplorerons à coup sûr. (MM. Patrick Kanner et Pascal Savoldelli s’exclament.)
Il faut selon nous augmenter le taux normal de TVA, qui s’élève aujourd’hui à 20 %, mais conserver le taux réduit de 5,5 % sur les produits de première nécessité et de 10 % sur les travaux de rénovation énergétique. Cette mesure nous paraît logique, vu l’ampleur de l’effort qui nous est demandé.
Les modèles économétriques le révèlent clairement : la TVA est l’impôt dont l’augmentation aurait le moins d’effets récessifs à court et moyen terme – à un an et à cinq ans –, non seulement par rapport à l’impôt sur le revenu ou à la contribution sociale généralisée (CSG), mais aussi par rapport aux transferts sociaux et surtout à l’impôt sur les sociétés. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Le groupe Union Centriste sera aussi particulièrement mobilisé sur le sujet de la lutte contre les fraudes sociale et fiscale, comme il le fut la semaine dernière, lors de l’examen du PLFSS. Il importe que nous puissions avancer en ce domaine.
Tout à l’heure, le rapporteur général a évoqué l’arbitrage de dividendes. Notre groupe défend depuis très longtemps une proposition à ce sujet ; nous souhaitons qu’elle aboutisse enfin, car l’exemplarité est l’affaire de tous.
J’en ai terminé, monsieur le président ; mes collègues compléteront mon propos. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec sincérité et gravité que je m’exprime devant vous. (Ah ! sur les travées du groupe UC.)
En effet, les mots que je prononce s’adressent d’abord à toutes celles et à tous ceux qui subissent dans leur vie les conséquences d’une doctrine qui considère le capitalisme comme indispensable et comme la fin de l’histoire.
C’est aux côtés des victimes de ce système que les sénateurs et les sénatrices du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ont été mobilisés ces dernières semaines.
Permettez-moi de penser aux 7 500 ouvriers qui sont aujourd’hui sur la sellette : ceux de Michelin, de Sanofi, de Vencorex, d’ArcelorMittal. Le nombre de fermetures d’usines atteint en effet un seuil inédit depuis la crise de 2008. Or, à nos yeux, 7 500 ouvriers valent mieux que 70 milliards de dividendes.
Nous pensons également aux conducteurs de bus de la RATP, aux cheminots et aux travailleurs du fret, à qui on impose une privatisation à marche forcée au nom de la concurrence illibérale et faussée.
Nous pensons aux Ultramarins et à la dignité de leur combat face à l’invivable vie chère.
Nous pensons aux petits exploitants, éleveurs et agriculteurs, qui ont compris la trahison des traités de libre-échange, de l’Accord économique et commercial global (Ceta, Comprehensive Economic and Trade Agreement) jusqu’au Mercosur.
Partout dans le pays, jusqu’à la Kanaky, cette multitude de travailleurs, d’agents publics et de familles touchées par la crise du logement a en partage le rejet du libéralisme autoritaire et un intérêt commun au progrès social et écologique.
C’est au cœur de cette froide avalanche de plans sociaux et de fermetures annoncées de services publics locaux que nous débattons d’une situation budgétaire totalement inédite.
En réponse à cet état que je qualifierais de « désharmonie sociale », l’Assemblée nationale a voté 471 amendements.
Ceux-ci, dans leur globalité, visaient à rétablir la justice fiscale et à réduire les inégalités sociales via une majoration des recettes fiscales de 34,4 milliards d’euros, soit une hausse de 10 % des recettes en faveur de l’action publique.
C’était responsable et c’était tout à fait acceptable, messieurs les ministres !
Seulement, comme l’expliquait mon collègue et camarade Pierre Barros, le choix a été fait par les députés d’annihiler ces avancées, à 362 voix contre et 192 voix pour. Nous discutons donc directement du projet de loi dans la version du Gouvernement.
Mais nous ne sommes pas dupes, et les citoyens qui nous écoutent doivent avoir conscience de la stratégie de ce gouvernement : laisser le Sénat débattre et arbitrer ensuite les décisions au moyen du 49.3 et de la commission mixte paritaire, cette dernière se substituant au débat de l’Assemblée nationale.
Par le biais de cet artefact institutionnel, le Gouvernement minoritaire rendra son budget majoritaire, un scénario déjà utilisé lors de l’examen de la réforme des retraites et du projet de loi pour contrôler l’immigration, soit les textes les plus antisociaux et réactionnaires que notre pays ait connus de longue date.
Le Gouvernement porte la responsabilité de ce coup de force institutionnel.
Ce projet de budget s’en prendra aux services publics, aux travailleurs et aux plus vulnérables. Il sous-tend de futures réformes structurelles. Malgré quelques évolutions actées côté recettes, le cap reste le même : c’est celui du piège de la dette, qui nous enferme dans une politique fortement récessive et pèsera sur la consommation populaire et les entreprises.
J’en viens à la partie recettes. Devant le trouble, le désarroi et la colère sociale, vous mettez à contribution les plus riches, les hauts revenus et les grandes entreprises, mais bien sûr de manière temporaire – et avec quelle timidité !
Citons notamment la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR), dont les recettes escomptées seraient de 2 milliards d’euros en 2025, en 2026 et en 2027, ainsi que la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, soit une surtaxe à l’imposition sur les bénéfices, qui ne concerne que les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros – excusez du peu.
Pour rappel, en raison d’un abaissement de 8 points du taux d’imposition sur les bénéfices, nous avons perdu 11 milliards d’euros de recettes fiscales. Or il s’agit précisément de la somme que vous demandez aux collectivités territoriales.
Les bénéfices – écoutez-moi bien – demeureront ainsi moins imposés qu’en 2017, alors qu’ils ont atteint un record de 153 milliards d’euros ! De surcroît, la contribution demandée n’est que temporaire !
Citons enfin la contribution sur les entreprises du secteur maritime…