M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Uzenat, vous m’interrogez sur l’usage des produits phytosanitaires à la suite de la réévaluation du flufénacet. Je rappelle qu’en tant qu’État membre de l’Union européenne nous nous conformons aux autorisations de mise sur le marché (AMM) émises par la Commission européenne – et le dossier dont il est ici question a vocation à « atterrir » au mois de juin 2025. La Commission européenne interdit ou autorise une substance ; lorsqu’une substance est autorisée à l’échelon européen, alors nous pouvons à notre tour en autoriser l’usage dans le cadre d’une AMM délivrée par l’Anses : c’est ainsi que les choses fonctionnent.
La réponse est donc dans la question : si une interdiction est prononcée à l’échelon européen, elle s’applique par construction à la France. Il n’y a pas d’autre possibilité.
Nous avons d’ailleurs été assez clairs, ces dernières années, en matière de suivi des instructions européennes ; on nous a même parfois reproché d’aller plus vite que la musique. Le cas d’espèce que vous soulevez n’est pas une surprise : le flufénacet fait partie des produits phytosanitaires identifiés comme « candidats à la substitution ». Un travail est mené pour rechercher des alternatives, et ce, d’ailleurs, sous forme de nouvel itinéraire technique plutôt que de remplacement pur et simple d’une molécule par une autre : l’idée est que le recours à de nouvelles modalités de culture permettrait de se passer progressivement d’un certain nombre de produits phytosanitaires problématiques.
Comme vous le savez, ces dix dernières années, nous avons supprimé 98 % des produits phytosanitaires classés comme dangereux.
Pour ce qui est des PFAS, je rappelle que, au mois d’avril dernier, un plan interministériel a été lancé par le Gouvernement pour réduire leur utilisation. L’un des volets de ce plan consiste à améliorer la connaissance des PFAS : toutes n’ont pas le même impact environnemental et il faut, dans ce domaine comme dans d’autres, travailler main dans la main avec la science. Parmi les PFAS, on compte des molécules qui entrent dans la composition de médicaments, vétérinaires comme humains, ou d’éléments indispensables à la transition écologique – je pense notamment aux filières aéronautique et automobile.
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, madame la ministre.
La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Vous n’avez répondu qu’à une toute petite partie de ma question, madame la ministre. Concernant le sujet que vous évoquez, nous n’en sommes pas encore au stade de l’interdiction : nous en sommes à la reconnaissance par l’autorité compétente à l’échelon européen du caractère de perturbateur endocrinien du TFA, reconnaissance désormais effective. En Allemagne, les manœuvres ont déjà commencé. Pour ce qui est de la France, il revient maintenant à l’Anses de classer cette molécule comme « pertinente » pour l’eau potable. Or l’Agence a reconnu n’avoir pas été saisie à ce jour d’une demande d’évaluation de ladite pertinence. Avant même de parler d’interdiction européenne, il est donc nécessaire d’activer le principe de précaution.
Je profite de cette discussion pour rappeler qu’une nouvelle fois le Sénat est aux avant-postes, puisqu’il a adopté, au mois de mai dernier, la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux PFAS. Il incombe désormais à l’Assemblée nationale de se prononcer en deuxième lecture. Pouvez-vous nous en dire davantage, madame la ministre, sur le calendrier d’examen de ce texte ?
Je rappelle par ailleurs que le groupe socialiste du Sénat a pris l’initiative de la création d’une commission d’enquête sur la qualité de l’eau en bouteille. En effet, les PFAS touchent non seulement les eaux de surface, mais aussi les eaux minérales. Ainsi aurons-nous l’occasion, madame la ministre, de vous entendre plus avant sur ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit ce soir, la gestion de l’eau, occupera très certainement une part croissante de nos travaux dans les années à venir. La raison en est aussi simple qu’implacable : l’eau constitue l’un des plus puissants marqueurs du changement climatique.
En offrant au Sénat l’occasion de débattre des perspectives pour mieux gérer la ressource, le groupe Les Républicains fait donc à mes yeux œuvre utile et nécessaire.
L’exercice de prospective grandeur nature réalisé par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) au travers du projet Explore2 a dressé un tableau des futurs de l’eau et modélisé des scénarios tendanciels qui nous invitent, sans ambiguïté, à préparer sans tarder notre résilience hydrique.
Deux constats issus de cette étude suffisent à qualifier l’urgence : premièrement, la ressource en eau renouvelable a diminué de 14 % au cours des quinze dernières années ; deuxièmement, il faut s’attendre, en France hexagonale et d’ici à la fin du siècle, à une baisse très significative – de l’ordre de –30 % en moyenne, avec une variation de –50 % à –15 % – des débits estivaux des cours d’eau.
L’été 2024, plutôt clément, ne doit pas nous leurrer : les dynamiques pluviométriques de moyen et long termes sont bel et bien en train d’évoluer et la France ne bénéficiera plus, comme par le passé, de la disponibilité saisonnière de la ressource qu’elle a pu connaître.
Force est de constater que les enjeux hydriques montent à mesure que les nappes phréatiques baissent. Dans ce contexte, anticipation et concertation doivent être les maîtres mots : anticipation, pour éviter que les sécheresses à répétition et les stress hydriques plus intenses ne prennent au dépourvu les territoires les plus fragiles ; concertation, pour prévenir les conflits d’usage qui mettent à mal le vivre ensemble, afin d’élaborer de manière collective un nouveau « contrat social de l’eau ».
Pour relever ces défis, nous disposons de plusieurs outils : d’abord d’un modèle français de gestion de l’eau, copié par de nombreux pays et fondé sur une réalité hydrographique, le bassin versant ; ensuite d’agences de l’eau, puissants organes de mutualisation financière, de solidarité horizontale et d’investissement dans les réseaux et dans la résilience hydrique ; enfin, d’une démocratie de l’eau, qui vit au sein de multiples structures, sans doute trop nombreuses, depuis le comité de bassin jusqu’aux commissions locales de l’eau.
La structure est robuste. Malgré des critiques justifiées, elle a permis à notre pays de traverser plusieurs crises. Il nous faudra néanmoins la consolider face à l’intensité croissante des phénomènes climatiques extrêmes et la rendre plus efficiente encore.
Pour anticiper ces évolutions, le plan Eau consacre une augmentation des moyens destinés à préparer la France à la nouvelle donne climatique.
Le dynamisme budgétaire du plan a connu un coup d’arrêt pour 2025, rigueur oblige, mais il devrait reprendre à compter de 2026 pour atteindre les 475 millions d’euros annoncés en 2023.
À ce titre, on ne peut que déplorer, madame la ministre, le prélèvement sur les recettes des agences de l’eau à hauteur de 130 millions d’euros visant à combler le déficit des comptes publics. Ce prélèvement contrevient au principe selon lequel « l’eau paie l’eau ».
Les moyens dévolus au plan Eau nous permettront de résorber une partie de la fuite des réseaux. Nous ne pouvons plus, en effet, nous permettre de gaspiller une ressource aussi précieuse.
Nous devons être meilleurs dans la réutilisation des eaux usées traitées et dans la sécurisation de l’eau nécessaire à notre souveraineté agricole.
La sobriété des usages doit être élevée au rang de priorité et les acteurs doivent être accompagnés dans leur recherche de performance hydrique accrue.
La facture d’eau doit aussi mieux refléter la rareté de la ressource au travers d’un signal prix repensé et réaffirmé.
Le principe pollueur-payeur doit mieux imprégner notre gestion de l’eau, car il devient de plus en plus complexe et onéreux de traiter les micropolluants nouveaux qui affectent la qualité de la ressource et mettent en danger la biodiversité aquatique.
La conciliation des différents usages de l’eau aux périodes critiques doit être renforcée au travers d’instances de concertation, de modalités de partage équitable entre tous les acteurs et d’un juge de paix en cas de blocage persistant.
À la lumière de ces éléments, mes questions sont donc simples, madame la ministre : quels seront le format et les objectifs de la grande conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ?
Quand sera-t-elle lancée ? Qui y participera et quels seront les débouchés législatifs probables des conclusions de cette grande concertation, qui n’est pas sans rappeler les Assises de l’eau ou encore le Varenne agricole de l’eau ?
Sachez que le Sénat, comme toujours lorsqu’il s’agit de l’intérêt des territoires, sera particulièrement attentif à ce que cette conférence ne soit pas une énième séquence où chacun s’épanche sans que rien de tangible en ressorte pour les territoires.
Il est en effet de notre devoir d’apporter des réponses concrètes aux défis auxquels sont confrontées les collectivités et aux problèmes que doivent résoudre les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Chevrollier, l’ambition du plan Eau n’a pas été réduite.
Vous avez raison de mentionner le prélèvement de 130 millions d’euros, non pas sur les recettes, mais sur la trésorerie des agences de l’eau. Vous aurez l’occasion d’en discuter lors du débat budgétaire, mais les douzièmes programmes des agences intègrent bien toutes les actions du plan Eau.
La conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre ne sera pas une grande conférence centralisée de plus, sur le modèle des Assises de l’eau ou du Varenne agricole de l’eau. Elle aura pour objectif de décliner localement, dans les bassins, les grands enjeux de la gestion de l’eau, autour de thématiques communes comme la tarification, la quantité ou encore la gouvernance.
Les territoires pourront également se saisir eux-mêmes de thématiques spécifiques. Ainsi, on peut imaginer que dans les zones littorales, la question de l’usage de l’eau salée et de la désalinisation viendra nourrir les débats, en complément de celles qui seront liées à l’eau douce.
Nous avons pour objectif de lancer la conférence nationale au moment du soixantième anniversaire de la loi sur l’eau du 16 décembre 1964, soit vers la mi-décembre.
Les débats territoriaux – véritable apport de cette conférence – seront organisés au niveau de chaque bassin à partir du mois de janvier et s’égrèneront tout au long du semestre, pour aboutir à des propositions d’ajustements législatifs ou d’actions concrètes pour aller encore plus loin.
Ils permettront d’aborder les questions que vous avez évoquées – la gouvernance, la mobilisation des PTGE sur l’ensemble du territoire ou encore la tarification de l’eau – et auxquelles il nous faut, en priorité, apporter des réponses.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si cet été a été particulièrement pluvieux, les signes de tension hydrique se sont multipliés ces dernières années, mettant en lumière l’urgence d’une gestion de l’eau adaptée aux défis de demain.
Notre climat tempéré, historiquement généreux en pluies, semble aujourd’hui ne plus suffire à garantir une ressource en eau abondante et accessible pour tous.
Ce sujet me tient particulièrement à cœur, car j’ai eu l’honneur d’être la corapporteure, aux côtés notamment de mes collègues Cécile Cukierman et Jean Sol, d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective remis en novembre 2022 et intitulé Comment éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau en France.
Ensemble, nous avons examiné la situation actuelle et exploré les pistes pour l’avenir. Celles-ci doivent permettre à la France de faire face aux enjeux grandissants liés à la gestion de cette ressource précieuse.
Le changement climatique bouleverse notre cycle de l’eau : les précipitations irrégulières, les sécheresses prolongées ou encore les crues soudaines sont autant d’événements qui deviennent la norme et fragilisent l’équilibre naturel de nos réserves.
Ce constat est bien entendu préoccupant, mais des solutions existent : avec des efforts notables, une gestion plus durable de la ressource est possible.
Ainsi, si nous devons repenser notre gestion de l’eau, il nous faudra revoir notre rapport à cette dernière.
Dans la continuité des recommandations de notre rapport, plusieurs solutions, je le répète, se dessinent pour anticiper les tensions et garantir une gestion de l’eau plus sereine.
Envisager des retenues d’eau multi-usages pour capter les précipitations hivernales pourrait aider, par exemple, à pallier le manque d’eau en été.
Investir dans des solutions naturelles comme la restauration des zones humides, des prairies et des forêts renforcerait la recharge des nappes phréatiques et limiterait le ruissellement.
Encourager la recherche et l’innovation permettrait encore de réutiliser les eaux usées traitées.
Par ailleurs, notre agriculture est indissociable de ce processus. En effet, ce secteur essentiel pour notre économie et notre souveraineté alimentaire absorbe près des deux tiers de notre ressource en eau, ce qui en fait un acteur clé dans la gestion durable de cette ressource.
Bien que des techniques avancées comme le goutte-à-goutte soient encouragées pour améliorer l’efficacité de l’irrigation, il est nécessaire – j’insiste sur ce point – de repenser les systèmes de culture pour réduire durablement la consommation d’eau.
Évidemment, les changements impliquent des efforts financiers. L’augmentation des budgets des agences de l’eau permettrait de renforcer la résilience collective de nos territoires et de soutenir davantage les projets d’infrastructure et de préservation de l’eau.
Enfin, mes chers collègues, n’oublions pas le rôle fondamental de l’éducation. En tant qu’ancien professeur, je mesure l’importance de l’apprentissage pour préparer notre société de demain.
La sensibilisation des publics de tous âges à la valeur de l’eau et à sa préservation est essentielle. En mobilisant chaque citoyen, nous pourrons construire un modèle de gestion de l’eau capable de répondre aux défis futurs.
Notre responsabilité est d’assurer à nos territoires un accès durable à l’eau, aujourd’hui et pour les décennies à venir, afin que les générations actuelles et futures ne connaissent pas la pénurie.
Le tableau est complexe, mais non apocalyptique. La France peut gérer son eau avec intelligence et anticipation, à condition de mettre en œuvre les transformations nécessaires et de prendre des décisions courageuses.
Les recommandations de notre rapport sénatorial offrent une feuille de route ambitieuse, mais réaliste, pour atteindre cet objectif.
Ensemble, œuvrons pour un avenir où l’eau restera une ressource accessible à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Belrhiti, il y a de telles résonances entre le plan Eau et votre rapport que l’on pourrait penser que le premier s’inspire du second.
Le plan Eau contient une enveloppe spécifique de 30 millions d’euros pour la modification des pratiques agricoles. Je pense notamment au développement d’un usage plus sobre de l’irrigation grâce, par exemple, aux pratiques de goutte-à-goutte.
Vous avez soulevé par ailleurs, en fin de propos, une question essentielle, qui a pourtant été peu évoquée dans ce débat : celle de l’éducation et de l’information des agriculteurs.
C’est essentiel au moment de l’installation, car les jeunes sont en attente d’un accompagnement pour mieux prendre en compte le dérèglement climatique et développer un projet soutenable dans la durée.
De même, en matière de gestion de l’eau, si les infrastructures doivent rassurer les agriculteurs sur leur capacité à faire, il faut aussi accompagner ces derniers dans l’évolution de leurs propres pratiques.
Je pointe ici l’agriculture, car elle est au cœur de l’actualité, mais les enjeux sont similaires dans bien d’autres secteurs comme l’industrie, où nous n’en sommes qu’au début en matière de réutilisation par exemple.
À cet égard, un certain nombre de pays qui ont été exposés plus tôt que nous à des pénuries d’eau nous montrent le chemin. En Espagne ou en Israël, chaque goutte d’eau est précieusement réinjectée dans le système, de telle sorte que rien ne se perde. C’est une approche que nous devons probablement ancrer en France.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Au cours de ce débat, de nombreux points ont été abordés et je n’y insisterai pas.
Vous l’aurez compris : j’inscris mes pas dans ceux de mon prédécesseur, Christophe Béchu, qui a lancé le plan Eau et qui en a fait un objet politique très complet. Je souhaite que nous puissions matérialiser ses avancées mois par mois, semestre après semestre.
Cinq chantiers me semblent prioritaires.
Le premier est la protection des points de captage d’eau potable. À partir du moment où une molécule comme le TFA est considérée comme problématique, il devient pertinent de l’intégrer dans le suivi de la qualité des eaux potables. Seule la démonstration inverse – celle de son absence de nocivité – peut justifier de ne pas la suivre.
Je veux rappeler qu’un tiers des points de captage ont été abandonnés ces quarante dernières années en raison d’une qualité des eaux insuffisante.
Certaines agglomérations de plusieurs centaines de milliers d’habitants ne dépendent que d’un seul et même point de captage. On peut donc imaginer qu’un incident ou une pollution à bas bruit puisse mettre en difficulté ces collectivités. Ce sujet préoccupe un certain nombre d’élus d’intercommunalités.
Aussi, l’objectif est d’améliorer nos connaissances sur ces pollutions et d’agir pour les réduire.
À cet égard, trois éléments sont attendus dans le droit fil du plan Eau et de la stratégie Écophyto : un arrêté de définition des points de captage sensibles, un guide à destination des préfets comportant des règles de gestion en fonction des différents cas de figure, et des outils financiers d’accompagnement de changement des pratiques.
Le deuxième chantier est la mise en œuvre du plan d’action pour l’eau et l’assainissement dans les territoires ultramarins, que nous avons évoqué avec Mme Phinera-Horth.
Le troisième chantier, la gestion quantitative de la ressource en eau, a été largement enrichi par vos travaux, mesdames, messieurs les sénateurs, en particulier par ceux de la mission d’information sénatoriale sur la gestion durable de l’eau, présidée par Rémy Pointereau et dont Hervé Gillé était le rapporteur.
Notre stratégie repose sur un usage plus sobre de la ressource, sur l’optimisation de sa disponibilité et sur une meilleure gestion des périodes de sécheresse.
À cet égard, l’objectif est clair : mieux partager la ressource dans le contexte du changement climatique. Certains agriculteurs qui n’irriguent pas aujourd’hui auront besoin, demain, en effet, de recourir à l’irrigation. C’est le cas par exemple dans mon territoire du Pas-de-Calais, qui a connu en 2023, avant les inondations de cette année, un épisode de sécheresse.
Il faut donc anticiper ces besoins d’irrigation et adopter d’emblée les bonnes pratiques.
C’est pourquoi, en parallèle des mesures du plan Eau visant à stabiliser les volumes consacrés à l’irrigation, des réserves de substitution pourront être construites dans les territoires qui sont structurellement en déséquilibre.
Dans ces territoires, les ouvrages de substitution devront s’inscrire, je le répète, dans une démarche de PTGE ou de schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).
Le quatrième chantier, le financement du plan Eau, a été évoqué à fleurets mouchetés au cours de ce débat. Pour atteindre l’objectif d’un financement à hauteur de 1,95 milliard d’euros, nous travaillons, dans une logique d’équilibre et de pragmatisme, sur une évolution de la redevance pour pollution diffuse.
Enfin, le cinquième et dernier chantier est l’organisation de la conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre. Je vous en ai décrit à l’instant les principales caractéristiques.
J’en terminerai en réaffirmant mon souhait de continuer à œuvrer – je rencontre d’ailleurs très prochainement les présidents de comité de bassin – avec l’ensemble des instances de gouvernance de la ressource en eau.
Cette gestion et cette gouvernance de l’eau nous sont enviées mondialement. J’ai pu le constater lorsque nous avons accueilli à Bordeaux la 12e assemblée générale mondiale du Réseau international des organismes de bassin (RIOB), consacrée à la gestion de l’eau par bassin.
Dans le cadre du One Water Summit qui se tiendra à Riyad le 3 décembre prochain en marge de la COP16 de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, nous présenterons un plaidoyer autour de ces sujets.
Notre objectif est aussi de contribuer à l’amélioration de la gouvernance mondiale de l’eau et d’accélérer l’action sur l’objectif de développement durable « eau propre et assainissement », en nous appuyant sur l’élan de la Conférence des Nations unies sur l’eau de 2023.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que le groupe Les Républicains ait été à l’origine de ce débat sur la gestion de l’eau, un sujet majeur pour notre avenir.
La richesse de nos échanges témoigne de l’importance de cette thématique.
L’eau, c’est la vie. Sans cette eau nécessaire à l’alimentation humaine comme à la biodiversité animale et végétale, l’espérance de vie est limitée sur Terre.
En raison du changement climatique, nous subissons des sécheresses et des inondations à répétition, qui, nous l’avons vu en Espagne, sont souvent dramatiques.
En cette année 2024, la pluviométrie n’a jamais été aussi abondante depuis l’an 2000 – si l’on excepte les Pyrénées-Orientales, mon cher Jean Sol (Sourires.) – et les nappes phréatiques sont à leur plus haut niveau.
Cet état des ressources n’est peut-être qu’un répit, mais cette situation favorable doit nous permettre de relativiser les prédictions de catastrophes planétaires liées à la pénurie d’eau.
Il faut donc anticiper et faire preuve de pragmatisme pour nous adapter au changement climatique : retenir l’eau quand elle est abondante afin de l’utiliser l’été, créer des bassins d’orage, rehausser les barrages existants pour écrêter les crues et faire face aux inondations.
Mon collègue Hervé Gillé et moi-même avons récemment présenté un rapport sur la gestion durable de l’eau et nous lançons aujourd’hui, avec Jean-Yves Roux, une mission d’information spécifique sur la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
Vous voyez qu’au Sénat nous traitons toutes les facettes du problème, qu’il s’agisse du manque ou de l’excès d’eau. Nous avons formulé, d’ailleurs, un certain nombre de propositions.
J’en viens à la gouvernance de l’eau.
Les agences de l’eau ont fait leurs preuves depuis 1964 et jusqu’à ces dernières années. Fondées sur une gestion décentralisée respectant l’un des principes clés de la gestion environnementale, la subsidiarité, elles ont permis de lutter contre la pollution et de concilier les besoins en eau des collectivités locales, de l’agriculture et de l’industrie.
Malheureusement, la politique de l’eau est devenue illisible et complexe. Aux agences de l’eau et comités de bassin s’ajoutent en effet désormais les Sage, les Sdage, les CLE, les Épage, les PTGE et autres Papi.
Le préfet coordonnateur de bassin, qui représente l’État au sein de ces instances, surveille et coordonne l’action des bassins, tandis que le Comité national de l’eau (CNE) donne un avis consultatif sur les actions engagées.
Dans ce véritable labyrinthe crétois, identifier l’acteur qui prend réellement les décisions n’est pas chose aisée.
Cette organisation complexe et chronophage est devenue d’autant plus technocratique qu’elle mobilise bien trop d’acteurs.
Aux côtés des acteurs présents parce qu’élus, on trouve en effet pléthore d’acteurs nommés, d’experts ou d’associations, qui n’aident pas toujours à la compréhension du fonctionnement des agences de l’eau.
Cet ensemble, n’ayons pas peur de le dire, sème le doute sur la capacité des élus, des collectivités ou des chambres consulaires à gérer la politique de l’eau et remet en question leur légitimité.
J’ajoute que les financements sont très variables en fonction des agences. Les actions des collectivités en matière d’eau et d’assainissement sont souvent financées par les fonds issus de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) plutôt que par les agences de l’eau, qui s’appliquent à imposer une réglementation technocratique et préfèrent financer une multitude d’études parfois inutiles.
Pour mieux gérer la ressource, une simplification du labyrinthe s’impose.
En ce qui concerne la gestion quantitative de l’eau, nous devons bien évidemment prioriser l’accès à l’eau potable, puis notre souveraineté alimentaire.
Pour ce qui est de l’accès à l’eau potable, le constat est sans appel : le volume d’eau perdue à cause des réseaux d’eau potable fuyards s’élève à 1 milliard de mètres cubes par an.
Il est urgent de mobiliser les moyens nécessaires pour assumer nos responsabilités dans ce domaine. L’ampleur de cette perte, que l’on peut rapprocher de l’indispensable indépendance alimentaire, relativise le tollé de nos amis écologistes radicaux. (M. Ronan Dantec manifeste son incrédulité.)
En effet, elle équivaut à 2 000 réserves de substitution de 500 000 mètres cubes, soit l’équivalent de 500 000 hectares à irriguer. (M. Ronan Dantec s’exclame.) Or le niveau d’irrigation des cultures en France est assez modeste, puisque 6,8 % seulement des cultures sont irriguées.
Nous pourrions également encourager la réutilisation des eaux usées traitées et renforcer l’interconnexion des réseaux, afin de sécuriser l’alimentation en eau potable.
Vous le voyez, madame la ministre, les enjeux relatifs à l’eau sont nombreux. C’est pourquoi, comme je l’avais recommandé dans un rapport en 2015, nous avons besoin d’une nouvelle mouture de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite loi Lema.
Cette « Lema 2 » modernisée et ambitieuse pourrait tenir compte des nouvelles réalités en matière de financement, de gouvernance et de changement climatique, et traduire un effort de simplification.
C’est d’ailleurs ce qu’a appelé de ses vœux le Premier ministre Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale.
La France doit relever le défi d’une gestion de l’eau durable et tournée vers l’avenir. Travaillons ensemble pour faire de cette politique de l’eau une priorité, sans idéologie, sans dogmatisme, mais avec pragmatisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)