Pour relever ce défi, cinq conditions me paraissent essentielles.
Premièrement, il faut évaluer.
Il est impératif de disposer d’une connaissance la plus fine possible de la ressource en eau souterraine et superficielle sur tous nos territoires de plaine, de demi-montagne et de haute montagne. Tous les moyens de prospection et de recherche doivent être mis en œuvre à cet effet.
Deuxièmement, il faut protéger.
Après avoir évalué la quantité disponible, il est essentiel d’assurer la qualité de l’eau selon les usages envisagés : les normes requises sont différentes selon que l’eau est destinée à la consommation humaine, à l’assainissement, à l’irrigation, au stockage, aux loisirs, au thermalisme, etc. Dans une optique d’anticipation des périodes de sécheresse futures, des mesures s’imposent visant la sobriété pour tous les usages.
Troisièmement, il faut rationaliser.
Les rendements des captages et des réseaux d’eau doivent être sécurisés. À l’heure actuelle, les fuites et les déperditions représentent en moyenne 40 % des pertes ; voilà qui n’est pas acceptable en période de sécheresse et de restriction. Il est paradoxal de solliciter économies et rationalisation quand le rendement est si déficitaire. Aussi des efforts doivent-ils porter sur le diagnostic des réseaux et sur la programmation des travaux nécessaires pour colmater les fuites et optimiser le rendement.
Quatrièmement, il faut connecter.
Après avoir évalué, protégé et rationalisé, il convient de partager équitablement la ressource, selon un principe de solidarité, entre les syndicats existants et les communes ou territoires dont les ressources en eau sont insuffisantes. Les solutions sont d’abord locales : elles naissent de l’engagement et de la collaboration des différents acteurs concernés d’un territoire.
Par exemple, dans mon département, un pacte territorial conclu entre un gestionnaire d’eau potable et la société Volvic, acteur privé que chacun connaît, permet de sécuriser la ressource en eau potable et de compléter les actions de sobriété et d’efficience des collectivités. Mais cette solidarité peut et doit s’exprimer sans écarter la libre administration des collectivités locales. C’est là, du reste, tout le – bon – sens de la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », texte dont la disposition essentielle, à savoir la suppression du caractère obligatoire du transfert desdites compétences des communes vers les intercommunalités, a été reprise ici même par le Premier ministre.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. Cinquièmement, il faut stocker.
Les événements climatiques récents, à savoir les fortes inondations de l’année 2024 consécutives à trois années de sécheresse, devraient conduire, à mon sens, à engager une démarche de stockage de l’eau. Il y va de la simple logique : une telle politique relève du bon sens paysan. Notre ambition à cet égard doit être d’anticiper les effets du changement climatique par un stockage en période de hautes eaux, car on sait depuis plusieurs années que les périodes de sécheresse sont plus fréquentes et plus longues et les épisodes de pluie plus répétés et plus violents.
Les retenues collinaires, voire les bassines, et pourquoi pas les mégabassines – jusqu’à présent, personne n’en a parlé,…
M. Ronan Dantec. Si, si !
M. Jean-Marc Boyer. … mais ce terme n’est pas tabou… –, permettent de stocker l’eau de pluie, peuvent prévenir les inondations et limitent l’érosion des sols.
Après avoir évalué, protégé, rationalisé, connecté et stocké, nous devons tous agir en responsabilité et en solidarité et être très attentifs au coût final payé par le consommateur.
Le défi du changement climatique a des impacts sur tous nos usages. Il impose de faire évoluer nos pratiques, de déployer différentes solutions complémentaires, d’améliorer à la fois la sobriété de nos usages et notre résilience face à l’évolution de la ressource. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Boyer, vous avez décrit par le menu la politique que nous devons mener ; je vais donc avoir du mal ne serait-ce qu’à compléter votre propos ! (Sourires.)
M. Laurent Burgoa. Il faut le nommer ministre ! (Nouveaux sourires. – M. Rémy Pointereau renchérit.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je ne peux que le commenter.
J’ai déjà évoqué le sujet des PTGE et celui des retenues collinaires. Pour ce qui est des bassines, nous les appelons « retenues de substitution ». (M. Ronan Dantec fait la moue.) La terminologie permet parfois de mettre du liant entre les acteurs…
M. Ronan Dantec. « Bassines » ou « retenues de substitution », c’est du pareil au même…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Ce qui importe, c’est la manière dont ces ouvrages jouent sur le cycle de l’eau : il faut bien s’assurer, d’une part, que l’usage de l’eau ainsi stockée fait l’objet d’un juste partage et, d’autre part, que l’impact de la constitution de cette ressource sur le cycle de l’eau n’est pas de nature à dérégler ledit cycle ou à accroître la vulnérabilité du territoire concerné. Cette dernière question mérite bel et bien une analyse fouillée, mais, dans l’absolu, il ne faut pas avoir de tabou, s’agissant d’infrastructures qui nous permettent d’augmenter notre niveau de résilience en matière d’accès à l’eau.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (M. Ludovic Haye applaudit.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat inscrit à notre ordre du jour par le groupe Les Républicains nous conduit à nous interroger sur la gestion de l’eau : comment préserver cette ressource ?
Je me félicite que nous puissions débattre de ce sujet. Cette thématique nous oblige, en tant que citoyens, mais surtout en tant que législateur. Il n’est pas vain de rappeler combien la gestion de l’eau est vitale, non seulement pour l’avenir de notre planète, mais aussi pour celui de l’espèce humaine. L’eau est en effet une ressource indispensable pour notre santé, pour nos écosystèmes, pour notre agriculture et pour notre économie. Mais, trop souvent, nous prenons cette ressource pour acquise. En plus, nous la croyons éternelle…
Débattant de ce sujet, nous ne saurions faire l’économie de la question du changement climatique. L’accès à l’eau et la gestion de cette ressource demeurent des enjeux majeurs dans le contexte du réchauffement climatique.
D’année en année, nous constatons avec effroi les répercussions sur l’eau dudit réchauffement. Pourtant, les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’ont cessé de nous rappeler que « chaque degré supplémentaire de réchauffement de la planète accroîtrait encore les risques de sécheresse et d’inondation, ainsi que les dommages sociétaux qui en découlent ».
C’est ainsi que les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations et les sécheresses, sont de plus en plus fréquents et intenses. J’en veux pour preuve la fermeture actuelle de plusieurs écoles en Guyane : en raison de la sécheresse et d’un niveau exceptionnellement bas du fleuve Maroni, les embarcations qui transportent les élèves ne peuvent plus circuler. Les habitants du Maroni sont ravitaillés grâce à un pont aérien mis en place par l’armée.
Cet été encore, près de quarante départements ont été concernés par des mesures de restriction d’eau, la sécheresse ayant épuisé les ressources en eau plus tôt que d’habitude. Dans le sud-est de la France comme en Bretagne, région habituellement épargnée, on a ainsi observé une baisse significative du niveau des nappes phréatiques.
Nous devons être lucides : les besoins en eau dépassent très régulièrement notre capacité d’approvisionnement et ce phénomène n’est pas près de s’inverser.
Selon de nombreuses études, il apparaît qu’à l’horizon 2050 les débits annuels moyens pourraient diminuer de 10 % à 40 % ; la vitesse de recharge des nappes de 10 % à 25 %, tandis que l’humidité du sol devrait elle aussi être moindre.
La préservation de cette ressource est plus que jamais une priorité absolue. Nous en sommes tous conscients, il convient de faire évoluer nos habitudes, en matière de réutilisation notamment, pour améliorer la gestion de l’eau.
Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour pour optimiser l’usage de cette précieuse ressource. Mes collègues de la commission du développement durable Rémy Pointereau et Hervé Gillé recommandaient ainsi, dans le rapport de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, de renforcer les systèmes de réutilisation des eaux usées afin de répondre aux besoins du monde agricole et des industriels.
En effet, selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, dont moins de 1 milliard seulement sont réutilisés. En France, 99 % des eaux usées sont rejetées dans le milieu naturel après leur passage en station d’épuration. Le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau a ainsi prévu la réalisation de 10 % d’économies d’eau d’ici à 2030. À cet égard, la réutilisation des eaux est cruciale ; elle rendra la gestion de cette ressource plus résiliente dans les domaines de l’industrie et de l’agriculture ainsi que dans les usages du quotidien. Madame la ministre, quelles sont les politiques prévues pour atteindre cet objectif ?
Je veux également évoquer la nécessité d’améliorer la gestion des réseaux d’eau. L’ancienne présidente de communauté d’agglomération que je suis connaît les conséquences des fuites d’eau, qui sont principalement provoquées par le vieillissement de nos infrastructures. Chaque année, près de 1 milliard de mètres cubes d’eau sont perdus, soit l’équivalent de 20 % de la production nationale d’eau potable. Autrement dit, pour cinq litres d’eau mis en distribution, un litre retourne directement au milieu naturel sans passer par le consommateur.
Aussi, en tant qu’ultramarine, ne puis-je aborder cette question des réseaux de distribution sans avoir une pensée pour mes compatriotes guadeloupéens. Depuis des mois, une partie des habitants de leur île est privée d’accès à l’eau du robinet à cause de l’état désastreux des réseaux. À maintes reprises, mes collègues guadeloupéens ont interpellé le Gouvernement sur cette question.
Je vous demande, madame la ministre, de soutenir financièrement l’ensemble des collectivités et des syndicats mixtes, particulièrement en zone rurale, dans la perspective d’une amélioration des réseaux de distribution. Quels engagements pouvez-vous prendre en la matière ?
Il ne fait aucun doute que les initiatives engagées en vue d’une telle amélioration, bien qu’elles démontrent notre volonté d’innover, ne parviendront pas à elles seules à stopper l’hémorragie. Mes chers collègues, j’estime que désormais chaque goutte compte. Il est crucial de renforcer les campagnes de sensibilisation menées auprès du grand public, et surtout à destination de la jeune génération. La rareté de l’eau nous impose de changer de paradigme ; chacun, où qu’il se trouve, doit jouer un rôle dans la préservation de cette ressource vitale. (MM. Ludovic Haye et Pierre Jean Rochette applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Phinera-Horth, les territoires ultramarins doivent bel et bien être traités comme des priorités absolues. Les difficultés que nous rencontrons dans l’Hexagone sont en effet plus fortes et plus marquées encore dans ces territoires : à Mayotte, où nous traversons une crise épouvantable d’accès à l’eau potable ; en Guyane, où il y a tantôt trop d’eau, tantôt pas assez, et où, sous l’effet des marées, le biseau salin fragilise périodiquement l’accès à l’eau, rendant inopérants une partie des captages ; en Guadeloupe, où l’état des réseaux est tel que les pertes d’eau sont évaluées non pas à 20 %, mais à plus de 60 %. Et je pourrais multiplier les exemples…
C’est dans ce contexte que les précédents gouvernements ont engagé un plan Eau pour les départements d’outre-mer, assorti de moyens financiers qui continuent d’être déployés. De manière générale, nous souhaitons, avec mon collègue François-Noël Buffet, renforcer la prise en compte des territoires ultramarins. Tel sera du reste l’un des enjeux du prochain comité interministériel des outre-mer : pour répondre à un certain nombre de besoins élémentaires – eau, assainissement, déchets, électricité –, il y a une véritable transformation à opérer dans ces territoires.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup l’ont dit avant moi, les tensions politiques et sociales s’exacerbent sur le sujet de l’eau depuis maintenant de nombreuses années, car cette ressource va devenir de plus en plus rare. En France, la quantité d’eau renouvelable disponible a baissé de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018. Nous avons perdu 32 milliards de mètres cubes d’eau ; nous pourrions en perdre 50 milliards supplémentaires dans les années qui viennent, sous l’effet du réchauffement climatique.
Se pose également la question centrale – j’y reviendrai – de la qualité de l’eau, qui a des incidences pour nos concitoyens et pour les acteurs économiques. Avec mes collègues Brigitte Devésa et Lauriane Josende, nous avons rendu un rapport d’information sur les entreprises et le climat dans lequel nous pointons en particulier le caractère crucial de ce sujet pour l’agriculture comme pour l’industrie.
Notre collègue vient d’évoquer la réutilisation des eaux usées traitées : on avance, mais, là aussi, avec beaucoup trop de retard. On l’a dit, les tensions sont légion. Il faut pacifier les débats, les apaiser ; il faut, en d’autres termes, plus de démocratie et plus de dialogue, et des moyens à la hauteur. En Bretagne, nous avons installé une assemblée bretonne de l’eau, contre-modèle de Sainte-Soline. Il faut mettre en œuvre ce genre d’initiatives à tous les échelons, des commissions locales de l’eau jusqu’au plan national.
En Bretagne, chacun le sait, la situation est particulière : 75 % de l’eau potable provient d’eaux de surface, soit le double du niveau national. Par ailleurs, la Bretagne est en partie composée d’îles, autre singularité importante.
Pour ce qui concerne la qualité de l’eau, madame la ministre, je souhaite aborder le sujet des polluants éternels, déjà évoqué notamment par notre collègue Ronan Dantec.
M. Grégory Blanc. Bravo !
M. Simon Uzenat. En la matière, les inquiétudes sont très fortes, concentrées depuis quelques heures sur une molécule, l’acide trifluoroacétique (TFA), issu de la dégradation du flufénacet.
Cette affaire suscite beaucoup d’interrogations. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne semble pas avoir été saisie, alors même que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) reconnaît le flufénacet comme perturbateur endocrinien et que l’Allemagne et la Commission européenne ont pris les devants. Qu’en est-il, madame la ministre ?
Nos collègues Hervé Gillé et Rémy Pointereau, dans leur rapport intitulé Pour une politique de l’eau ambitieuse, responsable et durable, ont rappelé que le coût de la prévention était trois fois moins élevé que celui du traitement. Et le Sénat a adopté, au mois de mai dernier, la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Qu’en est-il du calendrier d’examen de cette proposition de loi ? Quid en particulier de la mise en œuvre du principe pollueur-payeur et notamment de son application aux firmes pétrochimiques ?
Les collectivités locales, en ce domaine également, sont à la manœuvre. Je prends l’exemple breton : le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) de la région Bretagne réaffirme bien l’objectif de « zéro phyto » à l’horizon 2040. La Bretagne s’est positionnée comme région volontaire sur le sujet et des territoires d’expérimentation y ont été mis en place. Pour autant, madame la ministre, les annonces récentes de votre gouvernement, comme celles qui ont été faites par la Commission européenne dans le cadre du Pacte vert, ne laissent pas d’inquiéter. Derechef, qu’en est-il ?
Quant au dossier des algues vertes, il suscite lui aussi beaucoup d’interrogations. La région Bretagne a réaffirmé sa volonté d’être aux côtés de l’État pour le copiloter et pour cofinancer les projets de territoire des huit baies concernées. En 2025, nous serons à mi-parcours du plan de lutte contre la prolifération des algues vertes (Plav), qui comprend un volet destiné aux agriculteurs : des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) ont été mises en place et, dans ce cadre, des programmes d’actions volontaires ont été lancés. Là aussi, de nombreuses interrogations demeurent. Quelles sont les intentions de l’État ? Nous avons besoin en effet d’un État qui soit à la hauteur, c’est-à-dire de moyens et d’agents de contrôle. Quelle est la volonté du Gouvernement ?
J’en viens à l’assainissement, collectif et non collectif – beaucoup de collègues ont évoqué ce sujet. Il a en particulier des incidences, pour ce qui concerne la Bretagne, sur les activités conchylicoles. La région, là aussi, a pris ses responsabilités, finançant neuf opérations pour un total de 120 équipements en 2024. En 2025, nous souhaitons aller plus loin en matière de soutien à l’assainissement non collectif afin d’accompagner notamment les foyers les plus modestes via un financement public assuré par la région et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) couvrant 100 % de la dépense. Mais il y faudra des moyens financiers, madame la ministre !
Cette préoccupation financière a été exprimée par de nombreux collègues ; je m’en fais à mon tour le porte-parole, au nom des collectivités, des agences de l’eau, des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et autres syndicats. Nous avons des interrogations très fortes sur le financement du grand cycle de l’eau et des politiques en faveur des trames bocagères et de la haie, alors que les annonces budgétaires paraissent aller à contre-courant de ce qu’il conviendrait de faire.
Madame la ministre, vous semblez avoir pris des engagements auprès des collectivités en matière de financement des réseaux d’eau potable et d’eaux usées et de l’assainissement collectif et non collectif ; mais nous restons extrêmement vigilants. Pouvez-vous nous en dire davantage ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Uzenat, vous m’interrogez sur l’usage des produits phytosanitaires à la suite de la réévaluation du flufénacet. Je rappelle qu’en tant qu’État membre de l’Union européenne nous nous conformons aux autorisations de mise sur le marché (AMM) émises par la Commission européenne – et le dossier dont il est ici question a vocation à « atterrir » au mois de juin 2025. La Commission européenne interdit ou autorise une substance ; lorsqu’une substance est autorisée à l’échelon européen, alors nous pouvons à notre tour en autoriser l’usage dans le cadre d’une AMM délivrée par l’Anses : c’est ainsi que les choses fonctionnent.
La réponse est donc dans la question : si une interdiction est prononcée à l’échelon européen, elle s’applique par construction à la France. Il n’y a pas d’autre possibilité.
Nous avons d’ailleurs été assez clairs, ces dernières années, en matière de suivi des instructions européennes ; on nous a même parfois reproché d’aller plus vite que la musique. Le cas d’espèce que vous soulevez n’est pas une surprise : le flufénacet fait partie des produits phytosanitaires identifiés comme « candidats à la substitution ». Un travail est mené pour rechercher des alternatives, et ce, d’ailleurs, sous forme de nouvel itinéraire technique plutôt que de remplacement pur et simple d’une molécule par une autre : l’idée est que le recours à de nouvelles modalités de culture permettrait de se passer progressivement d’un certain nombre de produits phytosanitaires problématiques.
Comme vous le savez, ces dix dernières années, nous avons supprimé 98 % des produits phytosanitaires classés comme dangereux.
Pour ce qui est des PFAS, je rappelle qu’au mois d’avril dernier un plan interministériel a été lancé par le Gouvernement pour réduire leur utilisation. L’un des volets de ce plan consiste à améliorer la connaissance des PFAS : toutes n’ont pas le même impact environnemental et il faut, dans ce domaine comme dans d’autres, travailler main dans la main avec la science. Parmi les PFAS, on compte des molécules qui entrent dans la composition de médicaments, vétérinaires comme humains, ou d’éléments indispensables à la transition écologique – je pense notamment aux filières aéronautique et automobile.
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, madame la ministre.
La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Vous n’avez répondu qu’à une toute petite partie de ma question, madame la ministre. Concernant le sujet que vous évoquez, nous n’en sommes pas encore au stade de l’interdiction : nous en sommes à la reconnaissance par l’autorité compétente à l’échelon européen du caractère de perturbateur endocrinien du TFA, reconnaissance désormais effective. En Allemagne, les manœuvres ont déjà commencé. Pour ce qui est de la France, il revient maintenant à l’Anses de classer cette molécule comme « pertinente » pour l’eau potable. Or l’Agence a reconnu n’avoir pas été saisie à ce jour d’une demande d’évaluation de ladite pertinence. Avant même de parler d’interdiction européenne, il est donc nécessaire d’activer le principe de précaution.
Je profite de cette discussion pour rappeler qu’une nouvelle fois le Sénat est aux avant-postes, puisqu’il a adopté, au mois de mai dernier, la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux PFAS. Il incombe désormais à l’Assemblée nationale de se prononcer en deuxième lecture. Pouvez-vous nous en dire davantage, madame la ministre, sur le calendrier d’examen de ce texte ?
Je rappelle par ailleurs que le groupe socialiste du Sénat a pris l’initiative de la création d’une commission d’enquête sur la qualité de l’eau en bouteille. En effet, les PFAS touchent non seulement les eaux de surface, mais aussi les eaux minérales. Ainsi aurons-nous l’occasion, madame la ministre, de vous entendre plus avant sur ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit ce soir, la gestion de l’eau, occupera très certainement une part croissante de nos travaux dans les années à venir. La raison en est aussi simple qu’implacable : l’eau constitue l’un des plus puissants marqueurs du changement climatique.
En offrant au Sénat l’opportunité de débattre des perspectives pour mieux gérer la ressource, le groupe Les Républicains fait donc à mes yeux œuvre utile et nécessaire.
L’exercice de prospective grandeur nature réalisé par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) au travers du projet Explore 2 a dressé un tableau des futurs de l’eau et modélisé des scénarios tendanciels qui nous invitent, sans ambiguïté, à préparer sans tarder notre résilience hydrique.
Deux constats issus de cette étude suffisent à qualifier l’urgence : premièrement, la ressource en eau renouvelable a diminué de 14 % au cours des quinze dernières années ; deuxièmement, il faut s’attendre, en France hexagonale et d’ici à la fin du siècle, à une baisse très significative – de l’ordre de -30 % en moyenne, avec une variation de -50 % à -15 % – des débits estivaux des cours d’eau.
L’été 2024, plutôt clément, ne doit pas nous leurrer : les dynamiques pluviométriques de moyen et long termes sont bel et bien en train d’évoluer et la France ne bénéficiera plus, comme par le passé, de la disponibilité saisonnière de la ressource qu’elle a pu connaître.
Force est de constater que les enjeux hydriques montent à mesure que les nappes phréatiques baissent. Dans ce contexte, anticipation et concertation doivent être les maîtres mots : anticiper, pour éviter que les sécheresses à répétition et les stress hydriques plus intenses ne prennent au dépourvu les territoires les plus fragiles ; concerter, pour prévenir les conflits d’usage qui mettent à mal le vivre ensemble, afin d’élaborer de manière collective un nouveau « contrat social de l’eau ».
Pour relever ces défis, nous disposons de plusieurs outils : d’abord d’un modèle français de gestion de l’eau, copié par de nombreux pays et fondé sur une réalité hydrographique, le bassin versant ; ensuite d’agences de l’eau, puissants organes de mutualisation financière, de solidarité horizontale et d’investissement dans les réseaux et dans la résilience hydrique ; enfin, d’une démocratie de l’eau, qui vit au sein de multiples structures, sans doute trop nombreuses, depuis le comité de bassin jusqu’aux commissions locales de l’eau.
La structure est robuste. Malgré des critiques justifiées, elle a permis à notre pays de traverser plusieurs crises. Il nous faudra néanmoins la consolider face à l’intensité croissante des phénomènes climatiques extrêmes et la rendre plus efficiente encore.
Pour anticiper ces évolutions, le plan Eau consacre une augmentation des moyens destinés à préparer la France à la nouvelle donne climatique.
Le dynamisme budgétaire du plan a connu un coup d’arrêt pour 2025, rigueur oblige, mais il devrait reprendre à compter de 2026 pour atteindre les 475 millions d’euros annoncés en 2023.
À ce titre, on ne peut que déplorer, madame la ministre, le prélèvement sur les recettes des agences de l’eau à hauteur de 130 millions d’euros visant à combler le déficit des comptes publics. Ce prélèvement contrevient au principe selon lequel « l’eau paye l’eau ».
Les moyens dévolus au plan Eau nous permettront de résorber une partie de la fuite des réseaux. Nous ne pouvons plus, en effet, nous permettre de gaspiller une ressource aussi précieuse.
Nous devons être meilleurs dans la réutilisation des eaux usées traitées et dans la sécurisation de l’eau nécessaire à notre souveraineté agricole.
La sobriété des usages doit être élevée au rang de priorité et les acteurs doivent être accompagnés dans leur recherche de performance hydrique accrue.
La facture d’eau doit aussi mieux refléter la rareté de la ressource au travers d’un signal prix repensé et réaffirmé.
Le principe pollueur-payeur doit mieux imprégner notre gestion de l’eau, car il devient de plus en plus complexe et onéreux de traiter les micropolluants nouveaux qui affectent la qualité de la ressource et mettent en danger la biodiversité aquatique.
La conciliation des différents usages de l’eau aux périodes critiques doit être renforcée au travers d’instances de concertation, de modalités de partage équitable entre tous les acteurs et d’un juge de paix en cas de blocage persistant.
À la lumière de ces éléments, mes questions sont donc simples, madame la ministre : quels seront le format et les objectifs de la grande conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ?
Quand sera-t-elle lancée ? Qui y participera et quels seront les débouchés législatifs probables des conclusions de cette grande concertation, qui n’est pas sans rappeler les Assises de l’eau ou encore le Varenne agricole de l’eau ?
Sachez que le Sénat, comme toujours lorsqu’il s’agit de l’intérêt des territoires, sera particulièrement attentif à ce que cette conférence ne soit pas une énième séquence où chacun s’épanche sans que rien de tangible en ressorte pour les territoires.
Il est en effet de notre devoir d’apporter des réponses concrètes aux défis auxquels sont confrontées les collectivités et aux problèmes que doivent résoudre les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Chevrollier, l’ambition du plan Eau n’a pas été réduite.
Vous avez raison de mentionner le prélèvement de 130 millions d’euros, non pas sur les recettes, mais sur la trésorerie des agences de l’eau. Vous aurez l’occasion d’en discuter lors du débat budgétaire, mais les douzièmes programmes des agences intègrent bien toutes les actions du plan Eau.
La conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre ne sera pas une grande conférence centralisée de plus, sur le modèle des Assises de l’eau ou du Varenne agricole de l’eau. Elle aura pour objectif de décliner localement, dans les bassins, les grands enjeux de la gestion de l’eau, autour de thématiques communes comme la tarification, la quantité ou encore la gouvernance.
Les territoires pourront également se saisir eux-mêmes de thématiques spécifiques. Ainsi, on peut imaginer que dans les zones littorales, la question de l’usage de l’eau salée et de la désalinisation viendra nourrir les débats, en complément de celles qui seront liées à l’eau douce.
Nous avons pour objectif de lancer la conférence nationale au moment du soixantième anniversaire de la loi sur l’eau du 16 décembre 1964, soit vers la mi-décembre.
Les débats territoriaux – véritable apport de cette conférence – seront organisés au niveau de chaque bassin à partir du mois de janvier et s’égrèneront tout au long du semestre, pour aboutir à des propositions d’ajustements législatifs ou d’actions concrètes pour aller encore plus loin.
Ils permettront d’aborder les questions que vous avez évoquées – la gouvernance, la mobilisation des PTGE sur l’ensemble du territoire ou encore la tarification de l’eau – et auxquelles il nous faut, en priorité, apporter des réponses.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si cet été a été particulièrement pluvieux, les signes de tension hydrique se sont multipliés ces dernières années, mettant en lumière l’urgence d’une gestion de l’eau adaptée aux défis de demain.
Notre climat tempéré, historiquement généreux en pluies, semble aujourd’hui ne plus suffire à garantir une ressource en eau abondante et accessible pour tous.
Ce sujet me tient particulièrement à cœur, car j’ai eu l’honneur d’être la corapporteure, aux côtés notamment de mes collègues Cécile Cukierman et Jean Sol, d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective remis en novembre 2022 et intitulé Comment éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau en France.
Ensemble, nous avons examiné la situation actuelle et exploré les pistes pour l’avenir. Celles-ci doivent permettre à la France de faire face aux enjeux grandissants liés à la gestion de cette ressource précieuse.
Le changement climatique bouleverse notre cycle de l’eau : les précipitations irrégulières, les sécheresses prolongées ou encore les crues soudaines sont autant d’événements qui deviennent la norme et fragilisent l’équilibre naturel de nos réserves.
Ce constat est bien entendu préoccupant, mais des solutions existent : avec des efforts notables, une gestion plus durable de la ressource est possible.