M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par notre vote sur ce texte, il s’agit de nous prononcer sur le passé, d’évaluer les effets de la gestion de 2023 sur le temps présent et de mettre cette dernière en perspective avec la trajectoire pluriannuelle des comptes de la Nation.
Le passé est simple et factuel. Il est caractérisé principalement par des baisses d’impôts depuis 2017, puis par des dispositifs liés au covid-19 et destinés à pallier les effets de l’inflation, indispensables face aux crises, financés un peu par la croissance, mais surtout par l’endettement.
Toutefois, l’année 2023 a été marquée, d’abord, par le maintien de ces dispositifs avec le même calibrage, ensuite, par le début du retournement du cycle économique, enfin et surtout, par l’arrêt des facilités monétaires. Forcément, ça coince ! L’effet ciseau est là.
Cette année est donc celle des paradoxes. On nous a ainsi annoncé la fin du « quoi qu’il en coûte », mais « en même temps » son maintien. Alors que l’on aurait pu s’attendre, dans une logique de bonne gestion, à ce que les détenteurs de patrimoine ayant artificiellement bénéficié des liquidités distribuées généreusement soient mis à contribution pour renflouer les caisses de l’État, la majorité relative a décidé, avec un aplomb incroyable, de laisser dériver les comptes de la Nation, comme jamais précédemment.
Le déficit, hors période de crise, est donc passé de 4,8 % du PIB en 2022 à 5,5 % du PIB en 2023, comme vient de le souligner le rapporteur général. On se retrouve ainsi avec un écart de 11 milliards d’euros entre le déficit prévisionnel et le résultat final, alors même que les dépenses ont été plus faibles que prévu, principalement du fait de report de crédits, notamment sur la transition écologique.
L’exercice 2023 est-il un exercice budgétaire de bonne gestion et de redressement des comptes de la Nation ? La réponse est non !
L’exercice 2023 permet-il de répondre aux enjeux qui sont les nôtres, d’agir en responsabilité face au défi écologique qui vient ? Là encore, la réponse est non !
Ces seules réponses justifient de voter contre le texte qui nous est présenté.
Pis, 2023, c’est l’année où le bloc libéral a décidé de camoufler le dévissage des comptes et de valider un projet de loi de finances biaisé et faussé d’entrée de jeu en ayant recours, il faut le rappeler, à l’article 49.3 de la Constitution.
Aujourd’hui, la séquence est compliquée. Face à cette dérive sans précédent des comptes, le pouvoir a refusé de reconnaître l’inversion du cycle économique et monétaire, donc la nécessité absolue de changer de politique.
Oui, le slogan « stabilité fiscale », utilisé du bloc libéral jusqu’aux réactionnaires, est un leurre. Ce que demande tout un chacun pour construire de la confiance, c’est non pas de la stabilité, mais de la lisibilité pluriannuelle, c’est-à-dire une bonne gestion.
En naviguant à vue, les gouvernements successifs, mais aussi le gouvernement actuel, ajoutent de la gravité à la gravité. Il faut donc assainir, contre-braquer, mais aussi rembourser et attaquer le déficit primaire.
La maquette budgétaire que nous présente le Gouvernement d’alliance des libéraux et des conservateurs prévoit 40 milliards d’efforts structurels, financés à hauteur de 70 % sur l’impôt et de 30 % sur la dépense, le tout sans réelles réformes de fonctionnement.
Pourtant, l’effort à fournir, si l’on veut être sérieux et en intégrant les coûts de la transition écologique, est de l’ordre de 150 milliards à 160 milliards d’euros à l’horizon 2028. Nous en sommes donc loin ! Cela signifie, madame la ministre, soit que vous allez faire un bel ouvrage de dentelle, soit que vous allez faire du report de crédits et réduire la couverture sociale des Français, avant de cibler, en 2026, les recettes aux assiettes plus larges.
En la matière, le choix des libéraux et des conservateurs est connu. C’est toujours le même : diminution de la protection sociale et augmentation de la TVA payée par tous.
En définitive, nous aurons eu en 2023, et même en 2024, le maintien de baisses d’impôts et de dispositifs qui auront permis à certains de s’enrichir éhontément et, « en même temps », une dette qui aura explosé pour les financer. En 2025, et surtout en 2026, les impôts augmenteront pour tous.
Forcément, cette politique crée des injustices, dont se nourrissent les colères. Mes collègues et moi refusons les colères, parce que nous sommes contre les injustices. Nous rejetterons donc le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà, nous y sommes ! La catastrophe annoncée pour nos finances publiques trouve, hélas ! sa traduction.
Ce n’est pas faute, pour le groupe SER, d’avoir dénoncé la fameuse théorie du ruissellement, qui devait, via des allégements fiscaux, accroître la richesse de quelques-uns – cela a plutôt bien fonctionné – avant de bénéficier au pays tout entier.
Le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023 atteste de l’inefficacité des politiques menées – c’est le moins que l’on puisse dire ! Surtout, il montre l’impasse fiscale dans laquelle les gouvernements successifs se sont fourvoyés depuis 2017.
D’un montant de 173 milliards d’euros, soit 5,5 points du PIB, le déficit de l’État s’est accru de 80 milliards d’euros, soit une hausse de 86 %, par rapport à l’exercice 2019. Hors période de crise, un tel niveau de déficit n’avait jamais été atteint sous la Ve République.
L’écart de 0,5 point de PIB entre les prévisions et le solde exécuté est aussi inédit. Au cours des vingt-cinq dernières années, un tel écart n’a été observé qu’en 2008, lors de la crise financière.
À la différence de l’année 2008, cet écart entre les prévisions et l’exécution est dû non pas à une erreur de prévision, le taux de croissance s’étant élevé à 0,9 % en 2023, soit un niveau proche du taux de 1 % prévu, mais à des recettes plus faibles qu’espéré.
En nette régression, les recettes fiscales du budget général sont passées de 330,3 milliards d’euros en 2022 à 322,9 milliards d’euros en 2023.
Entre 2017 et 2023, la part des recettes publiques dans le PIB a diminué de 2,7 points, passant de 54,3 % à 51,6 %, alors que celle des dépenses recule, elle, de 0,7 point, passant de 57,7 % à 57 % du PIB.
Le déficit s’est creusé du fait non pas d’une hausse des dépenses, mais bien d’une baisse irrationnelle des recettes. Chaque année, à cause des cadeaux fiscaux faits aux plus aisés et aux plus grandes entreprises, 62 milliards d’euros de recettes manquent dans les caisses de l’État.
Par ailleurs, la charge de la dette s’est établie à 53,9 milliards d’euros en 2023, soit 3,2 milliards d’euros de plus que l’année précédente. Toutefois, à la différence de 2022, année durant laquelle la hausse de la charge de la dette était principalement la conséquence de l’inflation soutenue, le facteur déterminant en 2023 est la progression du volume et du taux de la dette de court terme contractée par la France.
Nos finances publiques, déjà fragiles, se détériorent au fil des années en raison d’une gestion désastreuse des gouvernements successifs. Le déficit actuel reflète avant tout les échecs de la politique budgétaire et fiscale menée depuis 2017.
Au mois de mai dernier, dans le cadre de la mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, l’ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a parlé de perfect storm pour décrire cet accident financier. Cet événement, qui n’était pas censé se répéter, n’en finit pourtant pas de se reproduire.
Depuis 2017, les gouvernements ont mené une politique économique et budgétaire insoutenable, l’évolution des recettes de l’État et celle de ses dépenses ayant été totalement décorrélées. L’année où le PIB chutait, lors de la crise sanitaire, Bruno Le Maire diminuait les impôts, comme il le fit lors de la crise énergétique. Pendant ce temps, nos partenaires européens poursuivaient leurs efforts d’assainissement de leurs finances publiques après le covid-19 et la crise énergétique.
Tous les pays européens ont subi les mêmes crises. Pourtant, la France est vingt-quatrième sur vingt-sept en matière de déficit public dans l’Union européenne.
Ses finances publiques sont à l’agonie. C’est la conséquence directe de la politique budgétaire obstinée du Président de la République et de son ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Devant une telle situation, il fallait trouver un coupable : les collectivités territoriales ! Celles-ci seraient responsables de la dégradation des comptes publics – méthode aussi déplorable qu’habile pour les contraindre à renflouer un déficit qu’elles n’ont pas creusé.
Appauvrir l’État et les collectivités, c’est appauvrir les services publics, c’est offrir moins de sécurité, moins de soins, moins d’éducation… Triste perspective ! Pourtant, c’est là le fil rouge de la majorité depuis sept ans.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, s’il partage l’objectif de maîtrise des comptes publics, ne cautionne absolument pas cette politique libérale, qui vise à affaiblir l’État et nos services publics. Il promeut une politique fiscale fondée sur une taxation plus juste des hauts revenus, des patrimoines importants et des surprofits réalisés par certaines sociétés.
C’est bien le désarmement fiscal de la puissance publique mis en œuvre depuis sept ans qui est le principal responsable des difficultés budgétaires de notre pays. Nous le voyons bien, l’année 2023, qui aurait pu être celle du redressement, a été celle de l’effondrement de nos finances publiques.
Le texte dont nous débattons cet après-midi s’apparente aux comptes administratifs de nos collectivités. Formellement, il serait tout à fait possible de désapprouver la politique menée sans pour autant s’opposer à la traduction comptable de la loi de finances initiale correspondante.
Encore faudrait-il que ce soit réellement le cas, car, là aussi, le bât blesse ! Le niveau des reports de crédits reste excessivement élevé. La Cour des comptes n’a d’ailleurs pas manqué de relever, pour la troisième année consécutive, cette atteinte au principe d’annualité budgétaire.
Aussi, dans la continuité de nos votes contre les précédents projets de loi de règlement et d’approbation des comptes, mais aussi du fait de l’absence de toute amélioration, le groupe SER votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà enfin arrivés au premier texte budgétaire de l’année 2024, après avoir été privés de projet de loi de finances rectificative avant les élections européennes, alors que de nombreux coups de rabot budgétaires étaient décidés à tort et à travers et de manière arbitraire.
De toute évidence, le Gouvernement a pour coutume de mépriser la démocratie parlementaire, comme la démocratie locale, dont nous sommes ici les représentants. Il existe une dissimulation passive, mais grave, par le Gouvernement des sujets budgétaires, dont le Parlement se trouve dépossédé.
Aujourd’hui, nous allons rejeter, en tout cas je le souhaite, et ce pour la troisième fois d’affilée, un projet de loi de règlement et d’approbation des comptes.
Ces votes n’ont jusqu’à présent jamais produit un début de commencement de changement d’orientation. Pourtant, l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du… contribuable contraint tout agent public à rendre compte de son administration.
Alors que le projet de budget pour 2025 risque fortement d’être adopté au moyen de l’article 49.3 de la Constitution, nous sommes un Parlement spectateur devant un gouvernement dépensier.
Pendant que les Français financent, l’État dépense. Cet état de fait qui dure ruine le consentement à l’impôt et envoie des bataillons entiers issus des classes moyennes grossir les rangs des futurs « gilets jaunes ».
Ce phénomène est renforcé par l’échec de la parole publique, dont Bruno Le Maire fut l’incarnation au cours de ces cinq dernières et longues, trop longues années.
Après avoir mis l’économie française à l’arrêt « quoi qu’il en coûtât » en 2020 et déclaré que la France allait mettre l’économie russe à genou, ce qui relevait davantage du fantasme de l’écrivain que des compétences d’un ministre, Bruno Le Maire a finalement annoncé lors de la présentation du projet de budget pour 2023, dont nous examinons aujourd’hui l’exécution, que nous étions « à l’euro près ». Bel aveu d’échec !
Vous remarquez avec moi, mes chers collègues, que le budget de 2023 a pérennisé ce qui ne devait être qu’un pic de dépenses lié à la crise du covid-19. L’épidémie connaît un nouveau variant, le variant delta – comme déficit. La nouveauté de ce variant delta, c’est que l’on en connaît la cause, ou plutôt le responsable : le pangolin macroniste. Ainsi, le déficit budgétaire se creuse pour atteindre 173 milliards d’euros en 2023, soit 21,5 milliards d’euros de plus qu’en 2022.
Vous me direz qu’il s’agissait de financer le bouclier tarifaire pour les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales. Soit. Reste que ce bouclier est la conséquence d’un mal dont la Macronie a soutenu les causes par ses mauvais choix énergétiques, dictés par l’écologie punitive et l’européisme béat.
La nouveauté du budget de 2023, c’est l’ampleur de l’écart entre le déficit annoncé, qui devait être de 4,9 % du PIB, et la réalité en fin d’année : 5,5 %.
Tous ces signaux sont inquiétants, d’autant qu’ils montrent des tendances durables plus qu’une situation ponctuelle.
Chers collègues des groupes Les Républicains et Rassemblement national, en vous associant aux héritiers de ce bilan désastreux, vous acceptez un chèque sans provision et vous vous rendez complices des menteurs et des dissimulateurs. Je ne saurai quant à moi m’y associer : je voterai résolument contre ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023.
Cela a été rappelé, cet exercice 2023 est particulier à bien des égards. La fin de l’année précédente a en effet marqué le début du dérapage du déficit, qui se poursuit en 2024.
Nous le savons aujourd’hui, l’une des causes principales de ce dérapage fut l’incapacité de l’État, de Bercy en particulier, à prévoir ses recettes et ses dépenses. Cette absence de lisibilité et de prévisibilité s’est illustrée encore davantage en cette année 2023.
Je vous propose de revenir un instant sur cette année. Nous sommes le 15 novembre, soit six semaines avant la fin de l’exercice comptable de 2023, lorsque l’Assemblée nationale adopte définitivement le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. En ce 15 novembre, le déficit public continue pour 2023 d’être prévu à 4,9 % du PIB, alors qu’il s’établira à 5,5 % six semaines plus tard.
Une loi de programmation des finances publiques a pour but de projeter nos finances publiques sur plusieurs années, me direz-vous, à juste raison, et non pas sur la fin de gestion d’un seul exercice.
Justement, la loi de fin de gestion pour 2023, que nous avons votée au mois de novembre 2023 à l’issue d’une commission mixte paritaire, contient les mêmes erreurs en termes de prévisions budgétaires. À six semaines de la fin de l’année 2023, le Sénat a voté une loi de fin de gestion dont les recettes projetées seront en décalage de 7,8 milliards d’euros avec la réalité.
Le Parlement, comme le Gouvernement, a manqué d’outils et d’expertises en matière de prévision budgétaire.
Mes chers collègues, cela fait six ans que, chaque année, le Sénat rejette le projet de loi portant approbation des comptes de l’année précédente, sans que cela ait la moindre conséquence apparente sur la gestion par l’État des finances publiques. Nous devons donc collectivement nous interroger sur l’utilité d’un tel exercice. Si le rejet de ce texte est sans conséquence, pourquoi s’astreindre à en débattre chaque année ?
Il nous faudra, à l’avenir, mettre fin à cette forme de mascarade et nous en tenir à un cadre financier pluriannuel, voté par le Parlement, qui contraint l’examen des textes budgétaires annuels, et auquel le Gouvernement et le Parlement ne pourront pas se soustraire. C’est tout l’objet de ma proposition de loi constitutionnelle, qui sera examinée dans cet hémicycle le 14 novembre prochain.
Le réel, c’est quand on se cogne. Je pense, mes chers collègues, que cet exercice 2023 – et, comme, je le crains, l’exercice 2024 – nous prouve avec force que nous devons opérer un changement systémique. Nous devons à ceux qui nous succéderont de briser dès 2025 la spirale du déficit structurel sans fin que nous connaissons depuis quarante-trois ans. Nous le leur devons aussi, je crois, au nom de la démocratie.
Mes chers collègues, dans quelques semaines, nous discuterons ici même du projet de loi de finances pour 2025. C’est un exercice annuel, certes, mais l’ampleur de l’effort demandé aux administrations, aux collectivités territoriales, aux entreprises et aux particuliers est inédite, avec une hausse de la fiscalité et une baisse des dépenses publiques.
Il nous appartiendra d’être à la hauteur de ce moment, en tenant le sérieux budgétaire, dont certains ont parfois manqué. Il s’agira de ne pas grever ce budget pour 2025 de dépenses nouvelles et de ne pas alourdir la fiscalité de notre pays, qui reste le plus taxé au monde.
Nous sommes le 22 octobre 2024, et je forme le souhait que nous ne nous retrouvions pas chaque année pour rejeter le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année précédente.
Pour l’heure, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, en responsabilité, s’abstiendra sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, voilà le troisième budget qui ne sera pas validé a posteriori par le Parlement, après ceux des exercices 2021 et 2022.
Chaque année, le Gouvernement plaide l’adoption d’un texte technique. Et vous ne dérogez pas à la règle, madame la ministre – avec de bons arguments, je vous l’accorde. Mais nous ne pouvons malheureusement pas faire abstraction du sous-jacent politique.
Il y a une petite nouveauté cette année : l’Assemblée nationale n’a même pas débattu de ce texte dans l’hémicycle, puisqu’une motion de rejet a été adoptée au début de son examen.
C’est un document technique, en effet. Il s’agit du compte rendu de l’exécution budgétaire 2023. La loi arrête le montant définitif des dépenses et des recettes de l’État, et indique le résultat financier qui en découle. Elle décrit en outre les opérations de trésorerie, les engagements hors bilan et elle ratifie les opérations réglementaires ayant affecté l’exécution du budget. À ce stade, les parlementaires ne peuvent plus rien faire pour corriger la copie ; ils peuvent juste constater que l’autorisation parlementaire a été respectée.
Malheureusement, madame la ministre, le groupe Les Républicains ne pourra pas donner quitus au Gouvernement, car nous refusons de cautionner les dérives de la gestion passée. À l’heure où nous sommes tous concentrés sur le budget pour 2025, nous percevons les conséquences néfastes du « quoi qu’il en coûte » sur nos finances publiques.
Malgré la réforme de la Lolf en 2021, la loi de règlement n’a pas gagné ses lettres de noblesse. Je regrette l’absence de M. Laurent Saint-Martin, car c’est notamment lui qui avait porté cette réforme, avec pour objectif de réhabiliter ce texte, grâce à un changement de nom, d’abord : on parle non plus d’une loi de règlement, mais d’une loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année, dont le sigle serait LRGACA…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Quelle simplification !
Mme Christine Lavarde. Nous débattons aujourd’hui de la première du nom.
Un changement de calendrier a aussi été voté, et le Gouvernement doit désormais déposer le texte avant le 1er mai, et non plus avant le 1er juin. Là, je vous l’accorde, les délais ont été tenus : le texte a été présenté en conseil des ministres le 17 avril et débattu en commission des finances de l’Assemblée nationale le 29 mai. Il aurait donc pu être examiné par les députés avant la dissolution de l’Assemblée nationale, si l’on se réfère au calendrier de l’an passé. Mais, avant les élections européennes, le gouvernement d’alors n’avait sans doute pas envie qu’on discute sur la place publique de l’exécution du budget de 2023… D’ailleurs, il refusait même de déposer un projet de loi de finances rectificative pour tenir compte des dérives observées dans les recettes !
Nous discutons donc de ce texte, qui a dû être redéposé puisque l’Assemblée nationale n’en avait pas débattu, mi-octobre. Pourtant, l’article 41 de la Lolf dispose que « le projet de loi de finances de l’année ne peut être mis en discussion devant une assemblée avant le vote par celle-ci […] sur le projet de loi [de règlement] de l’année qui précède celle de la discussion dudit projet de loi de finances ».
La situation en devient cocasse, puisque l’Assemblée nationale avait désigné ses rapporteurs spéciaux sur le projet de loi de finances pour 2025 avant même d’avoir examiné la loi de règlement pour 2023 !
En fait, madame la ministre, le Gouvernement a été sauvé par la présentation très tardive du projet de loi de finances pour 2025. À défaut, les délais n’auraient pas pu être respectés.
Organisé dans l’urgence, ce débat est cependant complètement tronqué. Les parlementaires vont donner priorité à l’avenir, c’est-à-dire au projet de loi de finances pour 2025, et non passer du temps à analyser le passé.
N’oublions pas la sagesse de Victor Hugo, qui a siégé sur ces travées ! Il a écrit : « L’avenir est une porte, le passé en est la clé. » (Mme la ministre déléguée sourit.)
Il est loin, madame la ministre, le printemps de l’évaluation, qui devait permettre au Parlement et aux citoyens de bénéficier d’un débat plus approfondi et plus long, exclusivement consacré aux résultats de l’exécution budgétaire et de la gestion, et d’un temps de débat sur la situation des finances publiques distinct de celui qui est consacré à l’adoption de la loi de finances initiale !
Ce texte comptable est d’une grande inutilité. Le rejet par deux fois de la loi de règlement pour 2021, en août 2022 puis en juillet 2023, puis le rejet de la loi de règlement pour 2022 en juillet 2023 n’ont eu aucune conséquence, alors même qu’il s’agissait d’événements inédits. Le seul précédent comparable remonte à 1833… (M. le rapporteur général de la commission des finances s’en amuse.)
Vous avez donc opté pour une procédure particulière. Le résultat patrimonial non approuvé des exercices 2021 et 2022 est enregistré sur un compte ad hoc imputé sur une ligne spécialement créée à cet effet, et nommée « soldes des opérations d’exercices antérieurs en attente d’affectation », qui correspond aux articles 7 et 8 du présent projet de loi.
L’absence d’adoption ne remet en cause ni les impôts recouvrés, ni les dépenses engagées, ni les emprunts contractés. Dit autrement, la fameuse LRGACA n’est qu’une formalité parlementaire ; le vote du Parlement est sans importance ! Il faut simplement en avoir débattu avant d’entamer l’examen du projet de loi de finances. Alors, je vous le dis très net : dès lors, pourquoi continue-t-on à en débattre ? Nous pourrions nous contenter de l’avis de la Cour des comptes, qui certifie les comptes. En disant cela, je n’ai pas l’impression de rogner ni même de renier les prérogatives du Parlement. C’est un simple constat.
Pourquoi le groupe Les Républicains ne peut-il pas voter ce texte ? D’abord, parce que ce projet de loi arrête un déficit de l’ensemble des administrations publiques de 150 milliards d’euros, soit 5,5 % du PIB, après 4,8 % en 2022, 6,6 % en 2021 et 8,9 % en 2020.
Le rapporteur général l’a bien dit : ce déficit n’est pas le résultat d’une situation de crise majeure, ou d’une erreur de prévision sur la croissance. Non, la cause en est que les recettes de prélèvements obligatoires ont été inférieures de 21 milliards d’euros aux prévisions.
Je saisis cette occasion pour envoyer un message à tous ceux qui, ici – plutôt sur ma gauche –, pensent qu’il suffit de voter des impôts pour remplir les caisses de l’État et dépenser davantage. C’est complètement faux ! Les chefs d’entreprise que j’ai croisés ces derniers jours sont désespérés, ils ne veulent plus embaucher, ils ne veulent pas investir. Résultat à prévoir : moins de recettes de cotisations sociales. Et si les Français sont inquiets pour leur emploi, ils vont consommer moins, et épargner pour préparer l’avenir. Résultat à prévoir : moins de recettes de TVA. C’est une spirale infernale.
M. Laurent Duplomb. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Nos déficits successifs n’appellent qu’un seul remède : réduire la dépense publique – et non ralentir la croissance de la dépense publique. En 2023, ce sont uniquement des mesures de pilotage qui ont permis à l’État de dégager 6 milliards d’euros de moindres dépenses par rapport à la loi de finances initiale et aux organismes divers d’administration centrale (Odac), 2 milliards d’euros : surgel de 1 % des crédits ouverts en loi de finances initiale, annulation de crédits par décret en septembre 2023, puis réduction des crédits dans le périmètre de l’État par la loi de finances de fin de gestion.
En 2023, si la dépense a baissé en euros constants, elle a cru en euros courants. Les dépenses publiques hors crédits d’impôt ont quasiment augmenté deux fois plus vite en valeur que les recettes fiscales : 56,7 milliards d’euros d’un côté, 24,4 milliards d’euros de l’autre.
Baisser la dépense s’est résumé à éteindre les dispositifs d’urgence et de relance adoptés lors de la crise de la covid-19. Le reflux de l’inflation s’est également traduit par une diminution de la charge d’intérêts sur les obligations indexées pour un montant, non négligeable, de 14,5 milliards d’euros.
La Cour des comptes résume la situation de manière simple : « Aucune mesure structurelle d’économie significative n’avait été prévue [en] loi de finances initiale […]. L’ambition en matière de stabilisation des dépenses publiques était donc limitée dès la budgétisation initiale. »
Dans son avis du 15 avril dernier, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a explicitement indiqué la voie à suivre : « La réduction du déficit suppose prioritairement une action résolue sur la dépense publique, dont le niveau rapporté au PIB reste supérieur de plus de deux points à son niveau d’avant la crise sanitaire, et un réexamen des baisses prévues de prélèvements obligatoires. »
Ne nous méprenons pas sur le rôle des collectivités locales dans le niveau du déficit, mes chers collègues. Certes, leurs dépenses ont été supérieures de 4 milliards d’euros au niveau anticipé dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027, mais elles ont soutenu la croissance grâce à leurs investissements. (M. Laurent Duplomb renchérit.)
En 2023, les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont crû plus fortement que leurs recettes. Malgré la réduction de leur autofinancement, elles ont réussi à financer 4,5 milliards d’euros d’investissement sans recourir massivement à l’endettement – car les charges d’intérêts étaient considérables. Elles ont puisé dans leur trésorerie à hauteur de 4,6 milliards d’euros.
Cette situation d’ensemble des collectivités, plutôt favorable, ne doit pas cacher le cas, très particulier, des départements. En 2023, leur épargne brute a baissé de 39 %, pour atteindre son niveau le plus faible depuis 2016, du fait de la baisse brutale des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et de la forte dynamique des charges de fonctionnement, et notamment de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), de la prestation de compensation du handicap (PCH) et de l’aide sociale à l’enfance (ASE) – le nombre de mineurs isolés a progressé de 31 % au cours de l’année 2023.
Avant de conclure, je ne peux manquer, madame la ministre, d’évoquer les cinq « anomalies significatives » relevées par la Cour des comptes dans son avis de certification. Ce ne sont pas des broutilles.
La première est la surévaluation des matériels militaires pour plus de 18 % de leur valeur. De plus, les charges liées à leur gros entretien ne sont pas provisionnées.
La deuxième est la surévaluation de 20 % de la participation de l’État au capital d’EDF.
La participation de l’État dans la Caisse des dépôts et consignations est supérieure au double de sa comptabilisation.
Le fonds d’épargne continue d’être classé à tort parmi les participations financières de l’État – il s’agit tout de même de 8 milliards d’euros…
Certains engagements hors bilan pris par l’État actionnaire ne sont pas mentionnés, notamment celui de garantir la dette de Bpifrance : on parle ici de 45 milliards !
Enfin – je garde le meilleur pour la fin –, l’engagement pris par l’État au titre du remboursement de l’emprunt émis par l’Union européenne pour financer le plan de relance européen, qui est distinct de l’emprunt contracté au titre du cadre financier pluriannuel du budget de l’Union européenne, ne figure pas dans la liste des engagements. Or son montant peut être évalué à 75 milliards d’euros !
Pis, ces anomalies ne sont pas nouvelles : elles figuraient déjà dans les avis de certification de 2021 et de 2022. Le ministre Saint-Martin est pourtant l’auteur de la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Dans la poursuite de cet élan, je l’invite – par votre intermédiaire, madame la ministre – à faire preuve d’une volonté politique forte pour relancer le processus d’amélioration de la présentation des comptes de l’État. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)