M. Xavier Iacovelli. Ils n’ont pas voté socialiste !
M. Patrick Kanner. … par un Président de la République qui, même lourdement sanctionné par les urnes, ne doute jamais de rien et surtout pas de lui-même ! (M. Xavier Iacovelli s’exclame.)
Je suis en colère, parce que l’on ne mesure pas le ressentiment que cette impunité peut provoquer chez nos concitoyens : un ressentiment profond et durable envers ceux qui les gouvernent, le sentiment que leur voix ne compte pas.
Ma colère porte enfin sur l’état de la France, qui subit les conséquences d’un septennat d’incurie, de déni et de mépris.
Je me permets de m’adresser plus particulièrement à mes collègues de droite : mes chers collègues du groupe Les Républicains, lorsque vous quittez les murs du Sénat pour vous rendre dans vos départements, comment parvenez-vous à assumer sincèrement votre participation à cette mascarade devant les Français qui vous interpellent ? (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Tout va bien ! Ne nous inquiétez pas pour nous !
M. Patrick Kanner. Vous qui avez si bruyamment combattu la politique menée depuis sept ans par le Président de la République, comment pouvez-vous aujourd’hui justifier ce choix en regardant les Français droit dans les yeux ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
Quand on estime, comme M. Retailleau, que « la droite n’est pas soluble dans le macronisme », comment peut-on se fondre ainsi dans l’union des droites, de Macron au Rassemblement national ? (M. Olivier Paccaud s’exclame.)
Quand on se dit gaulliste, comment peut-on accepter de prêter main-forte à un Président de la République qui restera celui qui a le plus affaibli nos institutions ? (Il a raison ! sur les travées du groupe SER.)
Quand on doit l’élection de vingt-quatre de ses quarante-sept députés au front républicain, comment peut-on consentir à diriger un gouvernement sous surveillance du Rassemblement national, pis encore, sous son influence ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Aujourd’hui, vous vous inscrivez dans le bilan d’Emmanuel Macron : vous devrez l’assumer à l’avenir. Oui, ce bilan sera votre fardeau, monsieur le Premier ministre.
M. Jacques Grosperrin. Et celui de François Hollande le vôtre !
M. Patrick Kanner. Je pense d’abord et bien sûr aux finances publiques, qui connaissent une trajectoire cataclysmique.
Je pense aussi aux choix budgétaires, qui affaiblissent nos services publics et frappent les revenus des ménages les plus modestes, qui mettent à mal notre protection sociale et notre modèle républicain.
Le Mozart de la finance et le Beethoven du ruissellement (Sourires sur les travées du groupe SER.) se sont révélés n’être que des joueurs de piano mécanique mal accordé, des maestros en chambre qui ont dégradé lourdement la signature de la France et le niveau de vie des Français.
Vous avez annoncé hier que vous souhaitiez ramener le déficit à 5 % du PIB d’ici à l’année prochaine. Pour mémoire, sur les trente dernières années, il n’y a que la gauche au pouvoir qui ait réduit le déficit, notamment sous le quinquennat de François Hollande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Loïc Hervé. Quelle mauvaise foi !
M. Patrick Kanner. A contrario, vous êtes comptables de la destruction de 58 milliards d’euros de recettes fiscales par an. Vous avez fait le choix de réduire les dépenses, ce qui est la doxa habituelle de l’idéologie libérale que vous partagez avec Emmanuel Macron.
Fait nouveau, vous avez aussi évoqué la possibilité d’augmenter certaines recettes en faisant contribuer davantage les plus riches, entreprises et particuliers. Je me réjouis de votre adhésion à ce que nous défendons depuis des années.
Allez, faites encore un effort, monsieur le Premier ministre : parlez-nous de contributions pérennes et non pas exceptionnelles ; parlez-nous d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de flat tax, d’exit tax, de niches fiscales inutiles et vous verrez que la richesse sera encore mieux répartie dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.) Voilà où vous retrouverez des marges financières, mais certainement pas en amputant de 50 millions d’euros les crédits alloués à La Poste ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Les mauvais choix opérés ont également conduit à l’affaiblissement de la France sur la scène internationale, et ce dans un contexte de grandes tensions. La compétition internationale est exacerbée et nos valeurs sont malmenées, avec des institutions multilatérales moins respectées et des États autoritaires qui montent en puissance.
Comment allez-vous gérer les influences du Rassemblement national à l’heure des choix européens ? Êtes-vous en mesure de nous confirmer votre soutien à l’Ukraine avec de tels alliés ? Êtes-vous toujours convaincu qu’il faille remettre en cause la supériorité du droit européen sur le droit national en matière d’immigration ?
Nous n’avons pas la même vision. La nôtre, qui est majoritairement partagée par nos concitoyens, est celle d’un espoir (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), celui de l’amélioration des conditions de vie. C’est la raison d’être du socialisme réformiste. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
M. Stéphane Piednoir. Un peu d’humilité !
M. Patrick Kanner. Notre ADN se caractérise aussi par la volonté de nous appuyer sur les collectivités territoriales. Non, ces dernières ne sont pas responsables de la situation catastrophique de nos finances publiques !
Sur les 880 milliards d’euros supplémentaires de dette publique accumulés entre 2017 et 2023, le poids des collectivités ne représente que 10 milliards d’euros de cette aggravation, soit 1,3 % seulement, alors qu’elles supportent 70 % de l’investissement public. Elles n’ont aucune leçon de gestion à recevoir de la part de gouvernements qui n’ont cessé de creuser les déficits de l’État.
Au nom de l’ensemble de mes collègues socialistes, je tenais ici à saluer les collectivités et leurs élus, sans qui la vie démocratique de notre pays ne pourrait exister. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Stéphane Ravier et Olivier Paccaud s’exclament.)
Je pense notamment à ceux de ces élus qui sont chargés du logement et qui s’inquiètent du manque d’ambition de votre discours, après des années d’inaction. Une inaction coupable, tant les chiffres de la construction sont historiquement bas et tant la tension est extrême sur le marché locatif, avec des niveaux de loyers intenables pour les ménages.
Aujourd’hui, 2,7 millions de ménages sont en attente d’un logement social : un triste record, dont les conséquences économiques et sociales touchent tous les territoires.
Autre angle mort de votre discours : la lutte contre les déserts médicaux. Il y a urgence à agir, monsieur le Premier ministre. La difficulté d’accès aux soins est l’un des ressorts les plus puissants du sentiment d’abandon dans nos territoires.
Notre collègue Darnaud l’a rappelé : lorsque vous patientez des mois avant d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste et que vous devez parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour vous y rendre, vous ressentez forcément cette relégation au plus profond de votre chair. Le programme Hippocrate que vous avez annoncé hier n’y changera rien.
En ce qui concerne l’hôpital public, votre discours ne nous rassure pas davantage. Quand l’hôpital s’effondre, vous vous contentez de vouloir limiter la paperasse, sans évoquer l’urgence de lui donner les moyens financiers de se redresser. Cette réponse n’est pas la hauteur des attentes des patients et des soignants. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Quant à l’école de la République, qui reste encore le premier budget de l’État, elle n’a occupé hier que deux minutes trente de votre déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, avec comme seule proposition concrète le recours à des enseignants retraités.
Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Il est temps d’accorder enfin à notre école publique les moyens nécessaires pour fonctionner dans de bonnes conditions : baisse du nombre d’élèves par classe, amélioration de l’accueil des élèves en situation de handicap, revalorisation du salaire des enseignants et de l’ensemble des personnels, qui œuvrent au quotidien dans les établissements, amélioration de la mixité sociale et scolaire.
L’école de la République est aujourd’hui à bout de souffle, malmenée par les réformes successives depuis 2017,…
M. Max Brisson. Depuis plus longtemps !
M. Patrick Kanner. … qui s’inscrivent toutes dans un sillon libéral et inégalitaire ; le choc des savoirs et les groupes de niveau en sont les derniers exemples criants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
L’école à un coût, mais n’a pas de prix. Elle représente un investissement d’avenir pour notre pays.
C’est la même logique qui guide nos propositions concrètes et efficaces pour la transition écologique, sans rogner sur le pouvoir de vivre des Français. Votre feuille de route en la matière tient plus du discours de la méthode que d’un programme d’action. Vous ne réduirez la dette écologique qu’en mettant en place des outils sérieux.
Planifiez la suppression de l’ensemble des niches fiscales polluantes en les remplaçant par des aides à la transition et agissez en priorité sur les causes du réchauffement, sans vous contenter de vous adapter à ses effets : c’est à cette condition que vous nous trouverez à vos côtés.
Pour ce qui concerne les jeunes, il nous faut combattre la précarité qui les frappe, favoriser leur émancipation et garantir les meilleures conditions d’études et de recherche.
Pour les actifs, augmentons les salaires.
Pour les agriculteurs, assurons des revenus justes et décents.
Pour les retraités, sanctuarisons la revalorisation des pensions, qui semble déjà menacée. Est-il vrai que vous comptez décaler au 1er juillet prochain la revalorisation annoncée ? J’attends votre réponse, monsieur le Premier ministre.
Enfin, abrogeons la réforme des retraites, injuste et inutile.
Sur tous ces sujets, monsieur le Premier ministre, nous avons des propositions à vous faire. (Mêmes mouvements.)
J’évoquerai un dernier dossier sensible, symbole d’une gouvernance de l’échec : la Nouvelle-Calédonie. Par tous les moyens, nous avons alerté les gouvernements de l’époque et la droite sénatoriale, qui est aujourd’hui une composante de votre exécutif, sur les dangers d’un passage en force. Un dégel du corps électoral ne pouvait pas s’imposer, contrairement à ce que souhaitait pourtant Gérald Darmanin, soutenu à l’époque par MM. Retailleau et Buffet.
Face à la crise et à l’impossibilité d’organiser un scrutin en plein chaos, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé un texte prévoyant le report des élections. Il faut vous en emparer, monsieur le Premier ministre ! Ce report servira à la reconstruction et permettra de renouer avec la méthode du dialogue, celle des accords de Matignon et de Nouméa.
Hier, à ce sujet, vous avez opéré un virage à 90 degrés : je me félicite de cette lucidité, mais j’ai une pensée pour les treize morts et leurs familles. Je regrette aussi les 3 milliards d’euros de dégâts, les destructions d’emplois. Emmanuel Macron porte la responsabilité de la crise institutionnelle et existentielle dans laquelle est plongé le Caillou. Elle restera l’acmé de son obstination et de son entêtement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
À travers tous ces choix, Emmanuel Macron nous aura montré les limites de notre système. Il nous aura convaincus de la nécessité de démocratiser nos institutions, les mêmes qu’il aura tant malmenées.
Monsieur le Premier ministre, je vous le certifie : plus que jamais, la gauche fera entendre sa voix au Parlement. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, nous porterons des propositions afin, notamment, de garantir l’égalité territoriale, particulièrement dans les outre-mer. Nous défendrons des mesures permettant aux Français de vivre dignement de leur travail et d’accéder à un logement abordable, ainsi qu’une politique de la ville ambitieuse, des dispositions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’octroi de moyens à nos collectivités. Nous en proposerons également afin de renforcer nos services publics, d’assurer la sécurité de nos concitoyens, de mettre en œuvre une réelle politique du grand âge, d’engager une transition écologique ambitieuse et, bien sûr, mes chers collègues, de défendre l’État de droit ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)
M. le président. Il faut conclure.
M. Patrick Kanner. Vous le voyez, monsieur le Premier ministre, une autre voie est possible (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.), celle de l’égalité réelle sur tout le territoire, celle de la justice sociale, fiscale comme environnementale, celle de l’apaisement de la société et du renforcement de la République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues : « Pays gravement endetté, très déficitaire chaque année, sous le coup d’une procédure pour déficit excessif à Bruxelles, réfractaire à toute baisse des dépenses publiques, sans majorité à l’Assemblée nationale, recherche Premier ministre. Amateurs s’abstenir… » C’est en substance la petite annonce qui est parue après ces merveilleux jeux Olympiques. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, vous avez accepté cette mission, ce dont je vous félicite. C’est militaire. C’est gaullien. C’est de la haute montagne. (Sourires.)
Vous êtes parvenu à rassembler un gouvernement aussi large que possible. À nos yeux, il aurait pu être plus étoffé encore si vous ne vous étiez pas heurté, à gauche et à l’extrême gauche, au dogmatisme, au verrouillage et à la stratégie du chaos. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Mickaël Vallet. La paille et la poutre !
M. Hervé Marseille. Le président Kanner vient à l’instant d’évoquer un monde imaginaire. Pour ma part, je trouve que le Nouveau Front populaire relève de la collection Harlequin : un monde de rêve avec une Première ministre imaginaire… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. N’importe quoi !
M. Hervé Marseille. Je le regrette, car il existe une gauche de gouvernement dont les femmes et les hommes auraient pu être utiles au pays dans cette période difficile. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
En revanche, je ne peux que saluer à mon tour le retour en grâce du Sénat. Le talent de notre assemblée semble enfin avoir été redécouvert. Depuis 2017, monsieur le Premier ministre, nous étions assignés à résidence ; aujourd’hui, dix des nôtres, issus de quatre groupes différents, sont à vos côtés.
Aujourd’hui, le Sénat is back, comme on dit en bon savoyard ! (Rires sur les travées du groupe UC.) Votre responsabilité, notre responsabilité sont à la hauteur de la situation, c’est-à-dire lourdes. Il y a une quasi-obligation de résultat.
De mauvais esprits spéculent sur la capacité de ce gouvernement à durer. Mais existe-t-il une alternative ?
À droite, 142 députés ne peuvent trouver aucun allié. À gauche, la volonté de Jean-Luc Mélenchon, que fait sienne Olivier Faure, consiste à appliquer le programme, tout le programme, rien que le programme du Nouveau Front populaire, ce qui bloque toute possibilité d’avancer.
Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement est à l’image du socle parlementaire qui a permis l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale. Au moins, cette élection a prouvé qu’une majorité, même relative, pouvait se dégager. C’est ce socle que votre gouvernement représente aujourd’hui dans sa diversité. Désormais, pour chaque texte, il faudra rééditer l’exploit.
Car la base parlementaire sur laquelle votre action peut s’appuyer n’est pas intangible – c’est un euphémisme. Elle peut s’effriter ou, éventuellement, s’étoffer selon l’approche que l’on adopte sur tel ou tel sujet. La conséquence immédiate de la nouvelle donne est que le barycentre de la vie politique s’est déplacé vers le Parlement et, singulièrement, vers le Sénat.
Tout cela doit nous inciter à légiférer mieux, à légiférer juste, mais aussi à légiférer moins. Légiférer mieux et juste implique, comme vous le pointiez du doigt, monsieur le Premier ministre, de définir une nouvelle méthode d’action.
Selon nous, cette méthode gagnerait à reposer sur trois volets.
D’abord, pour éviter la paralysie, le Parlement devrait, à travers ses commissions, être associé le plus en amont possible à l’élaboration de la loi.
Ensuite, comme vous l’avez indiqué, nous ne pourrons pas non plus réussir sans faire confiance aux partenaires sociaux, sans les replacer, eux aussi, au centre des échanges.
Enfin, et vous l’avez vous-même souligné, il faut davantage associer le Parlement aux travaux européens. Il faut plus de collaboration et d’articulation en amont pour ne pas découvrir ce que l’Union européenne a fait au moment des transpositions et, surtout, pour éviter les surtranspositions. Je formulerai une suggestion à cet égard : l’analyse du droit communautaire existant ou en gestation pourrait figurer de manière substantielle dans l’exposé des motifs des projets et des propositions de loi.
La méthode doit évoluer, les institutions aussi. À ce sujet, nous ne pouvons que nous réjouir de votre ouverture sur la question de la proportionnelle. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et GEST.)
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Hervé Marseille. Nous y sommes historiquement attachés dans le cadre d’un scrutin plutôt départemental et à condition de revenir à un cumul raisonné des mandats pour que les élus d’exécutifs locaux puissent s’engager.
Il faudrait aussi légiférer moins. À cet égard, on n’a rien inventé de mieux qu’une majorité difficile pour lutter contre la surproduction législative.
En fait, beaucoup peut être fait sans passer par la loi. En appliquant les textes déjà votés et les règlements existants, notre pays ne serait déjà plus tout à fait le même.
Pour mémoire, c’est ce que l’on a fait avec France Services, dont vous avez cité l’exemple hier à l’Assemblée nationale. En réponse à la crise des « gilets jaunes », il n’y a pas eu besoin de loi nouvelle pour créer ce réseau, qui a permis de rapprocher les services publics des usagers.
De même, nous n’avons pas besoin de loi nouvelle pour lutter contre la fraude sociale et fiscale, pour obtenir des États tiers plus de laissez-passer consulaires afin de faire exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF), ou pour favoriser le dialogue social et prévenir autant que faire se peut les grèves et les conflits sociaux.
Sur le fond, les attentes de nos concitoyens sont pressantes et immenses. Pour autant, elles sont souvent très contradictoires. Mais s’il est une constante dans ce qui s’est exprimé, c’est ce cri d’alarme concernant le pouvoir d’achat, poussé en particulier par ceux qui perçoivent un bas salaire, par les ménages modestes et les familles monoparentales. C’est votre premier chantier, monsieur le Premier ministre, sur lequel je concentrerai mon intervention.
Les questions de logement et d’énergie sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens, ces deux postes représentant souvent près de 50 % de leur budget. Ils ne pourront donc pas retrouver foi en l’avenir si nous ne commençons pas par traiter ces sujets.
Nous savons à quel point votre ministre du logement, qui était jusqu’à il y a peu membre de notre groupe, est déterminée à remplir sa mission – tous ceux qui, dans l’administration, ont eu affaire à elle concernant le ZAN sont aujourd’hui en cure de repos ! (Rires sur les travées du groupe UC.) Il faut être très prudent…
Par ailleurs, la maîtrise de notre énergie suppose une stratégie de long terme en adéquation avec nos objectifs climatiques. Une loi de programmation énergétique aurait dû être adoptée il y a un an. Il nous faut rattraper ce retard au plus vite.
Nous partageons votre engagement environnemental, monsieur le Premier ministre, mais une écologie efficace doit être réaliste et permettre à chacun de s’adapter à la transition. Nous nous réjouissons donc de l’aménagement de certains dispositifs, tels que le DPE et le ZAN.
Parmi les préoccupations sociales de nos concitoyens figure également la prise en charge de la dépendance, toujours reportée, alors qu’elle est rendue plus urgente que jamais par une démographie en berne.
Ces objectifs sociaux ne peuvent pas entrer en contradiction avec l’impératif vital de redresser nos comptes publics. Toute la difficulté réside dans notre capacité à les concilier.
À ce sujet, seul un discours de vérité nous permettra de sortir de l’ornière. Le déficit doit être résorbé, et il est impératif de réduire la dépense publique. À cet effet, le Sénat avait proposé l’année dernière une série de mesures permettant de dégager 7 milliards d’euros d’économies. Ces propositions demeurent valables.
Toutefois, nous n’avons jamais été hostiles à conjuguer économies et recettes nouvelles, car nous savons que les économies ne suffiront pas. Nous pourrions par exemple revoir le niveau de la flat tax, taxer les rachats d’actions ou encore les superprofits, comme nous l’avons déjà proposé par le passé.
Permettez-moi maintenant d’élargir mon propos : le besoin de justice et le mécontentement s’expriment aussi dans nos campagnes. Les agriculteurs ne se satisferont pas longtemps du statu quo en vigueur depuis le mouvement de février dernier. Plus largement, le sentiment d’abandon prédomine dans ces territoires.
Nous savons que votre gouvernement, tout comme les précédents orateurs, en a profondément conscience. Faire aboutir le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, comme vous vous y êtes engagé, est donc une priorité que nous soutiendrons.
Nous vous remercions en outre, monsieur le Premier ministre, d’avoir fait allusion au maintien des services publics territoriaux, notamment à la présence postale, qui nous semble importante.
Une autre colère s’exprime, celle de nos concitoyens quotidiennement confrontés aux incivilités et à la délinquance des mineurs. Il faut enfin apporter une réponse aux émeutes de l’été 2023. Les propositions sur la comparution immédiate des mineurs en font partie. Il faut agir vite pour juguler le sentiment d’impunité qui gangrène la société. Nous voulons des réponses pénales rapides, certaines et dissuasives.
La colère gronde également dans les outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et aux Antilles. Il y a urgence à apporter des solutions. Il y a urgence aussi à rouvrir le dialogue avec la collectivité de Corse. Il faut retourner au plus vite à la table des négociations et, là encore, s’entendre sur une méthode pour avancer et, si possible, conclure – soyons optimistes.
Enfin, comment ne pas dire un mot de la situation internationale ?
À l’approche du triste anniversaire du 7 octobre 2023, j’ai moi aussi une pensée pour les otages, notamment pour nos deux concitoyens encore détenus.
Entre le risque d’embrasement au Proche-Orient, l’enlisement en Ukraine, la menace chinoise sur Taïwan et le drame du Soudan, jamais, depuis plus de soixante ans, les tensions n’avaient été aussi vives. Sans nous bercer d’illusions sur notre capacité d’influence, nous estimons que la France doit mobiliser ses ressources pour tenter de les apaiser.
En conclusion, monsieur le Premier ministre, j’ai la conviction que nous ne reprendrons notre destin en main que dans le cadre européen. Nombre de sujets brûlants, à commencer par l’immigration ou la politique méditerranéenne, doivent être réévalués dans une perspective européenne.
Il en va de même de tous les grands enjeux d’avenir, car l’urgence de la situation ne doit pas nous les faire perdre de vue.
Ces objectifs ont récemment été rappelés dans le rapport Draghi : il s’agit de combler notre retard technologique, de concilier décarbonation et compétitivité et de renforcer notre souveraineté en réduisant nos dépendances. D’un point de vue institutionnel, ledit rapport nous invite en outre à produire moins de normes et à dégager plus de majorités qualifiées à l’échelon européen.
Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, vous pourrez compter sur le soutien du groupe Union Centriste pour accompagner votre action. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, permettez-moi, pour commencer, de m’associer aux propos qui ont été tenus sur la situation actuelle au Moyen-Orient.
C’est en effet dans un contexte international grave et dans une situation politique intérieure inédite qu’intervient votre déclaration de politique générale. Vous y dévoilez les contours et les priorités de votre action gouvernementale.
Entre une extrême gauche à l’offensive et une extrême droite aux aguets, la situation appelle de notre part de la lucidité, du courage politique et de la responsabilité collective. La tâche est difficile, mais les Français ne nous pardonneraient pas d’échouer face aux défis qui nous attendent.
Je vous le dis clairement : nous souhaitons que le Gouvernement réussisse parce que c’est dans l’intérêt de la Nation !
Depuis 2022, les Français nous enjoignent, par leurs votes, de faire émerger une culture du compromis. Après les occasions manquées, l’heure est au dialogue et au dépassement. La réponse doit être à la hauteur.
Aucune formation politique n’a remporté les dernières élections législatives. Comme dans toute démocratie, le pouvoir revient donc à ceux qui savent former une coalition. (M. Yannick Jadot s’esclaffe.)
Monsieur le Premier ministre, vous avez raison de faire du dialogue et de l’écoute votre mode d’action. Aujourd’hui, nous le voyons, il y a ceux qui se réfugient dans l’opposition systématique, stérile et inopérante, par l’invective ou l’anathème, et ceux qui acceptent de prendre leur part de responsabilité, de relever leurs manches et d’œuvrer pour l’intérêt général.
Les dirigeants de l’arc républicain disposent des moyens politiques et institutionnels pour gouverner ensemble et prouver aux Français que la victoire des extrêmes en 2027 n’est pas inéluctable. Nous pouvons réussir, à condition de le vouloir.
À cet instant, il me revient en mémoire une phrase du discours qu’a prononcé à Évreux celui qui fut mon modèle en politique, Pierre Mendès France. Selon lui, le problème est moins celui des institutions que celui des hommes. Défendant une conception exigeante de la démocratie, Mendès France affirmait alors que la vertu politique exige des élus et des responsables politiques qu’ils placent leur devoir, leur fidélité au-dessus de leurs intérêts de carrière, au-dessus de leur ambition, au-dessus de leur réélection. Il s’agissait d’un appel au courage et à l’action, au risque de l’impopularité.
Ce qu’il disait alors s’applique pleinement à la situation que nous connaissons : « C’est la vertu reconnue des institutions parlementaires, quand elles fonctionnent bien et correctement, d’assurer la salutaire confrontation des thèses. »
Oui, le résultat inédit des dernières élections législatives nous offre l’occasion unique de nous hisser au niveau de la maturité politique de la plupart de nos voisins et de renouer avec la culture du compromis.
Parce que nous avons toujours été des partisans de la main tendue, nous resterons ouverts, mais résolument fermes et déterminés sur nos valeurs.
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit vouloir garantir le respect et la protection de notre État de droit – je le salue. Vous avez dit ne vouloir remettre en cause aucune des libertés acquises et ne tolérer aucune discrimination – cela reflète également notre exigence. On évite d’ailleurs ainsi les vaines querelles et les procès d’intention, les coups d’éclat médiatiques qui ne servent pas toujours…
Vous avez fait de l’exigence budgétaire une priorité – nous la partageons.
Nous faisons le choix des économies, conscients de la difficulté de la tâche, tout en sachant que nous ne pourrons pas nous exonérer de trouver des recettes supplémentaires. Mais, comme vous l’avez signalé, il n’est pas question de voter des hausses d’impôts pour les Français qui travaillent, qui produisent, qui innovent et qui créent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Souvenez-vous de Laurent Fabius déclarant que « trop d’impôt tue l’impôt » : comme cela a été rappelé ces derniers jours, notre pays est l’un des plus imposés au monde, l’un de ceux où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. Alors, inutile de briguer une médaille d’or olympique en la matière, sachant quelles conséquences cela aurait pour notre économie, pour l’attractivité de notre pays, pour la croissance et le pouvoir d’achat des Français !
Il est possible de revenir sur l’action publique sans la dégrader ; nous pouvons en effet la rendre plus efficiente tout en réalisant des économies substantielles.
Toutes les pistes d’économies doivent être explorées, en matière de santé, par exemple. J’anticipe vos reproches en vous disant que, dans ce domaine, je suis prêt à débattre de notre bilan avec tous ceux qui le souhaiteraient. Voilà un secteur dans lequel nous avons investi comme jamais auparavant : 30 milliards d’euros ont été consacrés à l’hôpital en trois ans ! C’est un effort sans précédent, qu’aucun gouvernement n’avait jamais consenti jusqu’alors. Et pourtant, on affirme aujourd’hui que celui-ci va mal…
En matière de santé, il y a donc des économies à faire, sans pour autant détériorer l’accès aux soins ou leur qualité : je pense à la multiplication d’actes parfois inutiles, aux actes redondants, au prix de certaines prothèses – sachez qu’une même prothèse cardiaque coûte 12 000 euros en France, quand elle ne coûte que 4 000 à 5 000 euros en Allemagne –, ou encore au poids de l’administratif à l’hôpital.
Nous devrons partager les efforts, monsieur le Premier ministre, ce qui nécessite un travail de pédagogie sans précédent. Pour être acceptés, les choix doivent en effet être compris, et ce d’autant plus que l’on ne pourra pas consentir à cet effort budgétaire au détriment de la cohésion de notre société, de la sécurité des Français et de la justice sociale.
J’ai ici une pensée toute particulière pour nos concitoyens qui vivent en outre-mer, qui sont confrontés à la violence, aux tensions, à la vie chère.
Si la Nouvelle-Calédonie a retenu légitimement toute notre attention, elle ne doit pas masquer les difficultés profondes et réelles dont souffrent les autres territoires. Je pense bien sûr à la Polynésie française, à la Martinique, à la Guadeloupe, à La Réunion, à la Guyane et à Mayotte, mais pas seulement. Tous les Français, d’où qu’ils viennent, doivent bénéficier des mêmes chances, d’une égalité de destin.
En matière de sécurité, vous voulez des résultats concrets, rapides et visibles. Sans doute faut-il faire preuve d’une plus grande fermeté pour lutter contre l’insécurité et protéger nos concitoyens, mais les mesures et les actes en la matière devront respecter les principes qui fondent notre République, c’est-à-dire les droits et les libertés de chacun. Nous soutiendrons ces décisions si elles respectent l’État de droit et le devoir d’humanité.
J’aborderai à présent deux sujets importants pour l’avenir de notre économie.
Vous avez indiqué, monsieur le Premier ministre, vouloir reprendre – si nécessaire – l’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole. Il appartiendra au Sénat – et je ne doute pas qu’il le fera – de parfaire ce texte et d’y intégrer des volets qui en ont été écartés, car la problématique est plus vaste que celle qui y est soulevée.
Il est fondamental que le Parlement agisse rapidement afin d’ouvrir de nouvelles perspectives pour nos agriculteurs. Les menaces climatiques et les risques géopolitiques qui pèsent sur nos exploitations agricoles inquiètent, à l’heure où nous devons refonder notre modèle agricole. En la matière, nous ne pouvons indéfiniment repousser une réforme du foncier.
Le second sujet que je souhaite aborder est le logement. Nous soutiendrons la politique du logement qu’il est nécessaire de mener pour les Français et pour notre économie. À cet égard, il devient impératif de rouvrir le débat sur le zéro artificialisation nette, qui complique la tâche des élus souhaitant construire plus de logements pour faire face à la demande.
Par ailleurs, le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables que Guillaume Kasbarian – que je salue – devait présenter en juin au Sénat répondait à des aspirations de nos concitoyens et des élus locaux. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier.
En outre, les simplifications sont une impérieuse nécessité. La suradministration, l’excès de normes et la multiplication des intervenants nuisent à l’efficacité publique. Il est temps – et je pense que le Président de la République partage mon avis – de donner aux préfets plus d’autorité sur leurs administrations.
Nous devons introduire de la souplesse et de la flexibilité pour rendre à nos concitoyens et à nos élus locaux, qui sont souvent découragés, leur capacité d’initiative et d’innovation. Voilà une voie pour écrire le nouveau contrat de responsabilités entre les collectivités locales et l’État.
Enfin, l’accroissement du pouvoir d’achat n’est pas possible sans une revalorisation de la valeur travail. J’insiste sur cette valeur, car nous avons lutté pendant sept ans contre sa désacralisation. C’est par un travail mieux rémunéré et source d’émancipation que nous améliorerons le pouvoir d’achat.
Monsieur le Premier ministre, seule l’union des volontés républicaines contribuera à faire avancer notre pays. Cela relève de l’éthique politique, quand se cacher derrière les postures relève de l’imposture.
Le Sénat, qui est rompu à la construction de compromis, est plus que jamais appelé à jouer un rôle éminent, au moment où l’Assemblée nationale, comme nous l’avons vu hier, ressemble à une arène où le combat remplace le débat.
Le groupe RDPI sera toujours dans le camp de l’action déterminée. Il agira avec vigilance et, comme il l’a toujours fait, dans le dépassement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)