M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.
Que l’Union européenne puisse investir dans des secteurs, quels qu’ils soient, était considéré il y a quelques années encore comme une idée étrange. Lors de la crise de la covid-19, au mois de mars 2022, les Vingt-Sept ont décidé, sur l’invitation du Président de la République, de se fixer des objectifs d’investissement nouveaux pour réduire les dépendances apparues dans un certain nombre de secteurs, cette apparition ayant d’ailleurs provoqué l’étonnement et un agacement légitime chez nos concitoyens. Ces secteurs sont bien connus : la défense, l’énergie, la santé, avec les pénuries de médicaments, et l’agriculture.
Nous souhaitons pour l’avenir que, au-delà de ces secteurs, sur lesquels des travaux ont été engagés par l’Union européenne en vue de reconquérir notre souveraineté en la matière, l’Union investisse dans des secteurs neufs – intelligence artificielle, quantique, biotechnologies, nouvelles énergies, espace –, qui ne connaissent donc pas encore de telles dépendances, mais où celles-ci pourraient advenir si nous ne faisons rien.
C’est dans cet esprit que le Président de la République a présenté ses orientations dans son discours de la Sorbonne. Et hier soir, lors du conseil des ministres franco-allemand, la France et l’Allemagne ont acté une contribution commune sur la compétitivité et la croissance dans laquelle elles affirment que l’Union européenne doit se doter d’une capacité d’investissement dans ces secteurs d’avenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Je souhaite saisir l’occasion de ce débat pour aborder la question du retour de l’industrie, via les gigafactories, et vous interroger sur l’avenir de la politique européenne de concurrence.
En France, et plus particulièrement dans les Hauts-de-France, nous sommes très heureux de ce retour de l’industrie. Nous avons en effet connu le déclin industriel, que nous avons dû gérer. À l’époque, on pensait que le secteur tertiaire allait remplacer l’industrie. Cela n’a pas été le cas, d’aucuns avaient fait preuve d’une grande naïveté par rapport au concept de division internationale du travail ; c’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître…
Nous devons aujourd’hui nous interroger pour faire en sorte que ce retour de l’industrie soit solide et durable. Il le sera si plusieurs conditions sont réunies, parmi lesquelles figure la prise de conscience que le monde a changé. L’époque des « gentils Européens » est finie !
Mon collègue Alain Chatillon et moi-même avons « commis » un rapport sur la politique européenne de concurrence, dans lequel nous faisions état de points de comparaison ; ainsi, en Chine et aux États-Unis, les aides publiques font partie du paysage et le concept de souveraineté économique existe véritablement. Ainsi, comme vous l’avez dit, le concept de souveraineté économique européenne doit faire partie du projet européen.
Mais il convient aussi de modifier la politique européenne de concurrence, qui est depuis toujours axée sur le principe selon lequel le consommateur doit avoir les produits les moins chers. Il faut retourner cette compétence exclusive et faire en sorte que la concurrence européenne bascule vers l’ambition de souveraineté économique européenne. Ce ne sera pas facile, comme l’a illustré la fusion entre Siemens et Alstom : il y aura beaucoup de résistances…
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Olivier Henno, il y a une prise de conscience de cette idée que la France défend de longue date : la politique de concurrence doit non pas uniquement viser la réduction des prix, mais aussi intégrer la dimension de la souveraineté.
Hier soir, à la suite du conseil des ministres franco-allemand, dans la contribution commune de la France et de l’Allemagne à l’agenda stratégique qui sera adopté par les Vingt-Sept à la fin du mois de juin, a été intégrée l’idée selon laquelle la politique de concurrence doit permettre, notamment dans le secteur des télécommunications, l’émergence d’entreprises de taille suffisante pour résister aux assauts de leurs rivaux américains ou chinois.
De même que l’Europe prend actuellement un virage, sur l’initiative de la France, dans le domaine de la politique de commerce international – l’une de ses compétences exclusives –, elle évolue aussi sur la question de la politique de concurrence, qu’il convient de ne pas jeter avec l’eau du bain.
Dans certains domaines, par exemple le numérique, la politique de concurrence est notre seul espoir de rouvrir des marchés sur lesquels se sont installés des géants, des monopoles, qui, d’une part, retiennent nos entreprises et nos collectivités dans un lien de dépendance et, d’autre part, empêchent toute forme d’initiative entrepreneuriale de la part d’entreprises européennes.
Autrement dit, la politique de concurrence doit s’adapter à l’air du temps, mais elle est aussi un moyen pour l’Union européenne de rétablir l’équité lorsque celle-ci est violée par les comportements de très grandes entreprises, américaines ou chinoises, dans certains secteurs tels que celui du numérique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le ministre, en 2019, la France était marquée par un élan d’espoir sans précédent. Des milliers de jeunes, dans la rue, partout sur le territoire, se sont rejoints dans des marches, historiques, pour le climat, avec un seul mot d’ordre : « Pensez à notre avenir, mettez la préservation de l’environnement au cœur des politiques européennes. »
La jeunesse s’engageait, se révoltait partout en Europe et dans le monde. Je faisais partie de ces jeunes. Ces marches ont été pour moi un point de bascule, le moment où je me suis dit que je ne pouvais plus seulement déplorer l’inaction climatique, mais que je devais m’engager pour la combattre.
L’espoir était immense : l’élection de militants pour le climat au Parlement européen, comme Marie Toussaint, qui a fait condamner l’État pour inaction climatique, et la venue de Greta Thunberg à Bruxelles, laissaient augurer de véritables changements. Et oui, nous avons obtenu, grâce aux écologistes, des avancées sur le pacte vert, le crime d’écocide, l’interdiction de la pêche en eaux profondes et du plastique à usage unique. Nous pouvons en être fiers !
Mais, depuis 2021 et la crise du covid-19, le « Make our planet great again » d’Emmanuel Macron fait « pschitt ». Alors que nous avions la possibilité d’apprendre de ces crises, de construire un nouveau modèle de société, plus rien ne se passe. Au niveau européen, la France ralentit ; pis, elle semble même reculer : sur la restauration de la nature, sur le glyphosate, sur les pesticides et la santé de nos concitoyens, sur le pouvoir d’achat des Français et sur les prix de l’énergie…
Dans quelques semaines, une nouvelle page de notre histoire européenne va s’ouvrir. L’inquiétude règne. Toute une génération vous attend au tournant et votre responsabilité est immense. Les écologistes obtiennent à chaque fois la meilleure note lorsqu’il s’agit d’évaluer les parlementaires qui agissent le plus en faveur de l’environnement au sein du Parlement européen. Et vous, monsieur le ministre, sur cette dernière législature, quelle note vous attribuez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, je ne sais pas s’il me revient de m’attribuer une note… En tout cas, avec le Pacte vert, l’Europe a démontré, me semble-t-il, qu’elle était le continent le plus ambitieux en matière de transition climatique !
Je vous entends sur la contribution à la cause, si je puis dire, du groupe Les Verts au Parlement européen. Je regrette cependant que les députés français dudit groupe n’aient pas voté la loi européenne sur le climat.
M. Didier Marie. C’est parce qu’elle n’était pas assez ambitieuse !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Certes, mais on se doit d’être au rendez-vous lorsqu’un tel vote a lieu, car les États membres de l’Union européenne s’étaient accordés pour la première fois de leur histoire sur le sujet, tout comme cela a été le cas pour le plan de relance européen ou le pacte sur la migration et l’asile. On ne s’oppose pas à de tels textes quand on est véritablement attaché à ce qui symbolise l’Europe, c’est-à-dire à la recherche du compromis, à une démarche qui consiste à écouter, entendre et faire converger les positions.
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Je souhaite que la mandature à venir soit mise au service à la fois de la transition écologique et de la justice, parce que le Pacte vert ne peut réussir s’il n’est pas aussi un pacte juste.
Si les agriculteurs, dans tous nos territoires, partout en Europe, ont exprimé leur colère, ce n’est pas parce qu’ils sont climatosceptiques ; c’est parce qu’ils ont le sentiment que, dans le cadre de la transition écologique qui s’impose à nous tous, le fardeau qui pèse sur leurs épaules est trop lourd.
M. Pierre Médevielle. Bravo !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. La responsabilité qui est la nôtre est d’accompagner toutes celles et ceux auxquels nous demandons les efforts les plus importants et de faire en sorte que cette transition indispensable soit également une transition juste. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.
Mme Mathilde Ollivier. Vous n’avez pas répondu à ma question, monsieur le ministre. Aussi, je vous informe que l’ONG Bloom vous a attribué la note de 11,9 sur 20, soit mention passable !
Face à la montée de l’extrême droite partout en Europe, vous renoncez à l’écologie. Or le risque qui nous guette, c’est bien celui du pacte brun. Pis, vous présentez l’écologie comme responsable de tous les maux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, le gouvernement français se targue de réindustrialiser notre pays, mais il ne semble pas tirer les enseignements de quarante années de désindustrialisation ni s’interroger sur le rôle de la construction européenne dans les délocalisations que nous avons subies.
Le sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée n’empêche pas la concurrence à l’intérieur des groupes ; au contraire, elle la favorise. Les règles du capitalisme libéral sont, de fait, complètement faussées par les différences de coûts salariaux ou de régimes fiscaux entre pays européens, voire par les aides européennes aux investissements.
Les grandes multinationales ont pris l’habitude de mettre leurs sites européens en concurrence. Après la chute du mur de Berlin, elles se sont implantées à l’Est. Les nouveaux entrants dans l’Union européenne bénéficiant d’importants fonds structurels, elles ont pu puiser dans ceux-ci pour ouvrir de nouvelles usines. Ce sont bien souvent nos salariés français qui sont allés former sur place la main-d’œuvre qui allait bientôt les remplacer.
Avec un Smic brut fixé à 1 766 euros en France, comment notre industrie pourrait-elle rester compétitive dans un espace européen concurrentiel où les salariés polonais, roumains et hongrois perçoivent un salaire minimum respectivement de 970 euros, 612 euros et 487 euros ?
Une véritable machine à délocaliser a été mise en place au sein de l’Union européenne. Et ce ne sont pas vos projets d’élargissement qui amélioreront les choses ! Le Smic s’élève à 189 euros en Ukraine et à 47 euros en Moldavie…
Bon nombre d’entreprises continuent de fermer leurs usines en France, car les groupes transfèrent leurs activités en Europe de l’Est. Dans mon département, le Pas-de-Calais, les exemples sont légion : Bridgestone ferme son site de Béthune après avoir massivement investi dans celui de Poznan en Pologne ; les activités de la Française de mécanique partent en Hongrie ; Prysmian ferme son usine de Calais et accroît ses investissements en Roumanie.
Dans votre Europe, monsieur le ministre, la mise en concurrence des travailleurs et des sites entre eux n’est-elle pas l’obstacle majeur à la réindustrialisation que vous nous promettez ?
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, pour nos territoires et nos industries, l’Union européenne est une véritable assurance vie.
Observez ce qui s’est passé au moment de la crise de la covid-19 : au printemps 2020, alors que l’économie européenne menaçait de s’effondrer sur ses bases, alors que des millions d’emplois et des centaines de milliers d’entreprises étaient en danger, la seule solution possible a consisté, pour l’Union européenne, à se doter pour la première fois de son histoire d’un plan de relance commun de 750 milliards d’euros, afin de soutenir les plans de relance de chacun de ses États membres.
Ainsi, quelque 40 des 100 milliards d’euros du plan de relance français provenaient de l’Union européenne. Dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, des dizaines d’entreprises ont bénéficié du plan France Relance. Sans l’Europe, la moitié de ces subventions n’auraient pas été versées.
Par ailleurs, comme je le disais tout à l’heure, l’Europe a pris conscience de ses fragilités et s’est remise à investir dans un certain nombre de filières où ses dépendances étaient inacceptables. C’est le cas dans le domaine des batteries : pour construire les gigafactories de Dunkerque à Billy-Berclau, l’apport de l’Union européenne est indispensable, tant la taille de ces équipements est considérable.
Cela dit, l’Europe est notre assurance vie, non seulement parce qu’elle nous permet d’investir au bon moment, dans les bons territoires et en misant sur les bonnes industries, mais également parce que nous avons fait progresser l’Europe sociale.
Vous avez raison, madame la sénatrice, le dumping social n’est pas acceptable ! C’est pourquoi la régulation du travail détaché, que nous avons obtenue dès 2017, et la fixation d’un salaire minimum dans tous les États membres de l’Union européenne étaient primordiales. On ne peut pas faire l’Europe au détriment de nos entreprises, de nos industries et de nos emplois.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’Europe doit avancer sur ses deux jambes. Et, de ce point de vue, le bilan du mandat qui s’achève me semble être particulièrement satisfaisant.
Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre, le 25 avril dernier, le Président de la République prononçait un discours à la Sorbonne dans lequel il évoquait la nécessité d’une Europe plus souveraine et plus puissante.
Telle est l’ambition affichée alors qu’une crise majeure touche l’ensemble des pays européens, qui sont aujourd’hui à la croisée des chemins, tant les défis politiques, économiques, diplomatiques et écologiques bouleversent profondément nos sociétés. En outre, la montée des mouvements populistes et eurosceptiques atteste d’une résistance significative à l’intégration européenne.
Notre pays a toujours revendiqué un rôle de leader sur la scène européenne. Or l’Insee devrait publier dans les jours qui viennent les chiffres du déficit public français en 2023, et nous savons d’ores et déjà que les résultats ont été mauvais. Avec un déficit public aux alentours de 5,6 % du PIB, la France se classe désormais à l’avant-dernière place dans la zone euro, devançant seulement l’Italie. Les défis économiques auxquels nous faisons face affaiblissent notre position à l’échelle européenne.
Sur le plan environnemental, nous nous sommes positionnés comme d’ardents défenseurs de la transition énergétique. Force est de constater que cette dernière est lente et que les mesures prises sont souvent jugées insuffisantes pour répondre à l’urgence climatique.
Enfin, sur la scène diplomatique, l’Europe et, par extension, la France devraient jouer un rôle prépondérant dans la gestion des conflits en Ukraine et en Palestine. Mais est-ce vraiment le cas ? Notre pays n’a pas semblé à la hauteur de son statut de leader, ce qui laisse planer quelques doutes sur notre capacité à jouer un rôle majeur dans la diplomatie européenne.
Avec les derniers bombardements à Rafah qui ont fait une cinquantaine de morts, la situation devient urgente et appelle une réponse immédiate. Il est primordial que l’Europe, sous l’impulsion de notre pays, parle d’une seule voix pour exiger un cessez-le-feu immédiat et la reconnaissance de l’État palestinien, à l’instar de ce qu’ont décidé l’Espagne, la Norvège et l’Irlande. Il est temps que la France prenne ses responsabilités et accompagne l’Europe dans cette démarche cruciale.
Monsieur le ministre, face à ces constats, il est légitime de s’interroger : notre pays peut-il continuer à prétendre remplir pleinement son rôle de puissance influente au niveau européen ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, pour ce qui est de son importance géopolitique et de son influence diplomatique, l’Europe a également accompli des progrès sensibles ces cinq dernières années. Je pense notamment à la manière dont l’Union européenne a su s’accorder, dès les premiers jours qui ont suivi la guerre d’agression russe en Ukraine, sur la question des sanctions, du soutien militaire à apporter et du secours aux civils.
S’agissant de la situation au Proche-Orient, la France a beaucoup insisté pour que l’Union européenne parle d’une seule voix.
Lors du Conseil européen du mois de mars, les Vingt-Sept se sont accordés – enfin !, si j’ose dire – sur une déclaration commune, qui réclame une trêve immédiate conduisant à un cessez-le-feu durable et appelle à la libération inconditionnelle des otages, à l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire, à des sanctions à l’encontre des dirigeants du Hamas comme des colons extrémistes violents, ainsi qu’au respect d’un certain nombre de principes qu’ils sont parvenus à défendre ensemble.
Vous l’avez dit, certains États membres de l’Union européenne ont décidé de reconnaître l’État palestinien.
Comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, cette reconnaissance ne constitue pas un tabou pour la France. C’est une décision qui viendra en temps utile dans le cadre d’un processus de paix, ce qui, vous le savez, n’a pas empêché la France de soutenir devant les Nations unies la résolution conduisant à la reconnaissance de l’État de Palestine comme membre associé.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. À l’évidence, l’Europe a encore des efforts à réaliser pour s’affirmer comme une puissance diplomatique. Elle a néanmoins considérablement progressé ces dernières années.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Permettez-moi tout d’abord de remercier le groupe socialiste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour, à dix jours seulement des élections européennes, d’autant que la réponse à la question posée est, à l’évidence, favorable à la majorité présidentielle. (Sourires.)
Monsieur le ministre, ma question portera sur l’écologie : quelles impulsions ont été données à l’échelle continentale pour soutenir les avancées environnementales des vingt-sept États membres ? Quel rôle la France a-t-elle joué en la matière ?
Je pourrais citer plusieurs avancées comme la taxe carbone aux frontières ou la redéfinition de la taxonomie européenne. Sur le fondement du Pacte vert pour l’Europe, de nombreuses législations visant la neutralité carbone en 2050 ont vu le jour.
En 2023, la France a, quant à elle, enregistré une baisse record de près de 6 % de ses émissions de CO2, un résultat inédit et supérieur aux objectifs fixés.
C’est pourquoi je souhaiterais vous interroger plus particulièrement sur les effets, à mon avis méconnus, du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, voté en 2020, qui n’a été soutenu en France que par le groupe Renaissance et les écologistes.
Parce que des enjeux cruciaux marquent notre actualité, comme la guerre d’agression russe en Ukraine, la situation dramatique au Proche-Orient ou la baisse du pouvoir d’achat, l’analyse des bienfaits de cette relance d’inspiration keynésienne, pourtant historique, a pu passer au second plan.
Pourtant, les plus de 40 milliards d’euros de la contribution versée à la France se traduisent sous la forme de multiples projets. Ainsi, au moins 37 % des dépenses des plans de résilience nationaux devaient être consacrées à l’action climatique. Grâce à ce plan, l’Espagne, en 2026, devrait bénéficier de 80 milliards d’euros de fonds non remboursables et à autant de crédits. Cela avait fait dire à la gauche espagnole, il y a trois ans, que cet engagement marquait la fin d’une logique néolibérale.
Monsieur le ministre, pourriez-vous citer des exemples concrets de réalisations environnementales, qui auraient été rendues possibles en France grâce au plan de relance dont la majorité présidentielle a été le fer de lance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir relevé, au travers de votre question, l’importance de l’emprunt commun qu’a lancé l’Europe, pour la première fois de son histoire.
Pour vous répondre, je pourrais ne citer qu’un seul exemple, celui du dispositif MaPrimeRénov’,…
M. Didier Marie. Son montant a baissé !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … qui a été financé, pour les deux tiers, par le plan de relance européen. Ce cas suffit à lui seul à témoigner de l’importance de l’effort budgétaire européen au service de la transition écologique.
Toutefois, je donnerai d’autres exemples, qui tiennent à cœur, me semble-t-il, aux sénatrices et aux sénateurs ici présents : la rénovation thermique des bâtiments publics qui a été rendue possible, pour une très large part, par le plan France Relance, donc, par le plan de relance européen, ou encore les nombreux programmes de décarbonation industrielle, qui, durant cette période si éprouvante pour l’économie française, n’ont pu être engagés que grâce au déploiement, dans tous les territoires de France, de crédits rendus accessibles à la faveur de la mobilisation exceptionnelle de l’Union européenne.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, comme dans bien d’autres domaines, votre action en matière d’agriculture à l’échelle européenne aura été marquée par un terrible double discours.
Alors que les négociations sur les contours de la future politique agricole commune (PAC) avaient permis certaines avancées, notamment la conditionnalité environnementale des aides, la France s’est imposée comme un acteur de premier plan pour détricoter ce modeste verdissement de la PAC, un an seulement après son entrée en vigueur.
Contrairement à ce que vous venez de nous dire et en contradiction avec les déclarations d’Emmanuel Macron en 2017, vous avez également permis, en agissant comme vous l’avez fait, la réautorisation du glyphosate pour les dix prochaines années.
Monsieur le ministre, quand comptez-vous défendre l’indispensable transition de notre modèle agricole au niveau européen ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, la France a soutenu l’adoption de la PAC, telle qu’elle avait été négociée à l’époque. Je précise que, comme souvent, les politiques publiques évoluent et que, de toute évidence, certaines de ces conditionnalités n’étaient pas tout à fait acceptables pour une partie de nos agriculteurs.
Cela dit, la politique du gouvernement français au Conseil de l’Union européenne comme au Conseil européen consiste bel et bien à accompagner l’agriculture dans sa transition, tout en ralliant l’ensemble de nos partenaires, qui n’y sont pas tous favorables, à une idée française, qui s’est concrétisée au travers des lois Égalim, à savoir la préservation des revenus des agriculteurs.
Au niveau européen, nous avons défendu et obtenu plusieurs mesures en faveur des agriculteurs français, qui conduisent, il est vrai, à l’assouplissement de certaines conditionnalités. Il s’agit, d’une part, de mesures de simplification drastique que la Commission européenne a mises sur la table à la surprise générale, et, d’autre part, d’engagements que nous avons obtenus, puisqu’ils figurent, dans leur principe, dans les conclusions du dernier Conseil européen.
Je pense à l’européanisation des objectifs des lois Égalim, notamment celui de revenus agricoles garantis, non seulement grâce à des règles de construction des prix définies en amont, en partant des agriculteurs, mais aussi grâce à des contrôles sanitaires permettant d’éviter que ces règles ne soient contournées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.
M. Jean-Claude Tissot. Malgré ce nouveau numéro d’autosatisfaction, monsieur le ministre, vous n’êtes malheureusement pas à la hauteur de l’enjeu, tout comme le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole de votre gouvernement, dont nous débattrons bientôt.
Dans cet hémicycle, comme au Parlement européen, nous cessons de vous proposer des mesures concrètes pour faire évoluer l’agriculture européenne. Il est temps de construire une réelle politique agricole et alimentaire commune, en imposant de meilleurs modes de production conduisant à une alimentation de qualité.
Aussi faut-il réviser en profondeur le fonctionnement de la PAC, en encourageant les aides à l’emploi agricole et à l’utilité écologique, mais aussi en plafonnant les aides, comme en Espagne, pour garantir leur plus juste répartition.
Il faut apporter un soutien massif à l’agriculture biologique et à l’ensemble des modèles qui concilient production et respect de la biodiversité et de la santé des agriculteurs.
Il faut recourir à la commande publique dans la restauration hors domicile et les cantines scolaires, pour bâtir notre souveraineté agricole et favoriser nos filières locales.
Il faut également renoncer aux accords de libre-échange en cours de négociation et prévoir en permanence les clauses miroirs indispensables pour assurer la réciprocité des normes environnementales et sociales.
Il faut surtout instaurer un véritable revenu agricole, en encadrant plus strictement les marges et les méthodes, de la grande distribution et des industriels, mais aussi en rémunérant correctement les services environnementaux rendus par les agriculteurs.
Voilà, monsieur le ministre, quelques moyens concrets pour réussir l’indispensable transition de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)