M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame Annick Girardin, vous connaissez bien l’histoire et les enjeux de la situation en Nouvelle-Calédonie. Vous mesurez la gravité du moment et le risque que ces violences nous fassent revenir quarante ans en arrière. Nous ne laisserons pas faire.
C’est pourquoi nous agissons afin de rétablir l’ordre. Nous agissons aussi face aux conséquences économiques et sociales de ces émeutes. Le ministre de l’économie et des finances s’est déjà entretenu avec les acteurs économiques locaux et, ce matin, avec les banques et les assurances.
Nous serons aux côtés de la Nouvelle-Calédonie pour engager la reconstruction, comme nous sommes à ses côtés pour aider à son développement économique et social, ainsi qu’à la diversification de son économie dans le respect des compétences des institutions locales.
Nous engageons aussi toutes nos forces pour créer les conditions du dialogue et d’un accord politique global.
Le Président de la République se rend en Nouvelle-Calédonie d’abord pour témoigner aux Calédoniens, premières victimes des émeutes, la solidarité de la Nation. Son déplacement a aussi évidemment pour objectif de renouer le fil du dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes avec l’État. C’est la raison pour laquelle il installera une mission composée de hauts fonctionnaires, qui resteront en Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire.
Je veux insister sur le fait que, depuis 2017, le Président de la République s’est déjà rendu à deux reprises en Nouvelle-Calédonie. Il s’y rend de nouveau en ce moment même.
Vous me demandez, madame la sénatrice, quelles seront les prérogatives de la mission qui sera installée. Cette mission a pour objectif de faire émerger un dialogue politique local afin de parvenir à un accord politique global. Le Président de la République et le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger prendront toute leur part à ces discussions.
Je le rappelle, j’ai présidé cinq cellules interministérielles de crise ; mais, plus largement, j’ai réuni à Matignon vendredi soir les présidents des deux chambres, M. le président Larcher et Mme la présidente de l’Assemblée nationale, ainsi que des représentants parlementaires de tous les groupes politiques. Dans les semaines et les mois à venir, avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer, et avec la ministre déléguée chargée des outre-mer, je suivrai au plus près, en lien avec les acteurs politiques calédoniens, l’évolution des discussions pour parvenir, je l’espère – c’est notre souhait à tous –, à un accord politique global en faveur de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)
situation en nouvelle-calédonie (iii)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le Premier ministre, pour beaucoup de nos compatriotes, l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, les violences, les morts, ont été un grand choc. Mais pour beaucoup d’entre nous, ici, ils ont le goût amer de la catastrophe annoncée.
Je n’entrerai pas dans la longue liste des fautes commises par la France depuis 2020, du refus du report du troisième référendum à l’entêtement dans ce chemin qui ne pouvait assurément que conduire au drame et au sang. L’histoire les jugera.
Aujourd’hui, l’urgence n’est pas de comptabiliser les torts ; elle est de savoir comment les réparer.
On ne peut pas réussir un processus de décolonisation en jouant aux cowboys, en tapant du poing sur la table et en bombant le torse. Ce n’est pas possible !
Vous êtes là face à une équation qui vous défie. Vous ne pouvez réussir qu’en étant humbles, impartiaux et dignes.
Pour mettre un terme durable aux violences, pour renouer avec l’héritage si précieux de l’accord de Nouméa, il y a aujourd’hui des choses qu’il faut dire. Il faut dire : « Pardon, nous nous sommes trompés. » Et, en vous demandant de dire cela, je ne vous demande pas de vous rabaisser, au contraire ! Reconnaître ses erreurs, c’est grandir. Reconnaître ses erreurs sur une question coloniale, c’est, comme responsable politique, permettre à toute une nation de s’élever et d’être à la hauteur de son histoire.
Il y a des choses qu’il faut faire en conséquence de cette reconnaissance.
Il faut retirer ce texte maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.) Aucune solution pacifique, juste, digne, donc aucune solution n’est envisageable sans le retrait de ce texte.
Il faut aussi, monsieur le Premier ministre, que vous preniez formellement la responsabilité de ce dossier, car personne ne comprend qui est responsable.
Il faut, enfin, clarifier les contours de la mission de dialogue et son objectif – trouver un accord global préalable à toute autre décision.
Si nous faisons cela, alors peut-être avons-nous une chance que la France ne rate pas la totalité des processus de décolonisation. Est-ce ce que le Président de la République va faire aujourd’hui ? (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame la sénatrice Vogel, la situation en Nouvelle-Calédonie est grave ; vous le savez. Elle appelle, je crois, de la hauteur et de la discussion – jamais d’anathèmes ni de remises en cause.
Oui, il y a des violences. Je pense qu’il est important, d’abord, que nous dénoncions tous très clairement, très explicitement ces violences, comme l’ont fait l’ensemble des acteurs politiques calédoniens. La violence n’est jamais tolérable ni justifiable, et je crois qu’il nous appartient à tous, représentants de la Nation, de le rappeler, chaque fois que nous avons l’occasion de le faire, lorsque nous intervenons sur ce sujet.
Par ailleurs, vous avez parlé de bomber le torse ou de jouer aux cowboys. Pour ma part, je vous parle tout simplement de permettre à des Calédoniens de vivre en sécurité, ce qui a été hautement compromis, voire assez largement entamé ces derniers jours par les violences qui ont eu lieu. (M. Thomas Dossus proteste. – MM. Jean-Michel Arnaud et Olivier Cadic applaudissent.)
Madame la sénatrice, ce n’est pas bomber le torse ni jouer aux cowboys que de permettre à des habitants de la Nouvelle-Calédonie de dormir en sécurité, d’aller acheter de quoi s’alimenter et se soigner quand ils sont dialysés ou pour tout autre besoin !
Le retour à l’ordre est un préalable à tout, un préalable au dialogue, un préalable au vivre ensemble que vous semblez appeler de vos vœux. (M. Yannick Jadot proteste.)
Ce vivre ensemble, c’est le fil rouge de quarante ans de dialogue et d’échanges. Ni les responsables indépendantistes ni les responsables non indépendantistes ne le remettent en cause. Tous ont appelé à la violence… (À la fin de la violence ! sur les travées des groupes SER et GEST.) … à la fin de la violence, évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs.
Trois référendums se sont tenus, au cours desquels les Calédoniens ont souverainement exprimé leurs choix.
Maintenant, il faut avancer. Il faut avancer dans le dialogue. C’est précisément l’objet de la visite du Président de la République et de la mission qu’il installe : remettre tout le monde autour de la table, faire émerger un accord politique global à la faveur de cette mission, qui mobilisera évidemment ensuite le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, pour parvenir à un accord au bénéfice de la Nouvelle-Calédonie et de son avenir.
De ce point de vue, le Président de la République a toujours été clair. L’an dernier, il a lui-même parlé, dans son discours, du « chemin du pardon », mais aussi du « chemin de l’avenir ».
J’ai présidé, voilà quelques semaines, la cérémonie nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage, qui, pour la première fois, se tenait – c’était une demande de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et des associations, et je remercie le président Larcher d’y avoir accédé – non pas dans le jardin du Luxembourg, mais ailleurs en France – à La Rochelle, en l’occurrence.
La France regarde son histoire en face. Et je pense que, par la voix du Président de la République, les choses ont toujours été dites clairement.
Mais, à côté du chemin du pardon, il y a le chemin de l’avenir. Et c’est précisément en trouvant tous ensemble ce chemin de l’avenir que nous parviendrons à vivre ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
situation dans les territoires ultramarins
M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Bélim. Monsieur le Premier ministre, qui aurait imaginé, en 2024, une épidémie de choléra en France ? Qui aurait imaginé un haut-commissaire parlant de « guerre civile » dans notre pays ?
Nous l’observons, la situation est critique dans les outre-mer. C’est le résultat d’une absence de politique, mais également d’une absence d’écoute, de compréhension et d’ambition pour nos territoires.
Qu’avez-vous fait depuis 2017 ? Sept ans d’assises des outre-mer, de livres bleus, de comités interministériels des outre-mer… Pour quel résultat ?
La politique de vos gouvernements, qui se résume à réagir face à l’urgence, m’oblige à vous faire part, avec gravité, de notre inquiétude.
L’arrivée du choléra à Mayotte comme la résurgence de violences en Nouvelle-Calédonie – des situations pourtant prévisibles, sur lesquelles nous vous avions alerté – nous amènent à évoquer la situation de nos autres territoires avec humilité.
À La Réunion, 36 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. C’est 77 % à Mayotte ! L’inquiétude est également nourrie par les violences urbaines que nous observons au sein de la plupart de nos territoires.
Je suis Réunionnaise, Ultramarine, Française. Je suis libre, fraternelle, solidaire et, parce que nos territoires sont liés, je demande que tous les moyens de l’État soient déployés pour régler au plus vite l’épidémie de choléra à Mayotte, comme il le ferait dans n’importe quel territoire de l’Hexagone.
Ne nous donnez pas le sentiment que la vie d’un enfant de 3 ans à Mayotte, et plus largement dans les outre-mer, vaut moins que celle d’un enfant dans l’Hexagone !
Dans l’esprit de la loi unanimement votée par le Parlement français, nos concitoyens attendent toujours que soit réalisée l’égalité réelle. Allez-vous enfin croire en nous et construire avec nous ? Allez-vous enfin consacrer des moyens à la hauteur des enjeux sur vos trois derniers budgets d’ici à 2027 ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Gabriel Attal, Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame la sénatrice Bélim, votre question aborde la situation de nos outre-mer et, surtout, l’avenir de nos territoires ultramarins. Je redis ici ce que j’ai eu l’occasion de dire dans les différentes fonctions gouvernementales que j’ai eu la chance d’exercer ces dernières années : nos outre-mer sont une chance inouïe et une richesse extraordinaire pour notre pays.
Cependant, il faut avoir la lucidité de reconnaître qu’ils traversent de très grandes difficultés, de manière beaucoup plus importante qu’en métropole. Je pense à la précarité, à la problématique sociale, à l’impact du dérèglement climatique ou encore à la sécurité.
Notre responsabilité, celle de l’État et des gouvernements, est précisément d’investir pour permettre à nos territoires ultramarins d’affronter ces très grandes difficultés.
M. Hervé Gillé. Qu’avez-vous fait pour cela ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Depuis 2017, avons-nous réglé tous les problèmes ? Non, évidemment ! Je suis lucide. De grandes difficultés se posent encore.
En revanche, je crois très profondément que nous avons, depuis lors, investi massivement pour nos territoires ultramarins : dans la politique de la ville, notamment en faveur du renouvellement urbain ; dans l’éducation, alors même que les territoires ultramarins sont quasiment tous classés intégralement en éducation prioritaire, voire en éducation prioritaire renforcée.
Lorsque j’étais encore ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, je me suis rendu à La Réunion au mois d’août dernier, à l’occasion de la rentrée scolaire. J’ai alors pu observer l’effet des décisions que nous avons prises pour les réseaux d’éducation prioritaires et réseaux d’éducation prioritaire renforcée dans un territoire comme La Réunion, qui bénéficie pleinement de ces mesures.
Nous avons également agi en matière de pouvoir d’achat. Cependant, des difficultés demeurent face aux crises et face à l’envolée des prix de l’énergie, de l’électricité comme de l’essence.
Nous avons aussi investi pour l’avenir. Voilà quelques mois seulement, nous avons obtenu une avancée majeure, en lien, d’ailleurs, avec l’Union européenne, pour le renouvellement des flottes de pêche outre-mer, attendu par les acteurs locaux depuis des années, si ce n’est des décennies. Nous devons continuer à agir.
Je le dis ici, mon gouvernement sera pleinement mobilisé de ce point de vue. Ainsi que j’ai eu l’occasion de l’annoncer, un nouveau comité interministériel des outre-mer (Ciom) se tiendra au cours des prochains mois, précisément pour faire le point sur les avancées que nous avons obtenues et sur ce qu’il reste à accomplir pour assurer aux habitants des territoires ultramarins, qui le méritent comme tous les Français, le droit de vivre dignement et en sécurité, et garantir à leurs enfants une éducation de qualité qui leur permettra de vivre mieux qu’ils n’ont pu le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réforme de la fonction publique
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Gérard Paumier. Monsieur le ministre, notre service public est au cœur du contrat social et du pacte républicain.
Notre fonction publique hospitalière, territoriale et de l’État est un bien national. Nos compatriotes y sont très attachés.
Cinq ans après la loi d’août 2019, vous lancez un débat en vue d’une nouvelle réforme de la fonction publique qui m’interpelle quant au calendrier, à la méthode et au contenu.
Le calendrier intervient après une crise covid ayant fragilisé la fonction publique, notamment hospitalière, et après une période de forte hausse des prix, laquelle, malgré les aides de l’État, a rogné le pouvoir d’achat des 5,7 millions de fonctionnaires, au même titre que celui de la plupart des Français.
La méthode du discours ministériel unilatéral lors des rencontres de terrain, utilisée notamment vendredi dernier à Amboise, ne saurait faire oublier l’insuffisance d’une concertation préalable approfondie avec les employeurs publics, les centres de gestion et les syndicats de fonctionnaires.
Quant au contenu, il me paraît réducteur de se focaliser sur les seuls aspects statutaires, dont le licenciement pour insuffisance professionnelle et la rémunération au mérite, sans fixer d’ailleurs de critères précis, ainsi que la suppression emblématique des catégories A, B et C, au moment où les secrétaires de mairie attendent leur décret à ce sujet. Cela risque d’être perçu moins comme une avancée que comme une remise en cause de fondamentaux.
Monsieur le ministre, ma question est simple : envisagez-vous d’infléchir le calendrier, la méthode et le contenu de votre réforme de la fonction publique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le sénateur Paumier, il y a quelques heures, le Premier ministre rendait hommage aux agents de l’administration pénitentiaire décédés et à leurs frères d’armes blessés. Le garde des sceaux, ministre de la justice, et moi-même étions à ses côtés.
Nous avons vu des agents de l’administration pénitentiaire, des soignants, des sapeurs-pompiers, des agents administratifs, tous engagés, volontaires, investis dans leurs missions. Ce sont les agents publics de notre pays. Nous savons ce que nous leur devons, et je suis fier d’être leur ministre.
Mais il faut regarder la réalité en face. La fonction publique n’est plus aussi attractive. Le nombre de candidats aux concours a été divisé par deux ces dix dernières années.
Bien sûr, il y a les enjeux salariaux que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur. Je suis un ministre engagé sur ces questions depuis maintenant deux ans. Nous avons consacré 14 milliards d’euros à l’augmentation des agents publics de ce pays. Ce sont les plus fortes augmentations depuis trente-sept ans.
Se posent aussi les questions des conditions de travail, de la protection des agents, de leur accès au logement, les questions de santé et d’égalité salariale. Je suis également engagé sur ces questions, sur lesquelles j’ai ouvert une négociation avec les organisations syndicales pour pouvoir aller plus loin.
Demeurent aussi tous ces blocages, toutes ces rigidités.
Vous l’avez dit, j’étais, vendredi, dans votre beau département. J’ai échangé avec des agents publics. Pour de bonnes raisons, vous ne pouviez être présent, mais, pour avoir été président de centre de gestion, vous connaissez les questions que nous avons évoquées.
J’ai entendu des employeurs territoriaux qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas titulariser les apprentis qu’ils avaient depuis parfois deux ans.
J’ai vu des secrétaires de mairie qui se demandaient pourquoi il était si compliqué de passer à une catégorie supérieure du fait de quotas de promotion les empêchant d’évoluer.
J’ai vu des professeurs qui me demandaient pourquoi il fallait attendre vingt ans pour accéder au deuxième grade dans l’éducation nationale.
J’ai vu des agents de préfecture formidablement engagés, qui ne comprenaient pas pourquoi on ne pouvait pas mieux valoriser leur engagement par une rémunération au mérite.
Ce sont tous ces sujets que nous devrons aborder avec les agents et les organisations syndicales. Je les recevais hier encore pour préparer un projet de réforme qui, je crois, est nécessaire pour la fonction publique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour la réplique.
M. Jean-Gérard Paumier. Monsieur le ministre, dans un climat social tendu, mon propos est de vous alerter, à défaut de vous convaincre.
Si vous dédaignez les mises en garde, je crains d’être amené à appliquer à votre réforme, dans quelque temps – à l’automne –, ces mots de Chateaubriand, qu’il prononça en son temps dans ce palais : « Inutile Cassandre, […] il ne me reste plus qu’à m’asseoir sur les débris d’un naufrage que j’ai tant de fois prédit. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
choc des savoirs
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Colombe Brossel. Madame la ministre de l’éducation nationale, depuis le mois de février, pas un jour ne passe sans qu’il y ait un rassemblement, une manifestation, une journée de grève, une opération « collège désert » pour protester contre le prétendu « choc des savoirs ».
Partout en France, enseignants, personnels de direction, inspecteurs, parents d’élèves refusent la mise en œuvre de groupes de niveaux en français et en mathématiques à la rentrée pour les élèves de sixième et de cinquième. Ils n’en veulent pas, car ils refusent le tri social que, de fait, vous leur imposez d’opérer parmi leurs élèves.
Ils n’en veulent pas, car ils n’en peuvent plus d’être maltraités, avec des annonces perlées alors que les dotations horaires globales ont déjà été notifiées aux établissements. Pour un groupe de niveau en maths, c’est la fin d’une option, c’est la fin du latin ! Pour un groupe de niveau en français, c’est la fin de demi-groupes en langues ou en SVT.
Ils n’en veulent pas, car, à l’heure où mathématiques et français peinent à recruter aux concours, vous en êtes réduite à supplier les professeurs retraités de bien vouloir revenir pour animer ces groupes de niveau.
Ils n’en veulent pas, car votre baguette magique pour mettre en place les groupes de niveaux, c’est l’augmentation des recrutements de contractuels. Confier les plus fragiles aux plus fragiles, il fallait l’inventer…
Madame la ministre, ma question est simple : à l’heure où l’école publique a besoin d’un choc de moyens et de confiance, quand comptez-vous mettre fin aux groupes de niveau ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brossel, non, non et non !
Non, je ne peux partager votre première analyse sur le choc des savoirs, qui vous conduit à dire qu’il revient à opérer un tri social. J’ai eu l’occasion de le répéter que ce n’était pas le cas.
L’ensemble des dispositifs qui ont été annoncés par Gabriel Attal, dont je prends la suite, visent à faire progresser tous nos élèves. Il s’agit là de notre ambition partagée. Cela se traduit notamment par une méthode particulière, à savoir la mise en place de groupes de besoins en sixième et en cinquième en français et en maths, réellement adaptés aux besoins de nos élèves, suivant une pédagogie différenciée.
Nous avons, pour ce faire, un levier fort : un brassage de ces groupes en cours d’année. C’est important. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer devant vous à ce sujet.
Non, encore, quant à l’insuffisance des moyens que vous évoquez. Nous avons mis en place des emplois supplémentaires. Un peu plus de 2 200 ETP sont consacrés à la mise en place de ces groupes en sixième et en cinquième, et nous faisons évidemment de notre mieux pour avoir, l’année prochaine, l’ensemble des professeurs présents devant nos élèves. C’est un autre de nos objectifs.
Enfin, non, nous ne supplions pas les gens de venir enseigner dans notre système éducatif. Nous prenons acte d’une tendance qui existe dans tous les pays de l’Union européenne. Je le dis devant vous, la fonction publique dans l’éducation nationale a aujourd’hui du mal à recruter. C’est vrai en France, mais pas seulement.
Autrement dit, ce n’est pas seulement une question de rémunération ! D’ailleurs, vous savez que notre pays a fait un effort extrêmement important depuis 2017 pour améliorer la rémunération de nos enseignants, qui est passée, en début de carrière, de 1 800 à 2 100 euros.
Au reste, la rémunération n’est pas la seule raison pour laquelle nous devons rénover la formation de nos enseignants. Nous mettons en place un effort considérable de formation initiale pour assurer une attractivité du parcours. Le concours se fera à la fin de la troisième année, puis la formation se poursuivra.
Je suis persuadée que cet ensemble de mesures vise à renforcer notre système éducatif. C’est notre seul objectif. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.
Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, j’entends votre réponse, qui, pour tout vous dire, m’inquiète.
J’ai l’impression qu’il existe un monde parallèle à celui qui sollicite, tous les jours, les parlementaires que nous sommes, en nous alertant sur les structures éducatives et pédagogiques qui doivent être mises à bas pour permettre la mise en place de groupes de niveau dont personne ne voit bien à quoi ils servent, à part à faire du tri social.
Madame la ministre, sur les politiques publiques, quand on a raison seul contre tous, c’est généralement que l’on a tort !
Pas un chercheur en sciences de l’éducation ne soutient vos projets. Cinq anciens directeurs généraux de l’enseignement scolaire (Dgesco), ayant servi des ministres fort différents, sont venus exprimer leur opposition unanime.
M. Mickaël Vallet. Que vous dit le Conseil scientifique de l’éducation nationale ?
Mme Colombe Brossel. Samedi, parents et enseignants seront nombreux dans la rue pour refuser le tri social des élèves. Nous serons nombreux à leurs côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
avenir de la centrale émile-huchet de saint-avold
M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Khalifé Khalifé. Monsieur le Premier ministre, je me permets d’attirer votre attention sur la situation particulièrement préoccupante des salariés de la centrale de Saint-Avold, en Moselle, salariés dont je salue ici le sens des responsabilités et le dévouement. Rappelons que, au plus fort de la crise énergétique, ils avaient accepté, trois mois seulement après avoir été licenciés pour fermeture du site sur décision de l’État, d’y revenir pour sécuriser le système électrique national.
Alors que le Président de la République s’est engagé à soutenir la reconversion du site, aucune perspective gouvernementale ne semble en vue à ce jour.
Depuis, les salariés attendent du Gouvernement une feuille de route claire sur la conversion du charbon à la biomasse et sur la réindustrialisation par l’hydrogène, investissements dans les énergies vertes que l’exploitant actuel est prêt à réaliser.
Désormais, le temps presse, l’échéance de 2025 approche et c’est tout un territoire, ses élus et les entreprises partenaires qui sont mobilisés pour ce projet, afin de tourner définitivement la page du charbon.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous nous confirmer l’engagement total du Gouvernement dans ce projet ? Quel avenir pouvez-vous annoncer concrètement aux salariés de la centrale pour rassurer l’ensemble de ce territoire mosellan ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Khalifé, je vous remercie, d’abord, de votre engagement dans votre territoire sur ce sujet extrêmement important.
Depuis quinze jours, les candidats aux élections européennes défilent comme à Gravelotte…
M. Mickaël Vallet. Comme à Gravelines ! (Sourires.)
M. Roland Lescure, ministre délégué. … dans votre territoire pour faire part de leur solution miracle pour l’avenir de cette centrale à charbon.
Pour votre part, vous étiez auprès des salariés du territoire avant les élections européennes, et je ne doute pas que vous y serez encore après. J’espère que je le serai aussi !
Vous le savez, le Président de la République a annoncé la fermeture et la sortie du charbon d’ici à 2027. C’est un impératif écologique. Comme je l’ai dit tout à l’heure, impératif écologique peut rimer avec stratégie industrielle de développement dans les territoires. C’est ce que nous ferons.
C’est ce qui a été fait au Havre, où la fermeture de la centrale à charbon s’est accompagnée de perspectives industrielles et d’emplois pour chacun des salariés concernés. C’est ce que nous ferons à Cordemais, c’est ce que nous ferons à Gardanne et ce que nous ferons à Saint-Avold également. Je m’y engage.
Nous sommes en contact étroit avec les salariés, avec l’entreprise, avec les élus. Je serais d’ailleurs très heureux d’en parler directement avec vous durant un peu plus de temps que les deux minutes qui me sont imparties aujourd’hui, de manière à pouvoir évoquer l’avenir.
Je souhaite que nous envisagions cet avenir sérieusement, et que nous le fassions avec, pour seule boussole, des projets économiques rentables, viables, disponibles rapidement, puisque nous souhaitons fermer les centrales à charbon d’ici à 2027, et ayant un effet important sur l’emploi et un impact positif sur le territoire.
Vous avez mentionné certains de ces projets ; nous les étudierons. Comme vous le savez, d’autres existent : dans la transition écologique, dans le recyclage du plastique… Nous allons tout examiner, avec, pour seule boussole, je le répète, l’avenir durable de ce territoire.
Oui, nous pouvons redonner un avenir à certains territoires grâce à la transition écologique. Contrairement à ce que certains affirment, la transition écologique doit être une opportunité industrielle. Elle doit l’être partout en France, et elle le sera à Saint-Avold. Je m’y engage.