M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le programme de stabilité pour la période 2024-2027, qui doit être transmis aujourd’hui à la Commission européenne, est vraisemblablement le dernier dans sa forme actuelle, en raison de la réforme des règles du pacte de stabilité et de croissance.
Peut-être faut-il s’en réjouir, car, je vous l’annonce d’emblée, ce qui nous est présenté me paraît révélateur des errements et des renoncements du Gouvernement en matière de finances publiques.
Revenons d’abord sur les performances économiques de notre pays.
Certes, si l’on se limite à l’année 2023, nous faisons légèrement mieux que la zone euro, avec une croissance de 0,9 %. Reconnaissons-le toutefois, cela est principalement dû à la récession allemande. Je comprends que le Gouvernement utilise largement cette comparaison qui nous est favorable ; pour autant, l’économie italienne a crû l’an dernier au même rythme que la nôtre, et les économies portugaise, grecque et espagnole, par exemple, se montrent particulièrement dynamiques, avec une croissance comprise entre 2,3 % et 2,5 %, nous laissant loin derrière elles.
Si l’on élargit un peu le spectre, on constate que le PIB de la France a progressé d’un point de moins que celui de la zone euro entre la fin de l’année 2019 et la fin de l’année 2023.
Messieurs les ministres, votre optimisme forcené ne saurait masquer le faible dynamisme de notre économie au regard de notre environnement immédiat et le scénario macroéconomique de ce programme de stabilité reflète encore ce biais.
Dès le mois de février, vous aviez annoncé que votre prévision de croissance de 1,4 % pour 2024 était caduque. Vous l’avez révisée à la baisse, à hauteur de 1 %, mais elle demeure plus élevée que toutes les autres prévisions officielles, et elle est d’ailleurs déjà battue en brèche par les principaux instituts de conjoncture.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous verrons bien ! Permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, qu’il conviendrait de vous glorifier un peu moins, car selon le consensus des économistes, à ce jour, la croissance devrait plutôt être de 0,7 %.
Je ne sais pas si l’on peut se féliciter de la prévision de croissance de l’Insee pour le premier trimestre 2024, à 0,2 %, après 0,1 % au dernier semestre 2023. Ces chiffres restent faibles – convenons-en – et ne préjugent en rien de la suite. La Banque de France a ainsi précisé que ce taux de croissance était cohérent avec sa propre prévision de croissance annuelle de 0,8 %.
Plus généralement, le scénario du Gouvernement pour la période 2024-2027 n’est pas non plus partagé par les conjoncturistes et me paraît très optimiste. Ainsi, le programme de stabilité anticipe une croissance de 1,5 % par an en moyenne, quand le consensus des économistes s’établit à 1,2 %.
Vous prévoyez une forte reprise de la consommation des ménages, fondée sur une diminution du taux d’épargne que vous n’expliquez pas, et sur un redressement du pouvoir d’achat, lui-même appuyé sur des hypothèses trop optimistes concernant l’emploi.
Sur le début de la période du programme de stabilité, les effets sur l’investissement du resserrement de la politique monétaire opéré entre juillet 2022 et septembre 2023 semblent également fortement sous-estimés, comme je l’avais indiqué dès l’année dernière.
Les prévisions de niveaux de croissance élevés entre 2024 et 2027 reposent sur l’hypothèse selon laquelle les capacités de rebond de l’économie seraient particulièrement fortes et l’écart de production serait encore loin d’être résorbé. Au regard des difficultés actuelles de recrutement dans beaucoup de secteurs, et des pénuries de travailleurs, il est pourtant permis de douter que notre économie fonctionne actuellement en deçà de ses capacités.
En ligne avec ces hypothèses, vous évaluez la croissance potentielle à 1,35 % par an. Une nouvelle fois, ce scénario très optimiste n’est pas partagé par la plupart des conjoncturistes.
Certes, messieurs les ministres, tout est toujours possible, et l’exercice de prévision économique n’est pas, par nature, une science exacte.
Oubliant que vous avez révisé fortement votre prévision de croissance par rapport à celle qui figurait dans la loi de finances pour 2024 – que le Sénat avait déjà critiquée –, vous vous réjouissez désormais des chiffres du premier semestre.
Cependant, les faits sont têtus : le scénario macroéconomique que vous présentez est assurément trop fragile. Il ne me semble pas sérieux d’utiliser des prévisions non rigoureuses à seule fin d’afficher une copie moins dégradée, alors même que le rétablissement de nos comptes publics nécessite de s’appuyer sur des hypothèses prudentes et consensuelles.
J’en viens à la trajectoire des finances publiques.
Vous avez renoncé à respecter la loi de programmation des finances publiques. Quelques semaines à peine après sa promulgation, celle-ci est caduque, dans la mesure où le déficit s’élève à 5,5 % du PIB en 2023, et non à 4,9 % comme elle le prévoyait.
Alors que l’intérêt d’une loi de programmation est d’offrir de la visibilité sur plusieurs années aux citoyens, aux acteurs économiques, à nos partenaires européens, la nôtre ne dure que quelques semaines. Autant dire qu’elle ne sert à rien.
En matière d’endettement public, les prévisions sont alarmantes : la dette, qui devait progressivement diminuer pour atteindre 108,1 % du PIB en 2027, augmentera finalement sur la période, passant de 110,6 % de PIB en 2023 à 112 % en 2027. Votre perspective change : il ne s’agit plus de désendettement, mais d’un accroissement de l’endettement, selon la trajectoire que vous nous présentez.
À plus court terme, la loi de finances pour 2024 est déjà remise en cause, puisque la prévision de déficit pour cette année est portée de 4,4 % à 5,1 % du PIB. Il s’agit tout de même d’une dégradation de 20 milliards d’euros – ce n’est pas l’épaisseur du trait ! – et nous ne sommes qu’en avril.
Dans ces conditions, messieurs les ministres, il est inacceptable que votre gouvernement et vous-mêmes ayez décidé de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative (PLFR). C’est probablement cela qui est le plus grave : je ne peux que constater votre renoncement à redresser les comptes publics.
Cette situation m’inquiète grandement : l’exécutif méprise le Parlement par un usage extrême de l’article 49.3, par l’absence de prise en compte des votes vertueux et des contributions du Sénat et par la non-présentation d’un projet de loi de finances rectificative, alors qu’il dégrade considérablement l’état budgétaire et financier du pays.
Ce programme de stabilité manque totalement de crédibilité : le scénario d’évolution des finances publiques n’est pas documenté, alors qu’il représente un effort sans précédent, encore accentué par rapport à celui que prévoyait la loi de programmation des finances publiques, dont vous n’avez pourtant pas réussi à respecter la trajectoire prévue pour la première année. Sans vision claire des politiques publiques prioritaires, le chemin sera aussi impraticable qu’inaccessible.
Certes, vous pouvez nous opposer qu’il n’est pas encore temps de détailler toutes les économies qu’il faudra adopter jusqu’en 2027.
Pour autant, même pour 2024, rien n’est clair. Vous avez annoncé 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires, qui s’ajoutent aux coupes sombres du décret de février dernier : 5 milliards d’euros reposeront sur le budget de l’État et 2,5 milliards d’euros sur les dépenses des collectivités, sans documentation.
Quid, par ailleurs, des 16 milliards d’euros de crédits de 2023 reportés sur 2024 ? Ils font plus que compenser les efforts d’économies annoncés. Grâce à ces reports, les crédits disponibles en gestion en 2024 sont encore plus importants que ceux qui figuraient dans la loi de finances initiale : c’est un comble ! Le Gouvernement s’est constitué une grosse cagnotte, ni plus ni moins, qui lui permet de financer ses dépenses sans repasser devant le Parlement. « Heureuse circonstance », direz-vous. Comme par hasard…
Sur l’ensemble de la période, le manque de crédibilité de l’effort affiché est patent. Le programme de stabilité prévoit que le déficit public passerait de 5,1 % du PIB en 2024 à 2,9 % en 2027. En termes structurels, cela représente un ajustement de près de 67 milliards d’euros.
Pour mémoire, à la fin de l’année 2022, le Sénat avait adopté un projet de loi de programmation des finances publiques qui comportait un ajustement structurel inférieur et permettait pourtant d’atteindre une cible plus ambitieuse que celle du Gouvernement – un déficit de 1,7 % du PIB, et non de 2,9 %. Or, à l’époque, nous avions été critiqués pour la brutalité et le caractère déraisonnable des choix que nous proposions.
M. Bruno Retailleau. Je m’en souviens !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Malheureusement, du fait de la dérive des comptes publics que vous avez engagée, ces temps sont révolus.
Au total, nous constatons combien l’effort à fournir est massif et sans précédent en un temps si court. Pourtant, comme l’écrit pudiquement le Haut Conseil des finances publiques, votre « documentation reste à ce stade lacunaire ».
En ce qui concerne les recettes, on observe peu de changements : après des ajustements en 2023 et en 2024, aucune mesure de recettes nouvelles n’est prévue pour les années suivantes.
Pour les collectivités, le dégagement d’un excédent de 0,4 point de PIB à l’horizon 2027 semble ne reposer, en fait, que sur le cycle électoral. Un tel effort me paraît relever plutôt du vœu pieux que d’une réelle volonté de corriger le tir.
La majeure partie de l’effort repose sur la sphère sociale, mais, comme vous l’avez rappelé, il s’agit du seul secteur dont les comptes sont à l’équilibre. (M. le ministre le conteste.) Dans ces conditions, il est un peu abusif de le montrer du doigt, ne serait-ce que pour le prendre à revers.
M. le président. Veuillez conclure mon cher collègue !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. J’ai dressé un constat et j’ai abordé successivement les prévisions de croissance et la trajectoire de finances publiques, les deux étant étroitement liées.
Messieurs les ministres, je regrette le triple renoncement du Gouvernement : à la loi de programmation, à une trajectoire de désendettement, à un redressement des comptes du pays par le biais d’un PLFR. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, commençons par un point de satisfaction, qui sera d’ailleurs le seul : le programme de stabilité a été remis dans les temps. (Sourires.) Tel n’est pas le cas d’habitude.
Passons maintenant à la suite – qui est moins drôle – : le programme de stabilité a été présenté à la suite de la publication du déficit pour 2023, lequel s’élève à 5,5 % du PIB, au lieu des 4,9 % prévus.
Pour l’essentiel, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, cela est dû à la surévaluation des recettes – présentons les choses ainsi ! – de tous les grands impôts.
Le rendement de l’impôt sur le revenu est inférieur de 1,4 milliard d’euros aux prévisions, tout comme celui de la TVA, en raison d’une surévaluation de la consommation et aussi, peut-être, de l’inflation. L’écart concernant l’impôt sur les sociétés (IS) est plus important, de l’ordre de 4,4 milliards d’euros.
Le rendement de cette dernière contribution est sans doute très fortement corrélé au cinquième acompte – vous nous le direz bientôt, monsieur le ministre –, lequel, étant à la main des entreprises, est difficile à estimer. Autrement dit, il convient de toujours faire preuve d’une grande prudence en la matière, ce qui n’a sans doute pas été le cas, en l’occurrence.
Toujours en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, je souhaite revenir sur le cycle que nous avons connu depuis quelques années. Très régulièrement, on nous expliquait que la diminution du taux de l’IS de 33 % à 25 % était compensée, car son produit était désormais supérieur à son niveau précédent.
En la matière, je suis pour la mesure, mon interrogation ne porte donc pas sur ce point. J’ai cependant toujours considéré même que le produit de cet impôt fluctuait et que cela était lié à la manière même dont il était prélevé. Je l’ai vérifié : en 2017, année charnière, le produit de l’IS s’est élevé à 64 milliards d’euros ; cette année, il atteint 56 milliards d’euros, ce qui équivaut, après intégration de l’inflation, à 48 milliards d’euros de 2017. Comme vous le constatez, l’écart correspond exactement à celui qui résulte de la diminution du taux d’imposition de 33 % à 25 %.
Monsieur le ministre, on ne peut donc pas raconter qu’en diminuant le taux, on obtient un rendement supérieur. Nous verrons ce qu’il en sera à l’avenir, mais pour le moment ce n’est pas le cas.
En ce qui concerne les autres recettes, qui restent globalement stables, j’accorderai une « spéciale dédicace » à la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité. (Marie-Claire Carrère-Gée applaudit.) Alors que son rendement avait d’abord été estimé à 12,3 milliards d’euros en loi de finances initiale, puis à 8 milliards d’euros, à 5 milliards d’euros et enfin à 2,7 milliards d’euros en loi de finances de fin de gestion, elle n’a rapporté que 600 millions d’euros. Excusez du peu !
Quand on ne sait pas calculer les recettes d’un nouvel impôt – ce qui était le cas, et nous pouvons le comprendre –, ne vaut-il pas mieux éviter de produire une estimation dès la première année ? Ces 600 millions d’euros auraient pu constituer une bonne surprise de fin d’année… Comment ne pas penser que les 12 milliards d’euros figurant dans la loi de finances initiale constituaient, quant à eux, une réponse plus politique que financière au sujet ?
Si l’on pousse les estimations de façon imprudente en même temps dans tous les domaines, le risque est que, un jour ou l’autre, tous les indicateurs passent au rouge. On obtient alors malheureusement les chiffres d’aujourd’hui.
Ces résultats pour 2023 ne pouvaient pas plus mal tomber : l’annonce de l’augmentation de 12 % du déficit est intervenue après un discours martial – comme souvent, reconnaissons-le – concernant la contrainte budgétaire et après l’adoption d’un projet de loi de finances par le recours au 49.3.
Ils ont été publiés deux mois après l’adoption, toujours grâce au 49.3, d’une loi de programmation des finances publiques. Record battu ! Généralement, les LPFP sont obsolètes au bout de deux ans. Ce n’est pas brillant, mais c’est ainsi. Cette année, deux mois auront suffi.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Contraction du temps !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Quel est l’impact de cette situation ? Notre crédibilité auprès de nos partenaires européens est très largement entamée. Quant à nous, parlementaires, quel crédit pouvons-nous donner aux nouveaux chiffres présentés ? Nous ne pouvons que rester prudents. De même, quelle confiance les Français peuvent-ils accorder à la parole gouvernementale ?
Au moins pourrions-nous espérer que le discours, quelque peu ridicule, convenons-en, sur les baisses d’impôt à venir sera abandonné, mais je n’en suis même pas certain.
Des recettes ciblées complémentaires seront peut-être enfin envisagées. On ne sait trop quelle est la position de la majorité gouvernementale sur ce point : faut-il taxer la rente, les rachats d’actions ? On entend tout dans la majorité présidentielle, maintenant, alors que nous avions nous-mêmes formulé de telles propositions dans un passé récent.
Peut-être pourrons-nous mener une réflexion sur l’impact d’éventuelles diminutions de crédits sur la croissance ? Encore faut-il pour cela disposer des vrais chiffres et savoir comment le Gouvernement établit ses calculs et construit ses estimations. Messieurs les ministres, il ne faut pas être péremptoire, il faut expliquer.
Peut-être, enfin, se rendra-t-on compte que, face à une impasse budgétaire d’une telle ampleur, nous avons besoin d’un débat politique sur les priorités et sur les choix des politiques publiques, et non de manipulations financières, si je puis dire. Dépôt d’un PLFR, débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution, etc. le Gouvernement a le choix des armes à cet égard.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le programme de stabilité que la France doit adresser à la Commission européenne.
Je dois vous faire part d’une certaine perplexité à ce sujet.
L’année dernière, ce débat s’inscrivait dans un contexte particulier : le projet de loi de programmation des finances publiques avait été rejeté par l’Assemblée nationale, puis adopté, profondément modifié, par le Sénat. Cette année, nous disposons – enfin ! – d’une LPFP, mais la situation est, pourrait-on dire, plus particulière encore que l’an passé : cette loi est déjà caduque, au bout de quelques mois seulement, en l’absence pourtant de crise économique.
Nous ne disposons donc plus, de fait, de LPFP, au moins comme instrument de programmation des finances publiques. Si elle n’est pas remplacée d’ici là par une autre, cette loi pourra toutefois se rappeler à notre bon souvenir chaque mois d’avril au cours des trois prochaines années, si le Haut Conseil des finances publiques finit par considérer que, même en prenant en compte le passage de l’Insee à la base 2020 au début de cette année, le déficit structurel est supérieur de plus de 0,5 point de PIB à ce qu’elle prévoit.
À l’automne dernier, alors même que les prévisions pour 2023 étaient nettement meilleures que ne l’a finalement été l’exécution, je vous avais fait part des doutes de la commission des affaires sociales sur le volet de la LPFP relatif aux finances sociales.
En retenant les hypothèses de croissance du consensus des conjoncturistes, et en ne prenant en compte que les mesures effectivement documentées, la commission parvenait en 2027 à un excédent des administrations de sécurité sociale de seulement 0,2 point de PIB plutôt que de 1 point, comme cela était prévu dans le texte.
L’exécution budgétaire de l’année 2023 confirme malheureusement les doutes que nous avions exprimés cet automne : l’excédent des administrations de sécurité sociale n’a été que de 0,5 point de PIB, et non pas de 0,7 point comme prévu. Je crains que l’objectif d’un excédent de 1 point de PIB en 2027 ne s’éloigne.
Le programme de stabilité qui nous est présenté ne fait qu’accroître nos doutes.
Schématiquement, le Gouvernement a fait le choix de partir du déficit de 2023, nettement supérieur aux prévisions de la LPFP, de conserver son objectif pour 2027, et de tracer un trait entre les deux, s’agissant de l’ensemble des finances publiques comme du cas particulier des finances sociales.
Comment y parvient-on ? Pour reprendre l’expression popularisée par Henry de Montherlant dans sa pièce Demain il fera jour : « Mystère et boule de gomme ! »
Il est vrai que les programmes de stabilité sont, par nature, beaucoup moins précis que les LPFP. Par exemple, les dépenses et les recettes en points de PIB ne sont exprimées que pour l’ensemble des administrations publiques, et non par catégorie, ce qui constitue évidemment une forte limitation en ce qui concerne les administrations de sécurité sociale. On n’y trouve donc pas, a fortiori, ces informations pour la sécurité sociale au sens strict, l’assurance chômage ou les régimes complémentaires de retraite.
Toutefois, comme le souligne le HCFP, ce programme de stabilité pose un problème de cohérence. D’une part, il implique des économies très importantes, qui emporteront inévitablement un impact sur la croissance ; d’autre part, il retient, surtout en fin de période, une hypothèse de croissance supérieure au consensus.
Il n’est donc pas évident de savoir sur quoi nous débattons aujourd’hui. Faut-il comprendre que le Gouvernement veut préserver la croissance, et donc ne pas faire d’économies aussi importantes ? Ou qu’il souhaite vraiment réaliser ces économies, ce qui réduirait immanquablement la croissance ? S’agit-il pour nous de débattre de la nécessité de ramener le déficit sous le seuil des 3 % en 2027, du réalisme de cet objectif ou de la manière d’y parvenir ?
Depuis un quart de siècle, les programmes de stabilité ont tous consisté en de simples projections, reposant sur des hypothèses conventionnelles, systématiquement optimistes. Nous pouvons donc discuter sans fin du réalisme de telle ou telle prévision, mais ce qui importe, en définitive, c’est que les finances publiques soient effectivement pilotées.
Or ce programme de stabilité ne comporte quasiment aucune mesure concrète. Nous nous demandons donc ce qu’il réserve implicitement à la sphère sociale. La LPFP prévoit la réalisation en 2025 – l’année prochaine ! – de 6 milliards d’euros d’économies sur l’ensemble du secteur. Nous comprenons que ce montant atteindrait désormais plutôt 10 milliards d’euros environ. Le Premier ministre a ainsi récemment annoncé une réduction de la durée d’indemnisation du chômage.
Les déclarations publiques suggèrent en outre que le Gouvernement serait favorable à une diminution du coût des indemnités journalières et du transport sanitaire, mais qu’il serait opposé, par exemple, à une réforme du régime des affections de longue durée (ALD) ou à une modulation de la prise en charge des frais de santé en fonction du revenu.
Qu’en est-il vraiment ? Comment le Gouvernement entend-il concrètement atteindre les objectifs du programme de stabilité dans le cas des finances sociales ?
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous attendons des réponses sur ce point précis aujourd’hui, messieurs les ministres. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis pour aborder le programme de stabilité budgétaire dans un contexte budgétaire alarmant : la dette publique s’élève à 3 100 milliards d’euros et le déficit budgétaire à 148 milliards d’euros.
Ramener le déficit à 3 % du PIB en 2027 par des revues de dépenses dévoilées au fil de l’eau, sans jamais actionner le levier fiscal, semble irréalisable.
Une fois n’est pas coutume : le HCFP considère que la trajectoire financière que vous nous avez présentée, messieurs les ministres, manque de « crédibilité » et de « cohérence ». Cette même instance, je le rappelle, jugeait votre prévision de croissance trop optimiste et votre prévision de déficit pas assez réaliste. Dans cet hémicycle, nous connaissons tous la suite…
Revenir sous la barre des 3 % de déficit, malgré les dérapages de 2023 et de 2024, nécessitera un « ajustement massif » en quatre ans. La vigie budgétaire indépendante chiffre cet effort à 2,2 points de PIB, soit environ 65 milliards d’euros. Si l’on prend en compte l’augmentation anticipée de la charge de la dette, cette somme atteindrait même plus de 95 milliards d’euros, un montant bien supérieur à ce qui était prévu jusqu’à présent.
Le HCFP souligne surtout qu’une telle prévision « manque de crédibilité ». Pour cause : un tel effort n’a jamais été réalisé dans le passé. De plus, le Gouvernement ne détaille pas comment il compte y parvenir. Pour l’année 2025 seulement, il lui faut trouver la somme de 27 milliards d’euros, un chiffre colossal.
Avec 900 milliards d’euros de dettes supplémentaires en sept ans, le Mozart de la finance semble désormais jouer en ré mineur. Après trois ans de « quoi qu’il en coûte », nous voilà partis pour trois ans de « quoi qu’il en coupe ». (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Politiquement, le Gouvernement se voit placé, une fois de plus, à la merci des Républicains, qui agitent, tel un tigre de papier, le spectre d’une potentielle motion de censure sur le prochain texte budgétaire, que vous vous refusez à soumettre à la représentation nationale.
De l’aveu même du Président de la République, le dérapage du déficit est lié non pas à un excès de dépenses, mais à un problème de recettes. Pourquoi, dès lors, ne pas tirer les conclusions en matière budgétaire des propres constatations du Président ? Si vous ne voulez pas écouter vos oppositions et votre propre majorité, écoutez au moins le Président de la République !
Au final, nous ne pouvons que nous demander qui pilote.
M. Vincent Capo-Canellas. Ça, c’est perfide !
M. Thierry Cozic. Est-ce le ministre Le Maire, qui veut imposer à ses propres partenaires politiques un collectif budgétaire avant les élections européennes ? Est-ce le Président de la République, qui ne veut entendre parler ni de PLFR ni de coupe dans les dépenses, pour ne pas créer une ambiance anxiogène dans le pays ? Est-ce le Premier ministre, qui met en place une task force consacrée à la taxation des rentes ?
Si vous mettiez la même énergie à taxer sérieusement les rentes des profiteurs de crise que celle que vous employez à faire les poches des chômeurs, ces 3 milliards d’euros seraient déjà depuis longtemps dans les caisses de l’État. Mais, une fois de plus, vous comptez faire peser l’effort de redressement des comptes publics sur les mêmes populations.
Fort avec les faibles et faible avec les forts, voilà qui résume bien cyniquement votre doctrine, si l’on en croit la cinquième réforme de l’assurance chômage que vous comptez mener prochainement.
Comme je le disais, plusieurs voix cohabitent, quand elles ne s’affrontent pas, au sommet de l’État. Il est vrai que cela finit par ressembler à une « foire à la saucisse », pour paraphraser celui qui en est le premier responsable.
Je suis au regret de vous dire que vous avez perdu la confiance des Français. J’en veux pour preuve que, en dépit de tous les sondages, leur taux d’épargne s’élève à 18 %, un record hors période du covid-19.
Messieurs les ministres, les Français le sentent : le mur de la dette se rapproche et vous discutez de sa couleur. Pourtant, maîtriser nos finances publiques constitue une nécessité impérieuse pour faire face à la complexité des problématiques contemporaines qui se présentent à nous.
Nos besoins de financement sont colossaux : services publics, armée, transition écologique, décarbonation, gestion du grand âge, etc. Or, à cause de votre impéritie, nous nous trouvons à l’os, face au plus grand plan d’investissement à réaliser depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ces investissements nécessiteront la mobilisation de moyens importants, que les leviers fiscaux actuels ne permettent pas de garantir. Nous devons faire le choix d’augmenter le niveau de solidarité pour financer les besoins sociaux, et de ne pas transférer l’intégralité du financement aux individus, au risque d’accroître encore les inégalités.