M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Haut-Commissariat au plan : quel bilan et quelle influence sur les politiques publiques depuis 2020 ?
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème « Haut-Commissariat au plan : quel bilan et quelle influence sur les politiques publiques depuis 2020 ? »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de repartie, pour une minute.
Madame la ministre déléguée, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réflexion prospective est plus que jamais indispensable dans le monde où nous vivons. Il importe d’anticiper et d’imaginer différents futurs possibles, d’analyser les tendances actuelles, les facteurs de changement et de prendre en compte les incertitudes qui pourraient façonner le monde de demain.
Pour cela, la planification est un outil central qui s’inscrit depuis toujours dans une tradition bien française.
Déjà, en 1944, le Conseil national de la Résistance, dans ses propositions, s’inspire des politiques du plan, énonce un ensemble de principes politiques et sociaux : restauration de la démocratie, égalité des droits, droit au travail, sécurité sociale, réforme du système éducatif et nationalisation de certains secteurs clés de l’économie.
En 1946, le Commissariat général du plan, imaginé par Jean Monnet, s’impose comme une planification influencée par le New Deal en définissant les priorités économiques de la Nation. Il permet de reconstruire et moderniser les infrastructures, les industries et l’agriculture de la France de l’après-guerre.
Dès la fin des années 1970, la planification s’épuise et a moins de sens aux yeux des décideurs politiques dans une société qui se développe autour de la mondialisation, de la construction européenne, de la décentralisation, et avec l’essor des politiques libérales. C’est d’ailleurs sous le gouvernement de Dominique de Villepin que le sort du Commissariat général du plan sera scellé. À cette époque, rares sont ceux qui cherchent à s’extraire d’une mainmise du marché confortée par des politiques ultralibérales.
En 2020, la politique de planification est remise au goût du jour. Sous l’impulsion du Premier ministre Jean Castex à la suite de la crise du covid-19, M. François Bayrou est nommé haut-commissaire au plan et à la prospective afin d’« éclairer les choix collectifs que la Nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté et une autonomie européenne face à l’impact des évolutions démographiques, à la grande transition écologique et aux bouleversements du numérique et de la recomposition des chaînes de valeur mondiales ». Joli programme !
Présentée comme « tout sauf un lot de consolation » par le Président de la République, cette réanimation, en fin de quinquennat, d’un commissariat au plan, par principe chargé du long terme, a laissé certains d’entre nous perplexes.
Après trois ans et demi de travaux, il nous semblait intéressant de dresser un premier bilan. Je me suis plongé dans les travaux qui ont été réalisés : de nombreux sujets sont traités, mais de manière cloisonnée ; des perspectives sont tracées, mais aucune bifurcation n’est envisagée.
D’un point de vue quantitatif, seize rapports ont trait à des questions d’ordre démographique, social et économique.
D’un point de vue qualitatif, on retrouve des sujets certes intéressants, mais traités en silo, sans aucune transversalité ni prise en compte des défis qui nous font face. C’est d’ailleurs bien là que le bât blesse !
Toute prospective reste vaine si elle se limite à des réponses technosolutionnistes, si elle se maintient dans un cadre et dans la continuité de ce qui se fait déjà, sans imaginer les risques de chocs et de crises potentielles, notamment environnementales, géopolitiques, ou l’évolution des modes de vie.
On le sait, notre avenir dépend des actions entreprises aujourd’hui pour préserver les ressources et les écosystèmes. Ces actions doivent être la matrice principale de nos politiques pour l’avenir. L’innovation technologique, la coopération internationale, les changements sociaux et économiques doivent s’envisager sous le prisme de la finitude de la planète. Kenneth Boulding le rappelait : « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Aujourd’hui, il faudrait 2,7 planètes s’il était permis à chacun sur terre de disposer du niveau de vie par tête des Français.
Le 2 août 2023, nous avons consommé toutes les ressources que notre planète peut régénérer en une année. Ce que l’on appelle le jour du dépassement arrivera certainement quelques jours plus tôt cette année.
Tout cela, le Haut-Commissariat au plan ne le prend pas en compte. Il n’a donc malheureusement pas opéré sa mise à jour, en restant bloqué sur le mode de développement des Trente Glorieuses, qui s’est construit sur la consommation de masse, alors que l’avenir est à la sobriété, à l’efficacité, à l’évolution des modes de vie, à la lutte contre les inégalités et à la justice sociale.
À ce propos, la note sur le déficit du commerce extérieur est très éclairante : le Haut-Commissariat effectue des plus et des moins en matière d’importations et d’exportations. Le seul angle est la balance commerciale, qu’il ne contrebalance pas avec l’impact significatif que ces productions ont sur l’environnement, que ce soit sur la perte de biodiversité, sur la pollution ou sur le changement d’affectation des sols, ici ou de l’autre côté de l’océan. La note rappelle que 60 % de l’excédent agricole repose sur les céréales, mais, à côté de cela, la France reste extrêmement dépendante aux tourteaux de soja brésilien et aux engrais importés.
Cette spécialisation de notre agriculture n’est absolument pas interrogée. Renforcer nos exportations par la course aux rendements et au moins-disant n’est pas viable. Le monde agricole le paie aujourd’hui très cher. C’est pourquoi une planification écologique digne de ce nom est indispensable.
Il est impératif de répondre aux enjeux d’indépendance stratégique vis-à-vis des pays exportateurs de technologies et d’aligner la stratégie industrielle nationale avec les objectifs climatiques et sociaux ; de relocaliser l’emploi sur le territoire national sur toute la chaîne de valeur ; de relocaliser et contrôler les impacts environnementaux, les émissions de gaz à effet de serre des filières industrielles. Il s’agit non pas seulement de décarboner ici, mais de produire utile et durable. Un vrai changement de paradigme !
Une véritable planification doit aussi intégrer les questions d’aménagement du territoire. Je pense aux mobilités, notamment au réseau ferré, pour mieux desservir et structurer les territoires. Laisser faire le marché amène à toujours plus de concentration, et ce à tous les niveaux. Rééquilibrer notre pays demande une action publique au travers de politiques qui n’abandonnent pas des territoires et restaurent les services publics.
Cette planification nécessite des investissements. À cet égard, quelle articulation y a-t-il entre le Haut-Commissariat au plan, France Stratégie, France 2030, le secrétariat général pour l’investissement ou avec les lois de programmation budgétaire, qui ont tendance à se multiplier dernièrement ?
Plutôt qu’une planification qui n’en porte que le nom, nous proposerions une véritable feuille de route associant moyen et long termes, basée sur de nouveaux indicateurs, en particulier la santé mentale et physique de nos concitoyens, c’est-à-dire une planification à laquelle serait associé l’ensemble de la société – citoyens, associations, syndicats et entreprises –, sur le modèle des conventions citoyennes. La planification doit être également ascendante et non pas seulement descendante si elle veut atteindre ses objectifs.
Il faut se réapproprier le temps long malgré les incertitudes, construire la résilience, engager les transitions, investir dans l’adaptation tout en atténuant le réchauffement climatique. Le travail réalisé par le Haut-Commissariat reste beaucoup trop imprégné par les vieux paradigmes et ne dessine pas un futur dissocié de la croissance, de l’extractivisme, de la prédation des ressources de notre planète. En bref, il ne trace pas le chemin d’un avenir durable.
C’est peu dire que nous restons sur notre faim. Pour nous, la planification est essentielle pour sortir du court-termisme et de ses impasses. La reconnexion aux moyen et long termes évite de toujours courir après l’actualité et d’aller de surprise en surprise, comme notre Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Plan est né, à la Libération, de la volonté de refonder l’économie française sur des bases nouvelles. Il s’agissait d’accompagner l’effort de reconstruction du pays au sortir de la guerre.
Le Commissariat général du plan avait pour fonction de penser l’orientation du développement économique et industriel selon les besoins, les ressources et les ambitions du pays.
Dans les années 1960, cette structure est l’instrument de la modernisation technologique de l’économie française, concrétisée par le lancement de grands projets industriels : TGV, aéronautique, spatial, maillages autoroutiers, indépendance énergétique, automobile, etc.
Plus récemment, après sa mise en sommeil en 2005, l’urgence écologique, l’ampleur de la désindustrialisation et la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement dans des secteurs essentiels ont rendu nécessaire la mise en place d’une planification. C’est pourquoi un Haut-Commissariat au plan et à la prospective a été remis à l’ordre du jour en 2020.
Toutefois, quelques notes et quelques mois plus tard, selon la formule du journal Le Monde, une question se pose avec acuité : à quoi sert ce nouveau Haut-Commissariat au plan et à la prospective ?
La fonction de haut-commissaire au plan et à la prospective résulte-t-elle d’une véritable prise en compte de l’expérience de la planification depuis 1945 ? Est-ce véritablement le retour de l’État stratège ? Est-ce un outil au service de notre pays, dans un contexte de mondialisation, avec une France présente sur la scène internationale, sur tous les océans, forte de ses territoires ultramarins, ou plutôt un élément de communication politique ?
Nous n’aurons sans doute pas la réponse ce soir.
Pour notre part, il nous semble essentiel de renouer avec une véritable planification permettant de dégager des priorités de long terme claires et déconnectées des enjeux purement électoraux. Il nous semble aussi nécessaire de dégager des objectifs de moyen terme cohérents entre eux, des objectifs qui permettent d’inscrire l’action politique, administrative et législative dans le temps long.
De tout cela, nous sommes loin !
Il nous faut aujourd’hui une véritable planification pour la transition écologique calibrée sur l’urgence climatique ; pour une politique industrielle volontariste, et non pas modeste et défensive ; pour une souveraineté alimentaire et énergétique ; pour le renforcement du capital humain et pour la préservation et la transmission des savoirs.
Nous avons besoin d’une planification qui associe étroitement toutes les parties prenantes. La démarche de planification doit faire société. C’est une innovation qui doit être poursuivie en associant les représentants des salariés et des chefs d’entreprise, les experts, les hauts fonctionnaires, les cadres, mais aussi les associations et les élus locaux. La planification doit permettre de se réapproprier le temps long, pour que nous cessions de subir le monde en évolution.
De plus, comme l’ont souligné nombre de chercheurs, les défis auxquels notre pays doit faire face sont nombreux tant la casse de nos outils de production a été profonde. Que dire encore de nos services publics, à commencer par l’école et l’université, réduits aujourd’hui comme peau de chagrin et à la merci de Parcoursup ?
Si l’État souhaite orienter la politique économique et industrielle conformément aux objectifs affichés, qu’ils soient environnementaux, sanitaires ou sociaux, il ne peut se contenter de la « coopération bienveillante » des entreprises. Il ne peut oublier que les logiques et finalités des grandes entreprises privées passent avant tout par l’optimisation du profit.
Or, comme cela a été souligné par François Bayrou, actuel haut-commissaire au plan et à la prospective, cette institution doit servir un « projet de société » centré sur la justice sociale au travers de l’éducation et de la santé par l’aménagement des régions en vue de réduire les inégalités.
Il faudra donc nécessairement renouer avec l’interventionnisme de l’État, dans une autre logique économique, à rebours des politiques actuelles au service du capitalisme prédateur. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, gouverner, c’est prévoir ! C’était vrai hier, ça l’est encore aujourd’hui.
Si l’intention politique fait peu de doute, ce débat a le mérite d’appeler l’attention sur une structure passée, c’est le cas de le dire, au second plan… D’où cette question légitime : quelle influence a eu le Haut-Commissariat au plan et à la prospective (HCP) sur les politiques publiques depuis sa création en 2020 ?
Créé après la levée du premier confinement, le HCP avait pour vocation d’accompagner le plan de relance du Gouvernement afin de surmonter les effets économiques de la crise sanitaire. D’emblée, il fut très visible médiatiquement avec la nomination de François Bayrou à sa présidence.
En réalité, il s’agissait plutôt d’une renaissance, puisque le premier Commissariat général du plan avait été créé en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sous l’égide de Jean Monnet et Félix Gouin. Il incarnait une forme originale de planification à la française, dont les objectifs, définis en commun avec les partenaires sociaux, étaient d’orienter les investissements vers les secteurs prioritaires pour reconstruire la France.
Revenant aux sources de ce qui a fait le succès du rattrapage économique de la France pendant les Trente Glorieuses, je citerai, pour mon département et ma région, l’exemple de la mission Racine, qui illustre parfaitement l’intérêt de cette planification. Créée en 1963, elle avait un objectif ambitieux : l’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon pour développer et diversifier l’économie. Assainissement des zones côtières, démoustication et construction de stations balnéaires dédiées aux classes moyennes et populaires en pleine expansion : la mission Racine a permis d’équiper ce territoire alors en crise.
Depuis, le contexte a radicalement changé. Déjà, en 1981, sortant du bureau du Président de la République François Mitterrand, Michel Rocard qualifiait sa nomination en tant que ministre du plan et de l’aménagement du territoire de « mise au placard ». Aujourd’hui, le vrai ministre du plan s’appelle Emmanuel Macron, Président de la République. Tous les grands projets stratégiques sont annoncés par l’Élysée, sans référence aucune aux travaux du HCP.
Je me pose une question : quels sont les liens entre le Haut-Commissariat au plan et à la prospective et la gouvernance des contrats de plan État-région ou interrégionaux ? Aucune lettre de mission ne semble avoir été donnée à cet égard au HCP.
L’aménagement du territoire reste un axe essentiel pour nos territoires. Après des années de ringardisation sémantique, le mot « planification » est redevenu porteur dans le débat public. Le retour au « planisme » a de quoi étonner de la part d’un exécutif qui, depuis 2017, se réclame de la start-up nation.
Officiellement abandonnés en 2006, le principe de planification et le Commissariat général du plan avaient été remplacés par le Centre d’analyse stratégique, devenu en 2013 France Stratégie. Pourquoi avoir créé ces nouvelles structures ? C’est une spécialité française d’ajouter des couches au millefeuille administratif ; je crains toutefois que ce dernier ne perde ainsi en efficacité.
Doté d’un budget annuel de 15 millions d’euros, prélevés sur les crédits du Premier ministre, le HCP est chargé d’orienter les politiques publiques en matière de souveraineté économique, de démographie, d’environnement et de santé. « Vaste programme ! », comme aurait dit le général de Gaulle.
Il a rendu une douzaine de rapports, mais il n’a pas le monopole du conseil et de la prospective. En effet, la liste est longue des organismes travaillant sur les mêmes sujets : France Stratégie, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), sans oublier le Conseil national de l’industrie, le secrétariat général à la planification écologique, le Conseil d’analyse économique, Bpifrance, le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), ou encore le Conseil national de la refondation. Vous me pardonnerez si j’en oublie… (Sourires.)
Pour l’anecdote, j’ai relevé que le rapport d’activité 2023 de France Stratégie était, avec vingt-quatre pages, deux fois plus long que celui du HCP…
L’existence de multiples comités Théodule travaillant sur les mêmes thématiques prospectives devrait nous interroger et nous conduire à simplifier et rationaliser leurs missions, ce qui serait source de sérieuses économies pour l’État. Ce ne serait pas du luxe par les temps qui courent, madame la ministre…
En conclusion, je dirai que le bilan de l’influence du HCP, dans sa forme actuelle, sur les politiques publiques est paradoxalement inexistant, alors que les enjeux sont considérables. Un constat s’impose : nous n’avons plus de Plan, …
M. le président. Il faut conclure !
M. Christian Bilhac. … ni de plan B, ni de bon plan. Nous avons plutôt hérité d’un comité Théodule plan-plan. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, par les temps qui courent, il est important aussi de dire la vérité sur les chiffres. Sauf erreur de ma part, vous avez évoqué un chiffre de 15 millions d’euros de budget pour le Haut-Commissariat au plan, alors qu’il est en réalité de 500 000 euros : 350 000 euros au titre du Plan et 150 000 au titre du Conseil national de la refondation. Ces structures ont décliné des actions territorialement, que ce soit sur la santé, la planification écologique ou l’éducation.
M. Christian Bilhac. Je vous l’accorde !
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, abandonnée depuis près de vingt ans par les gouvernements successifs, l’idée de planification a été réhabilitée par le Président de la République, Emmanuel Macron, au mois de septembre 2020, via la création du Haut-Commissariat au plan et à la prospective, avec pour chef d’orchestre M. François Bayrou.
Mes chers collègues, quatre ans après son installation, vous souhaitez, par ce débat, dresser le bilan de cette instance et évaluer son influence sur les politiques publiques. Au risque de vous décevoir, vous ne m’entendrez pas dire que ce bilan est remarquable, que son organisation doit rester inchangée ou que son influence est sans pareille.
Non, vous ne m’entendrez pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! (M. Daniel Salmon rit.)
Je dresserai, comme vous, je l’espère, un bilan tout en nuances de cette jeune institution.
Au risque de vous persuader, mes chers collègues, je tenterai de vous convaincre que cette instance a tout son sens, si tant est qu’elle ait les moyens de ses ambitions. Avec la crise sanitaire, le dérèglement climatique et le retour de la guerre en Europe, l’idée selon laquelle nous pourrions vivre paisiblement sans nous préoccuper de l’avenir a été réduite comme peau de chagrin. À l’image de l’abondance rêvée d’une oasis dans le désert mondialisé, le mirage de la profusion s’est peu à peu dissipé, laissant ainsi s’ancrer la notion de souveraineté dans tous les domaines.
Paralysés par le temps de l’urgence et soumis aux notifications instantanées de l’actualité, peut-être avions-nous oublié la nécessité d’anticiper, de réfléchir à long terme et de préparer l’avenir. Cela tombe bien, c’est justement le rôle du Haut-Commissariat au plan.
Est-ce une idée nouvelle ?
Certainement pas, puisque Jean Monnet a été nommé commissaire général du plan dès le 3 janvier 1946, sous l’impulsion du général de Gaulle. Cette institution a fait l’unanimité dans le pays jusque dans les années 1980.
Soixante-dix-huit ans plus tard, si le Haut-Commissariat au plan et à la prospective ne semble pas faire l’unanimité, il n’en demeure pas moins que son existence a tout son sens. J’oserai même vous dire qu’il est utile et qu’il peut l’être encore davantage. Que ce soit pour délivrer des analyses sur des sujets stratégiques ou alimenter le débat public, une telle instance de prospective est nécessaire pour notre pays.
Comment la France peut-elle demain assurer sa souveraineté sans disposer de données objectives ? Comment le Parlement peut-il légiférer sur l’avenir sans être éclairé par des travaux indépendants et des services compétents ? Loin de moi l’idée de vouloir dénigrer le travail que nous accomplissons avec les services du Sénat, mais reconnaissons que nous n’avons pas l’apanage des rapports prospectifs.
À la lecture du dernier rapport d’activité du HCP, pris séparément, certains passages peuvent laisser perplexe. Cependant, les sujets sur lesquels l’instance a décidé de travailler sont bel et bien stratégiques pour l’avenir de notre pays.
De la démographie à la géothermie, en passant par le sashimi et l’aquaculture, tout saute, tourbillonne, voltige sous nos yeux pour finir par atterrir miraculeusement dans ce rapport. Je n’ai pas le talent d’interprétation de Louis de Funès dans L’Aile ou la cuisse, mais il faut reconnaître, plus sérieusement, que le développement de l’aquaculture est un véritable sujet de souveraineté alimentaire. En 2020, chaque Français a consommé en moyenne 31,8 kilogrammes de produits d’origine aquatique et 83 % des poissons d’élevage consommés en France sont importés.
Cela étant, dans quelle mesure le Haut-Commissariat au plan est-il influent ? Surtout, sur quels éléments peut-on évaluer cette influence ?
Je remarque que de nombreux points issus de son travail relatif au vieillissement de la population ont été repris dans la proposition de loi visant à garantir le droit à vieillir dans la dignité et à préparer la société au vieillissement de sa population.
Par ailleurs, le 22 février 2023, alors qu’elle était ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher a présenté, en compagnie du haut-commissaire, un plan d’action pour accélérer le déploiement de la géothermie. Il s’agit d’un sujet stratégique majeur pour notre souveraineté énergétique, sur lequel le Haut-Commissariat avait préalablement travaillé, inspirant ainsi le plan d’action présenté.
Je n’oublie pas les nombreux partenariats noués depuis 2020 avec diverses instances et la réunion des sherpas avec les principales forces sociales et économiques du pays.
Le HCP a donc une influence sur nos politiques publiques. Celle-ci peut et doit être renforcée, mais je ne peux laisser dire que cette instance n’a aucune influence. Un peu de nuance, mes chers collègues !
Mieux, je suis convaincu que le Haut-Commissariat pourrait avoir une tout autre utilité si son organisation faisait l’objet d’une réforme en profondeur, en commençant par sa structure. Avec une équipe de dix personnes, a-t-il les moyens de ses ambitions ? Ne faut-il pas s’inspirer davantage de l’architecture du Commissariat général du plan créé par le général de Gaulle, avec ses 160 agents ?
Par ailleurs, comment mieux articuler le Haut-Commissariat au plan avec les autres instances, que l’orateur précédent a énumérées et qui font de la prospective pour l’État en matière d’action publique ? Ne faudrait-il pas en placer certaines sous sa houlette, afin de gagner en clarté et de mutualiser leurs moyens, ce qui serait bienvenu en cette période de recherche d’économies ?
Enfin, ne serait-il pas pertinent de renforcer ses liens avec la société civile en reconnaissant le Conseil économique, social et environnemental comme véritable commanditaire des travaux du Haut-Commissariat au plan ?
Les pistes à envisager sont multiples pour améliorer l’efficacité et la visibilité de cette structure, qui, je le rappelle, n’a que quatre ans.
Mes chers collègues, aidons le Haut-Commissariat au plan à grandir jusqu’à ce qu’il devienne mature, épanoui et central dans la conduite des politiques publiques de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison : il faut que la communication des travaux du HCP sur les différents sujets de planification soit la plus large possible. C’est déjà le cas. Aujourd’hui en sont destinataires le Président de la République, le secrétaire général de l’Élysée, le Premier ministre et les membres de son cabinet, les ministres concernés – vous avez mentionné Agnès Pannier-Runacher –, les opérateurs de l’État, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents des commissions législatives compétentes, les députés français au Parlement européen intéressés, ainsi que le président du Cese.
Vous avez d’ailleurs évoqué les liens avec le Cese. À mon sens, tout l’intérêt du HCP est de rester autonome. Il peut ainsi prendre de la hauteur pour distinguer les sujets qui deviennent prégnants dans l’opinion et les besoins de notre pays. Vous avez parlé de l’aquaculture, mais il y a aussi les médicaments. Le HCP a également éclairé le débat sur la réforme des retraites. Je peux en témoigner, étant députée à l’époque.
Le budget de cette instance doit aussi être stable pour garantir la permanence et la pertinence des travaux menés. Il a un peu augmenté ces dernières années, mais je ne suis pas hostile à une réflexion sur le sujet pour les années à venir, compte tenu de l’importance des enjeux de planification et des défis sociétaux, sociaux et environnementaux qui nous attendent.