M. Patrick Kanner. Très bien !
Mme Marion Canalès, rapporteure. Tout est une question de répartition et de choix.
Si des ressources doivent être trouvées, c’est du côté des recettes qu’il faut aller les chercher. Des solutions existent, à commencer par un très léger relèvement – de 1 point – du taux de la cotisation patronale d’assurance vieillesse, mesure prônée de longue date par le Haut-commissaire au Plan, François Bayrou. Cette seule mesure rapporterait près de 8 milliards d’euros au système de retraite, avec un effet quasiment imperceptible sur le coût du travail.
Ne fermons pas les yeux devant la manne qu’il est possible de mobiliser pour financer les retraites de nos aînés. Parlons, par exemple, des 60 milliards d’euros d’allégements de cotisations sociales perdus chaque année par la sécurité sociale. Je ne dis pas que tout doit reposer sur les entreprises : parlons aussi des 60 milliards d’euros que coûte aux entreprises l’absence de simplification dénoncée par notre collègue Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, et mentionnée par le Premier ministre dans son discours de politique générale.
Aucune piste ne doit être négligée pour des motifs idéologiques.
En la matière, c’est de pragmatisme et non d’idéologie qu’il faut faire preuve en allant chercher l’argent là où il y en a. Comment accepter que l’effort ne pèse que sur les épaules des travailleurs quand le Gouvernement renonce à 3 milliards d’euros chaque année après avoir supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ? Malgré les récentes saillies de certains membres de la majorité, comment ne pas se poser la question des superprofits ?
Le nerf de la guerre, nous en conviendrons tous, reste l’emploi, en particulier celui des seniors. Si nous conduisions une vraie politique pour rehausser le taux d’emploi de ces personnes en France – je rappelle que ce taux atteint 82 % aux Pays-Bas –, cela ne nous rapporterait pas moins de 140 milliards d’euros de recettes supplémentaires chaque année. Ce n’est pas en réduisant la durée d’indemnisation du chômage des seniors, comme l’a évoqué M. Le Maire, que le sujet sera réglé.
« Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. ». Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron. Il avait raison !
Forte de cette certitude, je confirme qu’il faut avoir bien du courage pour travailler jusqu’à 62 ans. Voilà pourquoi je vous invite, en mon nom personnel, à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons dans cet hémicycle pour débattre de la réforme des retraites, presque un an jour pour jour après sa promulgation.
Cette réforme, qui a fait l’objet de quatre mois de concertation et de 175 heures de débats parlementaires, est allée au bout de son cheminement démocratique.
Aujourd’hui encore, le Gouvernement défendra cette réforme indispensable pour assurer l’avenir de notre système par répartition, qui est pleinement entrée en vigueur depuis le 1er septembre dernier.
Malheureusement, aujourd’hui, vous réservez le précieux temps de débat parlementaire dont vous disposez à un coup de communication.
M. Mickaël Vallet. Cela nous regarde ! Ce n’est pas à vous d’en juger !
M. Patrick Kanner. C’est inadmissible !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Le Gouvernement s’y opposera sans surprise.
Vous voulez abroger purement et simplement la réforme des retraites de 2023, alors qu’elle est déjà entrée en vigueur. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Il s’agit d’aggraver de près de 14 milliards d’euros le déficit de notre système de retraite en 2030 et de supprimer la revalorisation des petites pensions : pour 185 000 nouveaux retraités chaque année, cela signifie 30 euros de plus chaque mois. Mais, pire encore, pour 550 000 petites pensions ayant déjà été liquidées, c’est une revalorisation moyenne de 50 euros par mois qui s’applique depuis septembre dernier.
Mme Cathy Apourceau-Poly. À force de payer des impôts, il n’en restera plus rien !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Qu’allez-vous faire : diminuer leurs pensions et leur reprendre les sommes reçues depuis septembre ?
Et le milliard d’euros consacré à la prévention de la pénibilité sur le quinquennat, qu’en faites-vous ? (Mme Corinne Féret proteste.) Deux morts au travail chaque jour : cela ne mérite-t-il pas pour vous que l’on travaille sur la prévention ?
Mme Émilienne Poumirol. Incroyable !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Les mesures en faveur des mères de famille, des aidants ou des orphelins, qui sont le fruit de débats constructifs, ont finalement fait l’objet d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Au-delà de toutes ces mesures, dans le fond, le nœud du désaccord concerne l’allongement de la durée d’activité. Vous le savez, l’âge légal sera rehaussé progressivement de 62 à 64 ans d’ici à la fin du quinquennat, et la mise en place de l’allongement de la durée d’assurance, issu de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine, sera accélérée.
Sur ce point, nous n’évitons pas le débat et nous rappelons ce qui a motivé notre choix de faire travailler progressivement plus longtemps les Français qui le peuvent.
Mme Émilienne Poumirol. Il n’y a pas eu de débat ! Il n’y a eu que des artifices…
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Nous avons d’abord fait le choix de reporter l’âge légal de départ à la retraite, comme tous nos voisins qui ont d’ailleurs décidé d’aller bien au-delà des 64 ans ; c’est la clé de l’emploi des seniors.
C’est un choix équilibré et progressif qui agit simultanément sur l’âge et la durée, en préservant les carrières longues et difficiles. (Mme Émilienne Poumirol ironise.) Cette assemblée a régulièrement défendu une augmentation encore plus rapide de l’âge légal de départ.
Travailler plus longtemps, c’est enfin le moyen le plus juste de financer les progrès et les avancées de la réforme. (M. Jean-Claude Tissot proteste.)
Ce qui est au cœur de notre désaccord et, donc, au cœur de votre proposition est au fond assez simple : au premier alinéa de l’article unique, vous proposez de revenir sur la réforme des retraites.
Mme Émilienne Poumirol. Eh oui !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Cet article se comprend plus simplement. On nous demande de choisir entre des solutions qui ne sont pas acceptables à nos yeux : léguer 150 milliards d’euros de déficit aux générations futures,…
Mme Émilienne Poumirol. N’importe quoi !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. … baisser les pensions des retraités, ou créer de nouveaux impôts. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Lors de l’examen du texte en commission, vous avez proposé, madame la rapporteure, une piste de financement alternative. Vous voulez financer la suppression de la réforme des retraites en supprimant les allégements de cotisations pour les entreprises, que vous voulez compenser par une simplification administrative censée rapporter plusieurs milliards d’euros. Le problème est que la hausse du coût du travail aurait un impact délétère sur l’emploi, notamment pour les personnes les moins qualifiées.
Quant à la simplification des contraintes qui pèsent sur les entreprises, nous y travaillons : le ministre de l’économie présentera prochainement un projet de loi de simplification de la vie des entreprises, et la ministre du travail présentera également un projet d’acte II de la réforme du marché du travail, qui simplifiera la vie des employeurs. (Protestations sur des travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Encore des exonérations !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. C’est un travail sérieux et minutieux que les entreprises attendent et que nous avons engagé avec elles.
Même si ce sont les règles de la discussion budgétaire qui vous y invitent, je remarque également que vous gagez le financement de votre proposition de loi sur une augmentation des taxes sur le tabac…
Mme Monique Lubin. Comme pour les retraites agricoles !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Au-delà des dispositions figurant dans ce texte, de quoi parle-t-on aujourd’hui ? Il s’agit de revenir sur un vote qui a déjà eu lieu…
Mme Émilienne Poumirol. Eh oui !
M. Joshua Hochart. On ne peut pas dire que ce soit la faute des socialistes… (Sourires.)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Cette proposition de loi est une occasion manquée, celle de continuer à avancer sur la question du travail.
Plus encore, c’est la Constitution que les auteurs de ce texte ne respectent pas, sans parler du débat sur l’article 40 : comment contester que 14 milliards d’euros constituent bel et bien une dépense ?
Mme Corinne Féret. Bien sûr…
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Débattre de la pertinence de certaines normes constitutionnelles n’est pas un problème en soi, mais une proposition de loi sur les retraites ne saurait en aucun cas être la bonne occasion pour en discuter.
Mme Colombe Brossel et M. Mickaël Vallet. Ce n’est jamais le bon moment !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Madame la rapporteure, il est essentiel de réfléchir à la question du travail, à celle de l’accompagnement des seniors ou à celle des femmes. Malheureusement, ce texte n’apporte aucune réponse à toutes ces problématiques.
Le moteur de la démocratie, c’est de débattre et de comparer des projets alternatifs. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. On vous a vu à l’œuvre durant la réforme des retraites !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Vous comprendrez ma déception devant une telle proposition de loi.
En conclusion, je peux vous assurer et, surtout, assurer aux Français que nous travaillons à proposer un projet positif, c’est-à-dire un projet qui ne soit pas une négation, mais une affirmation. Nous savons où nous voulons aller.
Mme Corinne Féret. On voit bien le résultat !
Mme Émilienne Poumirol. Vous agissez contre les petits !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Nous ferons en sorte que la France tende vers le plein emploi. (Protestations sur les travées du groupe SER.) Comme je le disais lorsque je vous ai présenté la réforme des retraites pour la première fois, nous voulons une société du travail, qui soit une société du plein emploi pour tous et du bon emploi partout. C’est cette société que nous souhaitons bâtir !
Mme Laurence Rossignol. Vous croyez vraiment à ce que vous racontez ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Oui, madame la sénatrice ! Une société de l’amélioration des conditions de travail et du renforcement de la valeur travail est possible : c’est notre projet !
Mme Laurence Rossignol. Ah oui, elle y croit…
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Conformément à l’engagement du Président de la République, nous continuons à agir avec les organisations syndicales et l’ensemble des parlementaires qui le souhaitent.
Hélas, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’est qu’un projet de suppression. C’est la raison pour laquelle nous nous y opposons. (MM. Martin Lévrier et Emmanuel Capus applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Pascale Gruny applaudit également.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, il n’appartient bien sûr pas à un groupe de juger du sérieux ni de l’utilité d’une initiative parlementaire, quelle qu’elle soit. Notre devoir et notre rôle consistent simplement à dire ce que l’on en pense et d’expliquer notre vote.
Vous ne serez néanmoins pas surpris d’apprendre que le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites, car elle n’est rien d’autre qu’un rétropédalage. Elle me fait d’ailleurs penser à cette ancienne émission d’Eugène Saccomano, On refait le match : on trouve qu’elle est intéressante au début, mais c’est rapidement lassant…
Pourquoi revenir sur cette réforme, et uniquement sur cette réforme ?
Mme Laurence Rossignol. Parce que les Français le veulent !
M. Olivier Henno. Vous auriez tout aussi bien pu décider de revenir sur la réforme Balladur, sur la réforme Fillon ou sur la réforme qui décalait l’âge de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans, puisque certaines forces politiques y sont favorables. (Marques d’approbation sur des travées des groupes UC et INDEP. – Exclamations sur des travées du groupe SER.)
Pourquoi ne pas l’avoir fait ? En réalité, vous n’avez pas proposé le retour à la retraite à 60 ans, parce qu’entre-temps il y a eu la réforme Touraine,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’était avant !
M. Olivier Henno. … laquelle a d’ailleurs eu des conséquences non négligeables pour les salariés. Après tout, ce n’est pas parce que l’augmentation du nombre de trimestres est progressive que cette mesure est indolore pour les personnes concernées.
Le paradoxe, votre drame en quelque sorte, c’est que vous faites preuve de responsabilité quand vous exercez le pouvoir et que vous faites de l’opposition quand vous n’y êtes plus.
Selon moi, la réforme Touraine était une bonne réforme, qui a permis d’équilibrer les régimes de retraite. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. C’est pourquoi vous ne l’avez pas votée !
M. Olivier Henno. Évidemment, ça vous gêne qu’on le dise, mais il faut aller jusqu’au bout et assumer ! (Mêmes mouvements sur les travées du groupe SER.)
Mme Colombe Brossel. La situation n’était pas la même !
M. Olivier Henno. Au fond, je le répète, deux logiques s’affrontent au sein de votre mouvance politique : celle de la responsabilité quand vous exercez le pouvoir et une certaine culture d’opposition quand vous ne l’exercez pas…
Idem pour les exonérations de charges. Vous vous insurgez contre elles, mais vous avez voté le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Reconnaissez que ce n’était pas une paille : une exonération de 4 points puis de 6 points de charges,…
M. Mickaël Vallet. Non, de cotisations !
M. Olivier Henno. … pour un total de 40 milliards d’euros. C’est considérable ! Ce n’était pas une mauvaise mesure, voyez-vous…
Mme Laurence Rossignol. Vous adorez quand on gouverne, alors !
M. Olivier Henno. Je déteste surtout votre démagogie, madame Rossignol !
M. Mickaël Vallet. Vous êtes un idéologue !
M. Olivier Henno. S’inscrire, comme vous le faites, dans deux logiques aussi dissemblables selon que vous êtes dans l’opposition ou dans la majorité ne sert pas l’idée que je me fais de la démocratie ! (M. Michel Canévet applaudit.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. Olivier Henno. Sur le fond, ce texte est-il sérieux ? La dette de notre pays s’élève à 3 000 milliards d’euros. Notre déficit budgétaire est dramatique et atteindra 5,1 % du PIB en 2024 : voilà ce sur quoi devraient porter vos critiques !
Mme Laurence Rossignol. Lorsque nous gouvernions, c’était mieux !
M. Olivier Henno. La France va dépenser 14,4 % de sa richesse pour les retraites, contre 11,9 % en moyenne dans les autres pays européens.
Nos dépenses publiques équivalent à 57 % du PIB ; quant aux recettes, elles s’élèvent à plus de 52 % de celui-ci. Comment pourrions-nous encore augmenter le niveau des recettes et des dépenses publiques ? Il n’est pas responsable de faire croire aux Français qu’ils pourraient travailler moins !
Mme Colombe Brossel. Ce sont encore les salariés qui paient…
M. Olivier Henno. C’est d’ailleurs le mal de la société française. Car la dette ne finance pas des dépenses d’avenir, elle finance des dépenses de soins ou de retraite, dont la charge sera reportée sur d’autres, c’est-à-dire nos enfants, que nous sacrifions.
Mme Colombe Brossel. Oh là là !
M. Olivier Henno. Je ne partage en rien les principes sur lesquels repose cette proposition de loi. C’est le mal de toute la société française que de vouloir toujours reporter les décisions réalistes, difficiles sur nos enfants,…
M. Jean-Claude Tissot. Parlez-en à Marc Fesneau !
M. Olivier Henno. … un mal qui touche même le COR, à en croire les indiscrétions.
Pour parvenir à un scénario, il faut se mettre d’accord : d’une certaine façon, on préfère le consensus à la vérité ! Ce consensus, on le construit sur l’hypothèse d’un taux de productivité qui progresserait de 1 % par an : on n’arrive pas à se faire à l’idée qu’elle n’augmente que de 0,4 % par an depuis dix ans. On préfère la fuite en avant à la réalité !
Cette proposition de loi tombe bien mal. Mieux vaudrait reprocher au Gouvernement la non-maîtrise des dépenses publiques…
Mme Laurence Rossignol. Nous étions meilleurs qu’eux !
M. Olivier Henno. … et critiquer le fait qu’il n’ait pas su tourner le dos au « quoi qu’il en coûte ». Voilà quel devrait-être le cœur du sujet aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Chantal Deseyne applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Mme Monique de Marco et M. Jean-Claude Tissot applaudissent.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, il y a maintenant presque un an, l’acte II de la feuille de route antisociale du Gouvernement, la réforme des retraites, était imposé par 49.3, après une brèche dans l’assurance chômage, que le Gouvernement promet aujourd’hui d’aggraver, et juste avant la loi pour le plein emploi qui a instauré France Travail et réformé le RSA sur le modèle des lois Hartz en Allemagne, lesquelles ont eu pour conséquence, selon la direction générale du Trésor, l’augmentation de moitié du taux de pauvreté.
Cette attaque menée contre le monde du travail, au mépris des mobilisations sociales massives qui ont rassemblé des millions de personnes, cette réforme rejetée par 93 % des actifs, a été imposée après une brutalisation et un bridage sans précédent du débat parlementaire, avec la complicité de la droite des deux assemblées.
C’est un passage en force antidémocratique sous couvert de sauvegarde du régime des retraites par un gouvernement dont l’impéritie ne cesse de poindre, lui qui annonçait l’équilibre du régime pour 2030, quand le COR indique, dans ses dernières projections incluant les mesures de la fameuse réforme, que l’ensemble des régimes présenteront un besoin de financement de 0,2 à 0,3 point de PIB à cette échéance, soit 5 à 8 milliards d’euros.
Cette réforme est déjà frappée d’inefficacité, car elle reposait sur des hypothèses macroéconomiques plus optimistes que celles du consensus des économistes, que le Gouvernement fait mine de découvrir en prétextant une conjoncture défavorable. En effet, qui aurait pu prévoir ? Pas le Gouvernement, semble-t-il !
Mais elle est surtout frappée d’inefficacité parce que les régimes de retraite, comme n’a cessé de le répéter le COR, ne sont pas confrontés à un problème de dynamique de dépenses, mais à un problème de ressources, diagnostic que valident les projections. Or, comme cette analyse est trop éloignée des dogmes surannés de l’orthodoxie libérale, le Gouvernement a veillé, grâce à une reprise en main, à ce que les travaux du COR concluent désormais à la nécessité de ses contre-réformes.
Pourtant, la France fait bien face à un problème de ressources dû à la baisse des contributions financières de la branche famille et de l’assurance chômage, à la stagnation de la rémunération et des effectifs des fonctionnaires, à la sous-compensation de certaines exonérations de cotisations sociales, à la multiplication des primes désocialisées dont l’effet substitutif est prouvé, à la déflation salariale, ainsi qu’à certaines mesures de la réforme des retraites – je pense aux modifications apportées au cumul emploi-retraite, qui augmentent le coût d’un dispositif favorisant l’allongement du temps de travail.
Nous avons en revanche soutenu les mesures d’atténuation de la brutalité de la réforme comme la revalorisation du minimum contributif dont la Drees souligne les effets redistributifs, même si la revalorisation des pensions n’est que de 30 euros en moyenne. Rappelons-le, ce n’est que l’application d’une promesse liée à la précédente réforme reportant l’âge de départ à la retraite.
Idem pour la surcote parentale pour les femmes, qui ne représente que la moitié de ce qu’elles auraient touché si nous nous en étions tenus au statu quo.
Même les quelques avancées concernant les carrières longues ne nécessitaient ni ne justifiaient une réforme dont le contenu antisocial a été largement prouvé.
Vous n’avez toujours pas renoncé à ponctionner l’Agirc-Arrco ni l’Unédic. Vous vous livrez à un pitoyable jeu de bonneteau, alors que la dette prise en compte dans le pacte de stabilité est consolidée, et que cela conduira à des surcoûts financiers pour ces deux organismes, qui ne sont pas déficitaires. Au passage, vous malmenez les corps intermédiaires et le paritarisme.
Rien n’invalide donc, depuis un an, notre analyse sur votre contre-réforme. Aussi, par cohérence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. Mieux encore, une fois au Gouvernement, nous abrogerons cette réforme ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la réforme des retraites d’Emmanuel Macron figurait dans les recommandations adressées par le semestre européen à la France depuis plusieurs années.
La casse des protections collectives a été l’obsession des gouvernements libéraux et de la Commission européenne, afin de favoriser le développement des retraites individuelles. Monsieur Henno, puisque vous y avez fait allusion, notre groupe s’est systématiquement opposé aux réformes Balladur, Fillon, Raffarin, Woerth et Touraine !
MM. Philippe Mouiller et Martin Lévrier. Ça, c’est vrai !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il y a un peu plus d’un an, le 11 mars 2023, le Sénat achevait l’examen de la réforme des retraites.
Le 14 avril de la même année, le Conseil constitutionnel validait officiellement le recul social le plus grave de la décennie.
Quatre jours plus tard, le groupe CRCE-K déposait une proposition de loi visant à l’abrogation du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme des retraites.
Lorsque nous avons appris le dépôt par le groupe socialiste, le 26 février 2024, d’un texte similaire, nous nous sommes rassemblés dans un pôle progressiste contre le Gouvernement et la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
C’est avec un certain plaisir que nous avons entendu la majorité sénatoriale reconnaître, la semaine dernière, que cette réforme, dont elle a toujours revendiqué la paternité, s’inscrivait dans une logique purement budgétaire.
Le président Bruno Retailleau s’était personnellement impliqué pour faire voter l’allongement de la durée de cotisation à quarante-trois annuités et le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, au nom de la préservation de notre système de retraite par répartition. Cela ne l’avait pas empêché de soutenir l’amendement de Jean-François Husson visant à introduire une part de capitalisation dans notre système.
Le double discours des Républicains sur les retraites est… éloquent. D’un côté, les salariés doivent accepter des sacrifices sur leurs droits collectifs au nom du maintien de l’équilibre du système de retraites. De l’autre, mes chers collègues de droite, vous agissez pour développer la capitalisation individuelle et les fonds de pension américains, si chers à vos cœurs.
Ce débat aux accents de déjà-vu offre l’occasion au Gouvernement et à la majorité sénatoriale de justifier a posteriori une réforme injuste, inefficace et inégalitaire. Vous allez nous rejouer le débat sur les retraites sur l’air de l’austérité et du dérapage des dépenses publiques.
Je rappelle que le déficit des retraites à l’origine de votre réforme scélérate n’est le fait ni des travailleurs ni des retraités. Il est la conséquence des politiques d’austérité dictées par Bruxelles, qui ont conduit, notamment, au non-remplacement des départs à la retraite dans la fonction publique. Le démantèlement des « conquis sociaux » se fait au détriment de la prise en compte de la pénibilité des métiers.
La suppression des régimes spéciaux, qui permettaient une meilleure prise en considération de la réalité des conditions de travail, est une perte immense pour les cheminots, les électriciens, les gaziers et les salariés des autres régimes fermés. En faisant le choix d’accélérer le calendrier de la réforme Touraine, le Gouvernement s’est attaqué aux plus précaires.
L’augmentation de la durée de cotisation frappe en premier lieu les femmes ayant des carrières hachées, les salariés aux métiers pénibles et les personnes ayant fait des études longues.
En maintenant la décote sur les pensions incomplètes, vous avez aggravé la précarité tout en préservant les intérêts des plus riches et des puissants.
La droite sénatoriale et le Gouvernement ont systématiquement refusé nos propositions d’augmenter les recettes en mettant à contribution les revenus financiers du capital, les milliards d’euros de dividendes versés chaque année, ou même les entreprises à travers une hausse des cotisations patronales.
Pour notre part, nous défendons un projet solidaire où l’humain prime la finance et les intérêts des multinationales. Vous avez fait adopter un projet brutal, en recourant au 49.3 après des mois de mobilisation sociale.
Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe CRCE-K voteront en faveur de l’abrogation de cette réforme antisociale. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (M. Christian Bilhac applaudit.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, certains d’entre nous semblent avoir la mémoire courte. Avez-vous oublié la réforme Touraine adoptée par le Parlement le 18 décembre 2013 ?