Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée a pour objet de reporter de 2027 à 2037 le terme des dispositifs transitoires institués par la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété.
Ces dispositions, qui permettent le recours à la prescription acquisitive et la gestion des biens indivis à la majorité simple des indivisaires, mais appliquent également des exonérations fiscales avantageuses aux transmissions d’immeubles en Corse, devaient permettre de résoudre le désordre foncier qui y prévaut.
Héritée d’un arrêté de 1801 abolissant les sanctions pour défaut de déclaration de succession, cette situation grève, aujourd’hui encore, la sécurité juridique des individus et entrave le développement des collectivités territoriales, qui ne peuvent recouvrer l’impôt de manière satisfaisante.
La situation foncière de la Corse est certes tout à fait spécifique au regard du reste du territoire français hexagonal, monsieur le rapporteur, mais le parlementaire ultramarin que je suis peut vous assurer qu’une telle situation est d’une insupportable banalité dans nos territoires reculés.
J’ai eu l’immense honneur, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, de coordonner la rédaction de trois rapports procédant à une évaluation inédite de la situation des droits fonciers dans l’ensemble des territoires ultramarins. Au cours de cette étude triennale commencée en 2015, nous avons observé que dans tous – je dis bien tous – les territoires d’outre-mer, la question foncière constitue l’un des verrous entravant le développement.
Les situations d’indivision, qui concernent 58 % des terres de Polynésie française, sont devenues inextricables. Elles résultent de dévolutions successorales non réglées, voire non ouvertes, sur plusieurs générations.
À l’instar du groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, le Girtec, des mécanismes novateurs ont été conçus pour venir à bout de ce problème majeur. Je pense aux agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des 50 pas géométriques. Ces outils de coopération entre l’État et les communes, instaurés aux Antilles en 1996 dans le cadre d’un vaste chantier de régularisation des occupations foncières, ont vu leur durée de vie prolongée plusieurs fois par le Parlement.
À Mayotte, la commission de l’urgence foncière, créée par le législateur en 2017, mais devenue opérationnelle en 2019, a pour objectif d’apporter une aide aux particuliers qui souhaitent s’engager dans une démarche de régularisation foncière en mettant en œuvre une procédure de titrement.
Je veux d’ailleurs saluer à cette occasion le travail remarquable réalisé par les treize personnes qui font fonctionner ce groupement d’intérêt, en dépit de sa situation actuelle de sous-effectif.
Je profite également du temps qui m’est accordé pour exprimer mon regret qu’un amendement que j’avais défendu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement ait été rejeté. Cet amendement visait à proroger le régime dérogatoire relatif à la sortie de la division successorale issu de la loi du 27 décembre 2018, dite loi Letchimy. Compte tenu du stock de dossiers en attente, les notaires estimaient pourtant que le nouveau délai que je proposais d’accorder ne suffirait pas.
Je me suis permis cette très longue parenthèse ultramarine avec d’autant plus de liberté que certaines des dispositions de la proposition de loi que nous examinons, telles que l’exonération de 50 % des droits dus lors de la première mutation à titre gratuit d’un bien immobilier, concernent l’ensemble du territoire français.
Le présent texte contribue à rappeler à notre assemblée qu’à droit constant il est absolument impossible de résoudre ce désordre foncier. Aussi le groupe RDPI, que je représente à cette tribune, estime-t-il que les solutions dérogatoires ainsi prorogées, dans la mesure où elles sont temporaires, sont indispensables si l’on veut retrouver un jour le chemin du droit commun.
Toutefois – cette réflexion m’engage personnellement –, si la situation ne s’améliore pas sensiblement dans les prochaines années, il nous faudra réfléchir à d’autres voies innovantes d’incitation, de manière à encourager à la fois plus de propriétaires à se faire connaître et les pouvoirs locaux à les rechercher, de manière à réduire considérablement les délais aujourd’hui ridiculement longs pour disposer d’une situation saine.
En la matière, le législateur a démontré sa capacité à imaginer des dispositifs ad hoc pour dénouer des situations a priori inextricables.
Telle est la raison pour laquelle, tout en étant favorable à la prolongation du délai inscrite dans la présente proposition de loi, j’invite d’ores et déjà notre assemblée à réfléchir à la suite. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme la secrétaire d’État applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Pierre-Alain Roiron. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité d’un travail de longue haleine mené depuis près de trois décennies par le législateur afin de soutenir le processus de titrement foncier.
Nous reconnaissons que la loi du 6 mars 2017, portée par Camille de Rocca Serra, revêtait un caractère transpartisan ; elle tentait, à juste titre, de répondre aux difficultés structurelles que connaissent non seulement la Corse, mais aussi – ne l’oublions pas – d’autres territoires tels que la Lozère ou les outre-mer. Pour des raisons socio-historiques et géographiques, ces territoires se trouvaient dans une situation cadastrale et foncière très dégradée, liée à l’absence de titres de propriété.
Au-delà de ses implications juridiques et administratives, le désordre foncier en Corse revêt une dimension éminemment politique, enracinée dans son histoire et exacerbée par le régime dérogatoire instauré par l’arrêté Miot du 10 juin 1801 ; ce régime a pris fin en 2009, laissant place à un régime fiscal transitoire.
Je tiens à remercier le rapporteur André Reichardt pour ses travaux éclairants sur ce sujet au demeurant très complexe.
En dépit des avancées réalisées depuis l’adoption des mesures dérogatoires en 2017, les centaines de milliers de parcelles – quelque 300 000 – toujours non attribuées attestent l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir.
Si la proposition de loi de notre collègue Panunzi visant à proroger les dispositions transitoires jusqu’en 2037 prend acte de cette réalité, ses implications à long terme méritent d’être interrogées.
À ce jour, les conséquences de ce désordre sont nombreuses. Les personnes privées que sont les usufruitiers ne peuvent en effet jouir pleinement de leur droit de propriété, pourtant constitutionnellement garanti. La sortie des indivisions peut, de plus, se révéler très coûteuse.
Sur l’ensemble de l’île, l’accumulation des successions non réglées entraîne la détérioration des terres et des propriétés, faute d’entretien, tout en provoquant une diminution du nombre de biens immobiliers disponibles et, partant, une augmentation des prix.
La personne publique ne peut quant à elle recouvrer l’impôt de manière satisfaisante. Le problème se pose aujourd’hui pour la taxe foncière ; cette situation limite, de fait, les moyens que les collectivités peuvent allouer à l’entretien de leur territoire.
La rareté des actes de propriété conduit enfin à un immobilisme du système économique local.
Des réponses ont déjà été apportées, notamment l’octroi d’incitations fiscales non négligeables : exonération portée à 50 % des droits de mutation à titre gratuit lors de la première mutation postérieure à la reconstitution d’un titre de propriété, exonération partielle des droits de succession et exonération temporaire des droits de passage sur les actes de partage de succession, à hauteur de deux fois et demie la valeur du bien.
Nous comprenons que le travail de reconstitution des titres est encore loin d’être accompli et qu’il serait illusoire d’espérer une normalisation de la situation d’ici au 31 décembre 2027, échéance actuellement prévue pour les dispositions de la loi de 2017.
Les réalités s’imposant aux normes, il convient d’avancer ensemble vers un objectif pragmatique. La présente proposition de loi répond à cette préoccupation.
Je note toutefois que, en 2017 déjà, la commission des finances, saisie pour avis, avait identifié certaines difficultés sur les trois articles fiscaux du texte dont nous envisageons de proroger certaines dispositions. La commission des finances s’était en particulier interrogée sur leur durée, fixée à dix ans, quand il est d’usage de ne reconduire les dépenses fiscales que pour trois ans.
Le rapporteur du texte de 2017 s’interrogeait déjà sur la constitutionnalité de l’article prorogeant de dix ans le régime dérogatoire d’exonération partielle, à hauteur de 50 %, des droits de succession pour les biens immobiliers situés en Corse.
Enfin, nous savons bien qu’à deux reprises, en 2012 et en 2013, le Conseil constitutionnel a censuré des mesures d’exonération des droits de succession sur les immeubles situés en Corse, estimant que le maintien de ce régime fiscal dérogatoire méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques.
Si le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi des dispositions de la loi du 6 mars 2017, il n’en importe pas moins de considérer attentivement les raisonnements constitutionnels passés.
Au-delà de ces observations d’ordre juridique, il me paraît essentiel d’avoir conscience que ces dispositions ne pourront pas être prorogées à l’infini, pour des raisons budgétaires évidentes, mais également par principe, car les prorogations successives des mécanismes d’incitation fiscale finissent par priver ces derniers de leur attractivité.
Dans cette optique, la question du financement par l’État du Girtec constitue une préoccupation majeure au regard de l’état des finances de notre pays. S’agissant d’un engagement de l’État, il serait toutefois malvenu que cette charge incombe à terme à la collectivité de Corse. Nous aurons certainement l’occasion d’évoquer cette question lors des discussions budgétaires de l’automne prochain.
J’estime pour ma part qu’un appui financier stable à cet organisme est indispensable si nous voulons, non pas simplement différer l’action nécessaire, mais concrétiser notre engagement en faveur de l’amélioration continue du cadastre et de la résolution des litiges fonciers en Corse.
Nous savons tous que proroger, ce n’est que retarder, mes chers collègues. Et retarder, c’est souvent ne pas faire face à nos responsabilités collectives, celles qui nous imposent de servir l’intérêt général de nos territoires.
Au regard des progrès soulignés par le Girtec et devant l’ampleur du travail qui reste à accomplir, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et RDPI. – M. Gilbert Favreau applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Masset applaudit également.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai l’honneur de m’exprimer en dernier, alors que beaucoup de choses ont déjà été dites par des collègues qui connaissent bien la Corse. Pour ma part, je dois reconnaître qu’il y a quelque distance des Ardennes à la Corse, et que je n’ai jamais eu le plaisir de me rendre dans cette île, pas même pour inspecter ses voies ferrées ! (Sourires.) Je connais toutefois de nombreux Ardennais qui aiment la Corse, et j’espère que je pourrai m’y rendre, peut-être lorsque, ne siégeant plus au sein de notre assemblée, j’aurai un peu plus de temps à consacrer aux voyages… (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.)
En tout état de cause, et bien que je sois sénateur depuis 2007, sachez que c’est la première fois que j’interviens sur ce sujet.
Je félicite et remercie l’auteur de cette proposition de loi, Jean-Jacques Panunzi.
Le cadastre est complexe, et il nous faut reconnaître modestement que nous en apprenons tous les jours, mes chers collègues. Dans nos départements et nos territoires respectifs, il est des biens dont nous ne connaissons pas le propriétaire. En tant que maire d’un village, c’est une difficulté à laquelle j’ai été confronté.
Comme l’auteur de la proposition de loi l’a indiqué, la Corse compte environ 300 000 parcelles non titrées, sur un total de 1 million de parcelles.
Je remercie également notre rapporteur, André Reichardt, qui a fait œuvre de pédagogie.
Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, la présente proposition de loi vise à proroger pour dix ans, soit jusqu’au 31 décembre 2037, les dispositions de la loi du 6 mars 2017.
Si une telle démarche va assurément dans le bon sens, j’estime qu’il convient également de mobiliser les moyens humains nécessaires, notamment pour les centres des finances publiques qui gèrent le cadastre et le morcellement des parcelles. En dépit des avancées qui sont intervenues depuis l’époque où les documents n’existaient que sous forme physique, ces services de l’État méritent notre respect.
Pour l’île de Beauté et ses superbes paysages, tant maritimes que montagneux, les enjeux sont bien sûr touristiques, mais pas seulement. La situation actuelle emporte des inquiétudes liées à l’insécurité juridique, à l’accroissement du nombre de conflits familiaux, ou encore au manque d’entretien des parcelles, sans parler du manque à gagner pour les collectivités locales, qui, selon vos estimations, madame la secrétaire d’État, pourrait s’élever à 20 millions d’euros au titre de la seule taxe foncière. Si la commission des lois est compétente sur le fond, ce texte, comme bien d’autres, comporte indéniablement un volet financier.
La méconnaissance d’un grand nombre de propriétaires a donc de lourdes conséquences.
La tâche, immense, demandera du temps et des moyens humains, aussi bien dans les services de l’État qui, j’y insiste, doivent être dotés des effectifs suffisants, que pour les partenaires que sont notamment les notaires et les géomètres.
Comme tous les membres du groupe Les Républicains, je voterai donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur toutes les travées. – Mme la secrétaire d’État applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété
Article unique
I. – À la première phrase du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété, l’année : « 2027 » est remplacée par l’année « 2037 ».
II. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° À l’article 750 bis B, l’année : « 2027 » est remplacée par l’année : « 2037 » ;
2° Au premier alinéa du 8° du 2 de l’article 793, l’année : « 2027 » est remplacée par l’année : « 2037 » ;
3° Le I de l’article 1135 bis est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, l’année : « 2027 » est remplacée par l’année : « 2037 » ;
b) Au dernier alinéa, l’année : « 2028 » est remplacée par l’année : « 2038 ».
III. – La perte de recettes résultant pour l’État de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 173 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
Le Sénat a adopté à l’unanimité. (Vifs applaudissements sur toutes les travées.)
8
Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ; modification de la loi organique n° 2010-837
Adoption définitive des conclusions de commissions mixtes paritaires sur un projet de loi et un projet de loi organique
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen des conclusions des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (texte de la commission n° 505, rapport n° 504) et du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (texte de la commission n° 506, rapport n° 504).
La conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l’objet d’explications de vote communes.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Pascal Martin, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mois après l’examen de ces textes en séance publique, je suis heureux de vous retrouver pour la lecture des conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre aux défis de la relance de la filière nucléaire et sur le projet de loi organique qui lui est associé.
Je souhaite tout d’abord saluer la qualité et la fluidité des échanges que j’ai eus avec le député Jean-Luc Fugit, rapporteur pour l’Assemblée nationale des commissions mixtes paritaires. Lors de leurs travaux, nous avons réussi à surmonter nos points de désaccord en faisant tous deux des concessions, au bénéfice de notre objectif commun : maintenir notre sûreté nucléaire au niveau d’exigence le plus élevé possible en l’adaptant aux enjeux de notre décennie et des décennies à venir.
Le projet de réforme qui nous a été soumis modernise notre système de sûreté nucléaire pour faire face au défi sans précédent que constitue la relance du nucléaire en France, défi auquel la gouvernance de la sûreté doit, elle aussi, s’adapter.
Le projet initial présentait cependant des risques qui nous ont conduits à ajuster le texte présenté par le Gouvernement.
Je me réjouis de constater qu’une grande partie des ajustements apportés au texte par le Sénat, notamment sur mon initiative et sur celle du rapporteur pour avis Patrick Chaize, que je remercie, ont été conservés dans le texte issu de la commission mixte paritaire.
Le premier risque tenait à la distinction insuffisamment marquée entre expertise et décision.
Cette question – vous le savez, mes chers collègues – est au cœur de la qualité et de la crédibilité du système de sûreté. Une séparation insuffisante risquerait en effet de placer l’expertise sous l’influence de la décision ou, inversement, de placer la décision sous l’influence de l’expertise ; à l’inverse, une séparation trop stricte, concrétisée par des pôles d’expertise et de décision distincts, reviendrait à recréer au sein de la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) la distinction entre les deux institutions actuelles. Nous perdrions alors les bénéfices de la réforme.
Le texte que nous examinons aujourd’hui évite ces deux écueils. Il traduit la distinction entre expertise et décision de manière concrète dans l’organisation des instructions, en rétablissant la volonté sénatoriale de consacrer une distinction entre le personnel chargé de l’expertise et celui chargé de la décision pour un dossier donné.
Il assure la confrontation des doutes indispensable à la sûreté nucléaire, en garantissant que, pour chaque instruction, l’expert est distinct du décideur tout en évitant de créer une muraille de Chine au sein de l’ASNR, en prévoyant bien que l’expert et le décideur interagissent et que les rôles ne sont pas figés, un expert sur un dossier donné pouvant être un décideur sur un autre dossier, et inversement.
Le deuxième risque présent dans le texte initial consistait en un possible recul en matière de transparence.
La crédibilité et l’acceptabilité de la relance du nucléaire reposent sur cette exigence de transparence. Je me réjouis de constater que le texte adopté en commission mixte paritaire conserve les apports du Sénat relatifs, notamment, à la publication des résultats d’expertise, ainsi qu’aux avis des groupes permanents d’experts.
L’inscription dans ce texte, sur l’initiative de l’Assemblée nationale, de la publication concomitante des résultats d’expertise et des décisions paraît opportune.
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. Pascal Martin, rapporteur. Le texte que nous examinons prévoit toutefois que l’ASNR pourra faire exception à cette règle générale, notamment au regard de la nature des dossiers concernés ou pour favoriser la participation du public.
Le troisième risque avait trait au maintien des activités de recherche.
L’ASNR devra poursuivre la collaboration engagée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avec les industriels du secteur nucléaire, celle-ci étant indispensable à la recherche en sûreté nucléaire.
L’Autorité étant par ailleurs chargée de contrôler ces exploitants, ce ne sera pas chose évidente. Pour prévenir les conflits d’intérêts et ainsi préserver les capacités de recherche, le Sénat a proposé la création d’une commission d’éthique et de déontologie. Je me félicite du maintien de cette commission dans le texte final, moyennant une modification de son champ d’action.
Enfin, le quatrième risque du texte initial était relatif à l’association du Parlement et de la société civile.
Comme nous l’avions proposé, le projet de règlement intérieur de la future ASNR et les projets de modification seront présentés à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qui dispose d’une expertise reconnue dans le domaine de la sûreté nucléaire, afin de garantir que la lettre du règlement sera bien conforme à l’intention du législateur.
En définitive, ce texte illustre la capacité de nos assemblées à parvenir à un accord dans l’intérêt commun pour adapter la sûreté nucléaire aux défis de notre siècle, tout en préservant la transparence et la crédibilité de notre système. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le processus parlementaire qui trouve son aboutissement ce soir permettra, je l’espère, la relance rapide du processus organisationnel de grande ampleur qui a vocation à accompagner la relance de la filière nucléaire.
Vous voici réunis pour voter les conclusions des travaux des commissions mixtes paritaires sur ces deux textes, que Christophe Béchu avait défendu devant vous en première lecture, il y a deux mois ; je suis venu dans cet hémicycle prendre son relais, car c’est ensuite à votre serviteur qu’il a incombé de convaincre l’Assemblée nationale. La tâche y a d’ailleurs été un peu plus laborieuse qu’au Sénat, sans que je sache si cela est dû à la qualité du ministre ou à celle de la chambre – je ne me permettrai pas de me prononcer… (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, je tiens sincèrement à remercier de leurs travaux les quatre rapporteurs, MM. Jean-Luc Fugit et Antoine Armand, à l’Assemblée nationale, et MM. Pascal Martin et Patrick Chaize, ici même, ainsi que l’ensemble des membres de la commission mixte paritaire et ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont les travaux ont nourri la réflexion des parlementaires et ont été très largement commentés au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Je veux à cette occasion saluer son président, M. Piednoir, ainsi que ceux des commissions saisies de ces textes, M. Longeot et Mme Estrosi Sassone, et les remercier, ainsi que l’ensemble des parlementaires qui ont travaillé sur ces textes.
Au cœur du projet de loi qui vous est soumis, il y a une ambition : permettre à nos talents, qui sont aujourd’hui répartis dans deux entités distinctes, connues et reconnues, de se regrouper au sein d’une institution unique, qui sera tout aussi connue et reconnue, et de s’y concentrer sur les enjeux prioritaires de sûreté et sur les questions critiques pour le calendrier des projets nucléaires, sans nullement amoindrir pour autant nos exigences en matière de sûreté.
Le texte a donc deux objets principaux, la création d’une autorité unique de sûreté nucléaire et de radioprotection et l’adaptation des règles de la commande publique aux projets nucléaires.
Les deux chambres ont procédé à des ajouts intéressants lors de l’examen du texte, pour l’enrichir et le préciser, que ce soit en clarifiant la portée de la distinction entre l’expertise et la décision, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, en consacrant les groupes permanents d’experts, en prévoyant la publication des résultats d’expertise concomitamment aux décisions, ou encore en dotant la future autorité d’une commission d’éthique et de déontologie.
Ce travail s’est poursuivi, la semaine dernière, en commission mixte paritaire et le texte comporte désormais d’autres ajouts utiles, notamment en ce qui concerne le règlement intérieur de la future autorité, qui est très encadré.
Ainsi, la place du règlement intérieur dans l’articulation entre l’expertise et la décision a été renforcée, en évitant toutefois – vous l’avez également dit, monsieur le rapporteur – de rigidifier la structure à l’excès. C’est important, car nous devons tirer le meilleur bénéfice possible des gains d’efficacité.
De plus, la commission mixte paritaire a permis de définir des lignes directrices concernant les exceptions apportées au principe de publication concomitante des résultats d’expertise et des décisions auxquelles ils se rapportent : la publication des résultats d’expertise pourra se faire avant la décision pour les instructions particulièrement longues et, parfois, après la décision dans le cas d’instructions particulièrement courtes.
Enfin, il a été prévu que le règlement intérieur serait présenté à l’Opecst.
Le Parlement a ainsi mené un travail constructif pour façonner, au travers de ce texte, l’organisation de la future autorité. Toutefois, je vous le répète, le processus ne fait que commencer. Je me suis engagé, comme Christophe Béchu l’avait fait auprès de vous, à suivre de très près la mise en œuvre de la réforme et à nommer rapidement un préfigurateur qui nous permettra de reprendre le travail opérationnel de rapprochement.
Vous examinez donc un compromis parlementaire, un texte issu des deux chambres, qui ont réussi à se mettre d’accord sur les enjeux majeurs de demain. Bien évidemment, j’espère que les parlementaires ici réunis voteront ce texte, qui est le fruit d’un consensus réfléchi et abouti entre députés et sénateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)