M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. La scolarisation des enfants de 2 ans constitue un enjeu important, notamment en matière d’égalité des chances.
À la rentrée 2024, grâce à la scolarisation de ces enfants, soixante nouvelles classes de toute petite section ont pu être ouvertes, principalement dans les écoles des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Notre objectif est d’augmenter encore le nombre d’enfants de 2 ans qui soient scolarisés. Il s’agit d’un objectif complexe, notamment parce qu’il faut établir un rapport de confiance avec les familles.
Le nombre d’élèves de 2 ans scolarisés a légèrement augmenté entre 2020 et 2022 : ils étaient 72 700 en 2022, alors même que la démographie scolaire en maternelle est en baisse. Le taux de scolarisation de ces enfants est de près de 10 % – 9,9 % exactement. Il est plus élevé dans les zones d’éducation prioritaire, où il s’établit à 17 %, contre 8,2 % en dehors. Bien évidemment, il est un peu moins élevé dans la ruralité.
Toutefois, j’y insiste, nous voulons scolariser les enfants de moins de 2 ans aussi bien dans les quartiers de la politique de la ville que dans la ruralité. Je comprends mal que l’on puisse refuser la scolarisation d’un enfant de 2 ans. J’imagine, monsieur le sénateur, que vous avez une situation précise en tête…
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
M. Dany Wattebled. Madame la ministre, il faut faire passer ce message dans la commune d’Oisy, dans le Nord, puisqu’un inspecteur d’académie s’est permis de venir au conseil d’école, où il a donné consigne au directeur de ne pas accueillir les enfants de moins de 3 ans. Cinq maires m’ont saisi à ce sujet. J’ai été quelque peu choqué et ai écrit à la rectrice, Mme Cabuil, pour évoquer le problème.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la ministre, les fermetures de classes dans nos territoires entraînent de profondes remises en cause et un bouleversement en profondeur de la vision et des orientations des élus sur le long terme : elles remettent en question leurs investissements financiers, qui concourent à la pérennisation et au développement de l’école, mais également leur engagement républicain pour préserver un service public essentiel de qualité.
L’élaboration de la carte scolaire ne peut plus être dictée par de simples considérations comptables et administratives.
Il est totalement paradoxal, contradictoire et épuisant pour les équipes locales de s’inscrire dans les dispositifs mis en place par l’exécutif pour redynamiser les territoires et de devoir faire face, en matière d’accueil scolaire, à ces couperets sans appel que sont les effectifs moyens par classe.
Quelle est la logique qui préside à la décision de fermer une classe à un instant t, alors que celle-ci pourrait très bien être rouverte un ou deux ans après ?
Il devient urgent et vital, madame la ministre, de développer une concertation plus humaine et pragmatique entre le déconcentré et le décentralisé, pour aboutir à une approche fine et différenciée des tenants et des aboutissants locaux.
À ce titre, plusieurs leviers méritent d’être mis en place pour élaborer des réponses mieux adaptées aux territoires.
Pouvez-vous nous garantir, madame la ministre, que l’engagement qui avait été pris par vos prédécesseurs, étudié au Sénat et soutenu par l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) de définir une carte scolaire stable pendant trois ans à partir de 2024 aboutira effectivement ? Et selon quelles modalités ?
Pouvez-vous vous engager à privilégier plus efficacement les partenariats entre le Dasen, les conseils départementaux, les présidents d’intercommunalité et les maires ? Dans les faits, les chiffres masquent des réalités bien différentes. Dans certains cas, le plafonnement systématique du nombre d’élèves s’avère être une absurdité.
Pouvez-vous enfin prendre l’engagement de vous affranchir de la stricte application d’une logique démographique pour justifier de nombreuses fermetures de classes et celui de privilégier l’amélioration des conditions d’exercice lors de la prochaine rentrée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, la logique arithmétique n’est pas la seule que nous prenons en compte.
Lorsque nous répartissons les moyens et les emplois entre académies, nous prenons bien évidemment en considération la démographie, mais aussi d’autres paramètres liés à la situation socioprofessionnelle des personnes et des élèves que nous avons à prendre en charge, à l’éloignement et aux conditions socio-économiques. Ensuite, les équipes des académies doivent se pencher sur les éléments plus fins auxquels vous faites référence.
Je tiens à rappeler que si nous avons perdu 400 000 élèves depuis 2017, 12 000 postes d’enseignants ont été créés sur la même période. Il n’y a donc pas eu de diminution mécanique du nombre d’emplois.
Je partage votre volonté d’instaurer un dialogue mieux organisé, mais cela n’aboutira pas à un moratoire pour les trois ans qui viennent. Cela n’est pas possible : nous ne pourrions pas l’assumer.
En revanche, s’agissant des partenariats que vous appelez de vos vœux, je souhaite que l’on arrive à définir une méthodologie claire et contractualisée avec l’AMF – j’en ai déjà parlé avec ses représentants – pour parvenir sur le terrain à une meilleure cohérence des politiques publiques et à un dialogue soutenu avec les élus. Telle est mon ambition.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.
M. Claude Kern. Madame la ministre, je compte sur vous pour faire passer le message, car, localement, il n’est pas toujours interprété de la même manière…
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Madame la ministre, le code de l’éducation dispose : « L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales. »
Aujourd’hui, pourtant, plus rien ne laisse penser que l’éducation est le levier qui permet d’endiguer ces inégalités.
L’équité territoriale repose en particulier sur la carte de l’éducation prioritaire. Or celle-ci présente un double écueil : d’une part, elle date de 2015 et ne correspond plus complètement aux bassins de pauvreté ; d’autre part, elle est fondée uniquement sur l’indice de positionnement social des zones de rattachement aux collèges.
Plusieurs communes paupérisées alertent aussi sur l’exclusion de certaines écoles, qui mériteraient d’être accompagnées.
En Gironde, par exemple, les écoles d’Ambès ne sont pas classées en REP, alors que les populations concernées sont en grande difficulté. Ces écoles sont sous-dotées en moyens : leurs classes sont surchargées et elles ne bénéficient d’aucun dédoublement.
Pourtant, il serait possible de prendre en compte un indice de positionnement social à l’échelle de l’école. Une telle expérience a été réalisée en Gironde.
Le personnel éducatif et les parents d’élèves alertent également sur les nombreuses suppressions de postes : dans mon académie, quarante postes sont supprimés pour le seul premier degré, dont dix-sept en Gironde.
Ces baisses de moyens se traduisent par des fermetures de classes dans des quartiers prioritaires ou dans des zones rurales fragiles. Dans ces conditions, l’éducation nationale n’est plus en mesure d’endiguer les inégalités sociales et territoriales.
L’école de la République est tenue à bout de bras par celles et ceux qui font la classe au quotidien.
Madame la ministre, c’est un cri d’alarme que je vous adresse. Comptez-vous enfin réviser la carte de l’éducation prioritaire pour prendre en compte la réalité sociale des territoires ? Pouvez-vous proposer un moratoire sur la fermeture des nouvelles écoles dans les quartiers prioritaires ou dans les zones rurales fragiles ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Tout le monde parle de réviser la carte de l’éducation prioritaire, mais peu s’y attellent…
Le Premier ministre m’a demandé, dans une lettre de mission, de retravailler cette carte. Je vais donc le faire, mais sans doute pas pour la rentrée prochaine. Ce travail, qui suppose un dialogue avec les élus et les personnels, doit en effet être mené très en amont.
Lorsque l’on envisage d’ouvrir des collèges ou des écoles, tout va bien ; s’il s’agit d’en fermer, cela devient plus compliqué ! On ne doit donc toucher à cette carte qu’avec des pincettes. Je vais m’y atteler, en prenant le temps de le faire bien et avec l’idée d’aller vers une plus grande mixité scolaire et sociale.
Vous avez évoqué les fermetures de classes en Gironde. Je vous épargnerai la litanie des chiffres : la baisse du nombre d’élèves devrait se traduire par trente-six fermetures.
Toutefois, un effort important sera réalisé en faveur de l’ouverture inclusive : six classes seront ouvertes dans ce secteur, dont trois unités localisées pour l’inclusion scolaire.
Une attention forte sera portée à la ruralité, puisque quinze mesures de sauvegarde sont prévues.
Nous verrons comment ce plan se traduira à la rentrée. Je crois qu’un dialogue a été mené avec les élus dans votre département. L’observatoire de la ruralité s’est réuni et le Dasen a partagé l’ensemble des informations dont il disposait.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. Gérard Lahellec. Madame la ministre, dans les Côtes-d’Armor, le retrait de dix-neuf postes en 2023 s’est soldé par quarante-six fermetures de classes en primaire. Pour la rentrée 2024, quarante-cinq nouveaux retraits de postes sont prévus. Certes, des ajustements ont été apportés, mais ils restent assez marginaux.
Ces révisions successives de la carte scolaire ont pour effet de déstabiliser le financement d’un service éducatif de qualité. Elles aboutissent à une remise en cause des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), qui présentaient l’avantage de conserver une offre éducative de qualité, adaptée aux besoins de la population, et elles ne tiennent pas compte des investissements communaux. Ainsi, il arrive que la suppression d’un poste oblige la collectivité à réaliser de nouvelles dépenses d’investissement, pour aboutir à un service dégradé, alors que les structures en place ne sont pas encore amorties financièrement.
Il n’est donc pas concevable que les élus locaux ne soient pas associés aux décisions.
Il convient de se poser la question de la qualité de l’offre éducative avant de réfléchir à une baisse de la dépense publique. Dans mon département, par exemple, un établissement rural sur cinq est concerné par des faits de violence de la part des élèves, dès le plus jeune âge. Drôle de réponse à cette situation que celle qui consiste à supprimer des emplois…
Enfin, à force de diminuer l’offre publique, c’est aussi la laïcité que l’on contrarie, puisque cette évolution tend à remettre en cause la loi de 2019 pour une école de la confiance, dite loi Blanquer, qui a pourtant consacré opportunément le principe de scolarisation des enfants à partir de 3 ans.
Je plaide donc pour que soient définies des modalités nouvelles par lesquelles un enseignement de qualité, laïque, pourrait être dispensé à toutes les familles.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Dans les Côtes-d’Armor, la baisse de la démographie que vous évoquez entraînera des fermetures de classes.
Je suis particulièrement attentive aux RPI. Nous avions d’ailleurs eu l’occasion d’en parler ensemble. Dans votre département, le rectorat a souhaité revenir sur la suppression de l’un d’entre eux, à Lohuec, et va même en ouvrir un nouveau, à Plusquellec. (M. Gérard Lahellec acquiesce.) C’est le signe de l’importance que nous attachons à cette modalité de regroupement des écoles, que nous cherchons à soutenir, lorsque cela est possible.
Nous souhaitons bien évidemment que les élèves bénéficient toujours du meilleur accompagnement possible, en nous adaptant au plus près aux réalités. Ainsi, le taux d’encadrement – je ne donnerai pas les chiffres, j’en ai déjà fourni beaucoup – ne baisse pas dans votre département ; il compte même parmi les plus élevés de l’académie. C’est la marque de l’attention que nous portons à la qualité de l’accueil des élèves.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez évoqué la laïcité. Celle-ci constitue à mes yeux un principe fondateur de l’école. Aucun enseignement efficace n’est possible sans elle, car elle constitue ce terrain neutre sur lequel nous pouvons avancer ensemble. Nous serons intransigeants en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Madame la ministre, l’éducation n’est certes pas une compétence régalienne, mais chacun s’accorde à souligner le caractère fondamental que revêt la formation de nos enfants, futures forces vives de notre pays.
Voilà une mission difficile dans une société en perpétuelle évolution. C’est d’ailleurs pour relever ce défi complexe que le Président de la République et le Premier ministre n’ont de cesse de mobiliser les énergies au service de ce qui est aujourd’hui une véritable cause nationale.
Pourquoi sommes-nous confrontés, de manière récurrente, à tant de difficultés, quand il s’agit d’élaborer la carte scolaire ?
Pourquoi décider de fermetures de classes au seul trébuchet d’indicateurs démographiques, sans prendre attache avec ceux qui ont une connaissance fine, presque scientifique, du territoire et de sa population ? Oui, ceux-là mêmes sur lesquels le Gouvernement s’est appuyé lors de la pandémie de covid-19 : je veux parler des maires.
Proches des parents, qui sont leurs administrés, au contact des équipes pédagogiques, ils sont trop souvent mis devant le fait accompli.
Madame la ministre, si je me félicite des moyens substantiels que l’État a décidé de consacrer aux écoles de Marseille, qui en avaient le plus grand besoin, je souhaite vous alerter sur les méthodes qui président à la mise en œuvre de la carte scolaire dans les Bouches-du-Rhône en vous invitant à venir à Mouriès, commune située au cœur de la ruralité, qui est touchée par la fermeture d’une classe, alors même que des logements y sont en construction.
Vous pourrez ainsi constater concrètement les effets délétères de cette pratique qui consiste à fermer et à ouvrir des classes au gré des statistiques, loin de la vie quotidienne de ceux qui ont aujourd’hui le sentiment désagréable d’être tenus pour quantité négligeable, parce qu’ils vivent dans cette France des villages et des campagnes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Je connais bien Mouriès, madame la sénatrice, car je n’habite pas très loin…
Le département des Bouches-du-Rhône a perdu plus de 5 000 élèves entre 2018 et 2023. Cette baisse aurait dû entraîner, si nous avions, comme vous le dites, opéré des retraits mécaniques, selon une logique purement arithmétique, une perte de 234 emplois ; or, sur cette même période, l’État en a créé 360.
Nous avons dédoublé la totalité des classes de grande section, de CP et de CE1 en éducation prioritaire et nous plafonnons progressivement les effectifs des autres classes. Le taux d’encadrement s’est nettement amélioré. Nous avons également créé 95 emplois pour les élèves en situation de handicap.
Tout cela ne supprime pas les difficultés auxquelles sont confrontés les habitants de Mouriès, mais je tenais à rappeler ces éléments.
À la rentrée 2024, selon nos prévisions, nous devrions compter 1 800 élèves de moins – 1 799 exactement. Cette situation aurait dû entraîner 82 retraits de poste ; or la dotation du département a été sanctuarisée, ce qui signifie que le taux d’encadrement sera encore amélioré. La réalité est que nous essayons de mettre en place des moyens importants.
En ce qui concerne la situation précise de Mouriès, malgré le programme de construction de logements que vous évoquez, madame la sénatrice, la commune a perdu 47 élèves depuis 2018, soit l’équivalent de deux classes. En dépit de ces deux retraits d’emploi, le taux d’encadrement est resté stable dans l’école, ce qui montre que la qualité éducative et l’attractivité du village ont été maintenues.
J’espère toutefois, pour répondre à votre interrogation, que les nouvelles modalités d’élaboration de la carte scolaire permettront de mieux prendre en compte l’évolution des besoins de la commune.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la ministre, assurer à tous les élèves un accès à une école publique de proximité, favoriser la diversité des publics au sein des établissements scolaires, répartir les élèves de manière équitable entre les écoles : autant d’objectifs fixés lors de la création de cet outil essentiel qu’est la carte scolaire.
Élu d’un territoire riche dans sa diversité et régulièrement interpellé par des maires ruraux soucieux d’offrir aux habitants de leurs communes un service public d’éducation de qualité, à l’instar de M. Solaro, maire de Gommecourt, petite commune yvelinoise de 639 habitants, qui désespère du risque de fermeture d’une des trois classes de l’école de sa commune, mon intervention – une fois cette carte postale et la demande subliminale subséquente envoyées… – (Sourires.) portera sur le plan pour les territoires ruraux présenté voilà tout juste un an.
Outil essentiel pour garantir l’égalité des chances entre tous les élèves, quel que soit leur lieu de résidence, ce plan ambitieux, articulé en trois axes, vise à améliorer durablement la qualité du service public de l’éducation en milieu rural. Il a mobilisé des moyens importants et a suscité un grand intérêt auprès des acteurs locaux.
Il permet notamment de renforcer l’attractivité des métiers de l’éducation en milieu rural, mais aussi d’améliorer l’offre éducative et pédagogique ou encore de dynamiser les territoires ruraux par l’école.
Un an après son lancement, je vous serais reconnaissant de partager avec nous les premiers résultats concrets auxquels ce plan a permis d’aboutir. Pouvez-vous nous préciser les avancées réalisées, notamment en matière de développement des territoires éducatifs ruraux (TER) qui sous-entend une extension du dispositif à tous les départements ruraux d’ici à 2026 ou encore le financement de projets éducatifs locaux coconstruits avec les acteurs du territoire ?
En outre, madame la ministre, je souhaite vous interroger sur les perspectives d’évolution du plan pour les années à venir. Quelles sont les priorités que vous entendez fixer pour poursuivre l’amélioration de l’éducation en milieu rural ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, comme je l’ai souligné dans mon propos introductif, je suis très attentive au plan France Ruralités présenté voilà neuf mois par Mme Élisabeth Borne. Il contient des solutions qui sont adaptées à ces territoires.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de dire que je crois beaucoup à la mise en place de la nouvelle instance de dialogue : elle peut apporter de la cohérence dans les politiques publiques et des échanges fructueux avec les élus. Elle a déjà été mise en place dans un certain nombre de départements ; dans d’autres, ce n’est pas tout à fait le cas. Dans les Yvelines, je crois qu’il faut y apporter une attention soutenue… Globalement, son déploiement est assez inégal sur le territoire et je serai particulièrement attentive à ce que tous les départements en bénéficient l’année prochaine – c’est une priorité.
Le dispositif des territoires éducatifs ruraux est un véritable succès : 190 ont déjà été installés sur l’ensemble du territoire et un peu plus de 200 – 112, je crois – sont en cours de déploiement.
Il s’agit d’une modalité de travail entre les écoles et le collège d’un territoire rural qui permet de déployer différents dispositifs afin de mieux prendre en charge, avec les collectivités, les enfants sur le temps scolaire et périscolaire pour des activités culturelles et sportives. Je crois que tout cela donne des résultats intéressants en matière éducative. Nous travaillons à ce que ce dispositif soit généralisé dans tous les départements ruraux.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Nicole Belloubet, ministre. Nous avons également des projets relatifs aux internats d’excellence, car certains jeunes issus de la ruralité sont freinés : ils n’ont pas l’audace d’aller plus loin chercher la formation qui leur conviendrait. Les internats d’excellence peuvent être une réponse à ce type de difficultés.
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Adel Ziane. Madame la ministre, je veux d’abord vous remercier d’avoir répondu positivement à l’invitation des sénateurs de Seine-Saint-Denis d’échanger sur les sujets qui concernent votre ministère ; nous avons pu le faire cet après-midi.
Nous nous retrouvons maintenant dans l’hémicycle pour évoquer la question des fermetures de classes.
Depuis le 26 février, professeurs, parents et élèves se mobilisent à l’appel de l’intersyndicale contre le manque de moyens et les inégalités croissantes qui affectent l’école publique dans notre département de la Seine-Saint-Denis.
Un constat alarmant que corrobore le rapport de novembre 2023 des députés Stéphane Peu et Christine Decodts, que je cite : en Seine-Saint-Denis, « l’école en crise peine à tenir la promesse républicaine ».
La fermeture de 227 classes contre l’ouverture de 198 classes dans le premier degré, un mouvement acté en début d’année, exacerbe les inquiétudes.
La décision du rectorat de Créteil d’allouer 40 postes à la Seine-Saint-Denis sur les 130 pour l’ensemble de l’académie, avec 15 postes pour les brigades de remplacement REP+, apparaît sous-dimensionnée et de nature à compromettre les efforts de rattrapage en matière d’éducation, qui sont pourtant indispensables dans notre département.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Seine-Saint-Denis, 35 % des absences n’étaient pas remplacées en octobre 2023 dans le premier degré contre 22 % au niveau national. Derrière cette statistique, il y a une réalité : en Seine-Saint-Denis, un élève à l’approche du baccalauréat aura cumulé tout au long de sa scolarité un an de cours en moins en raison des déficits de remplacement de ses professeurs.
Cette situation met en lumière un problème profond : la France est l’un des pays dans lesquels l’origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Cela a de lourdes conséquences dans notre département, où près de 60 % des élèves relèvent de l’éducation prioritaire contre 20 % au niveau national.
Or l’on sait que le développement d’une politique volontariste en matière de mixité scolaire, comme la sectorisation appliquée en Haute-Garonne, produit de très bons résultats.
Madame la ministre, aux côtés d’autres élus de Seine-Saint-Denis, j’ai appelé à un « choc d’égalité » face au manque de moyens alloués à l’école publique. Ainsi, je souhaite savoir si vous prévoyez de mettre en place un tel plan d’urgence pour remédier à cette situation.
Par ailleurs, votre prédécesseur avait déclaré que « la pédagogie pouvait renverser la sociologie ». Je voudrais connaître votre position sur le besoin de mixité sociale et scolaire et sur la nécessité d’un brassage social établi dans la durée. La carte scolaire est-elle pour vous un outil adéquat pour favoriser une telle mixité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Belloubet, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, nous venons en effet de nous rencontrer, voilà quelques heures seulement, autour de la question spécifique de la Seine-Saint-Denis.
Je répondrai d’emblée à votre dernière question : oui, la décorrélation entre les inégalités sociales et les inégalités scolaires est pour moi une priorité et je souhaite prolonger et développer les éléments positifs qui ont été mis en place en faveur de la mixité scolaire.
Différents paramètres peuvent être activés, qu’il s’agisse d’une offre de formation qualifiée, de la sectorisation – vous citiez la Haute-Garonne qui, je crois, a fait beaucoup de choses en ce sens –, etc. Nous devons utiliser plusieurs outils, comme sur une palette, pour favoriser la mixité scolaire. C’est pour moi quelque chose de vraiment essentiel.
Sur les autres points que vous évoquiez, je vous rappelle que, dans le premier degré, 1 500 postes ont été implantés en Seine-Saint-Denis depuis 2017 pour mettre en place les politiques publiques dont nous avons parlé, ce qui est tout à fait important.
Pour la rentrée prochaine, 1 240 élèves en moins sont prévus tandis que, dans le premier degré, quarante moyens d’enseignement nouveaux seront implantés – décharges de direction, scolarisation des élèves en situation de handicap, plafonnement à vingt-quatre, dédoublement des classes, accueil des nouveaux élèves allophones, etc. Vous le voyez, il y a un réel effort pour traiter la singularité de la Seine-Saint-Denis et, numériquement, les conditions d’enseignement peuvent apparaître comme extrêmement favorables.
Mon engagement est très fort en faveur de la mixité scolaire ; je le redis devant vous sans aucune hésitation.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Evren. Madame la ministre, à Paris aussi, la situation est gravissime, puisque les familles vont subir une vague de fermetures sans précédent.
En 2023 déjà, Paris était l’académie la plus touchée de France avec 178 classes fermées et plus de 330 postes supprimés. En 2024, nous continuons de battre des records : 134 classes et plus de 125 postes d’enseignants en moins dans le premier degré.
Le second degré n’est pas épargné avec 78 postes supprimés dans les collèges – plusieurs sont d’ailleurs menacés de fermeture définitive.
La baisse démographique de Paris ne justifie pas une telle saignée. Alors que les effectifs diminuent moins cette année qu’en 2023, conserver ce rythme insoutenable de suppressions est un choix absolument disproportionné.
Les parents et les personnels sont très inquiets. Ils vous demandent de rompre avec cette logique statistique, qui fait tant de mal sur le terrain.
Avec le maire du XVe arrondissement, je vous ai d’ailleurs écrit au sujet de l’école Falguière, qui risque de devoir créer trois classes de double niveau CE2-CM1, avec vingt-huit élèves par classe.
Madame la ministre, ces fermetures sont d’autant plus graves que, cette année, elles ont principalement lieu dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements, là où se trouvent beaucoup d’élèves socialement et scolairement fragiles.
Madame la ministre, comptez-vous réviser le fonctionnement de la carte scolaire à Paris pour limiter l’ampleur de ces fermetures de classes dans les écoles et collèges ? (Mme Colombe Brossel applaudit.)