Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Michaël Weber, comme vous, nous avons considéré que les règles du pacte de stabilité et de croissance présentaient le grand inconvénient d’être procycliques, c’est-à-dire d’ajouter l’austérité aux périodes de crise, faisant parfois s’enfoncer les économies dans la récession.
C’est la raison pour laquelle Bruno Le Maire, le gouvernement français, s’est fortement mobilisé pour aboutir à la révision de ce pacte de stabilité et de croissance, une réforme qui a été adoptée à l’unanimité et qui a donc supposé des discussions longues et particulièrement serrées avec nos partenaires, au premier rang desquels figurait notre voisin allemand. Je crois que cette évolution ne pourra pas nuire.
Je vous rejoins également sur le second constat que vous dressez : la transition verte, l’éducation, la défense – on pourrait ajouter la politique industrielle – doivent nous permettre d’assurer cette autonomie stratégique qui, je le revendique, je le confirme, est un concept que la France a progressivement fait entrer dans la grammaire européenne.
Atteindre cet objectif supposera évidemment la mobilisation de l’épargne et de financements privés, mais aussi de ressources publiques. Cela doit nous amener à réfléchir à la manière dont nous pourrions – comme nous l’avons fait face à d’autres impératifs ou à d’autres urgences, en 2020 par exemple pour soutenir le plan de relance – créer une capacité commune d’emprunt au service du projet que nous portons pour l’Europe.
Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.
M. Michaël Weber. Depuis maintenant plusieurs mois, nous constatons que les efforts budgétaires consentis par les États membres et l’Union européenne se font au détriment de la transition énergétique et climatique, qui est pourtant absolument indispensable. Vous avez le droit de le contester, monsieur le ministre, mais c’est pourtant bien le cas, notamment en France. D’ailleurs, les réactions qui ont suivi le déclenchement de la crise agricole en Europe montrent que l’essentiel de l’effort budgétaire a porté sur cette transition.
Encourager la transition environnementale et faire en sorte que nous disposions de moyens supplémentaires pour garantir notre défense nationale et européenne, tout en consentant des efforts budgétaires, voire en nous orientant vers une forme d’austérité, c’est la quadrature du cercle, c’est impossible, et cela nous mènera soit à la récession, soit à l’échec.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission applaudit également.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le conflit à Gaza s’enlise. Plus de six mois après la funeste journée du 7 octobre et le lancement des hostilités, la perspective d’un cessez-le-feu est encore lointaine.
Alors que le ramadan a débuté le 11 mars courant, sans que les négociations visant à obtenir une pause humanitaire immédiate aient pu aboutir, 1,1 million de Gazaouis se retrouvent donc confrontés à la faim, dans une situation catastrophique, proche de la famine selon l’ONU. Dans son dernier rapport, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, ou IPC) estime ainsi que la famine pourrait toucher la population à n’importe quel moment, et au plus tard d’ici au mois de mai prochain, si rien n’est fait pour l’empêcher. L’émeute de la faim survenue le 29 février dernier témoigne de l’imminence d’une telle situation.
Selon le Programme alimentaire mondial, 300 à 500 camions d’aide alimentaire seraient nécessaires chaque jour pour répondre aux besoins élémentaires des Gazaouis, quand à peine une dizaine parviennent à entrer quotidiennement. Israël ne laisse en effet passer ces camions dans la bande de Gaza qu’au compte-gouttes. D’après l’ONG Oxfam, seuls 20 % de l’aide alimentaire quotidienne qui était distribuée avant le 7 octobre parvenait à ses destinataires ; or les besoins sont aujourd’hui bien plus élevés qu’auparavant.
La presse et l’ONU se sont également fait l’écho du blocage par Israël d’importants volumes de matériel médical dans des entrepôts à El-Arich, l’État hébreu considérant que ce matériel pourrait être utilisé à son détriment.
Alors que l’Union européenne et la France ont augmenté massivement les dépenses qu’elles allouent à l’aide humanitaire pour Gaza, les efforts engagés resteront vains si l’aide ne peut pas être distribuée. Il est donc impératif de poursuivre le dialogue avec Israël pour améliorer l’acheminement de cette aide par voie terrestre, solution qui demeure la plus efficace selon l’ONU et les ONG.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les mesures mises en œuvre par l’Union européenne et la France pour qu’Israël facilite l’entrée des camions et la distribution des aides.
Dans l’attente d’une éventuelle amélioration de la distribution de vivres par voie terrestre, il n’était pas envisageable de rester les bras croisés face à la famine qui se profile. Hélas, les largages opérés par voie aérienne se sont révélés peu efficaces, les volumes concernés n’étant pas suffisants et les colis étant régulièrement pillés. L’un des parachutages de colis a en outre causé la mort de plusieurs Palestiniens, le parachute ne s’étant pas ouvert.
L’Union européenne, sur l’initiative de Chypre, a par ailleurs annoncé la création d’un corridor maritime entre Larnaca et la bande de Gaza. Un tel dispositif, plus coûteux que la voie terrestre, doit rester subsidiaire, mais il s’avère nécessaire au vu de la gravité de la situation. Un premier navire, chargé de 200 tonnes de nourriture, représentant environ 300 000 repas, est finalement arrivé à bon port vendredi dernier et sa cargaison a pu être déchargée. L’envoi d’un second navire a été annoncé dans la foulée.
Cela étant, la taille des bateaux et, donc, le volume de l’aide fournie restent limités face à l’ampleur des besoins, d’autant qu’il n’y a pas de port pour décharger la marchandise à Gaza. La donne pourrait cependant changer prochainement, car les États-Unis ont prévu la création d’un port flottant dont la construction devrait prendre soixante jours.
Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, si et comment la France envisage de soutenir cette initiative. L’établissement d’un couloir durable du côté de l’Union européenne est-il pérenne ? L’Union projette-t-elle de conjuguer ses efforts avec ceux des Américains ? Ni le président Biden ni la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’ont en effet précisé les intentions de l’autre partie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, je vous remercie d’avoir souligné l’importance considérable de l’aide humanitaire à acheminer vers Gaza par tous les moyens : terrestre, aérien et maritime.
Permettez-moi de rappeler à mon tour, mais vous le savez déjà, que la France a été le premier pays à larguer directement de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, que nous y acheminons d’importantes quantités de fret – tentes, protections hygiéniques, nourriture –, et que nous soutenons par ailleurs le système de santé sur place, afin d’assurer l’accueil des personnes nécessitant des soins.
Je vous remercie également d’avoir cité l’initiative chypriote, baptisée Amalthée, qui fera l’objet d’une réunion spécifique entre les chefs d’État et de gouvernement. J’ai eu l’occasion de m’en entretenir aujourd’hui avec mon homologue chypriote, que j’ai remerciée pour ce projet et à qui j’ai fait part de notre conviction que cette solution spécifique d’un acheminement par voie maritime devait rester complémentaire d’un acheminement par voie terrestre et que chacune de ces voies devait être soutenue.
L’État chypriote a d’ores et déjà commencé à réfléchir à constituer un fonds pour soutenir cette initiative ; j’ai naturellement assuré mon homologue de l’accueil très bienveillant et du soutien de la France.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, monsieur le ministre, de m’avoir communiqué tous ces éléments importants.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Cette citation de Jean Monnet illustre parfaitement notre état d’esprit à l’aube du Conseil européen qui se tiendra les 21 et 22 mars prochains.
Tout d’abord, permettez-moi de vous interpeller, monsieur le ministre, à l’occasion de ce premier débat préalable à un Conseil européen depuis votre nomination en tant que ministre délégué chargé de l’Europe, au sujet de l’élargissement de l’Union européenne.
Depuis l’entrée de la Croatie en 2013, l’Union n’a pas connu de nouvelles adhésions. Je note pourtant que, plus de dix ans après, dix États sont candidats à l’entrée dans le marché commun. Nous avons constaté que plusieurs de ces pays étaient parvenus à prendre des mesures pour se conformer aux critères de Copenhague, en vue de leur adhésion. Ces critères exigent notamment des pays candidats que ceux-ci respectent les principes démocratiques, l’État de droit et les droits de l’homme. Le respect de ces standards constitue une étape préliminaire fondamentale à l’ouverture des négociations d’adhésion.
Toutefois, il convient de rester attentif et de ne pas confondre vitesse et précipitation. Faire passer l’Union européenne de vingt-sept à trente-sept États membres implique vigilance et réformes.
Vigilance d’abord à l’égard des difficultés qui pourraient subsister en matière de corruption et de respect de l’État de droit dans nombre des pays candidats.
Vigilance également pour ce qui concerne les contributions financières des États, le budget de l’Union et la répartition des aides européennes, donc vigilance sur les conséquences économiques qui en résulteront. Notre pays et l’Allemagne sont contributeurs nets de l’Union européenne, c’est un fait qui illustre le rôle moteur que nous jouons dans la construction européenne. Cependant, un vaste élargissement pourrait faire croître le nombre des États contributeurs nets et, ainsi, poser un certain nombre de problèmes. Gageons que nous ne connaîtrons plus à l’avenir de sorties de l’Union européenne…
Vigilance enfin quant aux capacités institutionnelles de l’Union à trente-sept à gérer une telle diversité et à décider de manière efficace, notamment en matière de politique étrangère. Nous voyons bien aujourd’hui qu’un certain nombre de réformes institutionnelles sont indispensables si l’on veut renforcer l’efficacité de l’Europe. Or force est de constater que ce débat récurrent sur les réformes institutionnelles de l’Europe, pourtant vital pour sa continuité, est renvoyé à plus tard. Espérons que, cette fois-ci, il ne s’ouvrira pas trop tard.
Je souhaite aussi aborder la situation du Proche-Orient, monsieur le ministre. Vous allez devoir traiter la question de l’accord d’association conclu entre l’Union et Israël, dont plusieurs de nos partenaires demandent la suspension. Selon nous, l’intérêt de la France n’est absolument pas d’aller dans le sens d’une suspension de cet accord. Au contraire, l’Union européenne, même au-delà de ses frontières, doit rester particulièrement attentive à la situation en Israël et à Gaza. Nous devons veiller à ce que le droit international et humanitaire s’applique. À mon sens, ce n’est pas en suspendant cet accord que nous enverrons un signal positif. Pourriez-vous m’indiquer, monsieur le ministre, quelle sera la position de la France face à cette situation de crise ?
À la veille des élections européennes, certains partis extrémistes semblent s’accorder sur l’idée que l’Union européenne est la source de tous les maux et de tous les problèmes rencontrés par les Européens. Pourtant, nous voyons bien que l’Europe est désirée, et ce bien au-delà de nos frontières. Soyons conscients de la chance que nous avons, soyons fiers de l’Europe et soyons fiers d’être Européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Claude Kern, vous avez raison d’appeler à la vigilance de la France sur le fait – c’est d’ailleurs un principe que nous réaffirmons très régulièrement – qu’il ne peut pas y avoir d’élargissement réussi si, en parallèle, il n’y a pas une triple réforme de l’Union européenne.
Tout d’abord, une réforme des politiques est primordiale, parce que la politique agricole commune et la politique de cohésion doivent permettre d’accueillir les pays candidats, sans déstabiliser les régions et les secteurs qui en sont bénéficiaires.
Il importe également d’engager une réforme budgétaire : il est très important de pouvoir se préparer et d’anticiper les élargissements à venir. J’étais tout à l’heure avec mon homologue slovène, ministre d’un pays niché au cœur des Balkans occidentaux, dont la plupart des voisins sont engagés dans un processus d’adhésion et qui, le moment venu, basculera sans doute du statut de bénéficiaire net à celui de contributeur net. Cela posera évidemment un certain nombre de problèmes sur le plan démocratique.
Enfin, une réforme du fonctionnement institutionnel de l’Union européenne est devenue indispensable. Si l’Union regroupe demain une trentaine d’États membres ou plus, la question du fonctionnement de l’institution se posera inévitablement. C’est du reste pourquoi il nous faut la traiter avant que ces élargissements n’aboutissent. Nous y veillerons au cours de la législature qui s’ouvre.
Vous m’avez également interrogé, monsieur le sénateur, sur l’accord d’association qui nous lie à Israël. L’étape qui, je le souhaite, pourrait être franchie les 21 et 22 mars prochains pourrait prendre la forme d’une déclaration commune appelant à un cessez-le-feu durable, à l’acheminement de l’aide humanitaire et à la dénonciation de l’attentat terroriste du Hamas, ce qui permettrait de souder les Vingt-Sept autour d’un « langage commun », comme on le dit dans le jargon diplomatique.
Permettez-moi enfin de rebondir sur votre dernière remarque, celle de la fierté d’être Européen et du sentiment d’appartenance : je veux en profiter pour rendre hommage aux députés et aux sénateurs qui, au quotidien, font vivre ce sentiment d’appartenance…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … en s’intéressant tout simplement à ces questions et, notamment, aux problématiques fondamentales qui seront traitées par les dirigeants européens les 21 et 22 mars prochains.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les vingt-sept chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne se retrouveront à Bruxelles les 21 et 22 mars, pour une réunion du Conseil européen avant tout consacrée à la guerre en Ukraine, avec en toile de fond les dernières déclarations du Président de la République, qui n’ont pas manqué de déconcerter nos alliés et d’inquiéter les Français.
Le sujet de mon intervention ne sera pas original, mais il ne se passe pas un seul jour sans que nous soyons interpellés par nos concitoyens préoccupés par le changement de discours du Président de la République. Alors que ce dernier affirmait voilà quelques mois encore qu’il ne fallait pas humilier la Russie, il n’exclut plus aujourd’hui l’envoi de troupes sur le front.
Bruno Retailleau a rappelé la semaine dernière la position claire et sans ambiguïté de notre groupe : tout faire pour que la Russie ne remporte pas ce conflit ; ne rien faire qui nous entraîne dans une guerre dont nous ne voulons pas.
Nous jugeons également que la promesse d’une adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union serait prématurée, car cela entraînerait des conséquences sociales et économiques délétères pour la France, à commencer par une baisse du budget de la PAC du fait de l’importance de la surface agricole ukrainienne.
Nous voyons déjà aujourd’hui les conséquences de l’ouverture sans contrôle du marché européen aux produits agricoles ukrainiens : des prix cassés et nos agriculteurs en grande difficulté face à une concurrence déloyale, qui produit sans avoir à respecter les mêmes normes que nous.
Je profite de l’occasion, monsieur le ministre, pour réitérer la question que j’ai posée ici même il y a quinze jours à votre gouvernement et à laquelle je n’ai pas eu de réponse : êtes-vous ou non favorable aux clauses de sauvegarde pour limiter les importations de céréales ukrainiennes et protéger ainsi nos producteurs ?
Le Conseil européen se penchera aussi sur la politique agricole commune. Vendredi dernier, la Commission européenne a enfin accepté de briser le tabou de la réouverture de la PAC, en remettant pour la première fois en cause son architecture verte. La suppression de l’obligation de jachères, l’assouplissement des exigences de rotation des cultures et de couverture des sols en hiver, ou encore la réduction des contrôles sont autant de mesures qui vont dans le bon sens. Toutefois, que de temps perdu ! Toutes ces préconisations figuraient déjà dans de multiples résolutions et rapports publiés par le Sénat depuis 2017.
Reste désormais à savoir comment ces propositions seront appliquées. Nous appelons à une grande vigilance face au risque de renationalisation de la PAC et à la manière dont la France se saisira de cette nouvelle flexibilité. Ce sujet ne doit pas se cantonner à un simple discours de campagne pour les élections européennes.
Dans le domaine de la santé, je me réjouis qu’un compromis ait été trouvé à Bruxelles sur l’espace européen des données de santé. Il est essentiel de favoriser la recherche sur le territoire européen, tout en garantissant la protection des données à caractère personnel de nos concitoyens. L’accord qui a été conclu reprend d’ailleurs l’une des dispositions que nous proposions, à savoir la possibilité pour les patients de s’opposer au traitement de leurs données de santé à des fins de recherche.
Dans la résolution du Sénat du 17 juillet 2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’espace européen des données de santé, nous demandions également que les données de santé électroniques et les services associés soient hébergés sur le territoire de l’Union européenne, par une entreprise européenne. Aussi, je regrette que le gouvernement français s’obstine à vouloir confier à Microsoft l’hébergement des données de santé des Français…
Par ailleurs, un accord a également été trouvé sur les travailleurs de plateforme pour introduire une présomption de salariat en leur faveur. Il faudra néanmoins veiller à l’application de cette mesure et à sa sécurité juridique, puisqu’elle ne sera pas uniforme, chaque État membre pouvant adopter ses propres définitions. Nous savons que le Président de la République ne voulait pas de cette directive. Il serait intéressant que vous nous indiquiez comment vous entendez la transposer en droit français.
Pour conclure, mes chers collègues, j’insiste sur le fait que nous attendons de ce sommet européen des mesures fortes de soutien à l’Ukraine sans pour autant tomber dans le bellicisme ; nous attendons des mesures puissantes pour sauver nos agriculteurs ; nous attendons de la France plus de constance et de clarté pour continuer de tenir son rang ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Pascale Gruny, permettez-moi de rectifier quelque peu vos propos : nous ne sommes pas les agresseurs, nous soutenons les agressés. D’une certaine manière, nous sommes d’ores et déjà victimes de l’agressivité de Vladimir Poutine.
Qui a fait flamber les prix du gaz pour nos concitoyens ? C’est Vladimir Poutine ! Qui inonde les marchés mondiaux de céréales à prix cassés, ce qui fragilise nos agriculteurs ? C’est Vladimir Poutine ! Qui a déclenché des cyberattaques sur les hôpitaux de Corbeil-Essonnes et de Versailles, ce qui les a paralysés pendant plus d’un an ? Ce sont des groupes russes ! Qui a, encore aujourd’hui, diffusé une fausse nouvelle sur l’envoi présumé de troupes françaises en Russie ? Ce sont les services de renseignement russes !
Bref, nous sommes soumis à une agressivité très forte de la part de la Russie, n’inversons pas les rôles !
Mme Frédérique Puissat. Ce n’est pas du tout ce qui a été fait !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Jusqu’à présent, l’obsession de la France et de l’Union européenne a été de permettre aux Ukrainiens de se défendre.
En ce qui concerne la question que vous avez posée au Gouvernement il y a quinze jours, je vous confirme que lors des discussions qui ont eu lieu hier pour prolonger le règlement ATM, c’est-à-dire les mesures exceptionnelles de soutien à l’Ukraine, le représentant du gouvernement français a émis un avis favorable sur plusieurs propositions émanant des représentants d’autres pays, notamment celles qui consistent à instaurer des freins d’urgence sur des denrées alimentaires : la volaille, le sucre, ou encore certaines céréales. De tels amendements rejoignent le texte adopté par le Parlement européen, qui fait l’objet d’un trilogue en ce moment même. Nous verrons ce qu’il en sortira.
Pour ce qui est de la politique agricole commune, vous avez raison d’insister sur la nécessité d’appliquer les mesures de simplification proposées par la Commission le plus rapidement possible. C’est le message que portera le Président de la République jeudi et vendredi prochains à Bruxelles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Je n’ai pas eu toutes les réponses que j’attendais. Je ne sais toujours pas où nous en sommes sur les plateformes, mais j’attendrai…
Que l’on soit bien d’accord, mon discours n’était pas pro-Poutine. Nous défendons l’Ukraine.
En revanche, les propos du Président de la République ont véritablement effrayé les Français. Ceux que nous rencontrons sur les marchés, dans nos villes, nous le disent. Prenons garde d’effrayer nos concitoyens et nos alliés. Il convient de consulter les autres États membres avant de faire des annonces qui font peur.
Mme la présidente. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. C’est la première fois que nous tenons un débat préalable à un Conseil européen selon cette nouvelle formule, qui me semble convenir à tous, car elle est dynamique et permet d’entendre immédiatement la réponse du ministre après chaque question.
Monsieur le ministre, si plusieurs sujets ressortent de nos échanges, nous avons compris que l’ordre du jour du Conseil européen porterait essentiellement sur l’Ukraine. Nous devons nous interroger au-delà des appels à la paix et de la question de l’élargissement.
Dans quarante-huit heures, la commission des affaires européennes organise une table ronde sur ce sujet avec des personnalités reconnues, notamment Édouard Balladur, Alain Lamassoure, Noëlle Lenoir et Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur d’Allemagne. Nous nous demanderons si un nouvel élargissement nous mènerait vers un affaiblissement, voire un crash de l’Europe – ce n’est pas exclu – ou si nous pourrions nous en servir pour la faire grandir.
Ce sont de réelles questions, qu’il convient de se poser. Alain Cadec, avec la verve que nous lui connaissons, a pris l’exemple spécifique de l’agriculture : en cas d’adhésion, la seule Ukraine devrait percevoir 96 milliards d’euros au titre de la PAC, le budget de la PAC s’élevant actuellement à 58 milliards d’euros. Vous imaginez bien le bouleversement qu’une telle adhésion causerait.
Nous devons traiter sérieusement ces questions afin de prendre la meilleure orientation possible. Je suis bien conscient de la difficulté de se projeter à moyen et à long terme dans le contexte actuel, mais nous devons malgré tout définir des stratégies.
Comme l’a rappelé Mme Gruny, les propos du Président de la République sur la guerre en Ukraine ont énormément inquiété, y compris dans les rangs des parlementaires.
Mme Frédérique Puissat. Bien sûr !
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Certes, il y a plusieurs niveaux. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre délégué, dans le cadre de la dissuasion, nous ne pouvons fixer des limites sans dévoiler nos cartes à l’adversaire. Toutefois, ce débat est d’ordre institutionnel ; c’est un débat de sachants. Il n’a pas lieu de se tenir dans la sphère publique. Je ne cherche pas à donner des leçons, je fais simplement état d’un ressenti, exprimé notamment par Pascale Gruny.
En ce qui concerne le débat financier, plusieurs d’entre nous ont défendu clairement le grand emprunt dans le cadre du plan de résilience, ce qui a abouti à un vote favorable du Sénat. Toutefois, cet emprunt, que nous commencerons à rembourser en 2028, nous avait été « vendu » avec des recettes pour le contrebalancer, des ressources propres. Cet argument nous avait convaincus d’adopter cette mesure, pour une bonne cause : la résilience et la relance.
Toutefois, je ne suis pas sûr que nous serons, à l’avenir, dans les mêmes dispositions d’esprit, car la mise en œuvre du volet recettes n’est pas au rendez-vous. Il s’agit, monsieur le ministre, d’un vrai sujet, dont nous devrons probablement débattre au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024.