Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je souhaite à mon tour dénoncer les prétendues élections dans les territoires occupés par la Russie en Ukraine, que nous ne reconnaissons pas et ne reconnaîtrons jamais. Nous avons bon espoir que la déclaration qui a été faite au nom des vingt-sept États membres par le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune sera reprise dans les conclusions du Conseil européen.
En ce qui concerne la préférence européenne, dans sa communication en date du 7 mars sur l’Edis et l’Edip que j’évoquais précédemment, la Commission a indiqué que les objectifs d’approvisionnement auprès de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) sont significativement relevés. Nous attachons une grande importance à cet objectif, car la crédibilité de notre soutien à l’Ukraine dépend de la crédibilité de ladite base.
Enfin, le règlement sur l’intelligence artificielle a récemment fait l’objet d’un accord définitif. Comme vous le savez, la France a beaucoup milité, avec l’Allemagne – ce fut du reste un bel exemple de coopération –, pour parvenir, dans le cadre de ce règlement, à un bon équilibre entre la nécessaire protection des personnes et des citoyens européens, d’une part, et le nécessaire développement de ce type d’innovations majeures pour les années à venir en Europe, d’autre part.
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de m’exprimer sur le Conseil européen des 21 et 22 mars, je souhaite m’arrêter sur les élections européennes du 9 juin prochain.
Il s’agit généralement du scrutin le moins suivi par nos compatriotes, celui qui souffre du plus fort taux d’abstention de tous nos scrutins. La réforme de 2018, qui a rétabli la circonscription nationale unique, a peut-être favorisé une participation un peu plus élevée au scrutin de 2019, puisqu’il était le premier depuis vingt ans à connaître une abstention inférieure à 50 %.
La circonscription unique présente toutefois l’inconvénient majeur qu’elle emporte un défaut de représentativité de tous les territoires. L’on constate en effet la surreprésentation des élus franciliens chez les députés européens sortants, la diversité géographique ne dépendant que de la bonne volonté ayant présidé à la constitution des listes en présence.
La parité de genre a été imposée dans tous les scrutins de liste et ne souffre plus aucune contestation. Nous observons du reste son efficacité dans nos assemblées. Pourquoi ne pas imaginer spécifiquement pour le scrutin européen, en sus du critère de parité, un critère de répartition géographique des candidats composant une même liste ?
En attendant cet éventuel apport au prochain scrutin européen, j’appelle les différentes listes à veiller à la bonne représentation de tous les territoires, notamment de tous les territoires ultramarins, lors de la constitution des listes.
Comme lors des Conseils précédents, l’Ukraine occupera certainement l’essentiel des discussions. La guerre entre la Russie et l’Ukraine est en effet entrée dans sa troisième année. Plus les jours passent, et plus il faut nous préparer à voir ce conflit durer des années.
Comme l’a rappelé le Premier ministre la semaine dernière lors du débat sur l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine, la victoire de l’Ukraine est indispensable. À défaut, il ne pourrait y avoir de sécurité en Europe.
Or, en deux ans, nos capacités à soutenir l’Ukraine militairement se sont à peine accrues, et force est de constater que les sanctions économiques prises pour affaiblir l’économie russe et son industrie militaire tardent à produire leurs effets. En 2024, notre production d’obus devrait par exemple s’établir à 20 000 unités, comme les années passées, ce qui correspond aux besoins de l’artillerie ukrainienne pour seulement une semaine, alors que le groupe Nexter affirme être en mesure de produire jusqu’à 100 000 obus dans les années à venir, à la condition d’avoir une visibilité à long terme sur les commandes de l’État.
Le système dit de Facilité européenne pour la paix, auquel la France a déjà contribué à hauteur de 1,2 milliard d’euros et dont une réforme doit être adoptée lors de ce Conseil européen, permettra-t-il enfin d’augmenter nos moyens de production, monsieur le ministre ?
Nous ne pouvons également que constater les multiples contournements des sanctions par la Russie, avec la complicité de pays tiers, comme la Turquie, pourtant membre de l’Otan. L’Inde absorbe maintenant 40 % des exportations russes de pétrole, contre presque rien avant le conflit, et revend sur le marché européen les produits issus de son raffinage.
Ces contournements sont documentés et l’on peut les retracer sans difficulté dans les statistiques des pays voisins de la Russie.
Une étude de l’Institut d’économie scientifique et de gestion (Iéseg) parue le 26 février dernier confirme que les sanctions de l’Union européenne sont massivement contournées. Les auteurs de l’étude indiquent que les exportations de l’Union européenne vers la Turquie, les Émirats arabes unis, le Kazakhstan et d’autres pays réputés proches de la Russie ont bondi de presque 3 milliards d’euros, soit une augmentation de plus de 81 % entre 2022 et 2023. La palme revient au Kirghizistan, qui a augmenté ses importations de biens européens de plus de 1 680 % !
Monsieur le ministre, il est temps d’adopter une réglementation plus stricte pour interdire réellement l’utilisation des produits dérivés du pétrole russe et pour soumettre à autorisation les exportations des biens sensibles, surtout vers des pays qui ne servent manifestement que de plateformes de transit pour le contournement des sanctions européennes. Que prévoit l’Union européenne en la matière ? Le sujet sera-t-il abordé par la France lors de ce Conseil ?
De manière générale, il faut mettre fin à toute forme de dépendance économique et commerciale entre la Russie et les pays de l’Union européenne. Telle est la recommandation n° 1 du rapport intitulé Pourquoi l’avenir de l’Europe se joue en Ukraine, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Permettez-moi de plaider pour le territoire dont je suis élu, monsieur le ministre. La Guyane pourrait offrir l’indépendance à la France en matière pétrolière si la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, dite loi Hulot, n’y était pas appliquée.
L’une des conséquences de la guerre en Ukraine est la déstabilisation du secteur agricole, qui s’est cristallisée, en ce début d’année, par des manifestations de grande ampleur dans de nombreux pays de l’Union européenne. La peur de la concurrence des produits ukrainiens exemptés de droits de douane s’ajoute en effet aux difficultés générées par l’application de la PAC 2023-2027.
Le 31 janvier, la Commission européenne proposait un train de mesures temporaires, parmi lesquelles la prolongation d’un an de la dispense de mise en jachère de 4 % et un mécanisme renforcé de sauvegarde en cas de perturbation des marchés agricoles par des importations de pays hors Union européenne qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences sanitaires ou environnementales.
Monsieur le ministre, je sais d’expérience quelles peuvent être les conséquences de la distorsion de concurrence. J’ai vu la production rizicole guyanaise disparaître en quelques années à cause de la réglementation européenne. À quoi bon imposer des normes restrictives à nos agriculteurs si nous acceptons d’importer à moindre coût des produits qui ne respectent pas ces mêmes normes ? Nous ne protégeons alors ni nos consommateurs ni nos agriculteurs. La France fera-t-elle entendre sa voix pour mettre fin à cette aberration qui dure depuis bien trop longtemps ?
J’en viens enfin aux conséquences de l’adoption, par le Conseil européen, de la directive dite RED III, qui concerne le développement des énergies renouvelables. Cette directive prévoit la création de zones d’accélération des énergies renouvelables dans lesquelles le délai de délivrance des permis de construire ne devra pas dépasser douze mois, la création d’une présomption de l’intérêt public majeur des projets d’énergie renouvelable et la création d’un cadre juridique incitatif pour les carburants renouvelables et bien d’autres innovations dans le domaine.
Nous avons jusqu’en 2025 pour transposer cette directive en droit interne. Serons-nous prêts, monsieur le ministre ? La fâcheuse habitude française à l’inflation bureaucratique qui ralentit toute démarche ne risque-t-elle pas de contrevenir aux objectifs de cette directive ? Quand ces zones d’accélération seront-elles définies ? Toutes les régions seront-elles concernées ?
En règle générale, cinq années sont au minimum nécessaires pour qu’un projet d’énergie renouvelable voie le jour en Guyane.
Enfin, la future centrale électrique du Larivot, en Guyane, qui doit fonctionner avec de l’huile de colza importée d’Europe, pourra-t-elle utiliser une huile produite localement grâce à cette directive ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. En ce qui concerne tout d’abord le scrutin, s’il a parfois été reproché au Gouvernement d’être par trop francilien, j’observe que certaines listes pour les élections européennes du 9 juin récemment parues le sont encore bien davantage, monsieur le sénateur. En tout état de cause, il appartient à chaque formation politique de veiller à la représentation de tous les territoires de la République sur sa liste.
Il est ensuite absolument essentiel – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur – d’envoyer des signaux clairs aux industriels de la défense. C’est pourquoi, lors des discussions autour de chacun des dispositifs de soutien financier pour l’approvisionnement en équipement militaire de l’Ukraine, la France est toujours le pays qui insiste le plus pour que la préférence européenne soit prise en compte. Elle l’a été dans la communication sur l’Edis et l’Edip, que j’ai citée, et grâce à la force de conviction de la France, elle l’est aussi dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, puisque la règle est désormais que les achats conjoints éligibles à cette facilité se fassent préférentiellement au profit de la base européenne, ce qui contribuera à donner de la visibilité à nos industriels.
Vous pointez à juste titre le contournement des sanctions, monsieur le sénateur. Ce sujet a été pris en compte lors de la préparation du treizième paquet de sanctions qui a été adopté à l’unanimité le 23 février 2024. Celui-ci comprend 117 nouvelles désignations individuelles, ainsi que des mesures sectorielles ciblées sur la production de drones, mais il s’attache aussi à sanctionner les opérateurs logistiques qui organisent les importations illicites de biens vers la Russie.
Enfin, sur le dernier sujet que vous soulevez, la directive RED III et son application pour la centrale du Lavirot, je ne suis pas en mesure de vous répondre pour l’heure, mais je m’engage à revenir vers vous le plus rapidement possible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur les financements de la défense européenne et sur la candidature d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne.
Depuis près de deux ans, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union se sont engagés à dépenser davantage et mieux pour renforcer l’industrie européenne de la défense.
L’une des annonces du sommet de Versailles, en mars 2022, était l’intensification de la coopération grâce à des projets conjoints. Il aura fallu un an et demi pour mettre en œuvre cette ambition et adopter, le 9 octobre dernier, l’instrument nécessaire, le fameux règlement Edirpa (European Defence Industry Reinforcement Through Common Procurement Act).
Grâce à ce nouveau dispositif, un remboursement partiel sur le budget de l’Union sera accordé aux États membres pour les acquisitions conjointes faisant intervenir un consortium d’au moins trois États.
Le budget alloué à ce dispositif, certes temporaire, ne s’élève toutefois qu’à 300 millions d’euros. L’enveloppe paraît très limitée, en dépit de la clause imposant 65 % de composants des produits finaux ou d’un produit associé venant de l’Union européenne.
De manière plus structurelle, la Commission européenne et le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune ont présenté le 7 mars une communication conjointe attendue de longue date sur la stratégie industrielle de défense européenne. Celle-ci se verrait cette fois allouer une enveloppe de 1,5 milliard d’euros d’ici à 2027. C’est mieux, mais cela paraît encore peu et très éloigné des enjeux auxquels l’Union européenne est aujourd’hui confrontée.
Le second volet de cet effort est le renforcement et le développement de nos industries de la défense, y compris nos PME.
Je tiens à remettre au cœur de nos débats la taxonomie de l’Union européenne. Nous avons eu l’occasion, il y a quelques semaines, de dénoncer la frilosité bancaire à l’égard des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne, qui en est la conséquence.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous faire pour intégrer les problématiques de financement du secteur de la défense dans la définition des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG ? Les chefs d’État et de gouvernement devraient apporter leur soutien à un changement des statuts de la Banque européenne d’investissement lui permettant de financer des projets de défense. Pouvez-vous nous confirmer que ce sera bien le cas, et nous préciser à la fois les modalités et le volume des crédits espérés ?
J’en viens à mon second point, la candidature de la Bosnie-Herzégovine.
Il a fallu près de six ans et demi entre la demande d’adhésion à l’Union et l’obtention du statut de pays candidat par cet État, qui en rejoint ainsi huit autres.
Pour 83 % des Bosniaques, favorables à cette adhésion, ce sont six ans de rêve européen, six ans de subventions pour mettre en œuvre les réformes clés prescrites, six ans de quête lointaine d’un État de droit, mais aussi six ans d’illusions, de conférences en sommets, à n’être considérés que marginalement et traités qu’en cas de crise, par exemple la crise migratoire.
Ce sont aussi six ans de novlangue bruxelloise, et six ans à consentir à revoir à la baisse la conditionnalité « argent contre réformes » en échange d’une stabilité de façade.
Ce sont enfin six ans de sous-estimation de la réalité politique des Balkans, justifiée par le lourd héritage des guerres, mais aussi par un méticuleux travail de sape de la Russie et de la Chine.
Oui, cette région produit plus d’histoire qu’elle n’en peut consommer, pour reprendre les propos attribués à Churchill. Le système politique bosniaque est complexe, hérité des accords de paix de Dayton, parfois synonyme de clientélisme et de captation d’État.
Ajoutez à cela l’affaiblissement du modèle européen au sein de l’opinion publique sous l’effet des influences qui s’y exercent, et vous obtenez, mes chers collègues, une situation quelque peu délicate.
L’invasion russe de l’Ukraine jouera-t-elle un rôle d’accélérateur pour les réformes engagées par le pays ? L’adhésion de la Bosnie peut-elle limiter l’influence russe dans la région ? Après les élections européennes de juin, la réforme des traités sera-t-elle mise sur la table pour qu’enfin la gouvernance européenne soit repensée et son fonctionnement renforcé ? Ce dernier point est un préalable indispensable à tout élargissement.
Quelle est la position du Gouvernement, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, vous avez cité le programme Edirpa, dont l’objet est d’inciter à l’achat conjoint ou, du moins, à la formation de consortiums. C’est précisément l’un des dispositifs que la Commission européenne a proposé de pérenniser dans la stratégie qu’elle a présentée il y a quelques jours. Elle envisage ainsi d’accorder 3 milliards d’euros pour soutenir la stratégie Edis et le programme Edip dont 1,5 milliard d’euros est pour ainsi dire budgété.
Toutefois, vous avez raison, il faudra sans doute trouver des ressources nouvelles, d’où le travail que nous mènerons jeudi et vendredi sur la mobilisation des revenus tirés des avoirs russes gelés, sur le grand emprunt, qui soulève quelques réticences et dont le dispositif nécessitera d’être approfondi, ainsi que sur la Banque européenne d’investissement, qui – vous l’avez rappelé – s’est limitée jusqu’à présent à investir dans des activités duales, c’est-à-dire à 50 % civiles, si l’on s’en tient à une définition assez restrictive du terme. Elle dispose pour cela de deux instruments : l’un de prêt, qui est doté de 8 milliards d’euros, mais qui n’est pour l’instant consommé qu’à hauteur de 2 milliards d’euros ; l’autre d’investissement ou de prise de participations, doté de 175 millions d’euros, qui vient tout juste d’être monté.
Avec un certain nombre d’États membres, nous avons signé une lettre, qui a été publiée lundi dernier, pour demander que le mandat de la Banque européenne d’investissement soit élargi aux activités de défense, purement et simplement. J’espère que nous parviendrons à obtenir cela au plus vite.
Vous avez également rappelé que la Commission européenne avait proposé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine. Le Conseil européen doit en débattre à la fin de cette semaine. Ce n’est que le début d’un processus qui permettra au pays candidat de se rapprocher des normes et des standards européens. Nous restons attachés à une approche fondée sur les mérites propres de chaque candidat. Il est essentiel que le pays mette en œuvre les réformes nécessaires. La crédibilité du processus d’adhésion en dépend.
Certes, c’est un moment où nous devons envoyer à la Bosnie-Herzégovine un signal d’encouragement, mais il nous faut aussi lui signifier fermement et sans équivoque notre attachement à une approche fondée sur les mérites du pays candidat. Cela n’empêche pas que nous lui apportions tout le soutien nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le ministre, tout en accompagnant la Bosnie-Herzégovine dans le processus qui lui donnera le statut de pays candidat, il ne faudrait pas oublier les autres pays qui ont déjà ce statut, tels que la Géorgie, la Moldavie ou l’Ukraine. Les attentes sont fortes dans ces pays ; il ne faut pas les négliger.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars est de nouveau dominé par des sujets lourds correspondant à de forts enjeux géopolitiques : la situation en Ukraine et celle, tout aussi tragique, au Moyen-Orient.
Par manque de temps, c’est la seule Ukraine qui sera l’objet de mon intervention.
De toute évidence, l’évolution du conflit ukrainien exige que les dirigeants européens se parlent et s’efforcent de définir sur le sujet une ligne claire pour une action commune efficace. Cette réunion devrait fournir une nouvelle occasion pour le faire.
Dans cette perspective, il est désolant que le Président de la République ait brouillé les cartes, le 26 février dernier, par des propos inconsidérés, qui ont déconcerté aussi bien les citoyens français que la plupart de nos partenaires européens.
Quoi que l’on pense au fond de la position personnelle qu’il a alors exprimée, il faut d’abord déplorer qu’il l’ait fait sans aucune concertation préalable avec le Parlement et les principales forces politiques du pays, la saisine du Parlement venant a posteriori.
Cela est d’autant plus condamnable qu’il est clair que cette sortie était motivée tout autant par des préoccupations de politique intérieure que par un réel souci de positionnement stratégique de la France.
Dans son entretien télévisé du 14 mars sur TF1 et France 2, le Président de la République a tenté de s’expliquer auprès des citoyens français. C’est peu dire qu’il n’a guère été compris et que les téléspectateurs sont sortis de ce spectacle plus consternés et effrayés que convaincus et rassurés.
Il s’agit maintenant de restaurer la confiance altérée avec nos principaux partenaires européens, au premier chef desquels l’Allemagne, avec qui nos relations bilatérales n’ont pas été aussi tendues depuis très longtemps. C’était l’objet du voyage du Président de la République à Berlin, vendredi dernier, et ce sera de nouveau l’objet des discussions qui auront lieu à Bruxelles cette semaine, dans le cadre du Conseil européen.
Dans le contexte actuel de confrontation exacerbée avec le régime russe de Poutine et d’une possible défection des États-Unis dans quelques mois, la division des Européens est inconcevable. L’heure n’est pas à la forfanterie et aux discours martiaux ; elle est à l’action concrète, collective et proportionnée pour soutenir l’Ukraine.
Les efforts déployés jusqu’à présent par l’Union européenne sur tous les plans sont considérables et se chiffrent en dizaines de milliards d’euros. Mais, sur le plan strictement militaire, notamment pour ce qui concerne les armes et les munitions, ils sont encore insuffisants. L’un des enjeux de la réunion du Conseil européen sera donc de mobiliser de toute urgence les moyens nécessaires pour empêcher que le front ukrainien ne cède.
Spéculer à ce stade sur ce que pourraient éventuellement être les degrés suivants d’une escalade n’est utile ni pour le bien de l’Ukraine ni pour les intérêts européens.
Au risque de me répéter, je ne considère pas non plus que la perspective d’une adhésion future de l’Ukraine à l’Union européenne contribue en quoi que ce soit à la résolution du conflit en cours. Elle ne peut, au contraire, que frustrer l’Ukraine, en lui donnant de faux espoirs, et provoquer la Russie en justifiant a posteriori son discours sur une prétendue menace occidentale à ses frontières.
L’Ukraine ne remplit quasiment aucun des critères requis pour une telle adhésion – nous le savons bien. En effet, il s’agit d’un pays dont l’appareil productif n’est certainement pas en état de permettre une intégration harmonieuse dans l’union douanière et le marché unique européens.
L’ouverture sans restriction du marché de l’Union européenne aux produits agricoles ukrainiens dans le cadre des mesures autonomes de libéralisation a déjà sérieusement perturbé les marchés européens des céréales, de la volaille, des œufs et du sucre.
Selon une évaluation du secrétariat général du Conseil, si l’Ukraine devenait membre de l’Union européenne, elle pourrait prétendre, suivant les critères en vigueur, à 96 milliards d’euros de fonds de la PAC, ce qui entraînerait une réduction d’environ 20 % des subventions agricoles accordées aux États membres actuels.
Le vice-ministre ukrainien de l’économie a lui-même reconnu que cela entraînerait la fin de la PAC telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Je voudrais donc conclure mon intervention par un appel à la plus grande prudence. Cessons d’agiter des idées extravagantes lorsque nous ne sommes pas forcément capables d’en assumer toutes les conséquences. Cela vaut aussi bien pour notre positionnement stratégique dans le conflit ukrainien que pour une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. À ce stade, nous avons surtout besoin de réalisme et de cohésion. Je crains que nous n’ayons beaucoup manqué des deux ces derniers temps.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, permettez-moi de répondre à vos propos par quelques questions.
Vous dites, en utilisant des mots particulièrement durs (M. Alain Cadec le conteste.), que le Président de la République, le 26 février dernier, était mû par des motifs de politique intérieure.
M. Alain Cadec. Eh oui !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Mais alors, comment expliquez-vous que vingt-six chefs d’État et de gouvernement aient répondu à son invitation alors qu’une grande majorité d’entre eux ne sont pas sur la même ligne politique que lui ?
Vous dites – ou du moins semblez vouloir dire – que le Président de la République a eu tort de n’exclure aucune option. Mais alors, je vous le demande, monsieur le sénateur : quelles sont les options qu’il eût fallu exclure ?
M. Alain Cadec. Je dis qu’il a tenu des propos inconsidérés, monsieur le ministre !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Vous dites que le niveau de notre relation de confiance avec l’Allemagne est au plus bas. Mais alors, comment qualifier les relations très intenses qui se sont nouées, ou en tout cas qui ont donné lieu à des visites au cours de ces dernières semaines qui se sont déroulées comme habituellement : celle du Président de la République à Berlin, mais aussi, au niveau gouvernemental, celle de la ministre des affaires étrangères allemande auprès de son homologue à Paris, l’accueil que j’ai réservé à ma propre homologue à Paris, la semaine dernière, la participation à notre dernier conseil des ministres de la ministre de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne, ou bien encore, au niveau parlementaire, le colloque célébrant les cinq ans de l’Assemblée parlementaire franco-allemande pendant lequel il a été fait état de très nombreuses convergences ?
Enfin, je souscris à ce que vous avez dit au sujet des conséquences de l’élargissement de l’Union européenne sur les politiques menées. Il est indispensable d’avancer en parallèle sur la question de l’élargissement et sur celle de la réforme des politiques communautaires si nous voulons que l’Union européenne puisse être prête à accueillir les futurs candidats. Demain, la Commission européenne devrait présenter une analyse des conséquences de futurs élargissements sur les politiques communautaires. Ce sera un point de départ pour envisager la marche à suivre.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec, pour la réplique.
M. Alain Cadec. Monsieur le ministre, je constate une fois de plus que dès lors que nous touchons au Président de la République, c’est la fin des haricots, si je puis m’exprimer ainsi.
Mme Frédérique Puissat. C’est vrai !
M. Alain Cadec. Nous ne pouvons rien dire, pas même que les propos qu’il a tenus sont inconsidérés, alors que c’est bien le cas – tout le monde en convient, clairement. (Mmes Pascale Gruny et Frédérique Puissat renchérissent.)
Monsieur le ministre, je regrette de vous dire que, sur ce point, votre réponse ne me convient pas du tout, hormis sa conclusion. (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny applaudissent.)