Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la vice-présidente, je souhaite vous apporter deux éléments de réponse.
Premièrement, concernant la capacité à produire et à livrer des munitions à l’Ukraine, je tiens à saluer un certain nombre d’initiatives qui ont été prises, en particulier tout dernièrement par la République tchèque, pour approvisionner l’Ukraine en munitions provenant de l’extérieur de l’Union européenne, afin de faire face à l’urgence et de permettre à l’armée ukrainienne de les utiliser.
En parallèle, un effort important a été consenti pour faire monter en puissance la capacité européenne à produire des obus, notamment de 155 millimètres, avec une augmentation de 40 % depuis un an. L’objectif est d’atteindre le plus rapidement possible le million d’obus dans le courant de l’année 2024, puis les deux millions d’obus en capacité de production sur le territoire européen. Le programme et la stratégie présentés le 5 mars par la Commission européenne nous donneront des leviers pour y parvenir.
Deuxièmement, s’agissant de la situation au Proche-Orient, l’objectif est bien d’aboutir au Conseil européen à une déclaration forte rassemblant largement les vingt-sept États membres, à la fois sur la condamnation de l’acte terroriste du 7 octobre, plus grand massacre antisémite de l’histoire du XXIe siècle, sur l’appel à Israël au respect du droit international, et sur les efforts à consentir pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire si importante à Gaza, où la situation est injustifiable et se détériore.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars va marquer le lancement du semestre européen de 2024.
Je rappelle qu’il s’agit là d’un parcours annuel de coordination des politiques économiques et budgétaires nationales, dans lequel s’inscrit la présentation au printemps, par chaque État, d’un programme national de réformes et d’un programme de stabilité.
Dans ce cadre, les États membres seront amenés, lors du Conseil européen, à examiner les priorités européennes. Ils discuteront en particulier de la recommandation concernant la politique économique de la zone euro préparée par la Commission, d’ores et déjà approuvée par le Conseil.
La lecture de ce document me paraît tout à fait instructive, monsieur le ministre, puisque celui-ci recommande la mise en œuvre d’une politique budgétaire plus restrictive visant à reconstruire des marges de manœuvre budgétaires et à rétablir la viabilité de nos finances publiques.
Or la France semble bien loin de cet objectif. Alors que les prévisions de la Commission anticipent une baisse de 2,8 points du ratio dette sur PIB de la zone euro, lequel atteindrait alors un peu moins de 90 % à la fin de l’année 2024, la France, elle, continue imperturbablement de s’endetter davantage.
Nous sommes désormais dépassés sur ce critère par Chypre, la Belgique, l’Espagne et le Portugal et nous nous trouvons en queue de peloton, suivis seulement par l’Italie et la Grèce.
Face à cette situation, le Gouvernement privilégie la technique du coup de rabot par voie réglementaire, plutôt que de concentrer ses efforts sur la réduction des dépenses non productives. La commission des finances a pourtant fait des efforts pour identifier des sources d’économies au cours de l’examen du dernier projet de loi de finances. Réduire ces dépenses improductives, c’est maintenir un équilibre entre soutenabilité de nos finances publiques et préservation de nos capacités d’investissement.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles réformes structurelles permettant de dégager de telles économies seront présentées dans le programme de réformes pour 2024 qui va être prochainement remis à la Commission européenne ? Le programme de stabilité retiendra-t-il une prévision de croissance plus réaliste que celle sur laquelle se fondait le projet de loi de finances pour 2024 en son temps – il a connu depuis un début de révision ?
Je rappelle, par ailleurs, que la réforme des règles budgétaires européennes qui vient d’être négociée en février 2024 doit entrer en vigueur dans les prochains mois. Certes, la France a réussi, au cours des négociations, à obtenir un assouplissement temporaire pour la période 2025-2027, en excluant notamment les charges d’intérêts supplémentaires du calcul des déficits structurels au cours de ces années. La mise en œuvre de cette réforme impliquera toutefois, pour la France – quoi qu’il lui en coûte ! –, des efforts importants qu’il convient d’anticiper dès maintenant.
Ainsi, l’Eurogroupe a estimé, lors d’une réunion le 11 mars dernier, que, si le cadre de gouvernance économique révisé s’appliquait aujourd’hui, il se traduirait par une orientation budgétaire plus restrictive que celle qui est actuellement mise en œuvre.
Ne nous méprenons pas : si la révision des règles budgétaires européennes comporte des incitations à l’investissement public, elle vise principalement à assurer la soutenabilité des finances publiques des États membres.
Monsieur le ministre, j’encourage une nouvelle fois le Gouvernement à adopter une position de sérieux budgétaire et à anticiper l’entrée en vigueur du pacte de stabilité et de croissance révisé, en engageant une véritable réduction de notre déficit public.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. M. le rapporteur général de la commission des finances a tout à fait raison de souligner que la France doit être au rendez-vous de ses engagements européens. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour atteindre la baisse annoncée de 10 milliards d’euros dans nos dépenses, ce qui va donner lieu à un travail important dans chaque ministère.
Vous avez également rappelé que le pacte de stabilité et de croissance a fait l’objet d’une révision, à propos de laquelle la France s’est significativement mobilisée, visant à ajuster ses critères, qui étaient anciens et auxquels il convenait de donner un petit peu de souplesse afin de tenir compte de la réalité des chocs auxquels sont confrontés les pays de la zone euro.
Dans ce cadre renouvelé, la France doit veiller à respecter ses engagements.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je resterai attentif, monsieur le ministre. J’entends vos propos, mais la France se livre à un exercice inédit : nous avons adopté un budget à l’automne, mais vous venez d’en annoncer la révision brutale et draconienne. Je ne sais pas si les prévisions de croissance initiales seront révisées et, le cas échéant, dans quelle mesure et de quelle manière elles le seront.
La France entend sans doute encore jouer un rôle important vis-à-vis de nos partenaires européens – je le souhaite –, mais ce n’est pas en se trouvant en si mauvaise posture en matière de dette et de finances publiques qu’elle servira d’exemple.
J’invite donc le Gouvernement à se ressaisir, au nom de la France et de ce qu’elle représente, mais également au nom des Français qui, quel que soit leur âge, vont faire face à des engagements qui pèseront très lourd.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets importants dont sera saisi le Conseil européen après-demain, j’en retiendrai trois pour notre débat de ce soir avec le Gouvernement : le soutien à l’Ukraine, la stratégie européenne de sécurité et de défense, et l’agriculture.
Au bout de deux ans, la guerre en Ukraine arrive à un point de bascule où l’unité européenne est mise à l’épreuve. Le chancelier allemand refuse de livrer à l’Ukraine des missiles Taurus à longue portée et, au sein même de sa coalition, certains appellent au gel du conflit quand, de ce côté-ci du Rhin, le Président de la République prend l’initiative et envisage même l’envoi de troupes au sol – il a depuis lors nuancé ses propos.
Même si le sommet tripartite en format Weimar de vendredi dernier a débouché sur l’annonce d’une coalition de capacité d’artillerie entre Paris, Berlin et Varsovie, il ne suffit pas à résorber les divergences stratégiques de fond qui séparent la France de l’Allemagne et qui sont préoccupantes, à l’heure où le Président Poutine guette les signes de faiblesse de l’Union européenne.
La semaine dernière, notre assemblée a confirmé son appui à un soutien durable à l’Ukraine, car elle est convaincue que le prix d’une défaite serait supérieur à celui d’un tel soutien. Pour autant, notre pays peut-il valablement tenir longtemps cette ligne alors qu’il n’a aucune marge budgétaire, comme le rapporteur général vient de nous en faire la démonstration ?
Il faut déjà convenir du financement de la nouvelle enveloppe de 5 milliards d’euros que l’Union vient d’accorder à l’Ukraine via la Facilité européenne pour la paix. Monsieur le ministre, parviendra-t-on à mobiliser à cet effet 3 milliards d’euros tirés des revenus des avoirs russes gelés, comme l’espère la France ?
En outre, l’Ukraine risque d’avoir encore besoin d’aide d’ici à l’été. Comment financer cette nouvelle tranche ?
L’enjeu est de construire une architecture durable de sécurité en Europe, capable de faire face à Vladimir Poutine et peut-être, demain, de nous passer d’un éventuel Président Trump.
Le soutien à l’industrie de défense européenne nécessite des moyens importants à moyen terme. Cela passe sans doute par l’appui de la Banque européenne d’investissement. Quand celle-ci sera-t-elle autorisée à investir dans ce domaine ? Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour envisager un nouvel emprunt commun. Le Sénat s’en inquiète, déjà soucieux du remboursement de l’emprunt européen levé il y a deux ans pour financer la relance. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer ?
Un autre sujet d’inquiétude se fait jour en matière de défense : la Commission européenne et le Haut Représentant ont présenté début mars une communication sur la stratégie européenne pour l’industrie de défense, ou European Defence Industrial Strategy (Edis), et la proposition de programme d’investissement dans le domaine de la défense, ou European Defence Industry Programme (Edip). Ces textes ambitieux viennent heurter les compétences des États membres en matière de défense. Or il ne s’agit pas d’une industrie comme une autre. Avec le président Cédric Perrin et les rapporteurs concernés, nous avions déjà alerté à ce sujet la Première ministre, Mme Borne, lors de l’examen par le Parlement européen de l’action de soutien à la production de munitions, dite Asap (Act in Support of Ammunition Production). Jusqu’où le Gouvernement est-il prêt à s’en remettre à la Commission pour construire l’Europe de la défense ?
Le troisième enjeu de taille du Conseil européen est la question agricole. L’heure de vérité a enfin sonné : la menace qu’un verdissement accéléré de notre agriculture représente pour la souveraineté alimentaire de l’Union est enfin reconnue. Le Sénat n’a cessé de la dénoncer depuis cinq ans, par des résolutions européennes successives ; il se félicite du revirement que représente la révision de la politique agricole commune (PAC), proposée vendredi dernier par la Commission. Enfin, le tabou est brisé.
Un « Égalim » européen est même envisagé et nos agriculteurs devraient pouvoir en bénéficier à partir de 2025. En attendant, leurs revenus ne cessent de baisser, leurs contraintes de s’accumuler et les flux d’œufs, de volailles, de sucres et de céréales importés d’Ukraine explosent. Quelles mesures concrètes la France entend-elle proposer au Conseil européen pour y remédier ? Ne faut-il pas repenser le soutien de l’Union à l’Ukraine, en aidant ce pays à trouver ses marchés habituels ?
Monsieur le ministre, il est urgent de secourir nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Gisèle Jourda et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président, vous avez évoqué certaines divergences : je préfère les qualifier de complémentarités, parce que je constate une très forte unité des États membres de l’Union européenne – et bien sûr de la France et de l’Allemagne – dans leur détermination à soutenir la résistance ukrainienne aussi longtemps et aussi intensément que nécessaire.
S’agissant des questions de financement que vous avez soulevées, et qui seront sans nul doute l’un des sujets les plus abondamment discutés lors du Conseil européen de jeudi et vendredi, plusieurs pistes sont sur la table, dont la mise en œuvre présente des degrés variables de facilité.
Nous pouvons envisager la mobilisation des profits d’aubaine générés par les actifs russes gelés, l’extension du mandat de la BEI – une proposition soutenue par quatorze chefs d’État et de gouvernement dans une lettre publiée lundi dernier, sur l’initiative de la Finlande, malgré quelques réticences persistantes, que nous avons bon espoir de surmonter.
Enfin, l’idée d’un grand emprunt, bien que plus exploratoire, ne doit pas être écartée d’emblée, tant les besoins sont importants, à la fois pour le soutien à l’Ukraine et pour le renforcement de notre base industrielle et technologique de défense.
Ce point me conduit à revenir sur votre remarque concernant l’Edis et l’Edip. La France est satisfaite de ce premier jet, qui intègre la préférence européenne, un principe qu’elle a défendu avec vigueur lors des travaux préparatoires à la rédaction de ces communications de la Commission.
Cependant, nous serons très attentifs à ce que les prérogatives nationales ne soient pas communautarisées, car si l’objectif est d’améliorer l’interopérabilité et la réactivité de notre base industrielle de défense, l’essentiel de la politique de sécurité et de défense demeure entre les mains des États membres.
En ce qui concerne l’agriculture, je me réjouis comme vous du tournant pris par la Commission européenne. La publication de vingt mesures de simplification de même que la proposition de révision de la PAC sont bienvenues. Il faut maintenant aller plus loin en adoptant une loi Égalim européenne, en assurant l’équité concurrentielle avec la force d’intervention et en instaurant de nouvelles mesures miroirs pour assurer la réciprocité à nos agriculteurs.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je répondrai à M. le ministre lors de la conclusion de ce débat, qui me reviendra. Je souhaite toutefois sans attendre remédier à un oubli dans mon devoir de bienséance, et vous souhaiter la bienvenue dans notre hémicycle, monsieur le ministre !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à chaque jalon de la construction européenne, ses défenseurs nous vendent une Europe sociale et une Europe de paix.
Il a fallu peu de temps pour que le volet social soit discrédité. Aujourd’hui, après avoir sacrifié les politiques sociales sur l’autel de l’austérité et de la libre concurrence, l’Union européenne prépare la guerre.
Si la ligne de front s’est figée, la guerre, elle, ne s’atténue pas pour autant. Cette guerre a jeté 4 millions de personnes sur les routes ukrainiennes, et 6 millions d’autres personnes dans l’exil. Des dizaines de milliers de vies ont été soufflées par les bombes et fauchées par les balles.
L’Union européenne doit mettre fin à cette folie et promouvoir des processus de négociation. Nous devons d’urgence élaborer une solution globale de sécurité en Europe et nous affranchir de l’alignement atlantiste, qui ne profite qu’aux États-Unis et aux dividendes de guerre.
Les coups de menton militaristes du Président de la République, notamment son hypothétique envoi de troupes, sont rejetés en masse par les dirigeants européens.
Envers et contre tous, M. Macron, à Prague, au journal de vingt heures et dans un entretien au Parisien, affirme et réaffirme qu’il faut se préparer à tous les scénarios. Cette insistance ne vise qu’à travailler la conscience des Français et à instiller l’idée que la guerre avec la Russie est inévitable.
Monsieur le ministre, je rappelle solennellement que la paix avec la Russie, deuxième puissance nucléaire mondiale, n’est pas une option. Notre jeunesse ne doit pas se préparer à aller au front. La paix est une nécessité existentielle pour les Français, pour les Européens, pour l’humanité.
Pour croire en l’avenir, l’humanité doit également avoir confiance dans ses institutions pour relever le défi climatique. La directive dite « Mégacamions » a été adoptée le 12 mars par le Parlement européen. À bien y regarder, le texte recueille la majorité des voix des groupes du Parti Populaire Européen (PPE), dans lequel siègent les députés Les Républicains, la majorité des voix du Renew Europe Group, dans lequel siègent les députés de la majorité présidentielle, et la majorité des voix du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, au sein duquel siègent les députés socialistes.
Cette directive prévoit de faire rouler des camions de soixante tonnes et de vingt-cinq mètres, soit de véritables immeubles roulants, sans possibilité pour les États membres de s’y opposer. Le désastre écologique est annoncé. Ces véhicules sont neuf fois plus polluants qu’un trajet équivalent via le fret ferroviaire.
À défaut d’investissements et d’une sortie de la logique du tout-routier, le fret déraille. Depuis 2000, selon le ministère des transports, le volume transporté a baissé de 43 %. Depuis l’ouverture à la concurrence, en 2007, la situation ne s’est guère améliorée, si bien que l’opérateur historique, Fret SNCF, est en crise.
C’est le résultat de ces politiques européennes.
Une étude commandée par les entreprises ferroviaires prévoit une chute supplémentaire de 21 % des volumes transportés et de 16 % du transport combiné à cause de la directive.
Les contrats de plan État-région et les 900 millions d’euros alloués au fret n’y changeront rien. Un fret sans client, la belle affaire !
À quoi bon avoir inauguré en grande pompe la très pertinente ligne Calais-Turin si c’est pour la mettre en concurrence déloyale avec ces mastodontes de la route ?
Confirmez-vous que la France s’opposera, « quoi qu’il en coûte » et jusqu’au bout, à ces mégacamions qui finiront d’anéantir le fret ferroviaire, monsieur le ministre ? Confirmez-vous, comme le ministre Patrice Vergriete, que le report modal est une priorité du Gouvernement ?
Sur l’écologie, toujours, sous la pression du patronat, des géants de la finance mondiale, et avec la complicité de la France, la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité a été vidée de sa substance.
Ce texte laisse en effet échapper deux tiers des entreprises concernées. Le secteur financier sort exonéré du contrôle a priori qu’il devrait effectuer pour ses prêts, ses investissements et ses produits d’assurance. Autrement dit, la finance verte est définitivement une fumisterie.
Nulle conditionnalité des rémunérations exceptionnelles des dirigeants de ces entreprises à l’atteinte d’objectifs climatiques n’ayant été prévue, les actions gratuites vont continuer de se déverser par milliards.
La lutte contre la réduction des conséquences des activités humaines sur notre environnement ne peut plus être sacrifiée aux intérêts financiers, le tout sous la pression des lobbies, la France jouant le rôle de courroie de transmission.
Confirmez-vous que la France a contribué à dénaturer la directive qu’elle avait pourtant portée et soutenue, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Je m’efforcerai de respecter le temps de parole que vous m’avez alloué, madame la présidente.
Madame la sénatrice, le Président de la République a indiqué que nous ne dévoilerons plus nos cartes ni nos lignes rouges afin de ne pas indiquer à Vladimir Poutine le sens de nos stratégies. Ces propos sont soutenus dans un certain nombre de pays de l’Union européenne. Les États baltes, la République tchèque, la Pologne et, plus récemment, la Finlande l’ont indiqué publiquement.
La paix est effectivement une nécessité existentielle. Telle est la raison pour laquelle le Président de la République – il a été suffisamment critiqué à ce titre – a épuisé toutes les voies du dialogue et de la diplomatie avant de constater que Vladimir Poutine est mû par une forme de fantasme impérialiste qui ne reconnaît plus les frontières et qu’il convient d’afficher face à lui une forme de fermeté.
Par ailleurs, la France ne soutient pas la directive Mégacamions telle qu’elle a été soumise au Conseil européen. Nous considérons, comme vous, madame la sénatrice, que cette proposition induirait un report modal inversé, autrement dit une augmentation du transport routier au détriment d’autres modes de mobilité moins carbonés, ce qui serait contraire à notre ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Nous sommes donc attachés à trouver un compromis plus équilibré entre les enjeux de limitation des émissions du transport routier, de compétitivité économique et de préservation de l’état des infrastructures, et avons proposé que la directive limite la circulation transfrontalière des véhicules dépassant la limite de poids à des trajets inférieurs à 150 kilomètres, ce qui empêcherait a fortiori la traversée de la France par ces mégacamions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. En matière d’écologie, monsieur le ministre, la France feint de soutenir les initiatives progressistes pour ensuite mettre tous les moyens diplomatiques à sa disposition pour amputer la législation européenne. C’est vrai pour le devoir de vigilance, c’est vrai pour les travailleurs des plateformes, c’est vrai pour la fin des véhicules thermiques et hybrides, et ce sera peut-être vrai pour la directive Mégacamions.
Nous demandons de la cohérence et de la clarté, seules conditions pour instaurer la confiance minimale sans laquelle nous savons qu’un électeur sur deux ne se déplacera pas lors des prochaines élections européennes. J’estime que vous en porterez une part de responsabilité, monsieur le ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans après le début du conflit en Ukraine, faut-il, pour reprendre les propos tenus par le président du Conseil européen, Charles Michel, ce lundi, « nous préparer à la guerre pour avoir la paix » ?
Depuis l’agression russe, l’Europe s’emploie à soutenir l’Ukraine. La semaine dernière, nos débats ont montré que la volonté de protéger non seulement ce pays, mais aussi, plus globalement, le camp des valeurs démocratiques faisait consensus.
Face à cela, le groupe RDSE a toujours approuvé les initiatives européennes en matière de sanctions, quelle que soit leur portée, effective ou symbolique. Celles-ci sont à mon sens nécessaires et indiscutables, ne serait-ce que pour isoler Moscou sur la scène internationale.
Je me félicite donc des nouvelles mesures qui viennent d’être annoncées, notamment les sanctions prises au titre du non-respect des droits de l’homme à l’encontre de trente individus et entités responsables de la mort de l’opposant Alexeï Navalny.
L’on ne peut de même que souscrire à la déclaration des ministres des affaires étrangères européens sur la tenue de la prétendue élection présidentielle dans les territoires ukrainiens temporairement occupés en Crimée et dans les quatre oblasts d’Ukraine orientale.
Dans ce contexte où le dirigeant russe se sent légitimé à poursuivre son destin impérialiste, le soutien européen à Kiev doit redoubler d’efforts. La France, fortement encouragée par les pays baltes, en était convaincue. Son accord bilatéral de sécurité avec l’Ukraine, auquel mon groupe a apporté son adhésion sans réserve, en est l’illustration.
Il convient maintenant de faire preuve de pédagogie auprès de certains États membres – l’Allemagne, pour n’en citer qu’un – afin qu’ils mesurent ce que cela implique, monsieur le ministre. Je pense en particulier à la mise en place d’une véritable industrie de défense mutualisée. Depuis le début de la guerre, 75 % des achats d’équipements militaires sont allés à des firmes non européennes, dont 68 % sont américaines.
J’ouvrirai d’ailleurs une parenthèse. Si notre contribution financière à l’Otan est parfois jugée insuffisante outre-Atlantique, j’invite nos amis américains à considérer le volet commercial, qui les sert plus que de raison.
Si mon groupe approuve la création du fonds d’assistance à l’Ukraine, doté de 5 milliards d’euros, je m’interroge sur la part des achats conjoints européens qui reviendra à l’industrie de défense européenne.
Quoi qu’il en soit ou, devrais-je dire, quoi qu’il en coûte, mon groupe rejoint la position défendue par la France, la Belgique, l’Estonie ou encore l’Espagne concernant un grand emprunt européen pour financer des investissements dans la sécurité économique et la défense.
Le Conseil européen sera également marqué par une autre urgence, celle du drame humanitaire qui se joue depuis octobre dernier dans le territoire de Gaza. Chaque jour, des milliers de civils continuent de payer le prix de la stratégie mortifère du Hamas, qui conduit à la réplique sans réserve de l’armée israélienne.
Le RDSE a toujours soutenu la position française : demande d’un cessez-le-feu immédiat, retour des otages et éradication du Hamas et des colons israéliens violents agissant en Cisjordanie occupée.
Les menaces grandissantes à l’écart des Palestiniens de Rafah nous inquiètent. Une opération militaire d’envergure à la frontière avec l’Égypte conduirait à encore plus de chaos à Gaza.
Lors du Conseil européen, la France doit donc porter la voie d’une solution diplomatique d’équilibre et faire entendre les préoccupations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’ONU et des ONG à propos de la catastrophe humanitaire qui est en cours au Proche-Orient.
Tout doit être mis en œuvre pour que l’aide humanitaire parvienne au peuple de Gaza. L’on ne peut pas opposer à l’acheminement de l’aide des arguments techniques, sauf à ce que ces derniers cachent une posture politique de la part du gouvernement israélien. On ne doit pas laisser la famine s’installer à Gaza, au mépris du droit international.
Notre devoir est aussi de veiller à l’application des mesures préventives demandées par la Cour internationale de justice pour éviter tout risque de génocide. Nous pourrions en être rendus à cela, en effet, si une trêve n’intervient pas rapidement.
Je n’oublie pas que le Conseil sera consacré à bien d’autres sujets, notamment l’agriculture, mes chers collègues. Les efforts réalisés par la Commission pour alléger les contraintes environnementales dictées par la PAC seront notamment évoqués. Le RDSE salue les propositions qui répondent aux attentes que les agriculteurs français ont exprimées dans la colère durant plusieurs semaines.
Enfin, je profite de cette tribune pour saluer les travaux de la Commission et du Parlement sur la régulation des systèmes d’intelligence artificielle (IA). À l’ère de la reconnaissance biométrique à grande échelle, de la propagation des vidéos deepfake, de la surveillance de masse et de la notation sociale des citoyens, nous devons nous montrer intransigeants sur ce qui ne peut pas être permis.
Monsieur le ministre, la France s’est longtemps opposée à l’IA. En février dernier, Paris a levé ces réserves. Qu’avons-nous obtenu, en particulier pour la protection des start-up nationales ?
En tout état de cause, nous vous encourageons à sauvegarder à la fois nos intérêts commerciaux et les données personnelles. Plus globalement, il importe que l’Europe réussisse sa transition numérique, qui constitue un pan important de sa souveraineté stratégique.