Mme Frédérique Puissat. Il faut le faire tout de suite !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du RDSE.)
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 50 %, c’est la part des agriculteurs qui partira à la retraite d’ici à 2030. C’est un agriculteur sur deux !
Chiffre moins connu, seulement 1 % des agriculteurs ont moins de 25 ans. Le renouvellement des générations est d’ores et déjà une difficulté. Nous devons tout faire pour assurer ce renouvellement, en aidant à l’installation des jeunes et en améliorant la transmission des exploitations.
En même temps, il faut dire que la profession, notamment dans l’élevage, n’offre pas de quoi séduire de nouvelles recrues, avec des journées de travail sans horaires, des revenus souvent très bas et totalement soumis à de nombreux aléas, pas de week-ends, peu de vacances, et – disons-le – une retraite indigne pour une carrière aussi pénible. La pension mensuelle se situe autour de 840 euros par mois, quand elle est, en moyenne, de 1 530 euros pour l’ensemble des retraités.
Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins, avec des agriculteurs de moins en moins nombreux, dans un pays pourtant plus que jamais confronté à la nécessité de retrouver sa souveraineté alimentaire.
L’agriculture reste une force dans notre pays. La France est toujours la première puissance agricole de l’Union européenne, mais pour combien de temps encore, alors que la part de l’agriculture dans notre PIB ne cesse de diminuer ? Sur le plan international, notre pays est passé de la deuxième à la cinquième place en dix ans.
Ces derniers mois, la détresse et la colère de ceux qui assurent notre souveraineté alimentaire ont explosé. Entre exaspération face à de trop nombreuses et aberrantes contraintes réglementaires et aux surtranspositions françaises et désespoir, qui conduit certains à commettre le pire, les agriculteurs doivent être entendus. Sur le sujet de leur retraite, ils méritent de l’être une bonne fois pour toutes !
Comme cela a été très bien dit lors des travaux de la commission, voilà des années que la retraite des agriculteurs est au centre des discussions et que nous tentons d’améliorer ce système ultracomplexe, comme nous l’avons fait au travers notamment des deux propositions de loi Chassaigne.
Il y a un an, en février 2023, nous votions, dans cet hémicycle, un texte visant à prendre en compte les vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses dans le calcul de la retraite. Ce texte n’a, malheureusement, toujours pas reçu d’application.
Je rappelle que les non-salariés agricoles sont aujourd’hui les derniers assurés dont la retraite est calculée sur la base de l’intégralité de leur carrière, quand celle des salariés du régime général est calculée sur la base des vingt-cinq meilleures années, et celle des fonctionnaires, sur la base des six derniers mois.
Mes chers collègues, si la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour les agriculteurs est un principe qui doit faire l’unanimité parmi nous, encore faut-il savoir exactement comment se fera cette prise en compte et encadrer l’application de la loi. Il importe, en effet, qu’il n’y ait que des gagnants, ce qui suppose un calcul par points à compter du 1er janvier 2026.
Cela dit, il n’est pas facile de trouver un système parfait qui ne lésera personne, d’autant que, la MSA ne conservant pas l’historique de certaines données au-delà de huit ans, certains schémas sont d’emblée rendus impossibles.
À cet égard, je remercie Philippe Mouiller, auteur de cette proposition de loi, ainsi que Pascale Gruny, rapporteur, qui a longuement travaillé sur ce texte et nous en a expliqué les enjeux.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera pour cette proposition de loi, qui permet d’afficher un soutien réel aux agriculteurs. À ces agriculteurs, qui nous nourrissent, offrons une retraite décente !
Nous discuterons, avant cet été – je l’espère, monsieur le ministre –, du projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Ce texte sera une nouvelle occasion de faire des choix déterminants pour assurer la pérennité de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Somon applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Somon applaudissent également.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, tout a changé : les jeunes paysans sont des chefs d’entreprise qui souhaitent vivre correctement de leur métier et aspirent à une vie confortable et gratifiante. Comme tout le monde, ils ont des projets de vacances, de loisirs et de vie de famille.
Les femmes de paysans travaillent souvent hors de l’exploitation et ont compris que le statut de conjoint collaborateur n’était pas tenable s’il n’est pas assorti de cotisations sociales ni d’une effective reconnaissance professionnelle.
Quant aux nouveaux retraités de l’agriculture, à n’en pas douter, ils ne se contenteront plus d’une poignée d’euros et du grand air pour solde de tout compte d’une vie professionnelle harassante et souvent éprouvante !
« On a beau dire », disait la Ragotte du Nivernais Jules Renard, « c’est gentil, la salade et le fromage blanc quotidiens. Ça et l’air du temps, le bon air de la campagne, ça vous tue un homme en trente ans. » Jules Renard disait d’elle : « Elle traverse la vie. Elle va à la mort avec sa brouette de linge. » Oui, tout a changé, et cela est bien fini.
Évidemment, le montant des retraites agricoles dépend directement du montant des cotisations des agriculteurs. Et, si le revenu agricole ne s’améliore pas, les retraites ne s’amélioreront pas. Aujourd’hui, 50 % des agriculteurs déclarent moins de 20 000 euros de revenus par an. La seule voie vers des retraites décentes, c’est donc le revenu décent tout au long de la carrière, ce qui n’a pas manqué d’être réclamé par la profession ces dernières semaines, lors des événements que l’on connaît.
Une fois que l’on a dit cela, on n’a guère avancé… Sans prétendre au grand soir de l’agriculture, différents travaux législatifs récents ont cherché à apporter une amélioration à ces revenus, trop souvent d’une faiblesse indécente.
Contrairement à ce que l’on entend parfois, la loi Chassaigne 1, adoptée en juillet 2020, n’a pas à proprement parler permis d’augmenter la retraite des agriculteurs. Elle a instauré un revenu minimal pour les non-salariés agricoles ayant une carrière complète : plus aucun retraité non-salarié de l’agriculture ne doit percevoir moins de 85 % du Smic. C’est mieux que rien ! Mais c’est si peu…
En vigueur depuis janvier 2022, la loi Chassaigne 2, en jouant sur quelques paramètres d’un mode de calcul complexe, a amélioré de quelques euros le quotidien des conjoints collaborateurs retraités.
Il convient de noter que, au détour de la réforme des retraites, ces dispositions ont ensuite ruisselé vers les retraités du commerce et de l’artisanat et de leurs conjoints collaborateurs. Ce n’est que justice pour cette catégorie de professionnels, eux aussi trop souvent condamnés à des retraites de misère.
Ces dispositions de justice sociale ont fait l’unanimité des deux chambres et sont plutôt populaires. Ce sont donc des avancées vertueuses, même s’il faut souligner qu’elles ont aussi suscité une certaine frustration.
En effet, les polypensionnés qui, toute retraite soldée, dépassaient le fameux plancher de revenus obtenu par la loi Chassaigne 1 n’ont bénéficié d’aucune augmentation. Finalement, cette loi, tant attendue, n’a bénéficié qu’aux monopensionnés. Par ailleurs, les augmentations, pour ceux qui en ont bénéficié, étaient, somme toute, minimes.
En février 2023, à la suite des travaux conduits en 2012 par Yann-Gaël Amghar, une proposition de loi prévoyant de calculer la retraite des agriculteurs sur leurs vingt-cinq meilleures années, par souci d’équité à l’égard des autres catégories de cotisants des régimes alignés, a été adoptée à l’unanimité. Concernant des professionnels travaillant avec la nature et soumis aux aléas du climat, cette mesure semblait de bonne logique.
Il a été prévu, afin de définir les modalités de mise en place de ce nouveau dispositif, que le Gouvernement rendrait, dans les trois mois suivant l’adoption de ce texte, un rapport étudiant les différents scénarios envisageables. Or, un an plus tard, malgré les demandes de la profession et de la MSA, qui étaient dans l’impossibilité de s’organiser, point de rapport !
Le 11 janvier dernier, ici même, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, je vous ai interrogé à ce sujet, monsieur le ministre. Vous avez affirmé que ce rapport serait remis très prochainement, ce qui fut le cas. Vous avez ajouté que le sujet était très complexe, et que, à modifier à ce point les règles de calcul, on prenait le risque qu’il y ait beaucoup de perdants et des gagnants mal identifiés.
Sur ce point, les parlementaires vous rejoignent totalement. En effet, la commission des affaires sociales du Sénat, par la voix de sa rapporteure Pascale Gruny, bien consciente de ce risque, avait, à l’époque, préconisé l’adoption de ce texte à la condition sine qua non qu’il n’y ait pas de perdants.
Or, maintenant que les différentes options sont sur la table, la synthèse du rapport conjoint du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et de l’Igas indique que, à l’issue de ce premier temps, les commanditaires – c’est-à-dire le Gouvernement – ont écarté les scénarios fondés sur la sélection des meilleures années de points, au motif que cette sélection était contraire à la logique d’accumulation de points, ce qui, il faut bien l’admettre, ne veut pas dire grand-chose.
Alors que M. Amghar, en 2012, a identifié un scénario ne faisant pas de perdants, consistant à calculer la pension des non-salariés agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années, tout en conservant un régime par points, et que les experts de la MSA sont parvenus aux mêmes conclusions, le Gouvernement, force est de le constater, semble privilégier un scénario qui, au contraire, ferait des perdants, qui plus est parmi les pensionnés percevant les retraites les plus faibles. C’est inconcevable.
C’est même un très mauvais calcul. Il faudrait que Bercy comprenne enfin que le soutien des tout petits revenus en milieu rural constitue un levier puissant en faveur des territoires ! En effet, pour celui qui touche moins de 1 000 euros par mois, 1 euro de plus, c’est 1 euro qu’il dépensera localement. Chez les petits retraités de l’agriculture, il n’y a pas de place pour l’évasion fiscale, les placements à l’étranger ou les dépenses sur Amazon ! Pour eux, 1 euro de plus, c’est 1 euro dépensé chez le commerçant de proximité ou l’artisan du coin. C’est du 100 % local.
Pour cette raison, il est essentiel d’accorder une grande attention au montant des retraites agricoles dans les territoires ruraux considérés comme vieillissants. Ce sujet n’est pas marginal, car c’est toute l’économie locale qui est irriguée.
Il faut souligner également que, pour garder un modèle d’agriculture familiale, les paysans qui ont une petite exploitation doivent avoir une retraite convenable. À défaut, ils seront contraints de céder celle-ci pour récupérer un capital, ce qui entraîne, en général, l’agrandissement des exploitations et ne favorise pas, au vu du montant des reprises, l’installation des jeunes.
Je n’entrerai pas dans la complexité mathématique du calcul des retraites agricoles, saucissonnées et proratisées – cela devient un sujet d’experts. Une chose est certaine : le dossier doit rester sur nos bureaux, car le chantier est loin d’être clos.
En effet, pour reprendre la réponse que vous m’avez apportée le 17 janvier dernier, monsieur le ministre, c’est « un sujet de justice, de reconnaissance, mais aussi d’attractivité, au moment où nous parlons de renouvellement des générations ».
Pour l’heure, sachant que, quel que soit le scénario retenu, cette réforme sera globalement peu coûteuse, car elle concerne peu d’agriculteurs et que ces derniers auront un bénéfice minime, et parce qu’il faut choisir l’option qui permettra à la MSA d’être au rendez-vous de 2026, c’est sans hésitation que le groupe Union Centriste votera le texte de notre collègue Philippe Mouiller, qui est tout simplement le plus juste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, maintes fois mis à l’ordre du jour, le sujet majeur des pensions de retraite des agriculteurs touche à de nombreux enjeux, dont la question essentielle du revenu ou encore celle de la transmission et de l’installation.
Les propositions de loi se succèdent, mais sont rarement efficientes. Ce texte d’appel risque de ne pas faire exception.
Quand, au bout de plus de quarante années de labeur, les agriculteurs peuvent enfin prendre leur retraite, ils se retrouvent avec une pension au niveau ridiculement bas de 864 euros brut en moyenne. C’est indigne de notre pays.
Je ne reviendrai pas sur les paramètres très techniques régissant le fonctionnement de ce régime de retraite de base. Ils ont été plusieurs fois exposés, et leur complexité fait partie des raisons pour lesquelles il faudrait une refonte totale de ce régime.
En prenant en compte plus largement la question du revenu, nous devons répondre à cette situation sociale inique et rendre enfin justice aux agriculteurs, ce qui contribuera également à assurer l’attractivité du métier auprès des nouvelles générations, qui ont besoin de perspectives, ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le ministre.
La précarité touche d’abord les femmes, qui représentent les trois quarts de ces petites retraites, du fait non seulement de la maternité et du temps partiel, mais aussi des écarts de salaire entre les hommes et les femmes au cours de la carrière.
Les agriculteurs sont désormais les derniers pour lesquels la retraite est calculée sur l’intégralité de la carrière, bonnes et mauvaises années confondues, ce qui n’a aucun sens, alors que le changement climatique et la fluctuation des prix ont des conséquences lourdes sur leur activité.
Le Parlement a légiféré en grande partie sur cette question à l’occasion de la loi Dive, votée en 2023, laquelle prévoit de fixer le montant de la pension de base des travailleurs non salariés en fonction des vingt-cinq meilleures années civiles d’assurance les plus avantageuses, à compter de 2026. À l’époque, le groupe écologiste avait soutenu cette mesure, en émettant toutefois un certain nombre de réserves et en appelant à la vigilance sur ses potentiels effets de bord, car il est essentiel pour nous que le dispositif soit bénéfique pour toutes et tous, sans faire de perdants.
Malheureusement, le scénario privilégié par le rapport de l’Igas sur les modalités de mise en œuvre ne répond pas à nos exigences. La méthodologie recommandée, en portant atteinte au mécanisme interne de redistribution, bénéficierait surtout aux exploitants à hauts revenus, et non aux plus petits agriculteurs, qui pourraient même y perdre. Nous ne pouvons nous y résoudre.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui détermine le calcul selon le nombre moyen de points acquis pendant chacune des vingt-cinq meilleures années, ce qui devrait, selon les projections, permettre une augmentation moyenne de la pension de 47,70 euros par mois.
Cependant, nous regrettons, madame la rapporteure, le manque de précision sur le nombre d’agriculteurs qui ne gagneraient pas au change. En commission, vous avez expliqué qu’il n’y aurait aucun perdant, tout au plus des « non-gagnants »… Ce flou nous laisse assez dubitatifs sur les réelles conséquences de cette mesure et sur ses potentiels effets de bord pour les exploitants aux plus faibles revenus.
Pourtant, des leviers plus ambitieux sont possibles pour une réforme des retraites digne de ce nom, dans une optique de justice sociale. J’en citerai trois : un revenu réellement rémunérateur pour financer la nécessaire amélioration de la protection sociale des paysans – je pense que nous serons tous d’accord sur ce point ; l’assouplissement des critères d’accès à la pension majorée de référence (PMR), au profit notamment de ceux qui ont un statut précaire d’aide familial ou de conjoint collaborateur ; le lissage du premier palier du barème d’acquisition des droits de retraite de base, en vue d’inciter les agriculteurs à cotiser et d’éviter les effets de seuil qui, pour l’instant, favorisent l’évasion sociale.
Par ailleurs, un changement de paradigme s’impose. Depuis trop longtemps, les adeptes de l’idéologie néolibérale considèrent les cotisations sociales comme une charge et le travail comme un coût. On a préféré inciter les agriculteurs à défiscaliser pour ne pas cotiser, donc à surinvestir dans la mécanisation de leur ferme. Certains se sont surendettés, de sorte que leurs exploitations sont aujourd’hui plus difficiles à transmettre.
Il nous paraît nécessaire de limiter ces incitations fiscales, qui peuvent finir par nuire à l’augmentation des revenus issus de l’activité agricole et par amoindrir fortement la perception du besoin de cotiser.
En conclusion, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne s’opposera pas à ce texte, car une majorité des retraités agricoles verront leurs revenus augmenter sensiblement.
Cependant, cette réforme de calcul de la retraite de base ne peut, à elle seule, suffire à améliorer réellement la pension des agriculteurs, en particulier celle des plus modestes ; elle doit être complétée par d’autres dispositifs. Nous ferons des propositions en ce sens dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
C’est d’abord une question de justice sociale pour tous les agriculteurs qui partiront à la retraite dans les dix années à venir.
De plus, si nous voulons enrayer la diminution du nombre de paysans, lutter contre la désertification rurale et créer des emplois dans l’agriculture, tout en répondant à de nouveaux enjeux de société, il est urgent de faire en sorte que les retraites, et plus largement les revenus agricoles, soient à la hauteur des attentes légitimes des paysans. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à la crise du monde agricole, le Président de la République a dû annoncer, lors du salon de l’agriculture, des mesures en faveur des agriculteurs, reprenant notamment une proposition que les parlementaires communistes défendent depuis des décennies, à savoir l’instauration de prix plancher pour protéger le revenu agricole. Ces annonces ont été conclues par la promesse d’un nouveau rendez-vous, trois semaines plus tard, pour « consolider les mesures d’urgence » et « bâtir un plan d’avenir agricole français ».
La réunion, prévue le 19 mars dernier, a finalement été annulée, en raison du coup de colère du principal syndicat agricole. En effet, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) reproche au Gouvernement de vouloir reporter la mise en application de la réforme du mode de calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années. Alors que le Parlement, l’an dernier, avait voté à l’unanimité la mise en place de la réforme dès 2026, le cabinet du Premier ministre a annoncé son report à 2028.
Ce renoncement supplémentaire, comme tant d’autres de votre gouvernement, monsieur le ministre, crée une colère légitime chez les agriculteurs, qui subissent déjà le vol de leur travail par les multinationales et par leurs actionnaires.
Si des avancées ont eu lieu, ces dernières années, grâce à l’action des parlementaires communistes, notamment notre collègue député André Chassaigne, les pensions des agriculteurs demeurent parmi les plus faibles du pays, à hauteur de seulement 1 269 euros brut par mois.
Comme nous le revendiquons depuis plusieurs années, les agriculteurs ont surtout besoin d’une loi globale. Or, nous le savons, des propositions de loi examinées les unes après les autres ne font pas une loi globale à la hauteur des enjeux.
À cela s’ajoute la forte dégradation du prix d’achat des productions et des revenus, qui ne permet plus aux producteurs de s’en sortir. Les filières d’élevage sont, depuis des mois, dans une situation extrêmement préoccupante.
Nous partageons l’avis du président de la Mutualité sociale agricole, Pascal Cormery, qui nous a indiqué, voilà à peine quinze jours, lors de son audition par la commission des affaires sociales, que le véritable sujet était celui du revenu agricole.
En effet, le montant des pensions ne s’améliorera pas tant que les revenus n’augmenteront pas, et ce quelle que soit l’évolution du régime de retraite ! La question est donc non pas tant celle du calcul sur les vingt-cinq meilleures années que celle d’une juste rémunération des agriculteurs. En augmentant les revenus de ces derniers, vous augmenterez les cotisations, donc les pensions de retraite.
Le débat se focalise aujourd’hui sur les modalités de calcul retenues pour la prise en compte des vingt-cinq meilleures années.
D’un côté, le scénario « 4C » de l’Igas, qui a été retenu par le Gouvernement, ferait – faut-il vous le rappeler ? – 30 % de perdants, pour seulement 20 % de gagnants, tandis que le montant de la pension de 50 % des assurés resterait inchangé par rapport à celui qui résulte du mode de calcul actuel. Et, parmi les perdants, il y aurait principalement les assurés à bas revenus et à carrière courte.
De l’autre côté, la proposition du groupe Les Républicains ne ferait pas de perdants et ferait même une majorité de gagnants dans les déciles les plus élevés. En effet, le texte laisse espérer un gain de 30 euros en moyenne et, si l’on se réfère aux chiffres du rapport, un plafond à 190 euros, selon le barème d’attribution des points.
Par comparaison avec le projet du Gouvernement, ce texte est donc légèrement meilleur.
Mme Frédérique Puissat. Il est meilleur !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il ne l’est que légèrement, car, s’il n’entraîne pas de perdants, il ne concerne que le flux des futurs retraités, et non le stock des retraités actuels.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera en faveur de la proposition de loi (Mme Frédérique Puissat applaudit.), tout en exigeant l’application de prix plancher pour chaque produit, afin de protéger nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Brigitte Micouleau et Frédérique Puissat ainsi que M. Laurent Somon applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un an, notre assemblée adoptait à l’unanimité une proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, et non plus sur l’ensemble de leur carrière. Comme le rappelait mon collègue Henri Cabanel à l’époque, il s’agissait de réparer une injustice dénoncée par la profession depuis des décennies. En effet, bien qu’un rapport de l’Igas ait étudié les conditions de passage à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années dès 2012, le sujet a été maintes fois repoussé.
Aujourd’hui, le régime des non-salariés agricoles est le seul à conserver cette physionomie spécifique. Rien ne justifie une telle discrimination, qui lèse gravement les retraités de la profession agricole.
En 2022, la pension moyenne d’un agriculteur non salarié était ainsi de 864 euros brut mensuels, contre un peu plus de 1 500 euros pour l’ensemble des retraités. Si bon nombre d’agriculteurs peinent à joindre les deux bouts durant leur vie active, la situation est pire une fois qu’ils sont à la retraite. Dans leur rapport sur les suicides en agriculture, Henri Cabanel et Françoise Férat avaient souligné combien « l’absence de retraite suffisante alimente un désarroi profond ».
De fait, le niveau de pension moyen des retraités agricoles reste extrêmement faible, malgré des ajustements au fil des années. Encore récemment, les lois Chassaigne ont permis de revaloriser certaines retraites, mais l’introduction d’un dispositif d’écrêtement a affaibli ces avancées, en pénalisant les polypensionnés, c’est-à-dire ceux qui sont contraints de cumuler plusieurs activités pour s’assurer un revenu décent.
Aussi, la proposition de loi Dive a envoyé un message fort à nos agriculteurs, qui attendaient avec impatience cette réforme, prévue pour 2026. Cependant, si le texte fixait un objectif de refonte du mode de calcul des pensions des non-salariés agricoles, il renvoyait le soin de dessiner différents scénarios d’application à un rapport, que le Gouvernement devait remettre dans les trois mois suivant la promulgation de la loi.
Lors de son examen, notre rapporteur, Pascal Gruny, avait regretté que le texte confie « au pouvoir réglementaire une prérogative trop importante dans la définition des futurs paramètres du régime ». Ses craintes étaient malheureusement justifiées. Remis avec huit mois de retard, le rapport s’est concentré sur trois scénarios, lesquels feraient beaucoup trop de perdants à l’horizon de 2040, notamment parmi les plus modestes.
Aussi saluons-nous l’inscription de la présente proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée. Je rappelle que les membres du groupe du RDSE sont depuis longtemps particulièrement attentifs au problème des retraites agricoles : en 1998, deux d’entre eux avaient déposé une proposition de loi visant à ce que tous les agriculteurs retraités bénéficient de revenus décents. En pleine crise du monde agricole, la mise en œuvre du calcul des pensions de retraite sur la base des vingt-cinq meilleures années est, plus que jamais, un enjeu prioritaire.
Lors de leur audition devant notre commission, les représentants de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) l’ont bien confirmé : ce texte est la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions, tout en respectant l’échéance du 1er janvier 2026 fixée par la loi Dive. Il permettra de réévaluer le montant des pensions, jusqu’à 190 euros dans certains cas.
Mais j’y insiste, cette proposition de loi n’est qu’une première étape. Il reste, en effet, beaucoup à faire pour conjurer le malaise du monde paysan. Le non-respect de la loi Égalim, l’édiction de normes de plus en plus lourdes à supporter, le versement tardif des aides européennes, la hausse du prix du carburant agricole, la course à l’endettement pour s’en sortir, tout cela participe à la paupérisation de nos agriculteurs.
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour mettre en œuvre le « réarmement agricole », pour reprendre la formule du Premier ministre, car nos agriculteurs n’y arrivent plus, et c’est trop souvent que nos campagnes pleurent le suicide de l’un d’entre eux. Cette situation n’est pas tolérable.
C’est dans cet esprit que le groupe du RDSE apportera tout naturellement son soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après l’adoption du texte déposé par notre collègue député Julien Dive, nous voilà de nouveau réunis pour discuter de l’épineux, mais non moins important sujet du calcul des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles.
En prenant le temps de relire nos débats de l’année dernière, je me suis remémoré l’unanimité de notre assemblée sur la nécessité d’engager une réforme.
En réalité, plusieurs consensus avaient émergé, au premier chef sur le caractère injuste du mode de calcul des pensions de retraite des agriculteurs concernés, chefs d’exploitation et d’entreprises agricoles, conjoints collaborateurs ou encore aides familiaux.
Alors que ces professionnels travaillent dans des conditions difficiles et subissent une certaine volatilité de leurs revenus, notamment liée aux aléas climatiques, leurs pensions sont pourtant bien inférieures à la moyenne des autres pensions de retraite. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), à la fin de l’année 2021, les retraités non salariés des professions agricoles percevaient une pension mensuelle moyenne de 840 euros, contre 1 530 euros pour l’ensemble des retraités de droit direct.
Face à une telle injustice, nous étions nombreux à vouloir réformer la méthode de calcul, notamment lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. J’avais alors cosigné, aux côtés de Patricia Schillinger et de Jean-Baptiste Lemoyne, un amendement déposé par notre collègue Didier Rambaud qui avait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
En toute logique et en toute cohérence, nous avions donc voté, l’an dernier, le texte de notre collègue député Julien Dive, dont l’objectif était très clair : faire converger le mode de calcul des retraites des agriculteurs avec celui des salariés ou des indépendants, en prenant en compte les vingt-cinq années les plus avantageuses, et non plus l’intégralité d’une carrière.
Notre assemblée s’était montrée favorable, sans équivoque, à deux aspects importants de cette réforme tant espérée. D’une part, celle-ci devait être mise en application le plus rapidement possible pour répondre aux attentes des professionnels – nous avons tous ici pu constater qu’il était urgent de le faire. Sur ce point, nous étions plutôt satisfaits, puisque la nouvelle méthode de calcul devait être appliquée à partir du 1er janvier 2026. D’autre part, la réforme devait faire le moins de perdants possible.
Ces consensus ayant été clairement exprimés, il appartenait ensuite au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport fixant les modalités de la réforme dans un délai de trois mois après l’adoption du texte.
Une fois ce rapport rendu, la théorie s’est confrontée à la pratique, et ce fut le début de longues et sinueuses discussions. Entre scénario de type « 4C », création du complément différentiel de points de retraite complémentaire et fusion des régimes par points et par annuités, je dois reconnaître que le débat est suffisamment technique pour en perdre son latin !
Toujours est-il, mes chers collègues, que nous devons avancer sur cette réforme et trouver une méthode de calcul satisfaisante qui fera – répétons-le – le moins de perdants possible.
Le rapport transmis au Parlement explique clairement que les scénarios envisagés se heurtent à trois obstacles : une mise en œuvre décalée de deux ans ; de nombreux perdants chez les professionnels ayant les revenus les plus faibles ; un coût de la réforme, pour les finances publiques, de l’ordre de 15 millions d’euros en 2030 et de 400 millions d’euros à l’horizon de 2100.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé un scénario alternatif, consistant à calculer les retraites sur la base des vingt-cinq meilleures années de revenus à partir de 2028 et à réformer certains paramètres du régime de base des agriculteurs dès 2026, pour améliorer immédiatement le niveau des nouvelles pensions.
Même si ce scénario ne suscite pas l’unanimité, n’oublions pas que la réforme est très attendue. Elle a été votée et, dans le contexte actuel, personne ne gagnerait à engendrer davantage de frustration ou de déception chez les retraités agricoles.
Cela étant dit, comment devons-nous avancer ? Si le texte présenté aujourd’hui a le mérite de remettre à l’ordre du jour ce sujet crucial et ô combien important pour le monde agricole, les membres du groupe RDPI tiennent cependant à émettre plusieurs réserves.
Monsieur le président de la commission, vous proposez de mêler les avantages d’un régime par points avec ceux d’un régime par annuités, en calculant le nombre moyen de points acquis chaque année pendant les vingt-cinq meilleures années et en accordant à l’assuré un nombre de points correspondant à chaque année de sa carrière.
Une telle proposition soulève plusieurs interrogations. Ne compromet-elle pas l’objectif, initialement souhaité par la FNSEA, d’une convergence entre les régimes de retraite, en créant un nouveau régime inédit ? Pouvez-vous bel et bien garantir que votre scénario ne fera aucun perdant ?