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Lutte contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques (proposition n° 183, texte de la commission n° 399, rapport n° 398).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les discriminations est bien évidemment une ardente nécessité. Notre gouvernement est profondément engagé à promouvoir l’égalité sous toutes ses formes dans la société, ce qui implique un combat résolu et sans relâche contre toute discrimination.
Malgré l’inscription formelle de l’égalité dans nos textes fondateurs, la réalité montre que cet idéal est encore loin d’être atteint pour nombre de nos concitoyens. Il devient donc impératif d’assurer à chaque individu l’accès mérité à des opportunités d’emploi, à un logement décent, ainsi qu’aux prêts bancaires nécessaires pour concrétiser ses projets personnels ou professionnels.
Des données recueillies par l’Insee révèlent qu’environ 20 % des Français ont été confrontés à des discriminations au cours des cinq dernières années. Ce chiffre souligne l’urgence de la situation et, par conséquent, la nécessité de ce texte.
Cette réalité est encore plus prégnante au sein des communautés issues de l’immigration, où 82 % des individus rapportent avoir été discriminés, principalement en raison de leur origine ou de leur couleur de peau. Nous ne pouvons vivre avec ces constats.
Les domaines de l’emploi et du logement sont particulièrement touchés par ce phénomène, ce qui démontre une capacité déconcertante à marginaliser les différences.
Cette discrimination n’épargne personne, frappant également les femmes à différentes étapes de leur vie, les personnes en situation de handicap, les membres de la communauté LGBT+ et les seniors. En réalité, elle touche tout le monde. (M. François Bonhomme s’exclame.)
Ces pratiques discriminatoires sont en totale contradiction avec les valeurs républicaines de notre nation et appellent donc à une action immédiate et déterminée.
Dans cette optique, la proposition de loi du député Marc Ferracci visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques s’inscrit dans le cadre d’un engagement pris par le Président de la République pour combattre avec plus de vigueur les discriminations.
Elle reflète la volonté gouvernementale et s’aligne sur le Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026.
Ce plan vise, avec une détermination sans faille, à marquer des changements tangibles et durables dans notre société. Il est nécessaire de considérer notre société comme elle est.
En commission, puis en séance publique, l’Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi, qui a été défendue avec conviction par son auteur, dont je salue ici l’engagement.
Ce texte propose des mesures essentielles pour lutter contre les discriminations qui minent nos principes républicains et l’idéal de méritocratie qui nous est cher, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
Par l’application de tests statistiques et individuels, ce texte vise à démanteler les pratiques discriminatoires et à promouvoir la justice sociale, qui est l’une des conditions de la cohésion nationale. Il transmet le message clair que les origines, la couleur de peau, les croyances, l’âge ou l’orientation sexuelle d’un individu ne doivent absolument jamais constituer des obstacles à l’emploi, à l’accès au logement ou aux services bancaires.
Face à la discrimination, certains se voient contraints – je trouve cela déchirant – de dissimuler leur identité, changeant de nom, mentant sur leur âge ou inventant des subterfuges. Une telle résignation témoigne d’un profond désespoir.
Cette proposition de loi vise précisément à redonner espoir à ces Français, en leur offrant les moyens de se défendre et de réclamer justice.
Pour transformer la société, il est crucial de modifier en profondeur les comportements des entreprises, des institutions et des administrations publiques.
Afin d’atteindre cet objectif, la proposition de loi étend l’utilisation du testing statistique, pour déceler les pratiques discriminatoires au sein des entreprises et des institutions. Ce mécanisme implique l’envoi de candidatures fictives, différenciées par des critères susceptibles d’être discriminants, afin de recueillir des données permettant d’analyser les pratiques discriminatoires à grande échelle et d’identifier les organisations fautives.
L’ambition, forte, est de tester 500 entreprises en 2024. Celles qui seront reconnues coupables de discrimination et qui n’auront pas pris les mesures nécessaires pour y remédier seront publiquement signalées, grâce à une stratégie de publication encadrée des résultats. Ce dispositif s’appuie sur l’existence d’un arsenal juridique contre la discrimination, dont l’efficacité reste à prouver, comme le démontre l’absence de condamnations pénales en matière de discrimination depuis 2020. Telle est en effet la réalité objective.
Ce texte, largement révisé par la commission des lois du Sénat, a pour ambition de fournir aux victimes de discrimination un véritable parcours judiciaire. Le Gouvernement, par voie d’amendement, exprimera sa volonté de réintroduire les articles supprimés en commission, car il considère que leur suppression met en péril l’esprit initial de la proposition de loi. Il nous faut pouvoir fournir aux acteurs publics des outils reconnus, afin de faire évoluer les comportements et de lutter efficacement contre les discriminations.
Il est vrai que cette proposition de loi privilégie le testing individuel, concentré sur des cas de discrimination vécus et s’appuyant sur les témoignages directs des victimes.
Cette approche vise à valider l’existence de discriminations et à soutenir les démarches juridiques des personnes qui en sont victimes.
Le testing statistique et le testing individuel sont envisagés comme des outils complémentaires et également nécessaires dans la lutte contre les discriminations. Le Gouvernement a la conviction que ces nouvelles mesures porteront leurs fruits ; j’en ai la conviction personnelle.
Le plan global bénéficiera du soutien de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), qui sera chargée d’orchestrer la réalisation de ces tests statistiques à grande échelle.
J’y insiste : cette initiative ne vise absolument pas à concurrencer le Défenseur des droits :…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Si !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. … elle a vocation à offrir une démarche supplémentaire pour combattre efficacement les inégalités, car, en la matière, on n’est jamais trop nombreux.
La proposition de loi prévoit également la création d’un comité des parties prenantes, qui réunirait des parlementaires, des experts et, évidemment, le représentant du Défenseur des droits. Cette structure aura pour mission de choisir la méthodologie qui s’appliquera au testing et de définir les actions correctives appropriées. Il s’agit de faire en sorte que chacun ait confiance dans la méthodologie qui sera retenue, gage de notre capacité à provoquer les transformations et les changements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, notre objectif est de nous doter de l’ensemble des moyens que nécessite une lutte efficace contre les discriminations ; ce texte est donc une étape décisive dans notre combat en ce domaine. Nous avons la responsabilité collective de tout mettre en œuvre pour mettre fin à ces discriminations qui, je le répète, peuvent toucher tout un chacun.
Ces orientations ont été en particulier défendues par ma collègue Aurore Bergé, aujourd’hui retenue par un déplacement à l’étranger ; j’espère et suis convaincue que les débats de cet après-midi nous permettront d’atteindre un consensus. La lutte contre les discriminations requiert une ardente mobilisation et les Français attendent que nous remplissions notre promesse républicaine d’égalité. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est aujourd’hui soumis à votre examen.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi du député Marc Ferracci que nous examinons aujourd’hui visait, dans sa rédaction initiale, à lutter contre les discriminations, et ce de deux manières.
Il s’agissait, en premier lieu, de confier à la Dilcrah la réalisation de tests de discrimination – tel est l’objet de l’article 1er. Ces tests auraient pour objet, selon les cas, de confirmer une discrimination subie par une personne réelle ou de détecter de potentielles pratiques discriminatoires au sein d’une organisation déterminée. On parle, dans le premier cas, de test individuel et, dans le second cas, de test statistique.
La méthode employée est relativement simple : elle consiste à soumettre, en réponse à une même offre, plusieurs candidatures similaires ne différant que par le seul critère testé – l’origine ou le sexe, par exemple – afin d’évaluer si elles ont toutes les mêmes chances de prospérer. Si tel n’est pas le cas, on est en présence d’une situation de discrimination potentielle. La méthodologie des tests serait élaborée en concertation avec un comité des parties prenantes, rassemblant pêle-mêle des parlementaires, des experts ainsi que des représentants des organismes susceptibles d’être testés, des employeurs, des salariés et des associations – tel était l’objet de l’article 2.
Il s’agissait, en second lieu, de prévoir une procédure de suivi spécifique aux tests statistiques. Celle-ci s’appuierait sur un dialogue entre l’État, la Dilcrah, le comité des parties prenantes, ainsi que l’administration du travail. De manière générale, l’organisme épinglé serait soumis à une obligation de négociation en vue de conclure un accord portant sur des mesures correctives ou, à défaut, d’établir unilatéralement un plan d’action. En l’absence d’accord ou de plan d’action, ou lorsque le contenu de l’accord ou du plan est insuffisant, des sanctions seraient possibles : amende administrative d’un montant non négligeable, pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale, name and shame. Tel était l’objet de l’article 3.
Si la commission des lois a largement remanié la proposition de loi, ce n’est pas en raison d’un quelconque désaccord sur le constat. Ne nous voilons pas la face, les discriminations existent partout et, en ce domaine, le combat est loin d’être gagné. Je rappelle que la Défenseure des droits a reçu plus de 6 700 réclamations en matière de discrimination en 2023, contre 5 215 en 2021. Les trois principaux critères sont le handicap, pour 21 %, l’origine, pour 13 %, et l’état de santé, pour 9 %. Ces chiffres sont plus que préoccupants et nous partageons tous pleinement la volonté de lutter contre les discriminations.
Hélas ! la qualité d’une loi ne se mesure pas à ses bonnes intentions…
Mme Nadine Bellurot. C’est vrai !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. … et nous avons considéré qu’en l’espèce le dispositif proposé n’était pas la voie la plus adéquate pour lutter efficacement contre les discriminations.
Je ne m’attarde pas sur la question de la nécessité d’une intervention du législateur pour parvenir aux objectifs visés – chacun se fera son idée. Sur le fond, l’examen de la proposition de loi en commission a démontré que plusieurs de ses dispositions étaient imprécises, incomprises, voire franchement contre-productives.
Je pense tout d’abord aux tests individuels de discrimination. La proposition d’en confier la réalisation à la Dilcrah a, je dois le dire, fait l’unanimité contre elle. Fait rare, la Défenseure des droits s’y est opposée dans un avis public. Elle n’est pas la seule : la quasi-totalité des personnes auditionnées, y compris celles qui représentent le champ associatif, m’ont fait part de leurs profondes réserves.
Nous avons fait droit à leurs arguments : la Défenseure des droits nous est bel et bien apparue comme l’institution la plus pertinente pour assurer cette mission. Elle dispose d’une expertise de longue date en la matière et est la mieux placée pour accompagner les victimes dans la suite de la procédure, y compris en cas de contentieux. Concrètement, elle dispose de pouvoirs d’enquête et peut recourir à la voie de la médiation, émettre une décision portant recommandation ou, en cas de contentieux, produire des observations devant le juge. Enfin, son indépendance est une plus-value indéniable dans les cas où une personne publique est en cause.
Afin de ne pas créer de concurrence entre les acteurs de la lutte contre les discriminations – une telle concurrence ne profiterait à personne, surtout pas aux victimes –, nous avons donc entendu préserver la compétence de la Défenseure des droits sur ce point. En conséquence, nous avons limité la compétence de la Dilcrah à la seule réalisation de tests statistiques.
J’en viens à l’article 2 et au comité des parties prenantes. Celui-ci a été présenté par l’auteur de la proposition de loi comme le moyen de prévenir toute critique quant à la robustesse de la méthodologie des tests. Je rappelle qu’une grande campagne de tests statistiques a été conduite par l’État en 2019-2020, mais que cette initiative n’a pas pu prospérer du fait de critiques particulièrement vivaces émises par les entreprises épinglées à l’encontre de la méthodologie employée. Il serait illusoire de penser que la création d’un énième comité permettrait de couper court aux contestations. Il serait également naïf d’imaginer que toutes les entreprises se rallieraient à la cause du testing simplement parce que la loi le leur prescrit. Au fond, on cède ici à la tentation bien française de vouloir tout régler par la création d’une nouvelle norme…
Le comité des parties prenantes nous est apparu d’autant plus inadapté que les modalités concrètes de son fonctionnement, notamment sur la majorité requise, n’étaient pas précisées. Autant l’unanimité semble hors de portée compte tenu de sa composition, autant une mise en minorité des entreprises ouvrirait d’entrée de jeu la voie à des contestations.
Ce format est en outre excessivement rigide. Afin de favoriser l’émergence d’un consensus, il apparaît plus pertinent de laisser aux pouvoirs publics la liberté d’établir au cas par cas le format d’échange le plus adapté, étant entendu que les partenaires sociaux devront systématiquement y être associés.
Enfin, les missions dévolues à ce comité feraient de lui bien plus qu’un conseil scientifique, puisqu’il interviendrait à de nombreuses reprises dans la procédure de correction des pratiques faisant suite à un test statistique. Si les résultats d’un test statistique laissent présager de pratiques discriminatoires, il revient pourtant en priorité à l’administration du travail d’accompagner l’entreprise pour qu’elle mette en place, en concertation avec les représentants du personnel, des mesures correctives. Quelle serait la légitimité d’un comité comprenant par exemple des experts de la statistique pour donner un avis sur un accord conclu de manière régulière au sein d’une entreprise ?
Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons supprimé l’article 2.
J’en viens maintenant au cœur du réacteur, à savoir l’article 3, qui a trait aux suites apportées aux tests statistiques.
Je voudrais être très claire sur ce point : nous ne sommes pas opposés à la mise en place de campagnes de tests statistiques par l’État. Ces tests sont des outils utiles à la politique de lutte contre les discriminations, car ils permettent d’objectiver ces dernières. À ce propos, j’appelle d’ailleurs l’attention du Gouvernement sur les demandes de tous bords qui m’ont été adressées en vue que soit créé un observatoire des discriminations spécifiquement consacré à cette tâche.
Correctement utilisés, les tests s’inscrivent donc dans une démarche vertueuse. En revanche, ils ne doivent pas être pris pour ce qu’ils ne sont pas et il serait imprudent de faire d’un instrument avant tout statistique l’alpha et l’oméga de la lutte contre les discriminations. Je rappelle qu’un test ne permet de détecter que certaines catégories de discrimination dans un laps de temps déterminé. Comme toutes les études sur le sujet le rappellent, ces tests ne révèlent qu’un fragment des pratiques des organisations et ne permettent pas de tirer des conclusions définitives quant à d’éventuelles discriminations.
Ces rappels méthodologiques étant faits, j’en viens à l’épineuse question des suites apportées aux tests de discrimination. L’article 3 prévoyait une procédure ad hoc particulièrement insatisfaisante, et ce pour trois raisons.
La première raison porte sur sa complexité, voire son illisibilité. La procédure pouvait se découper en une dizaine d’étapes, pas toujours clairement articulées, et durer jusqu’à deux ans. En des temps de sobriété normative, il y avait de quoi s’interroger… Sur le fond, elle comportait également deux vices majeurs : d’une part, l’absence de phase contradictoire préalable permettant de purger les situations où une entreprise apporte des réponses convaincantes aux anomalies détectées ; d’autre part, le risque d’interférence, que j’ai déjà évoqué, entre le comité des parties prenantes et le dialogue social interne à l’entreprise.
La deuxième raison a trait à la philosophie de la procédure qui, comme trop souvent en la matière, n’a d’autre finalité que la sanction : cette approche ignore les initiatives déjà prises par les entreprises, par exemple dans le cadre des négociations obligatoires – un accord national interprofessionnel a été conclu en 2006 et l’on observe un foisonnement d’accords au niveau des branches. Je pense aussi aux outils de droit souple, par exemple le label diversité, ou à l’auto-testing auquel ont recours certaines entreprises, comme le groupe Casino. Les sanctions prévues me laissent d’ailleurs dubitative : l’efficacité du name and shame fait l’objet de nombreux débats sans qu’aucun consensus émerge, tandis que l’amende administrative risque fort de ne pas être appliquée.
La troisième raison est aussi la plus importante : le droit du travail nous offre déjà tous les instruments nécessaires. Rien n’empêche un dialogue informel entre l’administration du travail et une entreprise visée par un test. Si l’accompagnement bienveillant a parfois ses limites, l’État est toutefois loin d’être désarmé quand il s’agit de répondre aux entreprises les plus récalcitrantes. L’inspection du travail dispose d’une compétence générale pour contrôler l’application des dispositions du code du travail et, le cas échéant, engager une action en recherche des discriminations, voire saisir le parquet. À cet égard, au moment où le Parlement a à se prononcer sur l’extension des compétences de la Dilcrah, il paraît légitime de se demander si l’inspection du travail n’aurait pas fait meilleur usage des crédits qui ont été alloués à la délégation interministérielle dans la loi de finances pour 2024.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons supprimé l’article 3.
Mes chers collègues, gardons-nous de confondre une juste cause avec une bonne loi. La commission des lois a trouvé un équilibre satisfaisant autour d’un triptyque simple : préserver la compétence du Défenseur des droits pour ce qui est des tests individuels ; approuver le principe des tests statistiques ; utiliser le droit existant pour en assurer les suites. Aller au-delà ne nous semble pas nécessaire, sauf à desservir la cause que nous partageons tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons fait de l’égalité des droits l’une de nos valeurs fondamentales, inscrite à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous considérons que seul le mérite doit fonder les distinctions entre les individus.
Cet idéal politique étant au cœur de notre pacte républicain, nous nous félicitons qu’il soit toujours objet de consensus. Main dans la main avec le droit, dans le cadre d’une concurrence loyale et non faussée, l’économie de marché contribue à réduire les discriminations.
« Le développement du capitalisme s’est accompagné d’une réduction majeure des discriminations économiques infligées à des groupes religieux, raciaux ou sociaux particuliers. » Ainsi Milton Friedman nous rappelle-t-il que la « main invisible » d’Adam Smith ne distingue pas selon l’origine ou l’appartenance réelle ou supposée des individus. (M. Guy Benarroche s’exclame.)
Elle ne distingue pas et elle ne doit pas distinguer ; il y va d’un principe d’efficacité économique, qui profite tant aux individus qu’à la société dans son ensemble. Non seulement les discriminations gâchent la vie de ceux de nos concitoyens qui y sont confrontés, mais elles freinent également le développement de notre économie. Un récent rapport de France Stratégie indique que nous perdons chaque année plusieurs points de croissance en raison des discriminations qui perdurent dans notre pays.
Nous n’avons donc aucune excuse, mais nous avons de solides raisons politiques et économiques pour lutter activement contre les discriminations.
Il ne suffit pas, hélas ! de décréter l’égalité en droit pour qu’elle devienne réalité. Il nous faut lutter constamment contre les discriminations qui portent atteinte à cet idéal.
Dans notre droit, du reste, la discrimination est un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ces peines sont bien entendu renforcées en cas de circonstances aggravantes. En dépit de cette sévérité, force est de constater que de telles pratiques perdurent. Le sentiment de discrimination progresse même parmi nos concitoyens, singulièrement parmi nos concitoyennes.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a vocation à améliorer notre droit via la création d’un service destiné à détecter les pratiques discriminatoires par la réalisation de tests. Il prévoit également une procédure permettant de sanctionner les manquements constatés.
Ces objectifs sont louables ; le dispositif envisagé se heurte malheureusement aux efforts déjà déployés pour lutter contre les discriminations.
Le Défenseur des droits est en la matière un acteur majeur et il réalise déjà des tests individuels dont l’objet est de mettre en évidence les discriminations.
Pour ne pas faire doublon et ne pas nuire à la lisibilité du dispositif existant, la commission des lois – Mme le rapporteur l’a souligné – a fait le choix de restreindre la compétence du service visé à l’article 1er à la réalisation de tests statistiques aux fins d’améliorer l’information disponible quant à l’évolution des discriminations dans notre pays.
La procédure de sanction prévue à l’article 3 a également été supprimée en commission, eu égard aux outils déjà présents dans notre arsenal juridique.
Nous soutenions bien entendu le caractère plus pédagogique d’une démarche qui visait à compléter l’approche répressive. Force est cependant de constater que des espaces de dialogue existent déjà et qu’il s’agit plutôt de mieux s’en emparer.
Nous étions plus réservés quant aux procédures du name and shame et de l’amende administrative. C’est à tort, nous semble-t-il, qu’elles se généralisent. Nous ferions mieux de continuer à renforcer les moyens de la justice, pour lui permettre de traiter efficacement ces affaires : seuls nos tribunaux garantissent efficacement le droit à un procès équitable.
La mise en œuvre de cette proposition de loi nous permettra de mieux comprendre le phénomène discriminatoire et, par conséquent, de mieux lutter contre celui-ci. Nous devons continuer de veiller à faire reculer les différences de traitement, les inégalités et les discriminations dans notre pays.
Le groupe Les Indépendants soutiendra donc ce texte, qui a été largement modifié par la commission et le votera.
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard.
Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toutes les données et études disponibles convergent pour alerter sur la persistance des discriminations en France. Ce constat continue tristement de se vérifier dans tous les domaines, même si l’accès à l’emploi, l’accès au logement et l’accès aux soins sont particulièrement concernés.
Selon la Défenseure des droits, auditionnée par notre rapporteure, plus de 6 700 réclamations ont été formées en 2023, contre 5 200 deux ans plus tôt – encore cette augmentation alarmante ne traduit-elle pas toute l’ampleur réelle du phénomène.
Les chiffres relatifs aux catégories les plus discriminées ne sont que les révélateurs de la mobilisation des associations qui accompagnent les réclamants. Saluons leur rôle essentiel, tant il est vrai qu’il est difficile de convaincre les personnes victimes de discrimination d’aller devant le juge. Reste que la photographie statistique n’est pas réaliste.
Je veux me faire l’écho, à cet égard, d’une étude éclairante de l’Organisation internationale du travail (OIT), selon laquelle, en 2018, 38 % des jeunes avocats s’estimaient victimes de discrimination. Ce taux s’élevait à 52 % pour les jeunes avocates. Seuls 5 % d’entre eux ont présenté des réclamations, signe de la crainte de représailles, mais aussi de la difficulté pour les personnes discriminées à prouver la réalité des faits.
La couleur de peau, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, la religion, l’engagement politique ou encore le handicap : l’énumération des motifs qui poussent un être humain à en écarter un autre est aussi longue que douloureuse.
Les discriminations à l’embauche relèvent quant à elles, selon les chercheurs, d’une anomalie de marché. Elles sont en tout état de cause un affront au principe d’égalité qui est au cœur de notre République, une insulte insupportable aux idéaux d’humanisme et d’universalisme auxquels nous aspirons pour tâcher de faire nation.
Devant ce constat indéniable qui, je le crois – en tout cas je l’espère –, est ici partagé par tous, il est de notre devoir de construire des outils permettant de renforcer le droit existant en matière de lutte contre les discriminations, de dissuader et, le cas échéant, de punir les auteurs de tels actes.
Ainsi devons-nous pallier les carences de notre arsenal juridique. À ce titre, je salue l’initiative de Marc Ferracci, député représentant les Français établis hors de France, à l’origine de ce texte.
Les tests individuels sont d’ores et déjà une réalité et je souhaite rendre hommage à l’engagement en la matière tant des associations œuvrant en ce domaine que des services de la Défenseure des Droits. Je regrette néanmoins que les moyens de cette dernière ne soient pas accrus, ce qui empêche son action d’être renforcée.
Les tests statistiques, quant à eux, sont d’une réelle utilité pour mesurer les pratiques discriminatoires, ce qui nous a conduits à considérer avec intérêt la création d’un observatoire. Une telle mesure n’est toutefois pas de notre compétence.
Mes chers collègues, nous nous accordons tous sur l’impérieuse nécessité qu’il y a à lutter contre les discriminations. Cependant, nous devons veiller à ne pas nous doter d’outils redondants ou d’organismes concurrents. Gardons-nous de l’affichage comme du déni !
Aussi, je veux saluer le travail précieux réalisé par la commission des lois, en particulier par notre rapporteure, Catherine Di Folco, qui, forte des auditions qu’elle a menées, a identifié les faiblesses de cette proposition de loi.
Ce travail nous a conduits à nous interroger sur la pertinence des réponses apportées à de vraies questions.
En effet, ce texte, issu de l’expérience incontestable de son auteur, a pour objet de renforcer les moyens d’appréhender un phénomène bien réel et de lutter contre.
Néanmoins, aux termes de cette proposition de loi, un tel renforcement se ferait au détriment de la Défenseure des droits, qui dispose pourtant – cela a été dit – d’une expertise ancienne et reconnue dans la conduite de tests individuels et qui est, du fait de son indépendance, la plus à même de gérer les cas où l’administration serait responsable d’une discrimination. Soulignons en outre que, contrairement à la Dilcrah, elle compte en son sein des juristes et peut faire des observations auprès des tribunaux. Ses pouvoirs d’enquête sont également un atout précieux en matière de lutte contre les discriminations. Redisons, en écho à ces préoccupations, combien il est important de pouvoir continuer à accompagner les réclamants.
La mise en œuvre d’une politique de testing à grande échelle, à visée statistique, qui serait quant à elle confiée à la Dilcrah, serait la bienvenue. La présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) s’est d’ailleurs montrée intéressée par les résultats d’une telle action pour ce qui concerne les discriminations que subissent les femmes.
Si certains points du texte sont favorablement accueillis, d’autres dispositifs, comme la création d’un comité des parties prenantes, dont la composition et les missions apparaissent mal calibrées, ont soulevé diverses réserves.
Ainsi la procédure de suivi des résultats des tests a-t-elle été jugée trop complexe, sa durée pouvant aller jusqu’à deux ans. Son déclenchement n’est par ailleurs précédé d’aucune phase contradictoire.
L’acceptabilité des campagnes de testing est également un critère essentiel, qui doit faire l’objet de toute notre attention, a fortiori lorsqu’il s’agit de publier les noms des entreprises concernées. L’acceptabilité de la démarche par les entreprises est, du reste, l’un des objectifs qui ont motivé l’auteur de cette proposition de loi. Néanmoins, la confiance ne se décrète pas : elle se construit, à force de constance et d’engagement. C’est pourquoi je partage les réserves de Mme Di Folco.
Parce que l’on ne peut que se ranger aux côtés de ceux qui œuvrent pour lutter contre l’intolérance et la haine, le groupe Union Centriste votera, vous l’aurez compris, en faveur de ce texte, dans la version modifiée par la commission des lois, et ce d’autant plus que la position de notre rapporteure semblait partagée par l’ensemble de la commission lors de la réunion d’examen du rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)