M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé
Article unique
(Conforme)
L’article 40 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sur le domaine public routier mis à la disposition des régions, le président du conseil régional exerce les attributions prévues à l’article L. 4231-4 du code général des collectivités territoriales. » ;
b) Le troisième alinéa est complété par les mots : « de la présente loi » ;
c) À la première phrase du septième alinéa, le mot : « huit » est remplacé par le mot : « seize » ;
2° Le III est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cadre de l’expérimentation prévue au présent article, le président du conseil régional peut, pour l’exercice de ses attributions propres ou de celles qu’il a reçues par délégation du conseil régional, par arrêté, donner délégation de signature, sous sa surveillance et sous sa responsabilité, aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’État qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel.
« Dans le cadre de l’expérimentation prévue au présent article, lorsque le président du conseil régional délègue une partie de ses fonctions aux vice-présidents ou à d’autres membres du conseil régional en application de l’article L. 4231-3 du code général des collectivités territoriales, le délégataire peut, sauf disposition contraire dans l’arrêté de délégation de fonction, subdéléguer la signature des actes relatifs à la fonction déléguée aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’État qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel.
« Les délégataires et subdélégataires peuvent, sauf disposition contraire dans l’acte de délégation ou de subdélégation, subdéléguer leur signature aux agents de l’État qui exercent au sein de leur service des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel. »
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la procédure normale ayant été rétablie à la demande d’un autre groupe que le nôtre, je m’engouffre dans la brèche pour interpeller le Gouvernement.
En effet, la loi 3DS a été promulguée voilà plus de deux ans : une fois encore, nous constatons que la mise en œuvre des lois pose problème.
Parfois, les services de l’État se montrent très vigilants, allant même jusqu’à corseter l’action des parlementaires ; parfois – c’est le cas en l’occurrence –, ils laissent faire et ne font que se heurter dans les faits à l’impossibilité de mettre en œuvre un texte.
Monsieur le ministre, à l’instar de mon collègue Gérard Lahellec, je veux attirer votre attention sur la situation dans laquelle les régions se trouvent. Elles rencontrent de lourdes difficultés pour faire aboutir le volet mobilité des CPER. Elles ont besoin d’un engagement de l’État pour les aider à relever ce défi. Elles doivent pouvoir répondre aux besoins de mobilité des habitants que ce soit par la route ou par le rail.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative au réseau routier national non concédé.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
6
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Adaptation du droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (proposition n° 160, texte de la commission n° 389, rapport n° 388).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons cet après-midi revêt une importance capitale, et je veux d’emblée dire ici qu’il emporte ma pleine et entière adhésion.
J’ai entendu les préoccupations de nos agriculteurs qui se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des néoruraux souhaitant s’installer au vert sans en accepter toutes les conséquences.
Je le dis, cela n’est pas acceptable. Si l’on choisit la campagne, on doit l’accepter telle qu’elle est,…
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … c’est-à-dire avec les gens qui y travaillent et qui la font vivre.
Dès le salon de l’agriculture de l’an passé, j’ai fait connaître ma volonté d’avancer sur cette question, afin de faire cesser les procès ubuesques que l’on voit fleurir régulièrement.
Car, oui, notre campagne est un milieu vivant, parfois même bruyant et odorant, un milieu dans lequel des femmes et des hommes se lèvent tôt, travaillent avec passion et sans compter leurs heures, pour nous nourrir.
Derrière les affaires qui peuvent prêter à sourire, dans lesquelles on cherche à faire taire le coq Maurice ou les cloches d’une église, il y a des situations humaines, des enjeux économiques, qui méritent que l’on s’y attarde.
Oui, certaines personnes engagent des actions en justice, parce qu’elles sont incommodées par le bruit des moissonneuses-batteuses. Pardonnez-moi cette familiarité, mais, parce que ces individus sont incommodés par le bruit des machines, ils semblent avoir oublié que l’on ne peut manger de pain si l’on ne coupe pas les blés…
Je le dis tout net, lorsque l’exploitation est là avant l’installation de la personne qui saisit la justice, ce type de procès n’a évidemment aucune raison d’être.
La présente proposition de loi permet de poser les conditions d’un « vivre ensemble » équilibré ; surtout, elle garantit le respect absolu de ceux qui vivent et travaillent chez eux depuis toujours.
Qu’il me soit permis d’insister ici sur un élément qui, je le crois, sera un point clé lors de nos débats : si ce texte répond à un besoin réel de nos campagnes, il a vocation à s’appliquer à toutes les relations de voisinage, puisque nous créons un nouvel article dans le code civil.
Sont donc concernés de la même manière les voisins des villes comme les voisins des champs. Je pense, par exemple, à la pizzeria du rez-de-chaussée qui, certes, dégage des odeurs et est bruyante, mais qui était là avant que de nouveaux habitants n’emménagent au premier étage.
La proposition de loi consacre tout d’abord le principe jusqu’alors jurisprudentiel de la responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage : chacun a le droit de jouir paisiblement de sa propriété, de son logement, de son fonds et a droit à réparation du préjudice qu’il subit.
C’est ce principe simple, partagé par tous, qui est repris dans le présent texte. Il s’agit d’une responsabilité sans faute. L’introduction de ce principe général dans le code civil le rend plus lisible et accessible ; elle renforce la sécurité juridique du droit français et assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Le texte institue par ailleurs une exception générale tirée de la théorie dite « de la pré-occupation », afin de trouver un meilleur équilibre entre les différents intérêts en présence.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, le cœur du sujet qui nous occupe, car cette disposition fixe le principe selon lequel celui qui s’installe à proximité d’un lieu particulièrement bruyant ou polluant ne peut se plaindre d’un trouble anormal du voisinage, alors même que la nuisance existait au moment de son installation.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale avait permis d’élargir le périmètre de cette exception de bon sens – de bon sens paysan, allais-je dire ! –, dont les modalités sont prévues actuellement à l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation.
L’exception a ainsi été étendue à celui qui exerce son activité dans des conditions nouvelles si celles-ci ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble. L’objectif est de ne pas limiter à l’excès les possibilités d’évolution des activités en question, de ne pas les figer dans un carcan qui limiterait leur développement, tout en les encadrant, pour ne pas nuire excessivement au voisinage.
La commission des lois du Sénat a par ailleurs souhaité ajouter, sur votre initiative, madame la rapporteure Gatel – je tiens ici à saluer votre travail –, le qualificatif d’« économiques » à la notion d’activités, afin de préciser le type d’activités visées par l’exonération.
Vous avez également précisé la notion d’« installation » de la victime sur les lieux ; vous avez ainsi privilégié la référence à un acte juridique en identifiant « l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage ».
Permettez-moi cependant d’exprimer une réserve sur ces modifications, qui restreignent le champ d’application du texte.
La restriction de l’exonération aux seules activités économiques ne traduit pas vraiment la volonté d’introduire ces règles de responsabilité dans le code civil, car ce dernier a vocation à être le plus général possible et à englober tous types d’activités, de quelque nature qu’elles soient.
De la même manière, la référence à « l’acte ouvrant le droit de jouissance » paraît trop restrictive et difficilement compréhensible. En effet, cette rédaction, contrairement à celle de l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation – dont elle s’inspire – n’inclut ni l’obtention d’un permis de construire ni la conclusion d’un acte authentique de vente, ce qui limite significativement la portée de l’exonération de responsabilité.
Là encore, la codification devrait concerner l’ensemble des citoyens, qu’ils habitent à la campagne ou en ville, qu’ils soient propriétaires ou locataires, qu’ils exercent une activité économique ou non.
Votre commission a enfin souhaité ajouter un III à l’article unique, afin de prévoir, dans le code rural et de la pêche maritime, un périmètre d’exonération plus étendu pour les activités agricoles dans le cas où le trouble anormal provient d’activités nouvelles résultant d’une mise en conformité de l’exploitation.
Seront examinés tout à l’heure des amendements tendant à insérer des dispositifs dans ledit code rural et de la pêche maritime, afin de satisfaire le souhait de nos agriculteurs de bénéficier d’une protection plus forte lorsque l’exercice de leur activité évolue. Cette préoccupation est légitime ; le Gouvernement y est particulièrement sensible.
Nous devons cependant rester attentifs dans la suite de nos débats à ce que le dispositif mis en place préserve un certain équilibre constitutionnel, à défaut de quoi nous risquerions la censure, notamment au regard du principe d’égalité des citoyens devant la loi, ainsi que du droit à un recours effectif.
Ne perdons pas de vue notre objectif : clarifier et sécuriser le régime de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage et son exception, dont les conditions découlent de la théorie de la pré-occupation précitée, pour décourager les recours abusifs et vexatoires entre voisins.
Mettre un terme à des procès abusifs : c’est bien de cela qu’il s’agit. On dénombre aujourd’hui plusieurs centaines de procédures engagées contre des agriculteurs par des voisins quérulents, qui se plaignent de nuisances liées à leur activité. L’odeur du bétail, le bruit des tracteurs, le chant du coq ou encore le meuglement des vaches poussent certains de ces nouveaux habitants à saisir la justice, à l’instrumentaliser et à s’opposer à des exploitations qui étaient là bien avant leur arrivée.
Plus encore que décourager les recours contentieux, ce texte doit également servir d’instrument de dialogue entre voisins et contribuer à trouver une solution amiable, d’autant que, comme vous le savez, le développement des procédures amiables est l’une de mes priorités. Du reste, je sais, madame la rapporteure, que ce sujet vous tient aussi particulièrement à cœur. (Mme le rapporteur acquiesce.)
À cet égard, je précise que la tentative de médiation ou de conciliation préalable à la saisine du juge s’applique précisément aux troubles anormaux de voisinage.
Je forme le vœu que cette proposition de loi, qui définit les contours précis de notre cohabitation à tous – et même si sa rédaction devra encore être améliorée – puisse contribuer, dans le droit fil de la politique de l’amiable, à la pacification des relations de voisinage sur l’ensemble du territoire et au désengorgement des tribunaux.
C’est en somme un texte de concorde locale et d’apaisement. Par les temps qui courent, nous en avons bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’apporter, à la suite du président Larcher, mon soutien le plus total à notre collègue François Patriat.
Monsieur le garde des sceaux, je partage l’essentiel de votre propos. Je souscris en tout cas à la manière dont vous avez présenté le dispositif de cette proposition de loi et à la nécessité d’une concorde dans notre pays, notamment au niveau local, entre ceux qui travaillent, font vivre et développent les territoires, et ceux qui s’y installent et découvrent que la campagne est tout autant qu’un lieu de vie un lieu où s’exercent des activités et des métiers essentiels, un lieu qui nous nourrit.
Comme vous l’avez souligné, le chant du coq, les odeurs de bétail, la pollution visuelle due à une cheminée d’usine ou de simples nuisances provoquées par des voisins irrespectueux, les troubles anormaux de voisinage font partie du quotidien de nos concitoyens. Ils empoisonnent parfois la vie des juges, mais ils gênent aussi ceux qui travaillent dans nos campagnes.
Après la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui, en vue de clarifier et d’améliorer la lisibilité du droit, tend à codifier un régime largement dégagé par la jurisprudence.
Cet objectif me paraît pouvoir être pleinement partagé par le Sénat. J’en profite pour saluer l’engagement de l’auteure de ce texte, notre collègue députée du Morbihan, Nicole Le Peih.
Cette proposition de loi vise, d’une part, à inscrire dans le code civil un régime autonome de responsabilité sans faute, dont la codification, maintes fois envisagée, n’a jamais abouti et, d’autre part, à étendre la portée de la cause exonératoire, aujourd’hui prévue par le code de la construction et de l’habitation, à tous types d’activités et à tous types de demandeurs.
Dans le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale, cette cause exonératoire était applicable dès lors que trois critères étaient réunis : l’antériorité de l’activité génératrice du trouble à l’installation du demandeur ; sa conformité aux lois et règlements en vigueur ; sa poursuite dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles, qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
Favorable au principe d’une codification, la commission des lois a souhaité apporter plusieurs modifications à ce texte, afin d’en renforcer et d’en préciser le dispositif.
Tout d’abord, nous entendons apporter un début de réponse à la situation extrêmement difficile des exploitants agricoles, particulièrement concernés par la multiplication des recours de riverains souhaitant faire cesser ce qu’ils estiment être des troubles anormaux de voisinage, lesquels sont pourtant souvent considérés comme abusifs, ce dont témoigne le récent exemple de Vincent Verschuere dans l’Oise.
Afin de pallier cette difficulté, nous avons fait en sorte de garantir l’application de la cause exonératoire de responsabilité, dès lors que la modification des conditions d’exercice de l’activité résulte d’une nécessaire mise en conformité aux lois et règlements.
Prenons un exemple : si la loi interdisait demain l’élevage des poules pondeuses en batterie, cela signifierait que les producteurs d’œufs devraient se tourner vers l’élevage en plein air ; ils seraient alors tenus, pour se conformer à la loi, d’adapter leur activité pour éviter que celle-ci ne crée des troubles anormaux de voisinage.
Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cours de la discussion, puisque deux amendements ont trait à cette question. Sans présager du sort qui leur sera réservé, il me semble que notre assemblée doit poursuivre l’effort engagé par la commission et apporter une réponse aux inquiétudes pressantes des agriculteurs – c’est en tout cas la volonté que notre commission des lois a exprimée.
Ensuite, nous nous sommes attachés à sécuriser le dispositif à deux égards.
En premier lieu, si elle ne s’est pas montrée hostile par principe à l’extension à diverses activités de la cause exonératoire, la commission a relevé l’indétermination relative de la notion et les difficultés d’application qu’elle pourrait poser : doit-on vraiment exonérer tous types d’activités, y compris celles qui sont exercées dans un cadre strictement privé et qui ne peuvent dès lors être connues du nouveau voisin s’installant à proximité ?
Il a par conséquent semblé à la commission que la limitation aux seules activités économiques était davantage conforme à la philosophie générale de ce texte et à celle qui sous-tend une telle cause exonératoire, laquelle repose sur l’idée qu’un équilibre doit être impérativement trouvé entre jouissance paisible et liberté d’entreprendre et de travailler.
L’un des amendements à l’article unique tend à revenir sur ce point : si la proposition de la commission est peut-être perfectible, il serait toutefois dommage, monsieur le garde des sceaux, que nous n’apportions aucune solution à ce que nous avons qualifié d’« inexactitudes ». Celles-ci ont été relevées, lors de nos auditions, par des magistrats qui auront un jour à connaître des difficultés d’application qu’elles entraînent.
En second lieu, la commission des lois a souhaité préciser la notion d’installation. Mal définie dans le code civil, celle-ci présente l’inconvénient de ne pas renvoyer à un acte, mais à un fait juridique : l’occupation par le nouveau voisin des lieux.
Suffit-il à quelqu’un de poser quelques meubles dans une maison pour qu’il puisse se prévaloir d’une quelconque légitimité pour déposer un recours ? L’appréciation d’une telle installation peut être sujette à interprétation.
La commission a donc renvoyé en la matière à un « acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage », notion qui présente le double avantage de prévoir une datation précise et de renvoyer à une réalité juridique plus objective et conforme au principe selon lequel « celui qui vient aux nuisances ne peut s’en plaindre ».
La discussion aura à nouveau lieu sur ce point, mais nous avons cherché à faire œuvre utile en précisant des notions qu’à défaut il appartiendra à la jurisprudence de circonscrire, avec les aléas et les incertitudes que cela emporte.
Enfin, nous avons souhaité compléter la codification de la jurisprudence qu’opère la présente proposition de loi, en prévoyant les conditions, actuellement déterminées par la jurisprudence, dans lesquelles le juge judiciaire peut, dans le cas d’une activité autorisée par l’administration, ordonner des mesures visant la réduction ou la cessation du trouble anormal de voisinage.
Nous avons tenu compte à cet égard de la jurisprudence du Tribunal des conflits, qui a émis des réserves sur la compétence du juge judiciaire en la matière, au vu notamment du nécessaire respect de la séparation des pouvoirs. Il me semble qu’ainsi nous les satisfaisons pleinement.
Selon nous, ce texte sera significativement complété et sécurisé au terme de son examen par notre assemblée. Il présente l’intérêt d’apporter des éléments de réponse cruciaux aux difficultés rencontrées par les exploitants agricoles en matière de troubles anormaux de voisinage.
Dans ces conditions, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi, qui concrétise un effort attendu et nécessaire de codification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, régulièrement, les médias attirent notre attention sur des contentieux liés à des troubles de voisinage en milieu rural, en raison du mode de vie à la campagne ou des activités agricoles.
Le son des cloches de l’angélus, le chant du coq, le bruit des tracteurs et des moissonneuses-batteuses, les odeurs à proximité d’exploitations agricoles, le meuglement des vaches, le bêlement des brebis : oui, la ruralité a ses spécificités liées aux diverses nécessités du travail agricole et à la vie villageoise.
S’ils peuvent prêter à sourire tant ils apparaissent cocasses, anecdotiques ou semblent reposer sur des motifs futiles, ces litiges traduisent parfois des situations très complexes.
L’anormalité de ces troubles de voisinage est appréciée in concreto par le juge qui se fonde sur une jurisprudence abondante.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi a pour objet de moderniser et de compléter le droit de la responsabilité civile en insérant dans le code civil un volet relatif aux conflits de voisinage.
Elle consacre ainsi une jurisprudence bien établie, afin que le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage à la campagne, comme à la ville, puisse être appliqué à l’ensemble du territoire de manière uniforme.
Une exception à ce principe est néanmoins prévue par le texte. En effet, le juge peut écarter cette responsabilité, dès lors que le trouble résulte d’une activité qui est à la fois préexistante à l’installation du nouveau voisin et conforme à la législation en vigueur, et que cette activité s’est poursuivie dans les mêmes conditions après l’installation du nouvel arrivant.
Ces trois conditions cumulatives garantissent ainsi un juste équilibre entre les intérêts de chacun.
Je partage la position de la commission des lois, qui souhaite améliorer le dispositif proposé et remédier à la principale difficulté à laquelle les exploitations agricoles peuvent être confrontées : ainsi, sur proposition de la rapporteure, un exploitant qui aura modifié les conditions d’exercice de son activité, afin de les mettre en conformité avec les nouvelles normes, ne pourra plus voir sa responsabilité engagée en cas de trouble anormal qui résulterait de cette mise en conformité. Je me réjouis de l’insertion de cette précision.
Avant de conclure, je tiens tout particulièrement à saluer l’action de médiation et de conciliation des maires des petites communes rurales. En effet, ils œuvrent avec dévouement et abnégation à l’apaisement des relations de voisinage entre les ruraux et les nouveaux arrivants lorsqu’un désaccord surgit.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi, en apportant clarté et cohérence au droit de la responsabilité civile, est la bienvenue.
Elle n’empêchera pas certains procès d’avoir lieu, mais elle fournira un cadre juridique plus stable et homogène aux juges. Elle permettra de réduire les conflits de voisinage, en protégeant notamment nos agriculteurs contre les actions abusives intentées par certains nouveaux habitants des territoires ruraux. Elle aidera également les maires qui se trouvent en première ligne pour tenter de désamorcer ces conflits.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi, utilement modifiée en commission. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard. Monsieur Patriat, permettez-moi tout d’abord de vous faire part à mon tour, à la suite de M. le président du Sénat, de M. le président du groupe Union Centriste et de Mme la rapporteure, de tout le soutien et de toute la sympathie de mon groupe.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question de l’inscription du régime de la responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage dans le code civil a déjà fait l’objet de diverses propositions de loi d’origine sénatoriale par le passé. Ce texte s’inscrit dans un travail plus large d’adaptation de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Comme cela a été évoqué à de nombreuses reprises au cours de nos travaux, la responsabilité civile – ou l’obligation pour chacun de répondre du dommage causé à autrui et d’en assumer les conséquences – repose actuellement sur cinq articles du code civil, qui sont vieux de plus de 200 ans.
Ainsi, cette notion n’a été modernisée, au fil des divers bouleversements qui ont restructuré notre société, qu’au travers d’une importante construction jurisprudentielle issue des arrêts de la Cour de cassation. Cela n’apparaît plus suffisant aujourd’hui. Aussi ne peut-on que se réjouir de légiférer pour mieux encadrer ce droit, qui est le fondement de notre vie en société, la base de notre capacité à cohabiter.
Mes chers collègues, je veux saluer le travail de la commission, en particulier celui de la rapporteure Françoise Gatel, qui s’est attachée à préciser la rédaction de la clause d’exonération à la reconnaissance du trouble anormal de voisinage – c’était nécessaire. L’adoption en commission de son amendement a également apporté de précieuses clarifications sur les conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut accorder des dommages et intérêts au demandeur et ordonner au défendeur de réduire ou de faire cesser le trouble.
Enfin, je tiens à remercier la députée Nicole Le Peih. L’inscription dans le code civil du régime de la responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage a été souvent envisagée, mais toujours repoussée. On ne peut donc que féliciter notre collègue de l’Assemblée nationale de sa persévérance.
Chacun d’entre nous peut un jour être confronté aux troubles du voisinage : nous ne vivons pas retranchés dans des îlots déconnectés du monde, nous habitons aux côtés des autres. Au-delà des voisins en conflit, qui sont les premiers intéressés, ce sujet concerne aussi les maires, bien souvent en première ligne et, si j’ose dire, à portée d’engueulade.
En effet, ces derniers sont régulièrement interpellés et sollicités pour résoudre les troubles de voisinage. Il en va de même pour les préfets, les procureurs, les juridictions, alors que l’on dénombre près de 18 000 dossiers ayant trait à un trouble anormal du voisinage.
Bien entendu, certaines de ces plaintes sont sans fondement : alors que le salon de l’agriculture vient de se clore, je ne peux que partager l’agacement des centaines d’agriculteurs qui, accusés de nuisances par leurs voisins néoruraux, sont forcés de s’expliquer devant le tribunal au sujet des effluves qui émanent de leurs troupeaux ou des bruits de leurs moissonneuses-batteuses – vous l’avez relevé, monsieur le garde des sceaux. Ces contraintes sonores ou olfactives sont, parmi d’autres, inhérentes aux activités d’une exploitation agricole.
Peut-être avez-vous d’ailleurs suivi l’affaire du fameux coq Maurice, traîné devant les tribunaux par ses voisins qui l’accusaient de chanter dès l’aube : elle a fini par mobiliser les médias du monde entier. Nous pouvons en sourire, mais ces péripéties judiciaires pèsent sur le moral des agriculteurs et peuvent même détruire des vocations à l’égard d’une profession pourtant indispensable à notre souveraineté alimentaire.
Aujourd’hui, nous protégeons non plus le chant du coq Maurice, mais bien le caquètement des poules délivrées de leurs batteries. Sur ce point, les agriculteurs peuvent être rassurés : comme je viens de le rappeler, en commission, en adoptant un amendement de la rapporteure, nous avons introduit une clause les protégeant des plaintes pour nuisance liées à leur activité agricole, quand bien même celle-ci viendrait à évoluer pour se conformer à de nouvelles normes.
Plus globalement, nous considérons que cette proposition de loi, qui codifie la jurisprudence, est indubitablement la bienvenue, dans un contexte de judiciarisation croissante des problèmes de voisinage. Le dispositif proposé est clair et équilibré et la clause exonératoire, fondée sur la théorie de la pré-occupation et ses trois critères – respect de la législation, antériorité du trouble et poursuite, dans les mêmes conditions, de l’activité qui en est à l’origine – est empreinte de réalisme.
Enfin, si nos débats portent sur une proposition de loi, pour répondre aux troubles anormaux de voisinage, n’oublions pas la prépondérance des liens sociaux et des relations de proximité à l’échelle du quartier : bien souvent, ils demeurent les meilleurs remèdes aux maux humains. C’est bien lorsque toutes les modalités de dialogue et de conciliation ont été épuisées que cette loi doit s’appliquer.
Mes chers collègues, je vous confirme, car vous l’aurez compris, que le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Catherine Di Folco applaudit également.)