M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez posé de nombreuses questions, mais je répondrai plus particulièrement à vos deux interpellations portant sur le point d’indice et le financement de la protection civile.
Sur le point d’indice, il n’aurait pas été, à mon sens, responsable de ne pas proposer aux agents publics de mesures face au choc inflationniste que nous avons rencontré. La demande était également de protéger les fonctionnaires contractuels, car l’augmentation de l’inflation érode leur pouvoir d’achat.
Les collectivités territoriales sont des employeurs publics. Nous n’allons pas commencer à créer un système compensatoire dans lequel l’État couvrirait chaque augmentation du point d’indice. S’engager dans cette voie serait admettre que les collectivités n’ont plus de responsabilités en tant qu’employeurs, et il nous faudrait alors aussi évoquer la décorrélation du point d’indice. Dans ce cadre, plus aucune mesure générale ne s’appliquerait et les collectivités territoriales seraient, en l’absence d’un point d’indice commun, pleinement responsables de leur politique salariale. Si vous souhaitez vous engager dans cette voie, soit, mais alors allons au bout des choses ; pour ma part, je suis prêt à en débattre.
En tout état de cause, il n’est pas sain, selon moi, d’entrer dans un système de compensation automatique des collectivités territoriales à la moindre revalorisation du point d’indice.
En ce qui concerne le financement de la protection civile, monsieur le sénateur, vous savez qu’une fraction très dynamique de la TSCA est affectée aux départements en vue de financer les Sdis. Celle-ci s’est élevée à 1,4 milliard d’euros en 2023, contre 900 millions d’euros initialement. En dix ans, cette fraction a augmenté de plus de 36 %.
Le département des Hautes-Alpes a ainsi perçu plus de 3 millions d’euros, contre 2 millions d’euros dix ans plus tôt. À l’occasion du débat sur le projet de loi de finances, nous avons d’ailleurs émis un avis favorable sur un amendement présenté par le rapporteur général, Jean-François Husson, pour augmenter de 50 % la part de la TSCA affectée au financement, notamment, du bataillon de marins-pompiers de Marseille et pour créer une participation de 3,6 millions d’euros en faveur du financement du Sdis de Mayotte.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous avons donc réussi à construire, ensemble, les bases d’un renforcement des moyens à destination du financement de la protection civile.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le ministre, regarder la situation des départements, ce n’est pas uniquement s’intéresser à l’effet de ciseaux financier actuel ou à la fiscalité, c’est aussi, comme l’évoquait mon collègue précédemment, considérer la pente des dépenses.
De ce point de vue, je veux, pour illustrer mon propos, m’arrêter sur la protection de l’enfance.
Le nombre des mesures engagées au titre des enfants placés à l’échelle nationale a quasi doublé en vingt ans, avec une accélération brutale depuis 2019. Dans le département dont je suis élu, la part du budget de fonctionnement consacrée à la protection de l’enfance représente 160 millions d’euros, sur un total de 640 millions d’euros ; elle était de 100 millions d’euros voilà huit ans.
Si, en France, notre société va globalement bien, la proportion de ceux qui vont mal est de plus en plus forte, et les statistiques sont là pour le prouver. Sur le plan psychiatrique, considérant la tranche d’âge de 18 à 24 ans, un jeune garçon sur huit et une jeune fille sur quatre ont connu un épisode dépressif au cours de l’année écoulée. Cette statistique est constante depuis le covid. Pour les plus jeunes, la proportion est équivalente.
Depuis les vagues de décentralisation, la forme d’intervention de l’État social a éclaté en morceaux. Elle n’est toujours pas clarifiée. Départements, caisses d’allocations familiales (CAF), agences régionales de santé (ARS), tribunaux, éducation nationale, communes, quelquefois même établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : l’État social est protéiforme, non coordonné. Il n’y a toujours pas de chef de file réel sur la protection de l’enfance. Les financements et les acteurs sont chacun dans leur couloir, chacun avec leur chefferie.
Monsieur le ministre, face à la hausse exponentielle des dépenses à venir dans les prochaines années, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les départements ? Envisage-t-il une réforme structurelle, avec l’affirmation du rôle de chef de file ? Ou entend-il procéder à une recentralisation, comme l’évoquait Charlotte Caubel lorsqu’elle était secrétaire d’État ? Quelle est la position du Gouvernement de ce point de vue ?
Du point de vue financier, comment compte-t-il absorber le choc de l’éclatement des familles ? Quel regard portera-t-il sur les excédents constatés chaque année de la branche famille de la CAF, notamment en matière de prévention sur le terrain ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, les questions relatives à la protection dans l’enfance sont autant de préoccupations partagées, je le sais. D’ailleurs, un rapport d’information du Sénat a montré que les mesures liées à l’aide sociale à l’enfance ont connu une progression de 29 % entre 2007 et 2021.
Pour accompagner cette demande supplémentaire, l’État et les départements sont au rendez-vous. Sachez que l’État a augmenté, pour 2024, son soutien à hauteur de plus de 314 millions d’euros.
Un certain nombre de dispositifs ont ainsi été mis en œuvre. Les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance ont été augmentés de 140 millions d’euros. Le budget de la prévention des sorties sèches des jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance (ASE) est abondé de 50 millions d’euros. L’État participe aux revalorisations salariales dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) pour 34 millions d’euros. Pour l’accompagnement des mineurs non accompagnés, à la suite d’une demande très importante de Départements de France, l’État a majoré son financement à hauteur de 100 millions d’euros.
Bref, pour toutes ces politiques publiques difficiles, sur lesquelles une forte demande existe, l’État se tient toujours aux côtés des départements. Les chiffres que je viens de vous présenter l’illustrent.
Monsieur le sénateur, vous posez ensuite une autre question : celle de l’enchevêtrement des compétences et de la complexité de notre action publique territoriale, en particulier sur la question sociale. Le Président de la République a confié à Éric Woerth une mission sur la décentralisation, afin de faire des propositions permettant d’aller le plus loin possible dans la simplification des compétences, ce à quoi je suis très favorable. Il faut que, derrière chaque compétence, il y ait une collectivité chef de file, pleinement en responsabilité. Je vous invite à participer aux travaux de la mission Woerth, qui rendra prochainement ses conclusions.
M. Jean-François Husson. Nous sommes assez grands pour savoir quoi faire !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, partageons la vérité. Dans un rapport publié en décembre dernier, le Conseil des prélèvements obligatoires formulait le souhait que soit engagée une réflexion sur « le niveau et l’affectation des DMTO visant à moins taxer l’acquisition de logements et à compenser le manque à gagner pour les finances publiques ». L’hypothèse d’une suppression pure et simple des DMTO est même avancée dans la conclusion de ce rapport !
Cela a été dit, les départements sont confrontés à une chute sans précédent de leurs recettes, avec 7,5 milliards d’euros de perte en 2024. Dans leur histoire, ils n’ont jamais été autant tributaires de la double tutelle de l’État, via les dotations et l’affectation d’une fraction des recettes de la TVA.
Selon vous, monsieur le ministre, l’affectation de la TVA serait une bonne nouvelle, mais l’article 72-2 de la Constitution est balayé par cette affectation d’une fraction de la TVA ; c’est la fin de l’autonomie !
La démocratie locale s’en trouve altérée et menacée. Les services publics départementaux constituent encore le premier levier de la redistribution, le plus fidèle soutien des communes et le meilleur outil de cohésion territoriale. Or, du fait de la double tutelle que vous leur imposez, les départements doivent soit revoir à la baisse leurs prestations, soit rehausser le coût des services publics pour les usagers.
On est ainsi en train de porter atteinte au dernier levier fiscal de l’échelon départemental. Je vous le demande : abandonnez purement et simplement l’idée de cette suppression.
Par ailleurs, si vous soulevez l’argument de la fragilité des DMTO, quelles sont alors vos propositions concrètes pour créer de nouveaux leviers fiscaux garantissant la pérennité des services publics départementaux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord de vous rassurer : il n’y a pas de projet de suppression des DMTO.
M. Pascal Savoldelli. Mais si !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, c’est un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, ce n’est pas une proposition du Gouvernement !
M. Pascal Savoldelli. Oh, pardon… (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je vous l’affirme, il n’y a pas de projet de suppression des droits de mutation à titre onéreux : j’espère que cela vous rassure.
Pour autant, vous abordez un sujet important, qui n’est d’ailleurs pas nouveau – nous en avions déjà débattu lors de l’examen du projet de loi de finances –, à savoir la distinction entre l’autonomie fiscale et l’autonomie financière.
Qu’est-ce qui garantit la libre administration des collectivités territoriales ? C’est l’autonomie financière, c’est-à-dire par la capacité d’avoir des ressources et de les employer librement.
M. Laurent Somon. Pas toujours !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. L’autonomie fiscale, c’est la capacité de moduler le taux d’un impôt. Mais au service de quel projet ? Celui de renforcer la concurrence territoriale ? (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, UC et Les Républicains.) Car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Est-il plus important d’avoir une autonomie financière ou une autonomie fiscale ?
Mme Anne-Catherine Loisier. Les deux !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Que garantit la Constitution ? Elle garantit l’autonomie financière ! Je vous invite d’ailleurs à lire la récente communication sur l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales du rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve, qui permet de constater leur évolution dans le temps. L’autonomie financière des départements a progressé, tandis que, naturellement, l’autonomie fiscale des collectivités a régressé, je vous le concède. Mais c’est l’autonomie financière qui est la plus importante pour la libre administration des collectivités. Quel est le projet, derrière l’autonomie fiscale ? C’est la mise en concurrence entre les territoires. Est-ce véritablement de cela que nous avons besoin pour garantir l’unité du pays et le bon aménagement du territoire ?
M. François Bonneau. Les choses ne fonctionnent pas ainsi !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. J’espère vous avoir rassuré, monsieur le sénateur : nous ne projetons pas de supprimer les DMTO, et nous défendons l’autonomie financière des départements.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, si je ne doute pas de votre sincérité personnelle, je doute en revanche de votre sincérité politique. En effet, c’est votre gouvernement qui a supprimé la CVAE et la taxe d’habitation, sans prévenir !
M. Pascal Savoldelli. Par ailleurs, qui vous croira, dans cet hémicycle ? Il n’y a pas d’autonomie financière en dehors de l’autonomie fiscale pour les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Eh non !
M. Pascal Savoldelli. En ouverture du débat, vous parliez de dépenses partagées et de responsabilité partagée. Mais monsieur le ministre, dans le Val-de-Marne, il y a 100 000 demandeurs de logements sociaux depuis 2010, il y a 43 000 allocataires du RSA, et ce chiffre augmentera avec la création de France Travail, et 27 communes sont classées à risque d’inondation. Voyez-vous quelles sont les responsabilités de nos collectivités ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Oui, monsieur le ministre, il faut partager les responsabilités : autonomie fiscale et autonomie financière sont pour les départements un couple indéfectible ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’organisation de ce débat sur les finances des départements, particulièrement affectées par la conjoncture économique et sociale.
Anticipant la baisse du produit des DMTO, de nombreux départements ont heureusement eu la prudence de mettre en réserve des recettes exceptionnelles. Cependant, ces ressources fondent comme neige au soleil en raison de la contraction économique, car elles amortissent la hausse exponentielle des dépenses sociales, l’inflation ou encore la lutte contre les aléas climatiques.
L’effet de ciseaux tant décrié par les départements est devenu une constante budgétaire et chaque nouvelle annonce alourdit un peu plus cet effet « de sécateur ».
La suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), au-delà de son caractère inique du point de vue social, correspond en réalité à un transfert de charges d’environ 2 milliards d’euros – coquette somme – vers les collectivités départementales.
Autre exemple : les quinze heures de bénévolat que France Travail prévoit pour les allocataires du RSA ne pourront pas se faire sans accompagnement humain. Rien qu’à l’échelle du Lot-et-Garonne, cela représente 600 000 heures par mois…
Sans autonomie fiscale, l’impossibilité de prévoir ces coûts pour les collectivités se traduira par un recul de l’investissement public, pourtant au cœur des missions des départements en faveur de la solidarité territoriale.
Monsieur le ministre, vous connaissez le rôle de pilier que jouent les départements dans notre équilibre institutionnel. Le moment n’est-il pas venu, alors qu’une mission sur la décentralisation est en cours, d’instaurer des clauses de revoyure sur les compensations financières de l’État envers les départements, en matière tant de suppression des recettes que de transferts de charges ? (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous devons mener jusqu’au bout le chantier de la décentralisation, dans le cadre de la mission confiée à Éric Woerth. Nous avons besoin de clarifier les responsabilités et les compétences de chaque échelon territorial, mais aussi de poser la question du financement. Le mandat confié à la mission dirigée par Éric Woerth est large, il porte à la fois sur les compétences et sur les financements des collectivités territoriales.
Vous l’avez indiqué, les départements exercent des compétences particulières dans le champ social et, d’une certaine manière, les compétences des départements et de l’État en matière d’emploi et de politiques sociales sont complémentaires.
Quand l’État affecte, dans le cadre de la mise en place de France Travail, 300 millions d’euros supplémentaires pour mieux accompagner les demandeurs d’emploi, mais aussi les bénéficiaires du RSA, il joue le jeu des départements : mieux accompagner les bénéficiaires du RSA, c’est les aider à retrouver plus facilement un emploi et donc réduire les dépenses des départements. Activer la politique de l’emploi permet aux départements de faire des économies. D’où notre intérêt à garantir la meilleure collaboration possible entre le service public de l’emploi, France Travail, et les départements. Accompagner un maximum de personnes vers le retour à l’emploi constitue donc un enjeu fondamental, tant pour les départements que pour l’État ou les finances publiques.
Soyez assurés que la question de la fin programmée de l’ASS n’est pas directement un sujet pour les départements, car on souhaite en même temps accélérer le retour à l’emploi d’un certain nombre de bénéficiaires du RSA. (Mme Pascale Gruny proteste.)
Enfin, je souhaite revenir sur la question de la dynamique fiscale. Les recettes de la TVA ont toujours été plus dynamiques que celles de la CVAE ou de la taxe foncière. Il s’agit d’une bonne ressource, dynamique, pour les départements, je le répète. J’en veux pour preuve le fait que l’affectation d’une fraction de TVA aux régions a eu sur les finances de ces dernières un effet plutôt positif, par rapport au rendement de la CVAE, imprévisible et difficile à piloter dans le temps.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, si nous partageons le constat que 2023 a constitué une année délicate pour les finances des départements, permettez-moi d’insister sur deux points.
D’une part, la situation est hétérogène : la conjoncture immobilière dégradée en 2023 provoque une réduction de 20 % du montant des droits de mutation à titre onéreux, l’une des principales recettes des départements, mais l’impact de la crise immobilière n’est pas le même selon les territoires. Par ailleurs, le montant global des dépenses en matière d’action sociale varie également selon les collectivités. Ces deux facteurs expliquent pourquoi certains départements se portent financièrement moins bien que d’autres.
D’autre part, permettez-moi de rappeler que, lors des années antérieures à 2023, l’évolution des finances des départements avait été favorable. La direction générale des collectivités locales déclarait en octobre dernier qu’après une amélioration de leur situation financière en 2021, les départements avaient affiché en 2022 des résultats globalement favorables. Les évolutions positives des recettes de fonctionnement et l’augmentation du point d’indice ont permis à l’épargne brute des départements de croître de 5,3 % en 2022.
Si les résultats de 2023 restent préoccupants, je rappelle que le Gouvernement a tenu, dans la loi de finances pour 2024, à soutenir les départements. En effet, un abondement de l’État a été décidé afin de doubler le montant du fonds de sauvegarde et de le faire atteindre un montant global de 106 millions d’euros.
Tout à l’heure, j’entendais affirmer que ce montant n’était pas suffisant, mais sortons de nos contradictions ! Un jour, on se plaint à juste titre de la dérive de nos finances publiques et le lendemain on ne rate pas l’occasion de demander plus ! Monsieur le ministre, quelle sera l’ampleur du soutien accordé et quels départements en bénéficieront-ils ?
Enfin, dans une période où les élus locaux exigent davantage de décentralisation, je préfère moi aussi parler d’autonomie financière que d’autonomie fiscale. Sans assiette, sans base, l’autonomie fiscale ne sert à rien !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Didier Rambaud. Rappelons que les départements mettent en œuvre, au-delà de leurs compétences sociales 12 milliards d’euros d’investissement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez dressé le bon constat, celui de l’hétérogénéité de la situation des départements. Nous pouvons tous en convenir, nous le voyons dans nos territoires : certains départements sont plus affectés par la crise que d’autres, parce qu’ils sont plus dépendants de la situation immobilière ou parce que le nombre de bénéficiaires du RSA y est en hausse. Au lieu de répondre de la même manière pour tous les départements, il faut faire du cousu main. C’est précisément ce que nous avons fait avec le fonds de sauvegarde, alimenté à hauteur de 300 millions d’euros par la TVA et pour lequel l’État a doublé sa part pour accompagner les départements, oui, doublé !
M. Jean-François Husson. Incroyable ! (Sourires.)
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Quatorze départements sont ainsi accompagnés par une mobilisation du fonds de solidarité, ceux qui ont connu une baisse très importante de leur épargne nette ou brute. Deux d’entre eux ont une épargne négative : le Val-de-Marne et la Gironde. L’enjeu, c’est de mobiliser le fonds de solidarité en fonction de la situation. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.)
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, nous sommes convenus d’apporter une réponse concrète, cousue main. J’ai toujours défendu cette idée : n’ayons pas une vision homogène des collectivités territoriales, car nos territoires sont tous différents, vous êtes bien placés pour le savoir, mesdames, messieurs les sénateurs. Adoptons donc des réponses circonstanciées, adaptées. Je crois à la logique du fonds de solidarité, que nous avons « dopé » dans le budget 2024.
M. Jean-François Husson. Aucune solution !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, le Sénat avait décidé un soutien de 100 millions d’euros au profit des départements confrontés à une forte dégradation de leur situation financière.
Malgré les difficultés que cet échelon territorial indispensable à nos concitoyens rencontre, le Gouvernement persiste à aggraver ses charges en supprimant sans aucune concertation l’allocation de solidarité spécifique.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas ignorer les conséquences financières que cette décision impose aux départements. En plus de la baisse des DMTO, de l’augmentation des charges de personnels et des dépenses sociales, cette décision met en péril l’équilibre budgétaire déjà fragile de nos départements.
Le basculement des 320 000 bénéficiaires de l’ASS vers le RSA coûterait plus de 2 milliards d’euros aux départements. Pour la seule Haute-Vienne, le coût financier dépasserait 7 millions d’euros. Cette réalité économique met en lumière une situation déjà délicate. Sans mesures compensatoires, les départements devront renoncer à autant de politiques publiques pourtant essentielles à la vie de nos concitoyens.
Compte tenu de la pression qui existe sur les ressources des collectivités locales, de quelle manière l’État compensera-t-il la suppression de l’ASS imposée aux départements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je vous remercie de rappeler que nous avons mis en place le fonds de solidarité à destination des départements. Nous en avons doublé l’enveloppe afin d’éviter l’effet de ciseaux entre la baisse des recettes – même si, je le répète, les DMTO ne sont pas la principale ressource des départements – et l’augmentation des dépenses de solidarité.
Avant d’évoquer la question de l’ASS, je rappelle que les dépenses des départements relatives au versement du RSA sont couvertes à 97,5 % par l’État. J’entends parfois certains parler de non-compensation des dépenses des départements par l’État, mais ce taux est historique.
Les travaux de concertation démarrent afin de déterminer l’impact de la suppression de l’ASS sur nos politiques publiques et sur les bénéficiaires du RSA. Cette suppression ne doit pas être considérée de manière isolée, car elle s’inscrit dans une politique plus globale qui défend le retour au travail, à l’emploi, et l’accompagnement vers l’activité de tous ceux qui en ont été éloignés, parfois pendant très longtemps. (Mme Silvana Silvani s’exclame.)
Notre objectif, c’est le plein emploi. Pour l’atteindre, il faut mieux accompagner les bénéficiaires du RSA. C’est à cela que vise la création de France Travail. Si nous attribuons 300 millions d’euros supplémentaires à cet organisme, afin notamment qu’il travaille mieux avec les conseils départementaux, c’est parce que ce défi est « gagnant-gagnant » pour les départements et l’État : si l’on accompagne mieux les bénéficiaires du RSA, cela fera moins de dépenses liées au RSA et à l’ASS. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
D’ailleurs, la réforme de l’ASS se fera progressivement. Comptez sur notre détermination à travailler avec les départements pour mieux accompagner les bénéficiaires du RSA et limiter les dépenses des départements au titre de cette politique.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le ministre, je crains de ne pas partager votre optimisme. Je ne crois pas à l’emploi magique.
Au-delà du problème financier, votre réforme provoquera une réduction des droits sociaux et la paupérisation de citoyens déjà fragiles. Je le rappelle, il est aujourd’hui possible de cumuler l’ASS et l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Cela ne sera plus le cas si l’ASS est supprimée au profit d’un meilleur accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Plus de 300 000 personnes, pour moitié âgées de plus de 50 ans, sont mises en danger par cette réforme. Pour ces femmes et ces hommes, l’ASS était non seulement une aide financière, mais aussi un moyen d’acquérir des trimestres de retraite. Cette suppression revient à accroître la précarité pour bon nombre de nos concitoyens et pour nos départements. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)