M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. … qui, de plus, n’est pas transposable en France.
Mme Catherine Di Folco. Exactement !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cependant, nous ne devons pas rester sourds à ce qui se passe dans d’autres pays, notamment européens. L’ensemble des 27 pays de l’Union européenne autorisent désormais l’IVG. Dans 24 pays, l’avortement est autorisé sous conditions – proches de celles qui existent en France. Seuls deux pays, Malte et la Pologne, fixent des conditions très restrictives, et la Hongrie a imposé, en 2022, l’obligation pour la femme souhaitant avorter d’écouter les battements de cœur du fœtus.
Dans le reste du monde, la situation est plus contrastée. L’avortement est autorisé dans seulement 77 pays et complètement interdit dans 22. Mais aucun État ne fait explicitement référence à l’IVG dans sa Constitution, sauf pour l’interdire.
Aujourd’hui, aucune contestation du droit à l’IVG n’est portée en France dans le débat politique, comme le reconnaît le Gouvernement dans l’exposé de ses motifs. Aucun parti politique, aucun groupe parlementaire ne s’oppose à cette liberté fondamentale. Le vote massif et transpartisan intervenu à l’Assemblée nationale en faveur de la constitutionnalisation en est la preuve.
Toutefois, les effets juridiques de cette constitutionnalisation seront plus que limités.
Cette inscription ne sera qu’une consécration constitutionnelle symbolique, comme l’affirme le Conseil d’État dans son avis du 7 décembre dernier. L’inscription noir sur blanc dans la Constitution permettra de consacrer la liberté de recourir à l’IVG, qui acquerra une place éminente dans l’ordre juridique, mais celle-ci ne sera nullement sanctuarisée. Certes, sa suppression nécessitera une révision constitutionnelle. Mais notre loi fondamentale a déjà été révisée 24 fois, et un changement de régime n’est jamais impossible !
La consécration constitutionnelle n’apportera donc aucune garantie juridique absolue, et encore moins une protection renforcée.
Depuis 1975, le Conseil constitutionnel a toujours protégé avec force et constance le droit à l’avortement en France. Dans leur décision du 27 juin 2001, les juges constitutionnels ont clairement affirmé que la liberté de recourir à l’IVG était une composante de la liberté de la femme découlant de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel dispose d’ores et déjà de tous les outils juridiques pour protéger cette liberté fondamentale et assurer sa conciliation avec les autres libertés que sont la sauvegarde de la dignité humaine et la liberté de conscience des médecins.
La rédaction proposée par le Gouvernement conforte, à notre avis, la recherche d’une simple consécration symbolique dans la Constitution.
Proche de la formulation adoptée par le Sénat en février 2023, le projet de loi reprend l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG à l’article 34 de la Constitution.
De l’aveu même des nombreux constitutionnalistes auditionnés, aucune place dans la Constitution de 1958 ne permet d’accueillir naturellement le droit à l’IVG. Notre loi fondamentale a été conçue non pas comme un catalogue de droits, mais comme la règle du jeu des institutions. L’énonciation des droits et libertés relève avant tout des « accessoires » à la Constitution que sont le préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Charte de l’environnement.
L’inscription à l’article 34 est donc un moindre mal.
Cet article procédural énumère les matières qui sont du domaine de la loi. Le législateur étant déjà compétent pour fixer les règles concernant les garanties apportées aux libertés fondamentales, dont fait partie l’IVG, l’ajout exprès ne modifie pas les prérogatives du Parlement.
Comme vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, la formulation retenue par le Gouvernement – « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » – reprend celle du Sénat à 95 % – notre collègue Mélanie Vogel parle de « 105 % »… (Sourires.)
Dans sa réflexion, la commission des lois a tenu compte de cette avancée dans la recherche d’un compromis, d’autant que le Sénat, par la voix de notre collègue Philippe Bas, est à l’origine de cette nouvelle formulation.
Cependant, deux différences notables subsistent.
La première doit pouvoir être traitée facilement, puisqu’elle porte sur l’utilisation du terme « IVG », au lieu de l’expression « mettre fin à sa grossesse ». Cette substitution n’est pas neutre : nous savons qu’elle est essentielle pour les défenseurs de la constitutionnalisation symbolique de la liberté de recourir à l’IVG, car c’est le terme de la loi Veil. C’est pourquoi je proposerai au Sénat d’accepter d’inscrire le terme « IVG » dans la Constitution.
La seconde soulève plus d’interrogations, puisqu’elle introduit un nouveau concept de « liberté garantie », dont les contours juridiques sont mal définis.
Certes, comme vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, le terme « garantie » est utilisé à plusieurs reprises dans les textes constitutionnels. Je pense au préambule de la Constitution de 1946 ou encore à l’article 61-1 de la Constitution.
Mais il est surtout inscrit à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Cet article socle affirme clairement que, dès lors qu’elle est inscrite dans la Constitution, une liberté est garantie.
Pourquoi donc le réaffirmer pour l’IVG, et non pour toutes les autres libertés fondamentales ? Pourquoi ajouter cet adjectif redondant, qui alourdit la rédaction de notre Constitution, sans renforcer la portée de ses dispositions ?
De même, la portée juridique du concept de « liberté garantie » n’est pas limpide. Crée-t-il un droit opposable ? Le Conseil constitutionnel l’interprétera-t-il de manière à censurer une loi qui limiterait les possibilités de recourir à l’IVG ? Rien n’est moins sûr, car le Conseil constitutionnel ne s’estime lié ni par les avis du Conseil d’État ni par les débats parlementaires.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, la commission des lois du Sénat est favorable à la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
La défense de cette liberté fondamentale est un combat livré par de nombreuses femmes et de nombreux hommes. Nous devons continuer à agir pour que toutes les femmes puissent accéder à cette liberté sur tout le territoire français, en s’assurant qu’aucune régression ne vienne en limiter les effets.
Mais, aujourd’hui, nous sommes avant tout constituant. Le texte que vous allez voter, mes chers collègues, n’est pas une simple loi ordinaire : c’est un projet de loi constitutionnelle. Il définira les termes qui seront inscrits dans notre loi fondamentale. Notre responsabilité est grande !
Proche du texte adopté par le Sénat en février 2023, ce projet de loi constitutionnelle ne modifie pas fondamentalement les équilibres juridiques. C’est avant tout une avancée symbolique.
Dès lors, la commission des lois a considéré que les incertitudes rédactionnelles ne pouvaient retarder l’adoption d’un texte conforme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
J’entends les pressions fortes qui pèsent sur chacune et chacun d’entre nous pour constitutionnaliser l’IVG. Dans ce débat passionnant, il appartiendra à chacun de se déterminer en fonction de ses propres convictions. (Applaudissements.)
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Ravier, d’une motion n° 4.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat s’oppose à l’ensemble du projet de loi constitutionnel relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (n° 299, 2023-2024).
La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la motion.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à la réflexion, je vous le concède, la gauche a raison : aujourd’hui, en France, la loi Veil est menacée.
« Le respect de tout être humain dès le commencement de la vie », garanti par l’article 1er de la loi Veil, est menacé, tout autant que la clause de conscience des professionnels de santé et la liberté d’expression et de communication à ce sujet.
Simone Veil, de son Panthéon, nous le dit encore, comme elle nous le disait avec toute sa conviction : « L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. » (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Vous voudriez faire d’une dérogation un accomplissement, d’une exception un droit absolu et sans limites, d’une réserve un monument. (Murmures désapprobateurs sur les travées des groupes SER et GEST.) Vous voulez « panthéoniser » l’avortement !
Mais, dans la Constitution comme au Panthéon, la place est limitée. Et, s’il ne faut toucher à la loi « que d’une main tremblante », il ne faut réviser la Constitution qu’avec la crainte de l’architecte qui touche à la clé de voûte de l’édifice national.
Vous voulez panthéoniser l’avortement aux côtés du principe de précaution de 2004, de la garantie des « droits inaliénables et sacrés » de tout être humain de 1946, de la « liberté de conscience » de 1789.
Vous voulez faire entrer l’avortement au panthéon des institutions (Mme Émilienne Poumirol s’insurge.), alors qu’un certain Schœlcher est entré au panthéon des hommes pour avoir mis fin à l’esclavage (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.), qui était pour lui « un attentat contre la dignité humaine ». Au même titre que nous l’avons fait pour les esclaves dans le passé, nous serions bien avisés de réfléchir à l’obtention de la personnalité juridique pour les vies à naître ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Tenez-vous vraiment, mes chers collègues, à rejoindre le dictateur communiste Tito, qui fut le seul dans l’histoire du monde à graver l’avortement dans le marbre d’une constitution, la constitution yougoslave ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) « Constituer » signifie « bâtir », « édifier », et ne peut rimer avec « avorter » !
M. Yannick Jadot. Assumez !
M. Stéphane Ravier. Chers collègues de gauche, vous n’acceptez pas d’avoir été dépossédés, en 1975, par une élue de droite, soutenue par un gouvernement de droite (Vives exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.), de ce qui n’aurait jamais dû quitter votre giron idéologique.
Cessez de surjouer à vous faire peur et de vous rêver en résistants !
Mme Cécile Cukierman. Vous êtes cinglé !
M. Stéphane Ravier. Il n’y a aucune menace sur le droit à l’IVG dans notre pays. Aucune ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Patricia Schillinger. Si, vous !
Mme Cécile Cukierman. Fasciste ! C’est vous, la menace !
M. Stéphane Ravier. Chers collègues macronistes, vous voudriez une victoire symbolique, avec les idées de la gauche et les voix de la droite, pour faire oublier que, du Salon de l’agriculture aux salons de l’Élysée, c’est le désastre permanent pour votre champion ! Le Jupiter de pacotille persiste néanmoins dans son mépris des institutions, en ayant déjà livré la date du Congrès.
Chers collègues du Rassemblement national, n’oubliez pas les propos pas si lointains de votre présidente sur la dérive que constituent – je la cite – les « avortements de confort » ! De la dédiabolisation au reniement, il n’y a qu’un pas. L’abandon ne mène jamais à la victoire.
Chers collègues du centre et de droite, ne cédez pas à ce qui n’est qu’une opération d’agit-prop de la gauche ni à son chantage ! (Protestations.)
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue. (Huées et martèlements de pupitres sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC. – Le brouhaha couvre la voix de l’orateur.)
M. Stéphane Ravier. Je ne peux parler !
Mme la présidente. Je vous demande de conclure.
M. Stéphane Ravier. La gauche ne fait qu’instrumentaliser les soubresauts de la politique américaine. (Les coups sur les pupitres redoublent.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Stéphane Ravier. Le facho vous salue bien ! (M. Stéphane Ravier regagne sa place dans l’hémicycle.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Xavier Iacovelli et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur Ravier, votre seul mérite est votre constance à nous démontrer que nous avons raison de vous donner tort, comme nous le faisons d’ailleurs à chaque fois.
M. Stéphane Ravier. En m’empêchant de parler ! (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Thomas Dossus. Assieds-toi et ferme-la !
Mme Mélanie Vogel. Je ne vous ai pas empêché de parler, monsieur Ravier ! Asseyez-vous maintenant ! Votre temps de parole est écoulé.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je souhaite que nos débats conservent la sérénité qui est la marque de fabrique de notre assemblée…
M. Stéphane Ravier. Pas de la gauche !
Mme la présidente. … et qui contribue à la bonne image de nos travaux.
Je n’hésiterai pas, pour maintenir cette sérénité, à faire usage des prérogatives du règlement qui sont conférées à la présidence de séance.
Ce rappel étant fait, nous reprenons le cours normal de la discussion.
Veuillez poursuivre, madame Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Je vous remercie, madame la présidente. Je vous garantis que, pour ce qui me concerne, je m’exprimerai dans le temps qui m’a été imparti…
Chaque mot qui vient d’être prononcé est la preuve empirique – s’il en fallait encore – que les anti-choix sont toujours là.
Toutefois, ils sont aujourd’hui minoritaires. Et c’est parce que vous êtes minoritaires, monsieur Ravier, et parce que celles et ceux qui veulent que le droit à l’IVG devienne un droit fondamental sont majoritaires dans cette assemblée qu’il convient d’inscrire ce droit dans la Constitution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur certaines travées du groupe RDPI.)
Le projet de l’extrême droite est celui de tous les ultraconservateurs et néofascistes du monde entier : il s’agit de combattre les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs et tous les progrès acquis de haute lutte par les féministes depuis des décennies.
Le vote d’aujourd’hui vise à garantir une meilleure protection de l’interruption volontaire de grossesse.
Il vise aussi à affirmer que la France, et toute sa société, par la voix de son Parlement, donne tort à M. Ravier et à ses amis ; que notre pays choisit aujourd’hui définitivement son camp ; que la République ne sera plus jamais fragile dans la protection du droit de l’IVG et des libertés publiques ; qu’elle affirme sans tergiversation et sans ambiguïté que, oui, nous nous opposons à votre projet, monsieur Ravier ! La France entière vous dit que vous êtes minoritaires et que vous le serez toujours.
À partir de ce soir, vous pourrez toujours parler et vomir vos abominations (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.), mais vous n’aurez plus jamais le droit d’attaquer celui des femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois estime que le débat doit se faire. En effet, le sujet de la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse est fondamental, puisqu’il s’agit de modifier notre Constitution.
Ce débat doit se faire dans le respect et avec la volonté d’échanger des idées et des convictions.
C’est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur cette question préalable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Ravier, vous avez, me semble-t-il, été contre-productif pour la cause que vous soutenez. De fait, les sénateurs qui se demandaient si l’IVG était menacée ont obtenu une réponse en vous entendant, ce dont je vous remercie ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Au reste, tout le monde a bien compris que votre but n’était évidemment pas d’aider le Gouvernement…
Vous avez rappelé que la patronne de votre ancienne écurie parlait de l’avortement en termes curieux, puisqu’elle évoquait des « avortements de confort ». Certes, vous avez quitté Mme Le Pen pour aller chez M. Zemmour, mais, si j’ose dire, c’est encore pire ! (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Je vous remercie une nouvelle fois de votre intervention. Elle a été très utile, en ce qu’elle illustre que certaines personnes, aujourd’hui, continuent de s’opposer à l’IVG.
C’est la raison pour laquelle il faut protéger l’interruption volontaire de grossesse, qui constitue une liberté fondamentale pour les femmes.
Un certain nombre de parlementaires – je ne l’ai pas mentionné tout à l’heure – reçoivent encore régulièrement des fœtus en plastique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’espère que certains l’évoqueront dans leurs interventions, car c’est une réalité.
On me dit parfois que les États-Unis sont très loin. Certes, il faut franchir l’Atlantique ! Mais la Pologne, c’est plus près, et la Hongrie, encore plus.
Au reste, nous avons envie, en consacrant cette liberté, d’être progressistes et d’aller dans le bon sens. Je le pense vraiment : c’est une journée historique.
Merci encore, monsieur Ravier, de l’expression de votre haine ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Le Gouvernement est bien évidemment défavorable à cette motion.
Mme la présidente. En application du dernier alinéa de l’article 44 du règlement, la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe politique, pour une durée n’excédant pas deux minutes.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous ne voterons pas cette motion, l’ensemble de notre groupe étant profondément convaincu que le texte qui nous est soumis ici nous permettra de « faire République ». En effet, il vise à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes à disposer de leur corps.
Il nous permettra de faire République, parce que, en reconnaissant le droit à l’avortement dans la Constitution, il tend à asseoir la notion fondamentale d’égalité entre les femmes et les hommes. En faisant en sorte que les femmes disposent librement de leur corps, nous enfonçons un coin dans la domination des hommes sur les femmes.
Il nous permettra de faire République, parce que, au-delà des débats qui ont animé notre Haute Assemblée et des opinions de chacun, que nous respectons, il permettra – nous en sommes convaincus – de sortir des stigmates et des stéréotypes et, ainsi, d’incarner la fraternité.
Au nom de ces trois valeurs de notre République, que notre groupe, par son histoire et ses combats, …
M. Stéphane Ravier. Ceux de Mao ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Cécile Cukierman. … a toujours défendues, nous souhaitons, ce soir, réaffirmer le droit des femmes à disposer de leur corps.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons pas cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur certaines travées du RDPI. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.
Mme Nadège Havet. Ce texte a déjà été voté à l’Assemblée nationale, dans une formulation de compromis s’inspirant de nos débats précédents. Je salue ce choix.
Il nous est aujourd’hui demandé de l’adopter dans les mêmes termes, ce qui permettra de réunir le Congrès. Nous répondons mille fois « oui » !
Il me paraît fondamental d’inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution, car il sera beaucoup plus difficile de modifier celle-ci que de changer la loi.
Monsieur le sénateur Ravier, à votre corps défendant, vous êtes l’un des meilleurs arguments à l’appui de ce texte.
En 2022, vous évoquiez des « attaques à la vie ». Des reculs sont enregistrés dans plusieurs pays. La France peut, quant à elle, prendre un temps d’avance !
Si j’entends certains arguments juridiques – pas tous –, je pense que la Constitution est au cœur de notre pacte social. Il s’agit également d’y inscrire des principes fondamentaux.
En effet, aucun pays n’est jamais à l’abri d’une majorité politique susceptible d’abroger les dispositions autorisant l’avortement, la liberté d’y recourir et la contraception, ou d’en restreindre l’accès.
Je veux saluer ici toutes celles et tous ceux, sur toutes nos travées, qui se sont battus, depuis des décennies comme ces dernières années, pour protéger ce droit. Je pense en particulier à Mme Vogel.
Je veux aussi saluer toutes celles et tous ceux qui rendent ce droit effectif dans nos établissements de santé et font de la prévention et de l’accompagnement.
Le groupe RDPI se prononcera contre cette motion. Monsieur Ravier, la reconquête de nos droits commence maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 4, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 133 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 1 |
Contre | 342 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat du jour éveille en nous nombre de considérations politiques, philosophiques et morales. À ce titre, ce serait un manque de respect pour chacun d’entre nous que de tomber dans le manichéisme et la facilité.
Aucune position ne doit être méprisée, et, si la mienne est claire et mûrement réfléchie, nous devons pouvoir les entendre toutes.
L’argument selon lequel la Constitution n’a pas vocation à sanctuariser individuellement des droits et des libertés publiques et que la loi suffit est entendable, mais je rappelle que la Constitution est ce que le peuple et ses représentants veulent en faire. Sinon, on pourrait adresser le même reproche à l’intégration de normes complémentaires dans le bloc de constitutionnalité depuis des décennies, jusqu’à remettre en cause celle de la Charte de l’environnement, ce qui ne viendrait à l’esprit de personne.
Mes chers collègues, il est vrai de dire qu’aucune formation politique qui concourt régulièrement aux élections ne propose de restreindre l’accès à l’interruption volontaire de grossesse telle qu’elle est permise aujourd’hui et que, à ce titre, aucune menace ne pèserait actuellement sur ce droit acquis pour les femmes.
Mais, si aucune formation politique – j’y insiste – ne menace ce droit, une autre menace persiste à nos yeux : il s’agit évidemment de l’accentuation des revendications politico-religieuses, fondamentalistes et communautaristes et du péril islamiste, qui, insidieusement, mène chaque jour une conquête culturelle, politique et fatalement sociétale. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Ainsi, on observe déjà que d’aucuns de nos compatriotes ne peuvent assumer leur homosexualité dans certains quartiers confisqués, que nos compatriotes de confession juive y sont menacés, que les femmes y sont tenues d’obéir pour préserver leur intégrité physique, quand bien même on leur demande de paraître libres et consentantes.
Je crains qu’un jour la faiblesse, la complicité politique et les réalités démographiques n’amènent à des accommodements raisonnables, comme il en existe dans les pays anglo-saxons, et que l’on n’en arrive à plusieurs niveaux de droits sur le territoire français.
D’un autre côté, c’est le paradoxe des luttes intersectionnelles qui nous menace, celui qui veut nous faire croire que toutes les luttes d’opprimés – réelles ou supposées – convergent et que l’on peut défendre aussi bien les libertés sociétales que la radicalité religieuse. C’est oublier que le principe des intersections est d’être le théâtre de dramatiques collisions !
Non, mes chers collègues, on ne défend pas la liberté de la femme en important, en toute conscience, de nouvelles radicalités conservatrices.
Voilà pourquoi je pense, à titre personnel, que nous n’échapperons pas, pour consacrer ce qui constitue aussi notre identité, c’est-à-dire la liberté de choix et de conscience, à la protection supralégale de nos libertés.
Mes chers collègues, je ne crois pas que ceux qui s’opposeront ce jour à cette proposition soient favorables à une restriction du droit à l’IVG, et je m’abstiendrai de tout jugement intellectuel et moral, mais, vous le savez tout comme moi, l’époque ne se prête plus à la nuance ni aux circonvolutions, si entendables soient-elles.
Pour ces raisons, et dans le respect de la liberté de vote et de conscience de chacun, à titre personnel et comme l’ont fait la majorité de mes collègues du groupe Rassemblement national à l’Assemblée nationale, je voterai pour l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent. – M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, personne ne devrait plus remettre en cause la liberté des femmes à mettre volontairement fin à leur grossesse. Près d’un demi-siècle après sa reconnaissance, cette liberté semble fermement ancrée dans notre droit, protégée, et non menacée.
Cependant, au-delà de la France, cette liberté n’existe pas dans bon nombre de pays. Nous observons, en outre, des reculs au sein de démocraties, y compris en Europe.
La Cour suprême des États-Unis a elle-même rendu, en 2022, un arrêt permettant aux États fédérés de revenir sur cette liberté des femmes. Nous ne pouvons que comprendre l’émotion suscitée par cette décision.
La crainte de nos concitoyens et de nos concitoyennes quant à l’avenir de l’IVG nous paraît donc compréhensible.
L’ensemble des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires tiennent à réaffirmer ici leur entier soutien à la liberté d’avorter. Comme tous les parlementaires, nous avons à cœur de l’encadrer au mieux et de rendre son exercice accessible, chaque fois que cela est nécessaire.
Le projet de loi que nous examinons est l’une des initiatives visant à inscrire l’IVG dans la Constitution pour lui donner une protection supérieure à celle que lui confère la loi.
Cependant, il convient de préciser, comme vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, que cette initiative n’améliorera en rien l’exercice effectif de cette liberté. Nous devons rester vigilants sur les difficultés d’accès de nos concitoyennes à l’IVG. Le cadre légal doit être la seule borne de cette liberté.
Si l’IVG figure actuellement dans la loi, sa protection est supralégale. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que la liberté d’avorter était l’une des composantes de la liberté de l’individu, faisant ainsi bénéficier l’IVG d’une reconnaissance de valeur constitutionnelle.
Une telle reconnaissance n’est toutefois pas gravée dans le marbre, dans la mesure où le Conseil constitutionnel pourrait modifier sa jurisprudence, tout comme la Cour suprême américaine a modifié la sienne.
Si plusieurs textes ont visé à constitutionnaliser l’IVG, nous devons garder à l’esprit que ce que fait une révision constitutionnelle, une autre révision peut le défaire, même si cela peut être beaucoup plus difficile.
Rappelons-nous l’importance du choix des mots en droit, singulièrement lorsqu’il s’agit de la Constitution.
L’IVG, comme toutes les libertés, ne saurait être une liberté absolue. Il est essentiel qu’elle continue à être encadrée par la loi, tant en ce qui concerne les praticiens habilités à la réaliser que s’agissant des délais dans lesquels elle peut être pratiquée.
Nous voulons aussi réaffirmer ici notre attachement à la préservation de la clause de conscience des médecins : ceux qui ne souhaitent pas réaliser cet acte doivent rester libres de ne pas le faire. Cette clause doit pouvoir coexister avec la liberté des femmes. Faut-il la réinscrire dans la Constitution, alors qu’elle figure déjà dans la loi ? Je ne le pense pas.
Il convient de souligner que le fait d’avoir choisi la liberté plutôt que le droit est une formulation qui préserve au mieux les équilibres du régime actuel.
Nous sommes également attachés à la précision selon laquelle l’IVG est une liberté, et non un droit opposable. Nous considérons qu’il revient au législateur, et non au juge, d’en définir les contours.
Nous estimons, à cet égard, que le terme de « liberté garantie » est une formule superfétatoire. La garantie de cette liberté réside bien davantage dans l’inscription au sein de la Constitution que dans cet adjectif déclaratoire.
Cela étant, en rappelant encore une fois leur soutien à la liberté d’avorter, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront selon leur conscience. Une grande majorité d’entre eux votera pour ce texte ; d’autres s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)