Mme Catherine Di Folco. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.
M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’action de groupe n’est pas une nouveauté. Voilà bientôt dix ans qu’elle est entrée dans notre droit, et avec elle l’ambition de faire de chaque citoyen un procureur privé.
Pour autant, elle n’est pas devenue un réflexe naturel en France, puisqu’il n’y a eu que trente-cinq procédures de ce type qui ont prospéré depuis 2014 – Mme Jourda vient de le rappeler. C’est peu !
Cette réticence s’explique d’abord par le fait que cette action – il faut bien le reconnaître – ne s’inscrit pas dans notre tradition juridique : en France, l’intérêt général est défendu par l’action publique, par le procureur, par l’État, et non par des actions privées.
Ensuite, l’exemple du système américain a fait craindre, chez nous, la multiplication de procédures dilatoires hostiles, mettant à mal les entreprises.
Tout cela est vrai.
Pourtant, l’action de groupe à la française, telle que nous la concevons, a du sens. Elle représente la création réussie d’un équilibre entre l’accès des justiciables à la justice, d’une part, et la protection des défendeurs contre les actions malveillantes, d’autre part.
Elle est utile, indispensable, même, dans ce que l’on appelle les contentieux de masse. Des individus isolés, qui n’ont que de faibles demandes, n’obtiendraient pas justice si l’action de groupe n’existait pas. Ils renonceraient à saisir le juge, parce que le coût de la procédure serait disproportionné. Le regroupement des actions permet de mutualiser la défense des intérêts, mais également d’économiser les moyens de la justice.
Au départ circonscrit aux droits de la concurrence et de la consommation, le champ d’application de cette procédure a été progressivement étendu à d’autres domaines, le droit du travail, les données personnelles. Malheureusement, l’action de groupe, régime juridique en constante évolution, a perdu sa cohérence ; il était temps de la lui rendre.
Ainsi la proposition de loi que nous examinons vise-t-elle notamment à rassembler les différents régimes de l’action de groupe, actuellement disséminés au sein de notre droit. C’est une bonne chose et il fallait en passer par là.
Pour autant, la commission a fait le choix de s’opposer à l’universalisation du dispositif en limitant son champ d’application et en restreignant la qualité pour agir à certaines catégories de demandeurs. Si nous comprenons le besoin de sécurisation juridique, une telle limitation réduit l’efficacité de cet outil. Le nombre d’actions de groupe dans notre pays est relativement faible ; nous n’aurions rien eu à craindre à ouvrir plus largement l’accès à cette procédure. Nous estimons, en d’autres termes, que le législateur aurait pu aller plus loin.
Une action de groupe plus accessible constitue pour nos concitoyens un véritable moyen de mieux faire valoir leurs droits.
Le texte de la commission apporte un certain nombre d’améliorations et des garde-fous sont prévus. Je pense à l’exclusion des préjudices corporels du champ d’application de l’action de groupe, afin que, dans de tels cas, la réparation demeure individualisée, ou à la suppression de l’amende civile, sur laquelle je ne reviens pas : tout cela va dans le bon sens.
Afin de faciliter le recours à l’action de groupe, notre collègue Francis Szpiner propose de l’encadrer plus clairement en autorisant les sociétés de financement à intervenir dans cette procédure. Il y aurait là une garantie contre les actions abusives ; c’est une bonne idée.
Au total, nous sommes en train d’inventer un nouveau régime, propre à notre ordre juridique, de l’action de groupe. Ce nouveau régime représente une véritable innovation et un progrès du droit.
Loin d’encourager les actions abusives, nous veillons à ouvrir la possibilité d’engager une action de groupe dans les domaines où ce droit est indispensable. Bien que technique, cette proposition de loi traite d’un sujet fondamental pour l’évolution de notre société. Les améliorations qu’elle apporte nous paraissent décisives. Aussi le groupe Les Indépendants votera-t-il en faveur de son adoption. (MM. Alain Chatillon et Francis Szpiner applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, souvent nous entendons dire que nous adoptons trop de lois, compliquant toujours davantage la vie des Français. Ne parle-t-on pas d’une passion normative française ?
Seulement, contrairement à ce que l’on pense, cette triste habitude ne remonte pas à des temps récents : Alexis de Tocqueville, au XIXe siècle, s’en plaignait déjà.
Aussi, je tiens à saluer le travail mené à l’Assemblée nationale par nos collègues Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, qui ont voulu simplifier les règles régissant les actions de groupe afin de rendre cette procédure plus accessible à nos concitoyens. Leur proposition de loi, modifiée, a été adoptée le 8 mars 2023 à l’unanimité.
Entretemps, le 25 juin 2023, la directive européenne relative aux actions représentatives est entrée en vigueur.
C’est dans ce contexte que nous allons examiner aujourd’hui le texte présenté par notre collègue rapporteur Christophe-André Frassa.
J’ajoute, pour être tout à fait exhaustive, que cette proposition de loi vient pour la quatrième fois modifier le texte fondateur en matière d’action de groupe, qui fut adopté en 2014, voilà donc seulement dix ans. Nos collègues avaient-ils donc, à l’époque, manqué d’audace,…
Mme Nathalie Goulet. Oui !
Mme Isabelle Florennes. … ou avaient-ils voulu laisser le soin à leurs successeurs d’apporter à leur texte des modifications susceptibles de renforcer encore les droits des consommateurs français ? Leur crainte, compréhensible au demeurant, était de tomber dans les excès observables aux États-Unis, où la procédure de class action est pratiquée depuis 1966. Il a ainsi été estimé que, pour la seule année 2022, 141 recours collectifs y ont été résolus pour un montant de 4,77 milliards de dollars. Ces chiffres sont à comparer aux trente-deux ou trente-cinq actions de groupe engagées en France depuis 2014. Peu importe cette différence comptable, ce qui en ressort, c’est un bilan plus que décevant.
Par parenthèse, le registre national des actions de groupe, dont le chapitre IV du présent texte prévoit la création, permettra de disposer en la matière d’un décompte exact.
Quoi qu’il en soit, l’exemple de la démesure américaine suscite des craintes qui ont pesé tout au long de nos échanges en commission des lois ; c’est cette appréhension qui explique la teneur des amendements adoptés pour modifier le texte transmis par nos collègues députés.
Nos débats à venir prendront en compte, je l’espère, l’impératif d’ouverture du champ d’application de l’action de groupe, par exemple en élargissant la liste des institutions pouvant prétendre à exercer une telle procédure. C’est ce que propose notre collègue Nathalie Goulet, sous la forme d’un amendement qui tend à accorder ce droit aux syndicats agricoles ; elle aura l’occasion de le présenter.
Le processus de révision du régime des actions de groupe qui a été lancé sous la houlette de nos collègues députés a fait l’objet d’un large consensus politique, traduisant une volonté commune d’instaurer une procédure plus efficace et plus opérationnelle, un régime unifié et universel favorisant l’accès au juge pour tous, notamment les plus faibles, comme l’a souligné M. le garde des sceaux. Je forme le vœu que cet esprit de concorde perdure lors de nos débats et que nous adoptions un texte qui ménage la possibilité d’un compromis en commission mixte paritaire. L’échec de cette future CMP n’est pas souhaitable : il ralentirait l’adoption de mesures utiles pour donner toute leur portée aux actions de groupe, ce qui serait de toute façon regrettable pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « les enfants exposés in utero au valproate présentent un risque élevé de troubles graves du développement et du comportement ». Cette phrase, on peut la lire sur les notices des médicaments qui contiennent du valproate, substance active d’un médicament antiépileptique. Et l’alerte est plus que fondée, car, dès 1984, des recherches médicales ont montré les effets nuisibles de cette substance lorsqu’elle est administrée pendant la grossesse.
Pour autant, le laboratoire Sanofi, qui vend le valproate sous le nom commercial de Dépakine, a attendu pas moins de vingt-deux ans pour mentionner ce risque sur la notice de son médicament !
Faute d’alerte sur les énormes risques associés, la Dépakine a été prise en cours de grossesse. Conséquence : des milliers d’enfants sont nés avec des malformations de leur colonne vertébrale, de leur crâne, de leur cœur. D’autres présentent des symptômes d’autisme ou des troubles d’hyperactivité. Une grande partie de ces victimes s’est jointe à une action de groupe introduite en 2017.
Dès l’année suivante, le fait d’être en âge de procréer est devenu une contre-indication à la prise de Dépakine. Il y avait là une première victoire directement imputable à l’action de groupe. Las ! cette première victoire pourrait rester un cas isolé. En effet, très peu d’actions de groupe ont effectivement été engagées en France ; or, si cette procédure est si rare, c’est parce que les règles qui en encadrent l’exercice sont particulièrement strictes et éloignées des besoins.
Pourtant, elle est susceptible d’améliorer la protection des citoyennes et des citoyens, qui sont trop souvent impuissants face à un acteur dominant comme l’est une grande entreprise.
Comme l’illustre tristement le scandale de la Dépakine, un enfant né avec des malformations peut difficilement traduire un grand laboratoire pharmaceutique en justice. La victime ne dispose guère d’informations sur l’étendue du problème, tandis que l’entreprise peut mobiliser d’importantes ressources pour se défendre.
En permettant aux victimes d’être représentées par un acteur tiers, l’action de groupe améliore l’accès à la justice. Mais cela n’est vrai qu’en théorie : en pratique, cette voie d’accès ne sert pas à grand-chose tant que demeurent les conditions qui la régissent actuellement, qui rendent l’action de groupe impraticable. En France, trente-cinq actions seulement ont été intentées depuis l’introduction de cette procédure dans notre droit en 2014.
Par comparaison, pendant la seule année 2022, pas moins de trente-sept actions de groupe ont été introduites au Portugal, et même quatre-vingt-neuf aux Pays-Bas !
C’est pourquoi nous soutenons, bien évidemment, l’initiative de nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, qui vise à faciliter le recours aux actions de groupe.
Pour y parvenir, ils ont prévu dans leur proposition de loi, en premier lieu, de faciliter l’introduction d’une action de groupe, notamment en élargissant la qualité pour agir. En second lieu, ils ont souhaité rendre la procédure plus équitable et plus efficace, par exemple en instituant des tribunaux judiciaires spécialisés en matière d’action de groupe.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souscrit pleinement à ces propositions, qui ont été améliorées grâce à l’important travail transpartisan mené au Palais-Bourbon.
Afin de lutter contre l’asymétrie entre les grandes entreprises, d’une part, et les citoyennes et citoyens, de l’autre, nous avons déposé une série d’amendements pour aller plus loin encore.
Monsieur le rapporteur, j’ai cependant constaté, avec grand regret, que vous souhaitiez aller dans le sens inverse.
Hormis quelques exceptions notables, comme la création d’une procédure d’action de groupe simplifiée, les amendements adoptés en commission sur votre initiative tendaient à recréer des obstacles aux actions de groupe que le texte initial avait pourtant pour objet de lever.
Ainsi en est-il de l’obligation d’une mise en demeure préalable, que vous avez voulu introduire alors même qu’elle n’est pas systématique dans le droit en vigueur.
Par ailleurs, j’ai entendu dire à plusieurs reprises, sur les travées de la droite, qu’il faudrait éviter une « surtransposition » de la directive européenne de 2020 sur les actions de groupe. Or cette directive n’est qu’un plancher, comme il est d’ailleurs rappelé dans le rapport de M. Frassa : libre aux États membres d’aller plus loin ! C’est le choix qu’ont fait d’autres pays. Au Portugal, le droit d’introduire une action de groupe est même inscrit dans la Constitution. Plutôt que de vous cacher derrière un tel argument, mes chers collègues, assumez ce que vous tentez de faire : créer des obstacles aux actions de groupe afin de protéger les intérêts des grandes entreprises ! Vous vous opposez ainsi à toute amélioration de la situation actuelle, dans laquelle la victime de mauvaises pratiques d’une grande entreprise n’a que peu de chances d’obtenir réparation.
Les actions de groupe permettent d’augmenter ces chances de réparation tout en améliorant la protection des consommatrices et des consommateurs ; nous nous devons donc d’en renforcer le régime juridique. C’est pourquoi le groupe écologiste votera en faveur de ce texte, à la condition qu’il permette, comparé au droit en vigueur, de lever certains obstacles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 2013, l’action de groupe était qualifiée par le ministre de l’économie et des finances d’alors, M. Pierre Moscovici, de « véritable conquête démocratique » ; en même temps, selon lui, il n’était pas question « d’ouvrir la boîte de Pandore et de susciter des comportements de chasseurs de primes ».
Restreinte, à ses origines, au droit de la consommation, la procédure d’action de groupe a été élargie par la loi du 18 novembre 2016 à d’autres matières, telles que l’environnement et la santé. Mais les « garde-fous » visant à éviter « les dérives constatées dans d’autres pays », aux « graves conséquences pour les entreprises » – je cite toujours Pierre Moscovici –, ont dévitalisé cette promesse d’une justice accessible au plus grand nombre.
Le bilan établi par la direction des affaires civiles et du sceau fait apparaître un « défaut d’attractivité » de cette procédure – cela a été rappelé par plusieurs orateurs avant moi –, si bien que seules trente-cinq actions de groupe ont été intentées depuis 2014.
Une seule est parvenue à contourner les méandres procéduraux et à se frayer un chemin jusqu’au juge, qui l’a déclarée recevable : le 5 janvier 2022, celui-ci décidait que le laboratoire Sanofi allait devoir affronter une action de groupe intentée par l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant, qui représente les victimes du valproate de sodium, ou Dépakine. A été reconnue la légitimité des requérants à vouloir obtenir réparation des malformations et des troubles du neurodéveloppement qu’ils ont subis, effets bien connus par la firme. Sanofi a interjeté appel ; à ce jour, l’incertitude demeure : la première action de groupe à avoir passé l’étape de la première instance sera peut-être la première réelle déception engendrée par une procédure trop complexe depuis ses premiers jours.
Mme Véronique Legrand, maître de conférences à l’université de Caen, nous a rappelé quels freins procéduraux entravent l’exercice de l’action de groupe.
Le juge doit vérifier que les conditions de cette action sont bien remplies : respect des règles de compétences, des délais à agir, du fait que les requérants se trouvent tous dans une situation identique ou similaire, ou encore que les critères de rattachement au groupe sont bien déterminés. À titre d’exemple, la première action de groupe intentée dans notre pays – par l’UFC-Que Choisir à l’encontre de l’administrateur de biens Foncia, en octobre 2014 – a été déclarée irrecevable après presque quatre années de procédure, le 14 mai 2018, par le tribunal de grande instance de Nanterre.
Où est donc passée la souplesse censée être au fondement de cette procédure qui devait, disait-on, satisfaire l’impératif d’accessibilité de la justice ? Le désir de justice s’éloigne, et les brèches sont béantes quand le justiciable, même organisé, s’en prend à plus fort que lui, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une multinationale.
Si le législateur a sa part de responsabilité, on constate également une réticence de certaines juridictions à donner droit aux requérants. Soit les cas exemplaires étaient trop peu nombreux aux yeux du juge, alors qu’ils ont pour seule vocation de permettre d’établir le lien juridique qui fonde la « situation similaire » et la mise en cause du défendeur, soit, comme l’explique M. Cédric Musso, directeur de l’action politique de l’UFC-Que Choisir, « le périmètre de la loi a été, via une interprétation restrictive, considérablement réduit », le champ d’application des actions de groupe étant borné aux manquements au droit de la consommation plutôt que d’être élargi à d’autres obligations légales et contractuelles, qui dépassent de beaucoup ces seuls dommages.
Les avancées contenues dans cette proposition de loi, telle que transmise au Sénat, nous convenaient, bien que le texte adopté par nos collègues députés fût imparfait. Or la réécriture à laquelle a procédé notre commission des lois est plutôt de nature à entériner un statu quo.
Nous discuterons des articles, mais plusieurs dispositions sont pour nous rédhibitoires : la restriction de l’intérêt à agir aux seules associations agréées et, marginalement, aux syndicats ; la restriction du champ des actions de groupe en matière de santé et de droit du travail ; la suppression de la sanction civile à la demande du ministère public ; l’application de la loi aux seuls manquements postérieurs à sa promulgation.
Nous ne simulerons pas un pas en avant pour en faire trois en arrière. Nous ne pouvons feindre de consacrer des droits dont nous savons d’emblée qu’ils ne pourront être correctement exercés par les justiciables.
Quoique certaines questions demeurent en suspens, cette proposition de loi détermine plusieurs orientations importantes en matière d’action de groupe. Me Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris, les aborde de façon très pertinente. Selon ses propres termes, ce texte « ne remet pas en cause le dogme de l’[inclusion sur demande], refuse les dommages et intérêts punitifs et ne dote pas les demandeurs d’une arme puissante pour rivaliser avec le secret des affaires. Se pose alors la question de savoir si les pouvoirs publics ont conscience que ce texte en demi-teinte affaiblit la place de Paris au bénéfice d’autres capitales européennes qui jouent le jeu d’instaurer une “vraie” [action de groupe] ».
Nous espérons que notre assemblée reviendra sur les reculs opérés par la commission des lois : celle-ci, semble-t-il, souhaite protéger davantage les entreprises que leurs victimes en limitant les indemnisations de masse, le contentieux relatif au droit du travail et l’immixtion des citoyennes et des citoyens lésés dans le système judiciaire. Dans le cas contraire, nous nous abstiendrons.
Il faudra, au cours de la navette parlementaire, continuer de lever les obstacles à cette procédure ; l’Assemblée nationale devra par ailleurs s’occuper du secret des affaires, qui ne saurait entraver le rendu d’une justice équitable. L’action de groupe doit pouvoir aboutir si l’on veut dissuader et faire cesser l’impunité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à ce stade du débat, tout a été dit, ou presque. Le texte qui nous est proposé fait fond sur le constat d’un rendez-vous manqué ; ses auteurs reconnaissent en même temps que la complexité de la procédure d’action de groupe résulte d’un régime en patchwork qu’il convient d’unifier, ce à quoi ils s’emploient.
Nous avons d’ailleurs – ce n’est peut-être pas un hasard – exactement le même débat sur les lanceurs d’alerte, auquel s’applique également un régime en patchwork.
Le texte qui nous est soumis se veut un mariage de raison entre la proposition de l’Assemblée nationale et la directive européenne sur ce sujet. Je ne veux pas faire le griot, mais j’étais déjà très présente lors des débats préalables à l’adoption de la loi de 2014. De fait, les arguments qui étaient alors invoqués pour s’opposer à l’action de groupe sont toujours utilisés : protéger le secret des affaires et les entreprises, éviter les dérives à l’américaine, etc.
Dans leur ouvrage Économie des actions collectives, Bruno Deffains, Myriam Doriat-Duban et Éric Langlais détaillent les avantages économiques de l’action de groupe, particulièrement adaptée à la « réalité moderne », d’autant que les préjudices se multiplient et que la criminalité devient de plus en plus créative, à l’occasion notamment du développement des réseaux sociaux. Il est des situations où le justiciable a besoin d’engager une telle procédure, qu’il conviendrait de rendre plus facile d’accès et d’assortir d’une meilleure unicité de la réponse judiciaire afin de donner toute leur effectivité aux actions collectives.
C’est en raison des actions judiciaires menées dans les années 1960 et 1970 que la sécurité routière est devenue un enjeu pour les industriels de Detroit. D’un point de vue économique, il est parfois plus intéressant pour un industriel de supporter le risque limité et aléatoire d’une procédure que de rappeler un produit dont il connaît pourtant la dangerosité. En droit français, cela s’appelle la « faute lucrative », mise en lumière dans l’affaire du Mediator, qui a mis bien du temps à être réglée.
Pour lutter contre l’aléa moral, il faut pouvoir faire comprendre à un industriel ou un professionnel cynique que son calcul économique, consistant à privilégier un comportement dolosif parce qu’il sait qu’il n’aura pas à en payer le coût véritable, est vidé de son sens par le risque d’octroi de dommages et intérêts punitifs.
Nous sommes loin du compte ! En effet, la présente proposition de loi ne remet pas en cause certains vices de la loi Hamon et des lois subséquentes, qui imposent une double procédure : une action collective, pour établir le manquement, puis une procédure individuelle, pour liquider les préjudices.
Monsieur le garde des sceaux, quels moyens seront-ils déployés pour tenir le registre public des actions de groupe ? Par ailleurs, quel sort sera-t-il réservé aux actions collectives conjointes qui semblent échapper à l’inscription au registre ?
Certes, l’action de groupe n’a pas trouvé son public, mais la diffusion de l’information est bien réduite et l’accès à cette procédure bien complexe. Si le présent texte transpose la directive européenne, il le fait a minima ; on eût aimé une telle délicatesse de sylphide pour d’autres textes volontiers surtransposés !
Le texte se montre protecteur du secret des affaires en maintenant le régime d’opt-in en matière de charge de la preuve, régime dont vous savez mieux que moi qu’il pose des tas de problèmes. Tel n’est pas le choix qu’ont fait nos amis néerlandais ou portugais, voire québécois – ces derniers chers au cœur des Percherons –, ce qui offre à leurs pays un avantage compétitif indéniable pour attirer vers eux tous les demandeurs d’une action représentative. Le projet de loi manque là une occasion de hisser la place judiciaire française au premier rang des dispositifs européens d’action collective ; c’est vraiment dommage.
Les affaires du Mediator et des prothèses PIP, comme les procès de l’amiante, attestent la nécessité d’une procédure plus rapide : les demandeurs ont succombé depuis longtemps à leur empoisonnement alors que les procédures sont savamment enlisées. Tel est souvent le cas en matière environnementale, ou en matière sanitaire, mais aussi dans des affaires de fraude ou d’évasion fiscale. On sait très bien que les fraudeurs ont, pour se défendre, plus de moyens que la justice.
Décidément, ce texte est une occasion perdue. Il me semble d’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, que cet échec est le symptôme d’une philosophie plus globale, au vu du mauvais sort qui vient d’être fait à la proposition de loi sénatoriale encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, largement rabotée par l’Assemblée nationale : c’est un très mauvais signal qui est envoyé dans ces matières qui exigent la plus extrême vigilance, tant pour la défense des contribuables que pour la limitation des conflits d’intérêts ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Agnès Canayer et Sophie Primas applaudissent également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe
TITRE Ier
L’ACTION DE GROUPE
Chapitre Ier
Objet de l’action de groupe, qualité pour agir et introduction de l’instance
Article 1er
Une action de groupe est exercée en justice par un demandeur mentionné à l’article 1er bis pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, résultant d’un même manquement ou d’un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par toute personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de son activité professionnelle, par toute personne morale de droit public ou par tout organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public.
L’action de groupe est exercée afin d’obtenir soit la cessation du manquement mentionné au premier alinéa du présent article, soit la réparation des préjudices, quelle qu’en soit la nature, subis du fait de ce manquement, soit la satisfaction de ces deux prétentions.
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
contractuelles
insérer les mots :
ou au devoir général de prudence ou de vigilance
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Depuis le début de la discussion, nous avons beaucoup entendu dire que cette proposition de loi permettait d’élargir les actions de groupe à tous les domaines ; mais le fait-elle vraiment ?
Certes, l’exercice de l’action de groupe ne serait plus limité à certains domaines, comme c’était le cas dans la loi Hamon, qui avait introduit cette procédure dans notre droit. On demeurerait très loin, néanmoins, de pouvoir en intenter une pour tout préjudice affectant plusieurs personnes. En effet, le texte dispose, en l’état, que le champ des actions de groupe se limite aux seuls préjudices qui résultent d’un manquement à des obligations légales ou contractuelles. Voilà qui ne concerne en réalité qu’une partie des situations où des centaines – voire des milliers – de personnes se trouvent lésées à cause d’un manquement d’une entreprise.
Prenons l’exemple du Mediator, ou celui des organismes de certification de prothèses mammaires. Dans ces affaires, il n’y a pas eu de manquement à des obligations légales ou contractuelles, mais les entreprises ont manqué à leur devoir de vigilance. De même, si Total a été condamné dans l’affaire du naufrage du pétrolier Erika, ce n’est pas parce que l’entreprise avait directement manqué à une obligation légale ou contractuelle, mais parce qu’elle avait manqué de contrôler l’état du navire qui transportait du pétrole pour son compte avant de s’échouer, causant une catastrophe environnementale que tous les Bretons ont subie.
Ce n’est pas pour rien que le code civil dispose que toute personne ayant commis une faute doit réparer le dommage qui en résulte. La jurisprudence a reconnu qu’un manquement au devoir général de prudence ou de vigilance constitue également une telle faute. Au civil, le devoir de réparation n’est donc pas conditionné à la violation d’une quelconque disposition légale ou contractuelle, et pour cause.
Dès lors, dans l’objectif d’améliorer l’accès à la justice, il convient d’élargir le champ de l’action de groupe aux manquements au devoir général de prudence ou de vigilance.