M. Mickaël Vallet. Pour Sarkozy ?
M. Bruno Retailleau. Êtes-vous prêt à renverser la table pour que le régime pénal des mineurs soit, enfin, adapté à la dangerosité des nouveaux ensauvagés, qui sont souvent des délinquants ?
Cela, ce n’est pas le rôle de l’école ; c’est le rôle d’une justice pénale.
Là encore, nous ne voyons pas de réarmement.
J’en viens à la question de notre souveraineté budgétaire et financière.
Aujourd’hui – je parle cette fois encore sous le contrôle de notre rapporteur général –, notre dette est détenue à peu près pour moitié par des étrangers. Une phrase de Napoléon illustre bien la situation de la France : « La main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. » Il ne peut pas y avoir de souveraineté financière lorsqu’on dépend à ce point de l’étranger.
Et si la voix de la France est aussi affaiblie en Europe, n’allez pas chercher plus loin ! Un pays qui ne tient ni sa dette ni ses comptes est une nation qui ne peut pas tenir son rang et dont la voix s’affaiblit dans le concert international et particulièrement en Europe.
Je voudrais aborder le sujet de l’agriculture, dont il a beaucoup été question.
Le malaise des agriculteurs vient tout simplement du fait qu’on les a mis dans une tenaille impossible, qui pousse un trop grand nombre d’entre eux au suicide : toujours plus d’ultralibéralisme à l’extérieur et toujours plus de dirigisme à l’intérieur ! Ce sont les noces barbares du dirigisme en France et du libre-échangisme avec l’étranger. Voilà ce qui crée aujourd’hui un tel mal-être.
Vous avez dit : « Je veux créer une sorte d’exception agricole française. » La seule exception agricole que nos agriculteurs connaissent aujourd’hui, en France, c’est l’exception normative. C’est ce qui les tue à petit feu ! La France importe des productions dont les modes de culture sont, au nom d’objectifs justes – préserver l’environnement et notre santé –, interdits à nos agriculteurs. Vous avez les moyens d’agir ! Puisque vous avez évoqué le problème des surtranspositions, prenez tout de suite un décret pour permettre l’utilisation de molécules interdites en France, mais autorisées ailleurs en Europe, par exemple en Espagne ou en Allemagne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.) Rétablissez une juste concurrence : vous pouvez le faire !
Il faut être conséquent. Votre groupe au Parlement européen a voté toutes les mesures de contrainte environnementalistes dont souffrent nos agriculteurs. (Applaudissements sur les mêmes travées. – M. Yannick Jadot s’exclame.) Emmanuel Macron veut le fédéralisme. Mais le fédéralisme, mes chers collègues, implique que de plus en plus de décisions soient prises à la majorité qualifiée. Or, sur la question du Mercosur, il voudrait empêcher à lui seul l’Europe d’avancer ? Mais l’Europe avance sans lui !
Vous ne nous avez pas permis d’exprimer ici notre opposition à l’Accord économique et commercial global, le Ceta. Vous avez consulté l’Assemblée nationale, qui s’est prononcée en faveur de la ratification, parce que vous y aviez une majorité. Ici, nous voulons voter contre le Ceta. Nous sommes cohérents, précisément parce que nous voulons préserver la souveraineté de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour terminer sur votre bilan politique, que vous jugiez « solide », j’ajoute que jamais le Rassemblement national (RN) n’a été aussi élevé dans les sondages ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Xavier Iacovelli. Grâce à vous !
M. Bruno Retailleau. Jamais il n’a été aussi proche d’une prise de pouvoir. Emmanuel Macron se posait comme le rempart contre le RN ; il n’en aura été que le marchepied. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe RDPI.)
À force d’organiser méticuleusement un face-à-face avantageux pour vous, vous faites évidemment grimper le RN dans les sondages !
Vous voyez, votre bilan n’est pas solide ; il est liquide !
Vous voulez réarmer la France ? Soit ; nous aussi. Mais n’attendez pas que nous devenions macronistes !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça dépend qui ! (Rires sur les travées du groupe SER.)
M. Bruno Retailleau. Vous dites : « J’ai confiance. » Nous n’avons pas confiance. Nous avons appris à nous méfier. Aujourd’hui, il faudra que vous puissiez reconstruire cette confiance. Car le sentiment qui domine actuellement ici, c’est la défiance.
Nous ne serons jamais macronistes, car, voyez-vous, nous sommes les héritiers du général de Gaulle. (Rires sur les travées du groupe SER.) Et nous pensons que, sur la pratique des institutions comme sur la vision de la politique, le macronisme est un antigaullisme.
Sur les institutions, on a un gouvernement qui ne détermine et ne conduit plus la politique de la Nation ; on a un parlement totalement anémié. Je reviens sur la loi relative à l’immigration, dont il a beaucoup été question. Le texte qui a été promulgué n’aurait jamais été voté par l’une ou l’autre des assemblées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons donc eu, d’un côté, un texte censuré alors qu’il avait été très majoritairement approuvé ici comme à l’Assemblée nationale et, de l’autre, un texte promulgué alors qu’aucune assemblée ne l’aurait voté !
Et vous allez de nouveau contourner le Parlement, cette fois sur l’AME, en passant par la voie réglementaire. Le Parlement n’a jamais été aussi diminué, à coups d’ordonnances qui ne sont plus ratifiées, à coups de règlements et de lois qui ne sont plus appliqués, à coups de 49.3 !
Mes chers collègues, ne voyez-vous pas le problème d’une telle pratique institutionnelle ? Certes, ces instruments de coercition sont dans la Constitution. Mais le général de Gaulle comme Michel Debré croyaient non pas à la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul, mais, au contraire, pour reprendre la formule de Debré, à la « collaboration des pouvoirs ». Aujourd’hui, Emmanuel Macron use de ses pouvoirs coercitifs sans la contrepartie, c’est-à-dire le recours au peuple, par le référendum ou de nouvelles élections. Voilà ce qui déséquilibre notre vie politique et notre démocratie !
Et, sur la vision de la politique, je vous renvoie à une formule du général de Gaulle : « La politique, […] c’est l’action pour un idéal à travers des réalités. »
L’« action » a désormais été supplantée par la communication. C’est terrible ! Plus la politique est impuissante, plus elle se perd dans la surcommunication. Quand on veut trop crever l’écran, la politique en crève !
L’« idéal » est battu en brèche par l’opportunisme. Mes chers collègues, le débauchage ne fait de bien ni à la démocratie ni à la politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Car afficher que tout se vaut, la droite comme la gauche, la fidélité comme les revirements, cela revient à dire que rien ne vaut et que tout est faux ! Et je m’honore qu’il y ait ici, au Sénat, des femmes et des hommes de loyauté, à gauche comme à droite, qui placeront toujours la conviction au-dessus de l’ambition ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Et que dire des « réalités » quand le Président de la République explique les émeutes par l’« oisiveté » des jeunes ? Franchement, pour les Français, c’est inaudible !
Monsieur le Premier ministre, la tâche est herculéenne, et la fonction est difficile. Quand un Premier ministre existe, il inquiète ; quand il n’existe pas, il manque. Mais nous traversons justement un moment tellurique. Et, dans un moment tellurique, on ne peut pas se contenter de faire comme avant, avec quelques ajustements ou mesurettes par-ci par-là ! Il faut énoncer de nouveaux principes. C’est ce que vous n’avez pas fait à cette tribune, et c’est ce que nous attendons !
Je vous ai entendu dire, en revanche, que vous vouliez vous adresser aux Français ordinaires. Pourquoi pas ? Mais, dans ce cas, ne parlez pas à nos compatriotes la langue du marketing et de la segmentation catégorielle ! Parlez-leur comme à un seul peuple ! Parlez-leur la langue de l’unité ! Abandonnez le « en même temps » ! Rompez avec le macronisme ! (Exclamations amusées sur des travées des groupes GEST et RDPI.)
Pour parler à tous ces Français ordinaires, faites comme le général de Gaulle ! Pratiquez la politique de la majorité nationale !
Rendez à la France sa capacité d’action, sa liberté, son école, une école qui instruit et ne déconstruit pas ! Rendez à notre pays le travail, au-delà de la seule désmicardisation ! Rendez-lui sa souveraineté !
Rendez aux maires leur liberté ! Car les maires ne demandent pas l’aumône. Ils souffrent du même mal que les agriculteurs : l’overdose de normes. (M. Mathieu Darnaud applaudit. – Marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
Mme Catherine Conconne. Time is over !
M. Bruno Retailleau. Les maires veulent un réarmement civique, parce qu’ils sont, eux, au service de la cité et du civisme.
Rendez à cette France-là ses frontières, pour qu’elle puisse se protéger ! Rendez-lui sa souveraineté, c’est-à-dire sa liberté !
En résumé, rendez aux Français ordinaires des raisons d’espérer dans la France, cette France que nous aimons et que nous voulons servir de tout notre cœur ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent vivement. – Des membres du groupe UC applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, le 9 janvier dernier, vous avez accepté la mission qu’Emmanuel Macron vous a confiée : prendre la tête du Gouvernement.
Ce jour-là, vous avez accepté d’endosser un lourd passif, celui d’une politique libérale et réactionnaire menée depuis bientôt sept ans. Vous avez aussi accepté d’endosser une lourde responsabilité, celle de conduire ce rouleau compresseur d’injustice et de casse sociale.
Vos premières semaines à Matignon en sont l’édifiant témoignage.
M. Emmanuel Capus. Déjà ?
M. Patrick Kanner. Des blindés sur les autoroutes, une école publique insultée, une facture d’électricité qui explose, la franchise médicale doublée… rien ne semble vous arrêter !
Pourtant, je vous le dis, les Français sont à bout. Je ne parle pas des plus riches d’entre eux, qui peuvent continuer à s’enrichir sans limites, sans scrupules. Je parle de celles et de ceux qui ne peuvent compter que sur leur travail pour vivre et qui galèrent.
Vous ne le voyez pas, ou vous ne voulez pas le voir : ces Français sont épuisés par la politique que vous menez depuis 2017. Vous ne voulez pas voir qu’ils ont élu Emmanuel Macron, par deux fois, pour faire barrage à l’extrême droite.
Mme Catherine Conconne. Comme Chirac !
M. Patrick Kanner. Ils ne lui ont pas donné mandat pour dérouler une telle politique de régression.
Les élections législatives et sénatoriales ont déjà sanctionné votre politique. La prochaine étape sera le 9 juin, à l’occasion des élections européennes.
Le contexte aurait dû vous conduire à avoir un réflexe d’écoute, voire d’humilité, dans votre exercice du pouvoir et à privilégier la concertation, le dialogue social. La réalité est tout autre ! Ne parvenant pas à emporter l’adhésion des Français, vous avez fait le choix du passage en force permanent et de l’utilisation déraisonnée de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Pire, vous avez démontré que vous étiez prêt à fragiliser notre État de droit pour parvenir à vos fins. En feignant de satisfaire les appétits, pour ne pas dire les fantasmes, de la droite sur la loi relative à l’immigration, vous vous êtes cyniquement défaussés sur le Conseil constitutionnel. Vous avez ouvert la voie à la remise en cause de nos institutions et de notre Constitution. Je le dis ici, jamais je n’oublierai les propos irresponsables tenus par la droite dite « républicaine » à leur encontre. Ces propos m’ont indigné ! Je les condamne avec force, comme je condamne la responsabilité du Président de la République dans cette grave dérive.
M. Mickaël Vallet. Bravo !
M. Patrick Kanner. Ce jeu-là est dangereux, et nous en sortons tous perdants. Tous, sauf celle qui s’en frotte avidement les mains : l’extrême droite, cette extrême droite qui se réjouit de votre bilan depuis sept ans, qui se délecte de voir nos services publics mis à mal, nos corps intermédiaires ignorés, la fracturation sociale assumée, cette extrême droite qui n’a plus qu’à déambuler sereinement sur le tapis rouge que vous lui déroulez !
Monsieur le Premier ministre, je fais partie de ceux qui croient que notre pays peut résister à la tentation brune et nauséabonde de l’extrême droite. Si j’y crois, ce n’est pas par principe ou en raison de l’attachement des Français à nos valeurs républicaines, car on se soucie peu des valeurs républicaines quand on n’a pas les moyens de nourrir correctement ses enfants ou quand on voit que les efforts reposent toujours sur les mêmes. Je vous en prie, retirez vos œillères et cessez d’alimenter le terreau des populistes !
Monsieur le Premier ministre, nous sommes ici dans la chambre des territoires. Vous avez en face de vous des parlementaires en contact permanent avec nos élus locaux. Or les élus locaux, mieux que quiconque, entendent l’amertume des Français et, d’élection en élection, voient de plus en plus d’habitants de leur territoire, par dépit, se laisser tenter par le vote RN.
Ces élus sont aujourd’hui en colère.
Ils sont en colère, parce qu’ils sont en première ligne auprès de nos concitoyens et qu’ils n’ont pas les moyens de répondre à leurs besoins.
Ils sont en colère, parce que l’attente était forte : le Président de la République s’était engagé à ouvrir une nouvelle donne territoriale. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Depuis votre arrivée au pouvoir, les collectivités territoriales sont considérées par le Gouvernement comme une variable d’ajustement des comptes publics. Chaque jour, les élus que je rencontre m’alertent sur les conséquences de votre politique fiscale, qui a pour seul dogme la diminution des impôts. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en est le dernier exemple : plus de transferts de compétences, mais moins de moyens !
Les élus locaux sont aussi en colère face à votre immobilisme en matière de décentralisation. La loi dite 3DS du 21 février 2022, censée représenter un nouvel acte en la matière, ne fut qu’un rendez-vous manqué. Comme si l’excès de centralisation n’avait pas montré ses limites, de la crise des « gilets jaunes » à la crise sanitaire !
Notre groupe croit en la force de l’État et des collectivités, qui assurent l’unité nationale et l’égalité entre les citoyens, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer. Si l’État est le garant de ces principes, la centralisation n’est pas un gage d’efficacité.
Nous avons des idées en la matière.
D’abord, il faut donner une bouffée d’oxygène aux élus : indexer la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation, renforcer la dotation particulière relative aux conditions d’exercice des mandats locaux.
Ensuite, parce que les finances locales doivent être sécurisées, il faut aller plus loin. Nous vous demandons une loi de financement des collectivités territoriales. Cela permettrait de définir de manière pluriannuelle les grands enjeux de l’investissement local et d’assurer l’autonomie financière des collectivités.
Enfin, nous voulons un statut pour l’élu. Il a été fait référence aux intimidations, aux violences, aux agressions et à ce paroxysme extraordinaire du mois de juin dernier, les révoltes urbaines. Une telle incandescence nous alerte et exige des réponses fortes.
La priorité est de remettre la justice au cœur de nos politiques publiques. Depuis 2017, les droits, c’est pour les nantis ; les devoirs, c’est pour les petits ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je crois, monsieur le Premier ministre, que vous ne mesurez pas les conséquences de ce sentiment d’injustice chez nos concitoyens. Vous ne mesurez pas le malaise et le ressentiment que cela peut provoquer. Je suis un élu du Nord, territoire dans lequel le déclassement crée du désespoir, un désespoir que vos politiques amplifient !
Quand on peine à boucler ses fins de mois, comment comprendre que des multinationales enregistrent des bénéfices records, dans les secteurs du pétrole, du gaz ou des transports, sans que ces bénéfices viennent contribuer à la solidarité nationale ? Comment comprendre que, pendant ce temps-là, vous augmentiez de 10 % la facture d’électricité des Français ? Comment comprendre l’explosion des hauts revenus exonérés d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ?
Les seules réponses que vous apportez sont des primes. Pardonnez-moi, monsieur le Premier ministre, mais si ces primes apportent une réponse d’urgence bienvenue pour les Français les plus modestes, elles relèvent avant tout du bricolage ! On ne gouverne pas un pays à coups de rustines qui n’apportent aucune réponse de long terme.
Là encore, puisque vous semblez à court d’idées, en voici quelques-unes : mettez en place une taxe sur les superprofits dans les secteurs de l’énergie et des transports ; instaurez un ISF climatique ; ou encore, rétablissez les impôts de production.
M. Xavier Iacovelli. Des taxes, des taxes, des taxes…
M. Patrick Kanner. Il s’agit là de répondre à un besoin réel : renflouer les caisses de l’État afin de financer des politiques publiques pour tous.
Le signal ne serait pas seulement symbolique. Non, les classes moyennes n’ont pas à supporter tous les efforts ! Ceux-ci doivent être répartis suivant les moyens de chacun. Voilà une ambition politique nouvelle !
Car les Français ne demandent pas l’aumône : ils demandent de vivre dignement de leur travail.
Vous vous targuez d’avoir diminué le taux de chômage, mais vous avez augmenté le nombre de travailleurs pauvres ! Vous avez favorisé un marché du travail au service des entreprises sans contrepartie pour les salariés ! La baisse du chômage ne dit rien des difficultés croissantes de nos concitoyens à se nourrir, à se loger, à se chauffer, à se soigner…
Vous dites vouloir « désmicardiser » la France. Mais quel aveu ! Qui est responsable de cette smicardisation, quand elle concerne 17 % des salariés français ? Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude !
Contrairement à vous, nous proposons non pas une nouvelle baisse des charges, mais une véritable politique de revalorisation salariale pour chaque citoyen, afin qu’il soit justement rémunéré.
Une juste rémunération, c’est ce qui permet de mieux vivre et, en premier lieu, de se loger. Vous n’avez aucune vision pour la politique du logement ! La dérégulation ne constitue pas une politique, monsieur le Premier ministre.
Tout le secteur économique de la construction subit une crise sans précédent : des entreprises et des emplois menacés, des élus locaux désarmés. En réponse, vous avez sapé le modèle économique du logement social. Et à présent, vous vous attaquez aux fondements de la loi SRU. C’est irresponsable ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Pour notre part, nous proposons d’abord de réhabiliter la construction en ville comme en milieu rural. Et si le ZAN est un objectif essentiel, il doit être équilibré avec les aspirations des Français et coconstruit avec les élus locaux.
Nous proposons, ensuite, de repenser la place des collectivités dans les politiques de logement pour permettre la nécessaire adaptation locale, renforcer leurs moyens et leur donner des outils propres de régulation.
Il faut encore favoriser la reprise de la construction de logements, en maîtrisant l’envolée des prix du foncier, généraliser l’encadrement des loyers, ne serait-ce que dans les zones tendues, et, enfin, réévaluer les aides personnelles au logement (APL).
Oui, notre pays s’enfonce dans une fracturation de la société qui atteindra bientôt un point de non-retour.
Le monde agricole nous en donne une nouvelle illustration : la mobilisation des agriculteurs est l’expression flagrante d’une colère qui gronde, une colère qui trouve ses origines dans une crise structurelle appelant des réformes d’ampleur.
Une nouvelle fois, votre gouvernement manque d’une vision d’ensemble et d’un projet mobilisateur.
Nous proposons une véritable transition de notre modèle agricole vers davantage de durabilité et de reconnaissance du travail rendu, conditions indispensables pour offrir des perspectives justes à nos agriculteurs.
C’est bien là l’objectif de la commission d’enquête que nous réclamons sur la question des revenus agricoles et des relations commerciales agroalimentaires. Il est temps qu’un diagnostic clair, précis et transparent soit posé sur les pratiques de certains opérateurs économiques, afin de mettre fin à un système qui tue notre agriculture à petit feu.
Monsieur le Premier ministre, les annonces que vous avez faites, hier comme aujourd’hui, ne sont pas à la hauteur des enjeux !
Pour conclure, je veux évoquer les dizaines de milliers de personnes qui seront demain à nos côtés, à gauche, dans la rue, pour défendre notre école publique, laïque et gratuite.
M. Xavier Iacovelli. La gauche serait-elle la seule à défendre l’école publique ?
M. Patrick Kanner. Aujourd’hui, vous la mettez en danger. Vous continuez de la fragiliser en supprimant encore 650 postes d’enseignants cette année.
Comble du cynisme, votre ministre accuse l’école publique d’être responsable d’une fragilité que vous avez vous-même provoquée !
En fin de compte, quelle est votre vision pour l’école ? Brandir l’étendard du choc des savoirs ne fait pas une politique publique. Ce qui ronge l’école, c’est l’absence de mixité sociale. Ce qui ronge notre société, c’est le séparatisme dès le plus jeune âge ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
Face à cela, vous prônez le retour de l’uniforme à l’école, la labellisation des manuels scolaires et le placement en internat. Cette vision étriquée et vieillotte exprime une seule logique : l’autoritarisme plutôt que la pédagogie.
Monsieur le Premier ministre, vous avez affirmé hier que vous voyiez « davantage de raisons d’espérer que de douter ».
Permettez-moi de vous dire que l’on doute de la place de la France dans la communauté internationale, que l’on doute de votre attachement à la démocratie et à nos institutions, que l’on doute de votre capacité à assurer notre souveraineté, en un mot, que l’on doute de votre gouvernement « macrozyste » !
L’illusion macroniste du social-libéralisme de 2017 n’aura duré qu’un printemps. Aucun enseignement n’a été tiré des multiples crises sociales de ces deux quinquennats.
Le libéralisme antisocial du Président de la République ne trompe plus personne. Vous n’avez fait que semer les graines de la colère ; elles sont en train de germer sur le terreau de vos choix de société. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Votre vocabulaire guerrier est avant tout le signe d’une grande faiblesse. Les relents réactionnaires de votre discours et votre course folle aux alliances opportunistes ont le don de nous faire douter, mais nous obligent surtout à agir.
Pour les Françaises et les Français, notre groupe porte et portera des solutions, pour un avenir solidaire et durable ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le Premier ministre, hier, nous avons écouté en stéréo votre discours, lu avec beaucoup de conviction et de tonicité par M. le ministre de l’économie. C’est un exercice sacrificiel auquel nous compatissons… (Rires. – Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Monsieur le Premier ministre, vous avez bien fait de venir aujourd’hui dans cet hémicycle pour préciser les choses, même si nous avions bien retenu quelques phrases de la déclaration d’hier.
En disant qu’en France « tout est possible », vous avez naturellement des pensées positives. Malheureusement, cela marche dans les deux sens : la France est capable du meilleur, mais aussi de performances moins enviables.
Nous avons cependant apprécié votre ambition de faire du « tout est possible » une formule de confiance et d’espoir en abordant tous les sujets, y compris ceux qui fâchent et qui irritent au quotidien, ou, plus largement, le sentiment d’impuissance de l’action publique, poison de notre démocratie.
Quant à vos orientations cardinales – « désmicardiser, déverrouiller, débureaucratiser » – comment ne pas y souscrire ?
Vous mettez ces grands axes au service du « réarmement » de notre pays. Permettez à un vieux matou né en 1954 (Sourires.) de vous proposer un autre terme, bien plus classique, mais plus important à mes yeux : celui de « justice ».
Réarmer est sans doute nécessaire, mais in fine cela doit servir la justice. C’est, en effet, le sentiment d’injustice et d’iniquité qui fragilise aujourd’hui notre société.
La colère agricole en est la caricature. Les agriculteurs sont au carrefour d’une quadruple injustice : injustice territoriale, d’abord, dont témoigne l’opposition accrue d’un monde rural qui se sent abandonné et déclassé ; injustice économique, bien sûr, les agriculteurs étant les parents pauvres du partage de la valeur ; injustice sociale et culturelle, encore, celle que ressentent les travailleurs qui se lèvent tôt et font face aux injonctions de cols blancs hors sol, avec le sentiment de devoir abandonner leurs valeurs ; injustice, enfin, causée par des normes et des contraintes, françaises ou européennes, qui ne pèsent pas sur leurs concurrents étrangers.
Chez nous, l’injustice commence dès la naissance. Elle dépend du milieu, mais aussi du lieu où l’on vient au monde. Le Président de la République l’a reconnu : nous ne garantissons pas l’égalité de tous les enfants de la République.
Et pour cause ! Aujourd’hui, naître à la campagne, c’est souvent naître dans un désert médical. Là réside sans doute l’injustice territoriale la plus insupportable.
Or, comme vous l’avez justement souligné, nous ne pouvons pas attendre gentiment que la fin du numerus clausus produise ses effets. Régulariser les médecins étrangers n’y suffira même pas. Il faudra avoir le courage – vous y avez fait allusion – d’expérimenter plus largement les délégations d’actes. (M. Rachid Temal s’exclame.)
Plus globalement, pour tâcher de remédier à l’injustice territoriale, le Sénat plaide pour une décentralisation régénérée, qui permette de restituer des marges aux collectivités et d’insuffler de l’équité plutôt que de l’égalité formelle. Tel est l’esprit de la différenciation que nous appelons de nos vœux.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Vos mots sont encourageants, monsieur le Premier ministre. La décentralisation n’a pas, aujourd’hui, la place qui doit lui revenir. Gageons que vos propositions permettront d’avancer ! Nous espérons que votre arrivée signe la fin de ce rendez-vous manqué, depuis tant d’années, avec les collectivités.
L’école est aussi un lieu d’injustices persistantes. Certes, le nombre d’élèves par classe a été restreint dans les zones prioritaires, mais il reste tant à faire !
Bien sûr, l’instruction civique est une matière importante et nous sommes, nous aussi, favorables au retour de l’uniforme. Mais le véritable enjeu est le retour du mérite, de l’excellence, du respect des enseignants !
Pour y parvenir, l’école a besoin d’un cap clair. Comme vous l’avez justement déclaré, « tout n’est pas une question de moyens ». Il n’y avait pas besoin d’argent pour abandonner la méthode globale, prônée pendant des décennies par des idéologues ! (M. Claude Malhuret applaudit.)
Dans cette France où « tout est possible », le sentiment d’injustice habite aussi les classes moyennes, celles qui contribuent sans recevoir – vous l’avez vous-même relevé.
Cela ne peut plus durer et appelle de ma part deux remarques.
Premièrement, les fiscalités de l’immobilier et des successions sont les plus mal vécues par les classes moyennes. Votre ouverture dans leur direction doit être l’occasion d’évoluer en la matière.
Deuxièmement, la fraude sociale et fiscale est au cœur de leur malaise. Nos concitoyens méritants ne supportent plus de voir, d’un côté, des prestations sociales méticuleusement détournées et, de l’autre, une poignée d’entreprises voyous s’exiler pour échapper à toute contribution aux charges publiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.) Il faut mener une guerre sans merci à la fraude et à l’évasion sous toutes leurs formes.
L’injustice se vit aussi, de plus en plus, au travers du logement. Nous alertons depuis des mois sur une crise imminente. Elle est désormais présente, et vous avez déclaré vouloir la prendre à bras-le-corps.
Cependant, il n’est pas certain que la simplification des normes, la réquisition des bâtiments vides ou l’intégration du logement intermédiaire dans les critères de la loi SRU suffiront. Ces mesures sont pertinentes et attendues, mais il manque plusieurs centaines de milliers de logements.
Comment dégager du foncier avec les problèmes suscités en particulier par le ZAN ? Vous l’avez souligné : il faudra adapter l’application de ce principe. Tout ne pourra pas reposer sur la seule densification !
La transition écologique soulève également un enjeu majeur de justice et d’équité. Aussi vitale et nécessaire qu’elle soit, cette transition fera des perdants.
Je pense en particulier aux petits propriétaires qui seront plombés par le diagnostic de performance énergétique (DPE) ou aux artisans que les zones à faibles émissions (ZFE) empêcheront de travailler.
Monsieur le Premier ministre, l’injustice se niche jusque dans les derniers jours de la vie. La dépendance est l’un des défis majeurs qu’il nous faut relever. Avec le vieillissement de la population, c’est toute la société qui doit se réinventer.
Nous ne pouvons plus procrastiner ! Notre modèle social et financier est au bord de l’implosion. C’est maintenant qu’il faut agir.
Enfin, les inégalités et les injustices sont intergénérationnelles, ce qui pose la question de la dette et des déficits.
S’il nous faut maîtriser la trajectoire de nos finances publiques, c’est pour recouvrer des marges de manœuvre, mais aussi pour rétablir une équité intergénérationnelle.
Or nous n’en prenons pas le chemin. Cette année, notre pays devra emprunter 285 milliards d’euros, soit plus que le PIB du Portugal ! Quant à la charge de la dette, elle devrait bondir de 50 % d’ici à 2027.
Maîtriser les dépenses, c’est faire des économies, mais c’est surtout faire des réformes de structure sans attendre le retour des vaches grasses.
Pour terminer, monsieur le Premier ministre, revenons, si vous me le permettez, à votre état civil. Nous pouvions attendre d’un jeune chef du Gouvernement qu’il nous ouvre sur le futur, qu’il nous parle d’intelligence artificielle, d’hydrogène vert, d’espace ou de génétique, en un mot de ce monde en transformation – pour ne pas dire en ébullition –, sur lequel nous devons nous repositionner.
Nous n’en avons pas parlé, parce que vous êtes rattrapé – nous le sommes tous – par les problèmes du passé que nous n’avons pas pu résoudre.
Pourtant, vous avez cherché à nous transmettre l’essentiel : l’optimisme et la détermination. Comme vous, nous savons que notre avenir sera européen ou ne sera pas. Cela n’interdit pas d’être critique vis-à-vis de l’Europe que nous avons construite, une Europe trop technocratique et loin de celle dont nous rêvions. (M. le Premier ministre acquiesce.)
Monsieur le Premier ministre, vous êtes ici au Sénat. Depuis les élections législatives de 2022, c’est ici, pour l’essentiel, que l’on fabrique les principales lois. Sans le Sénat, pas de réforme des retraites ; sans le Sénat, pas de loi Immigration ! (M. Mickaël Vallet le conteste.)
Dès votre nomination, vous êtes venu à la rencontre du Sénat, en participant à la conférence des présidents. Nous avons été sensibles à ce geste, qui constitue un encouragement.
À cette occasion, mes collègues Bruno Retailleau et Patrick Kanner ont eu l’occasion de vous dire, comme nous, qu’ils étaient ouverts au dialogue, mais hostiles à la coconstruction, c’est-à-dire à l’association des parlementaires à l’élaboration d’un projet de loi avant son dépôt au Parlement.
En effet, cette méthode lie les parlementaires sans leur permettre véritablement d’enrichir ou de modifier les textes.