compte rendu intégral
Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
Mme Catherine Conconne.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Pratiques des centrales d’achat de la grande distribution implantées hors de France
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur les pratiques des centrales d’achat de la grande distribution implantées hors de France.
Dans le débat, la parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis les États généraux de l’alimentation réunis en 2017, quatre lois portant sur les relations commerciales autour des produits de grande consommation ont été adoptées et promulguées.
L’objectif était d’assurer une plus juste rémunération des agriculteurs en confortant la construction du prix « en marche avant », c’est-à-dire du producteur au distributeur, en passant par le transformateur.
Nous avons pourtant rapidement vu se développer des pratiques de contournement, par le biais de pénalités logistiques ou de plans d’affaires, rendant nécessaire l’adoption de nouvelles dispositions cadres.
Ces dernières années, la plupart des grandes enseignes de distribution ont ouvert des centrales d’achat à l’étranger pour conclure des contrats d’approvisionnement avec des industriels et fournisseurs, ce qui est tout à fait leur droit au regard des règles de libre circulation des biens, des services et des établissements dans le cadre du marché unique européen.
Cependant, au fil des négociations, nous avons pu observer que la multiplication des centrales d’achat à l’étranger s’accompagnait de pratiques plus préoccupantes : en clair, ces centrales seraient devenues le support de pratiques commerciales dont l’intérêt, pour les distributeurs, va bien au-delà de celui qu’assure le principe du groupement d’achat.
Elles leur permettraient de s’affranchir du cadre des négociations défini notamment par les lois du 30 octobre 2018 et du 18 octobre 2021, dites lois Égalim et Égalim 2, et d’imposer aux fournisseurs des contraintes parfois abusives au regard du droit français.
On nous a notamment rapporté, outre la facturation excessive de services de coopération commerciale, que des pressions étaient exercées pour un retour aux prix d’achat d’avant la récente inflation, ou pour rejoindre une centrale d’achat européenne sous contrat étranger, sous la menace d’une réduction des références en rayon, voire d’un déréférencement. Dernièrement – cela en dit long sur le baromètre des relations commerciales entre industriels et distributeurs –, on a même pu assister à des opérations de dénigrement des fournisseurs dans les magasins avec lesquels ils sont en contrat.
Les principaux distributeurs ont développé des alliances avec des centrales d’achat basées à l’étranger : Leclerc avec Eurelec, Carrefour avec Eureca, Intermarché et Casino avec Global Retail Services, qui a succédé à Agecore et ITM, Système U avec Everest et Epic.
Il n’existe pas, à notre connaissance, de chiffres publics ou officiels sur la part des achats que font les distributeurs français hors du territoire national, mais, aux dires des observateurs, leur importance grandit.
Certains y auraient recours alors même qu’ils réalisent plus de 95 % de leur chiffre d’affaires en France, ce qui laisse peu d’ambiguïté sur les motifs de ces délocalisations.
C’est pourquoi l’article 1er de la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Descrozaille, ou Égalim 3, est venu préciser que tout contrat visant des produits commercialisés sur le sol français doit se voir appliquer le cadre français des négociations commerciales et les sanctions qu’il prévoit.
Dès 2019, le ministre de l’économie avait assigné la centrale internationale Eurelec, réclamant le paiement d’une amende de 117 millions d’euros pour non-respect des dispositions du droit commercial français.
Cependant, à la suite de l’arrêt du 22 décembre 2022 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans cette affaire, la mobilisation de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et du ministre de l’économie s’est affaiblie. Cela s’est immédiatement traduit par une dégradation de la situation ; les autres enseignes françaises se sont alignées sur les mauvaises pratiques d’Eurelec afin de garder leur compétitivité par rapport à Leclerc.
Pourtant, l’arrêt de la CJUE n’empêche pas le ministère de l’économie de poursuivre son action en matière de police du commerce. La Cour européenne ne s’est pas prononcée sur la compétence du juge français dans l’absolu ; elle a seulement limité l’applicabilité du règlement européen du 12 décembre 2012, dit règlement Bruxelles I bis, aux actions du ministre en la matière. En pratique, sauf précision contraire de votre part, madame la ministre, rien n’interdit donc au Gouvernement d’assigner devant le juge français des sociétés de droit étranger en s’appuyant sur les règles internes de compétence étendues aux situations internationales.
Madame la ministre, la centrale Eurelec respecte-t-elle aujourd’hui le droit français et les dispositions des lois Égalim ? Combien de contrôles ont-ils été menés sur ces sujets en 2023 par la DGCCRF ?
S’agissant du respect des dates butoirs, ramenées dernièrement aux 15 et 31 janvier, il semblerait que seule Everest, parmi les trois principales centrales délocalisées à l’étranger, en tienne compte. Eurelec et Eureca se dispensent ouvertement de cette servitude, sans plus de considération pour l’alourdissement des sanctions adopté sur l’initiative du Sénat. Qu’en est-il, madame la ministre, du respect de la date butoir du 15 janvier pour les PME ?
Les plans d’affaires des industriels seraient bousculés pour faire de la place aux marques de distributeurs (MDD). Si cela était avéré, nous assisterions à un phénomène de concentration qui pose problème pour l’avenir, le distributeur se faisant industriel. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le Sénat, lors de l’examen de la loi Descrozaille, a choisi de soumettre également les MDD à renégociation et à leur appliquer le principe de non-négociabilité des matières premières agricoles.
Néanmoins, sauf intervention du Gouvernement, cela restera peine perdue, car, avec des centrales d’achat échappant au droit français, la sanctuarisation de la matière première agricole (MPA) par rapport aux MDD pourra être contournée.
Cerise sur le gâteau, si vous me permettez l’expression, il semble aujourd’hui flotter un sentiment général d’impunité du côté des enseignes et des centrales d’achat, un sentiment peut-être lié à l’injonction du ministre de l’économie d’aller chercher des baisses de prix à tout prix, si j’ose dire, c’est-à-dire sans base rationnelle.
Le problème posé par les pratiques des centrales d’achat basées à l’étranger n’est pas spécifique à la France : vingt parlementaires européens de tous les groupes politiques, dont plusieurs députés français, ont demandé en mai 2023 à la Commission européenne d’agir contre les alliances de distributeurs.
De très nombreuses fédérations de tous pays ont répondu à la consultation de la Commission européenne, demandant un encadrement des pratiques déloyales de ces alliances et un renforcement du réseau européen des autorités de contrôle. Ce sujet ne sera toutefois à l’agenda qu’à la fin de 2025.
La grande distribution contre-attaque sans vergogne : EuroCommerce a déposé un recours contre la loi Descrozaille auprès de la Commission européenne. Elle prétend que cette loi française est protectionniste, car elle empêcherait les alliances de distributeurs.
C’est faux : la loi française n’empêche nullement les alliances européennes de distributeurs ! Elle précise simplement que le droit français des négociations commerciales doit être respecté pour les produits destinés au marché français, car ces dispositions sont d’ordre public. Ces dérogations sont d’ailleurs parfaitement reconnues par les traités européens, a fortiori quand il s’agit de protéger la rémunération des agriculteurs.
Madame la ministre, quelles actions le Gouvernement entend-il entreprendre pour faire appliquer le droit français ? Envisagez-vous, notamment, une augmentation du plafond des sanctions adoptées dernièrement dans le but de dissuader ces mauvaises pratiques ?
Le Gouvernement peut-il confirmer que des sanctions immédiates seront prises contre les centrales d’achat si les contrôles engagés par la DGCCRF montrent qu’elles n’ont pas respecté les dates butoirs et la sanctuarisation de la MPA ?
Pour conclure cette introduction et ouvrir le débat, j’ajouterai que la souveraineté agroalimentaire française a un coût ; que les normes écologiques ont également un coût ; mais que ces coûts ne peuvent être supportés par les seuls agriculteurs et entreprises agroalimentaires de notre pays.
C’est tout le travail engagé à travers les lois Égalim successives : faire reconnaître la valeur ajoutée par chaque maillon de la chaîne de production.
Le dernier texte sur les négociations commerciales présenté par le ministre de l’économie – devenu la loi du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation – est toutefois venu remettre en cause ce travail de longue haleine ; y était prônée une baisse des prix « coûte que coûte », quelles que soient les contraintes supportées par les agriculteurs, les fournisseurs et les industriels de l’agroalimentaire. Le ministre a ainsi relancé – sans le vouloir, je pense – une certaine guerre des prix entre distributeurs, dont les bras armés seraient ces centrales d’achat basées à l’étranger.
Les conséquences pourraient s’avérer désastreuses, tant pour la pérennité des entreprises françaises de l’agroalimentaire que pour les agriculteurs qui manifestent en ce moment leur ras-le-bol et expriment leur perte de confiance, ou encore pour la qualité de l’alimentation des Français et pour notre balance commerciale.
Madame la ministre, comment envisagez-vous de faire respecter les dispositions des lois Égalim et le droit français par les centrales d’achat basées à l’étranger ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente, madame la sénatrice Loisier, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé pour la protection des revenus des agriculteurs. C’est un élément auquel le Sénat est particulièrement attentif, je le sais, et le débat que propose le groupe UC aujourd’hui l’illustre parfaitement.
Le revenu agricole, c’est aussi un sujet sur lequel nous avons constamment besoin de travailler. La rémunération des agriculteurs soulève nombre de difficultés qui se cristallisent dans les mobilisations que l’on observe aujourd’hui. La première des réponses que nous devons y apporter, c’est la stricte application des lois qui ont été votées par le Parlement, sans contournements.
Les agriculteurs assurent une mission absolument essentielle : ils nous nourrissent ! Cette mission est d’autant plus essentielle que notre capacité à produire pour nous nourrir redevient aujourd’hui un enjeu stratégique avec le retour de la guerre en Europe, l’alimentation étant de nouveau utilisée comme une arme par des puissances étrangères.
Pour autant, le partage de la valeur est insuffisant en la matière et les agriculteurs bénéficient encore trop peu de leurs gains de productivité. Pour une répartition plus juste, le Gouvernement agit donc sans relâche depuis 2017 et les États généraux de l’alimentation.
À ce titre, le Gouvernement a soutenu le vote et la mise en œuvre de la loi Égalim 2, qui a constitué une avancée majeure dans l’organisation des négociations commerciales entre l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. L’objectif est de pouvoir conjuguer défense du pouvoir d’achat alimentaire des consommateurs et protection des revenus des agriculteurs. Il faut de surcroît que nous assumions collectivement, dans le débat public, qu’une agriculture qui produit dans des conditions respectueuses de l’environnement a un coût, donc un prix.
Pour atteindre cet objectif, la loi Égalim 2 organise la construction du prix « en marche avant » et la sanctuarisation de la matière première agricole tout au long de la chaîne, de la production à la distribution en passant par la transformation.
À cette fin, le texte repose sur deux piliers.
En amont, entre l’agriculteur et le premier acheteur, la loi impose la contractualisation écrite de la relation commerciale ; ainsi, celle-ci peut prendre en compte les coûts et leur évolution.
En aval, entre l’industriel et le distributeur, c’est-à-dire la chaîne de supermarchés, la loi prévoit le « soclage » des coûts de la matière première agricole. Ceux-ci ne peuvent pas être renégociés par le distributeur, et ce afin de préserver l’équilibre de la relation commerciale finale avec l’agriculteur en amont de la chaîne.
Pour veiller à l’application de cette loi, le Gouvernement mobilise massivement les agents de la DGCCRF. Ainsi, chaque année depuis trois ans, plus de 120 agents sont missionnés. Il faudra, dans les semaines qui viennent, faire encore davantage.
À titre d’exemple, sur la relation aval entre le fournisseur et le distributeur, des contrôles sont effectués chez chacun des principaux distributeurs. Plus de 500 relations contractuelles avec les principaux industriels sont ainsi vérifiées.
En cette période de fin de négociations commerciales, la mobilisation des agents de la DGCCRF est particulièrement forte et se poursuivra dans les prochains jours.
En cas de constatation d’un manquement à ces obligations, la DGCCRF peut recourir à des leviers juridiques puissants. Elle dispose en effet d’un pouvoir d’injonction sous astreinte financière pour contraindre un opérateur à mettre ses pratiques et ses contrats en conformité avec le droit applicable. Ce pouvoir a été mis en œuvre contre les trois grandes enseignes qui pratiquaient des pénalités logistiques.
La DGCCRF peut également prendre directement des sanctions administratives en cas de non-respect de la date butoir ou du formalisme contractuel, comme elle l’a fait en 2019 contre quatre enseignes de la grande distribution.
Enfin, elle peut assigner en justice un opérateur pour des pratiques abusives, telles que le déséquilibre significatif, et demander au juge civil de prononcer une amende. En 2019, la DGCCRF a ainsi demandé au juge de prononcer une amende civile de 117,3 millions d’euros à l’encontre d’Eurelec, une somme correspondant au triple des sommes indûment perçues par cette centrale internationale auprès de ses fournisseurs.
De la même manière, le Gouvernement accorde une attention toute particulière au respect de la véracité de l’origine France affichée. Protéger la crédibilité de l’indication d’origine française est aussi une manière de protéger les revenus de nos agriculteurs, tout en respectant les choix des consommateurs. Chaque année, plus de 600 sanctions sont ainsi imposées par la DGCCRF.
Dans ce contexte, le Gouvernement veille à éviter tout comportement de contournement via l’étranger.
Le développement récent des centrales d’achat européennes pose ainsi problème. L’articulation entre le droit du marché intérieur européen, d’une part, et le droit commercial français, d’autre part, peut interroger.
Toutefois, à ce jour, l’utilisation de centrales situées hors de France n’interdit nullement de faire appliquer la loi française.
Le Gouvernement mobilise ainsi pleinement la DGCCRF et n’hésite pas à sanctionner les pratiques qui seraient en infraction à la loi française. Ainsi, ces deux dernières années, plusieurs chaînes de distributeurs français ont fait l’objet de sanctions, atteignant parfois plusieurs dizaines de millions d’euros, pour non-respect des dispositions de la loi Égalim 2 par leurs centrales d’achat situées hors de France.
En parallèle, et de manière plus structurelle, le Gouvernement proposera à la prochaine Commission européenne un agenda visant à une clarification et une meilleure coordination du droit applicable. L’objectif doit être de mettre un terme à d’éventuelles pratiques de contournement qui ne pourraient aujourd’hui pas être facilement sanctionnées.
Permettez-moi de conclure en soulignant de nouveau l’importance majeure de l’agriculture, dans toute sa diversité, à la fois pour la souveraineté alimentaire de notre pays et pour notre activité économique. Elle est résolument engagée en faveur des transitions écologiques, avec un budget de 4 milliards d’euros sur trois ans qui lui permettra de sortir des injonctions et de lui donner, enfin, les moyens d’agir. Je salue enfin son apport essentiel pour la cohésion de nos territoires.
En cette période où le monde agricole se mobilise fortement, non seulement pour faire entendre ses revendications et ses difficultés, mais aussi pour exprimer sa fierté et son besoin de reconnaissance, cette contribution essentielle mérite d’être rappelée. Je tiens à assurer aux agriculteurs que nous ne lâchons rien dans le combat pour leur garantir une juste rémunération et les moyens d’exercer leur activité dans de bonnes conditions.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum, y compris pour l’éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Madame la ministre, le débat d’aujourd’hui tombe à point nommé. L’actualité brûlante, avec cette mobilisation massive des agriculteurs dans tout le pays, nous rappelle à quel point notre agriculture est en crise.
La situation nous oblige. Elle nous oblige à agir pour une meilleure reconnaissance du travail et pour une plus juste rémunération de celles et ceux qui contribuent à nourrir les Français. Elle nous oblige à respecter la lettre et l’esprit des lois Égalim : assurer une juste répartition de la valeur entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
À cet égard, je ne peux que constater l’échec cuisant du Gouvernement, un échec qui condamne les agriculteurs.
Eurelec, Eureca, Everest : ces noms ne disent rien à la plupart des Français ; pourtant, ces centrales d’achat situées à l’étranger mènent une véritable guerre des prix qui pénalise fortement les petits fournisseurs et se répercute inévitablement sur les producteurs et les éleveurs. Ces géants de la distribution usent de stratagèmes parfois à la limite de la légalité pour garantir leurs marges.
Mais rien n’arrête les centrales d’achat ; aucune considération éthique ne leur importe ! Leurs profits sont sacrés et peu importe si les agriculteurs en meurent…
Face à cette situation, le Parlement a adopté en 2023 la loi Descrozaille, qui visait notamment à encadrer l’activité des centrales d’achat internationales en imposant que les contrats conclus sur des produits commercialisés en France respectent notre législation.
Cette disposition du texte avait été largement critiquée et dénoncée par les distributeurs, qui estimaient cette mesure contraire aux règlements européens.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour contrer ces pratiques déloyales ? Alors que l’inflation mine déjà le budget des Français, comment comptez-vous réguler cette guerre des prix pour assurer une meilleure rémunération des agriculteurs ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, nous avons parfaitement conscience qu’il est essentiel de reconnaître le travail des agriculteurs, qui se mobilisent aujourd’hui dans tout le pays.
Cette reconnaissance s’est traduite notamment par la mise en place du « paquet » Égalim, qui doit permettre de mieux sécuriser le revenu des agriculteurs. Ces lois entrent progressivement en application, la loi Égalim 2, qui porte plus particulièrement sur ce dernier point, étant en vigueur depuis 2023.
La première loi Égalim avait quant à elle pour objet d’encourager la structuration des filières, notamment laitière, bovine et porcine. Ce chantier est bien avancé et nous constatons une amélioration du revenu des agriculteurs, particulièrement dans la filière laitière. Certes, nous devons encore y travailler, comme nous y invite la mobilisation de ces derniers jours, notamment en continuant à accompagner ce mouvement de structuration.
Le cadre législatif que nous avons mis en place est donc solide, même s’il peut toujours être amélioré. C’est le sens de la loi Descrozaille, sur laquelle le Sénat a beaucoup travaillé.
Enfin, une mission gouvernementale va être lancée par Bruno Le Maire pour continuer à réfléchir à la sécurisation du revenu des agriculteurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Votre gouvernement prône la baisse des prix des produits alimentaires dans les supermarchés pour lutter contre l’inflation. Il alimente de ce fait les difficultés des agriculteurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Madame la ministre, les négociations commerciales sont en cours et nous attendrons le début du mois de février pour faire un bilan global. Ce que nous savons déjà, c’est que, au lieu d’avoir des révisions de prix en mars, les Français supporteront les hausses dès février.
À rebours du discours porté depuis des années en faveur de la sécurisation du revenu des agriculteurs, nous avons eu droit à un discours très agressif visant à faire baisser les prix, discours puissamment relayé par Bruno Le Maire et les distributeurs, balayant d’un revers de main l’inflation des coûts de production. Bizarrement, d’ailleurs, cette petite musique s’est tue depuis le début des manifestations de nos agriculteurs voilà quelques jours…
Les centrales d’achat européennes constituent l’un des points sensibles de ces négociations très difficiles. De plus en plus d’entreprises sont concernées, en premier lieu les multinationales souvent stigmatisées. L’argument des distributeurs est toujours celui des volumes. Certaines centrales d’achat européennes demandent même, en préambule de toute négociation cette année et indépendamment des plans d’affaires nationaux, d’avoir un prix unique pour tous les pays européens, évidemment le prix le plus bas.
Personne ne s’en est vraiment ému, comme si ces multinationales n’avaient pas d’usines en France, dans nos territoires, ni de salariés français répondant à notre modèle social, ou comme si ces entreprises ne s’approvisionnaient pas auprès de nos agriculteurs français.
Aujourd’hui, l’émotion commence à poindre, puisque toutes les entreprises françaises sont maintenant concernées par ce détournement de la loi. Le Sénat avait alerté le Gouvernement sur ce risque dès la première loi Égalim en pointant le probable déplacement des négociations en dehors de la France.
Madame la ministre, je souhaiterais que vous nous disiez très clairement comment Bercy compte faire appliquer la loi française. Comment les industriels, quelle que soit leur taille, peuvent-ils être assurés que les procédures des lois Égalim seront respectées pour sécuriser juridiquement les contrats qui seront conclus – du moins l’espérons-nous – d’ici quelques heures ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Primas, la lutte engagée par Bruno Le Maire contre l’inflation et la recherche d’une juste rémunération des agriculteurs ne sont pas forcément antagoniques.
Vous m’interrogez sur les négociations menées par les centrales d’achat européennes. Soyons clairs : en aucun cas la localisation des négociations hors de France ne doit servir à contourner la législation française.
Si la signature des conventions a lieu hors de France, les échanges de produits et les commandes ont bien lieu sur notre sol. L’exécution du contrat a donc intégralement notre territoire pour cadre. Dès lors, quand les prix d’achat sont négociés pour les distributeurs français hors de France, les centrales d’achat européennes doivent se conformer au droit français. (Mme Sophie Primas se montre dubitative.)
Elles sont notamment soumises à la loi Égalim, qui impose le « soclage » du prix des matières premières agricoles dans les relations commerciales entre les industriels et les distributeurs, ainsi qu’aux dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence, notamment l’interdiction de soumission à un déséquilibre significatif et l’interdiction d’obtention d’avantages sans contrepartie tirées des articles L. 442-1 et suivants du code de commerce.
Enfin, madame Primas, sachez qu’en 2023 la DGCCRF a mené quelque cinquante contrôles au sein des centrales d’achat européennes.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Madame la ministre, le débat qui nous réunit aujourd’hui est tristement d’actualité. Le monde agricole est en feu et réclame de vivre dignement de son travail : quoi de plus logique ? quoi de plus évident ? quoi de plus noble ?
Les agriculteurs, ces travailleurs stakhanovistes, ont été dépouillés de leurs marges, au bénéfice notamment de certaines centrales d’achat, et ce depuis plusieurs dizaines d’années.
Où sont passées ces marges ? C’est l’objet de notre débat ce matin.
Les centrales d’achat situées hors de France sont incontrôlables, à l’abri du droit français, au contraire de celles qui se trouvent sur notre territoire et des coopératives, bien que l’on y recense encore parfois des pratiques régulièrement dénoncées.
Ces agissements mettent le monde agricole à l’agonie. Ces centrales d’achat n’ont d’autre ambition – passez-moi l’expression – que de serrer le kiki des agriculteurs pour les plonger dans leurs retranchements, dans la spirale infernale de la réduction des marges et du travail à perte !
Pris dans une concurrence mondialisée avec des pays imposant des contraintes d’exploitation bien plus légères, le monde agricole français souffre et les centrales d’achat enfoncent le clou, bien décidées à faire supporter aux agriculteurs la pression sur les marges.
Le ministre de l’économie demande des sanctions ; les parlementaires, eux, demandent l’application stricte des lois Égalim.
Les tensions sont importantes. Elles résultent de la politique désastreuse du « toujours moins cher » au détriment du « toujours mieux produit ». Les conséquences se font sentir directement, en nous détournant d’une consommation locale au préjudice de nos agriculteurs.
Madame la ministre, allons-nous réviser les règles et les sanctions en vigueur à l’échelle de notre pays ? Allons-nous activer les leviers européens à Bruxelles ? L’agenda que vous avez évoqué est trop lointain.