4
Décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (proposition n° 861 [2022-2023], texte de la commission n° 244, rapport n° 243).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter cet après-midi prévoit : la mise en place d’un décompte annuel, sur l’ensemble du territoire, du nombre de personnes contraintes de dormir à la rue ; mais aussi l’élaboration d’un rapport comportant les éléments de ce diagnostic et une liste de recommandations, qui sera transmise chaque année à la représentation nationale.
Qu’on ne se trompe pas sur la nature de ce texte : il instaure un décompte, certes, mais avec un objectif, que ce décompte fasse bouger les choses et mette la question des sans-abri au premier rang des priorités politiques.
Ce texte doit être un outil qui fasse monter en puissance l’action publique en mobilisant tous les acteurs et en premier lieu l’État, dont c’est la responsabilité.
Il s’inscrit par ailleurs dans un double contexte d’urgence sociale et de crise profonde du logement dans notre pays. Car soixante-dix ans après l’appel de l’abbé Pierre, la situation se dégrade partout en France, et de manière dramatique.
Ce début d’année a été marqué par une vague de froid intense, durant laquelle plusieurs personnes sans abri sont mortes dans la rue. Le collectif Les Morts de la rue, dont je salue la présence en tribune ainsi que celle des Oubliés de la République, dénombre chaque année près de 700 décès de personnes sans abri.
Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France fait quant à lui état de plus de 4 millions de personnes mal logées, dont 1 million sont privées de logement personnel. Parmi ceux-ci, la Fondation estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile fixe, qu’elles vivent à la rue, dans un abri de fortune, à l’hôtel, en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ou dans un centre d’hébergement généraliste.
L’année 2023 est aussi celle d’un triste record : celui du nombre d’enfants vivant à la rue, environ 3 000 d’après les estimations. Cette situation révoltante, contraire à nos lois, à nos valeurs universelles, est une réalité. Le Gouvernement ne peut pas continuer de la nier ou de la sous-estimer. Comme élus, nous le voyons dans nos écoles à Paris, à Lyon, à Toulouse et ailleurs.
Tous ces chiffres se traduisent concrètement par des situations de détresse sociale très concrètes : enfants vivant dans l’incertitude quotidienne de l’accès à une place d’hébergement, personnes sans abri, familles trouvant refuge dans des voitures, les urgences hospitalières ou des halls d’immeuble, sans compter des phénomènes comme la recrudescence de la précarité alimentaire ou la dégradation de la santé.
Il est d’autant plus difficile pour les associations de faire face à cette crise sociale, marquée par la recrudescence de la grande pauvreté, qu’elles ne sont pas suffisamment soutenues et qu’elles doivent accompagner des personnes aux parcours très divers : travailleurs précaires, migrants, personnes souffrant de troubles psychiatriques, jeunes en sortie de l’aide sociale à l’enfance (ASE), isolés et se retrouvant sans ressources à leur majorité.
La période actuelle conjugue par ailleurs plusieurs facteurs de fragilisation : crise climatique, migratoire et sociale ; inflation, en particulier des prix alimentaires ; insuffisance de logements sociaux et coût prohibitif du logement privé ; saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence.
Or, face à cette crise du logement et de l’hébergement inédite depuis trente ans et qui rappelle – sans exagérer – l’hiver 1954, où en sommes-nous des actions mises en œuvre ?
Je vous ferai grâce des engagements pris par le président Macron lors de ses vœux pour l’année 2018, qui avait promis que plus une seule personne ne dormirait à la rue, ou des propos de l’ancien secrétaire d’État au logement la même année, lequel avait estimé à une cinquantaine de personnes le nombre de sans-abri dans toute l’Île-de-France…
En mai dernier – cela n’est pas très ancien –, le Gouvernement a annoncé, par la voix du ministre du logement, la création d’un observatoire du sans-abrisme à la suite des interpellations du Sénat à ce sujet. Qu’en est-il aujourd’hui ? À ma connaissance, rien ne s’est passé depuis la réunion d’installation au printemps 2023.
Par ailleurs, au cours de la dernière discussion budgétaire, un amendement du groupe Union Centriste prévoyant la création de 6 000 places d’hébergement d’urgence a été adopté dans cet hémicycle, mais le Gouvernement l’a fait disparaître avec le 49.3.
Mme Nathalie Goulet. Et voilà !
M. Rémi Féraud. Puis, quelques semaines plus tard, il a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 120 millions d’euros, mais sans plus de précisions. Nous ne savons donc pas de quoi il retourne…
Mme Nathalie Goulet. Eh non…
M. Rémi Féraud. Cette gestion « au thermomètre », surtout déterminée par des besoins de communication et des promesses non tenues, ne doit pas masquer une terrible réalité : des milliers de personnes dorment encore dehors dans notre pays.
Le nombre de places d’hébergement s’élève à environ 200 000, le double, certes, de ce qu’il était voilà dix ans, mais il n’empêche que cela reste largement insuffisant. Vous me direz sans doute, monsieur le ministre, que le plan Logement d’abord a permis à plus de 500 000 personnes d’accéder à un logement pérenne. C’est vrai, mais « le logement d’abord » ne doit pas être un simple slogan justifiant de laisser des hommes, des femmes et des enfants dormir dehors. Or le nombre de personnes sans domicile augmente : il est estimé à 330 000 aujourd’hui, contre moins de 150 000 il y a dix ans, et il a triplé en vingt ans. Les choses sont donc claires : la hausse réelle du nombre de places d’hébergement ne suit pas celle du nombre de personnes sans domicile.
C’est cette réalité qui a conduit, voilà un an, des maires de grande ville et des acteurs de la solidarité à signer une tribune appelant le Gouvernement à prendre plusieurs mesures pour lutter contre la grande pauvreté et ne laisser personne à la rue ou sans accompagnement. La présente proposition de loi s’appuie sur leur initiative.
En effet, des solutions existent pour enrayer la spirale négative de la précarité et de l’exclusion, sans mettre en concurrence entre eux les différents publics et les différents territoires, comme c’est trop souvent le cas. Ces solutions sont souvent mises en œuvre par des collectivités locales.
La Ville de Paris a ainsi lancé en 2018 la Nuit de la solidarité, une opération de décompte nocturne des personnes sans abri qui se tient chaque hiver et qui mobilise bénévoles, associations et travailleurs sociaux. Cette opération permet aussi de mieux appréhender les besoins des personnes décomptées, afin de faire progresser les dispositifs d’accompagnement, d’hébergement et d’insertion. Elle permet également d’interpeller l’État sur l’insuffisance de son action en matière d’hébergement.
Les informations qui en émanent sont d’autant plus précieuses que la connaissance du sans-abrisme reste insuffisante dans notre pays, qu’elles sortent ces personnes de l’invisibilité et qu’elles font appel à l’ensemble de la société, grâce à la mobilisation des citoyens bénévoles.
D’autres villes que Paris, partout en France, se sont emparées de cette initiative au cours des dernières années et le texte que je vous présente permet de prolonger cet élan en le généralisant ; c’est d’autant plus légitime que c’est à l’État que revient la responsabilité politique de l’hébergement d’urgence.
Pendant la période de confinement due au covid-19, alors que le mot d’ordre était de rester chez soi, l’État a ouvert, avec l’aide des communes, des places d’hébergement pour permettre à presque toutes les personnes sans abri de trouver un refuge. Et le défi a été relevé ! La Cour des comptes elle-même a reconnu l’efficacité de la dépense publique engagée à cette fin. C’est la preuve que nous pouvons y parvenir, mais à condition d’avoir une volonté politique, fondée sur le réel, c’est-à-dire sur un état des lieux chiffré de manière objective et partagée. En matière d’hébergement, c’est une obligation de résultat qui s’impose.
Permettez-moi enfin, mes chers collègues, de remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et son président, Patrick Kanner, d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat. Je remercie également la commission des affaires sociales – son président, Philippe Mouiller, représenté aujourd’hui par la vice-présidente Gruny, et sa rapporteure, Laurence Rossignol – de son travail constructif sur ce texte. Adopter cette proposition de loi constituerait un progrès important vers le diagnostic et l’identification des moyens nécessaires sur chaque territoire, un levier pour que l’action publique soit à la hauteur de l’enjeu et que personne ne soit contraint, en 2024, de dormir à la rue dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mmes Nathalie Goulet et Marie-Pierre Richer ainsi que M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rémi Féraud vise à instaurer sur tout le territoire français un décompte annuel des personnes sans abri pendant une nuit.
Avant de vous en présenter le contenu et la position de la commission, il me semble utile de rappeler ce qui, au sens de l’Insee, distingue les personnes sans domicile des personnes sans abri.
Une personne est considérée sans domicile lorsqu’elle a dormi la nuit précédente dans la rue, dans un lieu non prévu pour l’habitation – une tente, un bidonville, un parking, un parc – ou dans un hébergement généraliste, comme un lieu d’hébergement d’urgence, un hôtel ou un centre pour demandeur d’asile.
Une personne devient sans abri lorsqu’elle passe régulièrement la nuit dans la rue ou dans un lieu non prévu pour l’habitation.
Naturellement, ces catégories se recoupent partiellement et ne sont pas figées, elles sont même fluides dans le parcours des individus, une personne pouvant passer alternativement de l’une à l’autre.
Rappelons-le, la politique d’hébergement est une compétence de l’État, dont le pilotage est assuré par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). Depuis 2017, des efforts ont été faits pour améliorer ce pilotage : priorité est désormais donnée à l’accès au logement des personnes sans abri via les plans Logement d’abord ; le nombre de places d’hébergement est ainsi passé d’environ 149 000 à 203 000 en 2022. En outre, le Gouvernement affiche depuis 2021 la volonté de rompre avec une gestion « au thermomètre », c’est-à-dire avec l’ouverture de places supplémentaires lors d’épisodes de grand froid, qui conduit à des ruptures de parcours lorsque ces moyens temporaires cessent d’être déployés.
En ce qui concerne le dispositif Logement d’abord, jugé positivement par les associations, j’appelle l’attention du Sénat sur le fait qu’il dépend globalement de l’offre de logement social ; pour qu’une personne quitte le dispositif et libère son hébergement, il faut qu’elle trouve un logement social. Par conséquent, la crise de la construction que nous vivons – il n’a jamais été construit aussi peu de logements que cette année – pèsera sur ce dispositif.
Les indicateurs et les données dont dispose l’État pour piloter ses politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme ne permettent pas d’élaborer un diagnostic suffisamment précis. En effet, les sources sont plurielles : elles comprennent le recensement des habitations mobiles et des sans-abri qui est réalisé dans les communes tous les cinq ans, les remontées des services intégrés de l’accueil et de l’orientation – le 115 –, les rapports des associations, mais également les enquêtes de l’Insee.
Ces dernières, dites « sans domicile », sont trop irrégulières : la dernière remonte à 2012 et ne comporte pas de données territoriales, tandis que les résultats de la prochaine étude ne seront connus qu’en 2027. En quinze ans, vous en conviendrez, la situation a changé, dans le sens d’une dégradation. Par ailleurs, les données concernant les outre-mer n’y seront pas incluses.
À ceux qui s’étonneraient que l’on propose d’ajouter un décompte à celui de l’Insee, je répondrais que l’on fait face à de semblables enjeux avec les violences faites aux femmes. En la matière, il existe des enquêtes nationales, comme l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff) ou l’enquête Virage (Violences et rapports de genre) de l’Institut national d’études démographiques, mais il existe aussi, parallèlement, un décompte des féminicides réalisé en temps réel par des associations ou par les services du ministère de l’intérieur. Cela nous permet de disposer de chiffres précis et d’un tableau de bord mis à jour régulièrement, ce que ne permet pas, pour ce qui concerne les sans-abri, l’enquête de l’Insee. Le décompte des personnes sans abri sera donc complémentaire des enquêtes de l’Insee et des associations.
En janvier 2018, le secrétaire d’État chargé du logement, Julien Denormandie, avait déclaré sur une radio nationale – Rémi Féraud l’a rappelé, donc je ne veux pas insister trop lourdement pour ne pas enfoncer le clou, mais cela nous avait stupéfiés – qu’il y avait « une cinquantaine de personnes sans abri en Île-de-France ». Cela avait déclenché une polémique et entraîné l’organisation d’un décompte. La Ville de Paris avait organisé, un mois plus tard, sa première Nuit de la solidarité, suivant l’exemple de Madrid, Londres et Bruxelles.
Cette opération consiste à quadriller la ville afin de décompter le nombre de personnes sans abri une nuit donnée. Elle est pilotée par les services municipaux, en collaboration avec la Dihal et le secteur associatif, et mobilise depuis six ans plus de 2 000 citoyens bénévoles et travailleurs sociaux. Un questionnaire est soumis, lorsque cela est possible, aux personnes sans abri, afin de recueillir des éléments sur leur situation personnelle.
D’autres communes ont suivi le mouvement : en 2023, 27 villes de la métropole du Grand Paris et 15 communes de région ont organisé une nuit de la solidarité. Par ailleurs, 16 communes de plus de 100 000 habitants sur 42 se sont portées volontaires.
Cela étant, ce mouvement n’est pas linéaire : le total des villes participantes est passé de 48 en 2022 à 42 en 2023. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : la démobilisation de certains bénévoles, le manque de moyens humains, le choix de certaines communes de ne pas procéder à cette opération tous les ans ou encore leur décision de faire une pause.
Bien que les points de vue des différents acteurs contribuant à la lutte contre le sans-abrisme puissent diverger quant à la méthodologie à employer, tous reconnaissent l’intérêt d’une extension de ces décomptes annuels et beaucoup ont plaidé pour une meilleure harmonisation des pratiques.
Pour ma part, j’y vois quatre intérêts principaux : cela permet d’améliorer la connaissance du public sans abri, d’un point de vue quantitatif et qualitatif, de renforcer la visibilité du sans-abrisme, de mobiliser, sensibiliser et informer les citoyens sur la question du sans-abrisme, et de créer une structure d’échanges entre les différents acteurs que sont l’État, les collectivités territoriales et les associations.
Enfin, même si l’hébergement est une compétence de l’État, les communes agissent au quotidien en faveur des personnes sans abri, notamment via les centres communaux d’action sociale (CCAS), que ce soit pour domicilier ces personnes afin de faciliter leurs démarches administratives ou pour installer des bains-douches, des bagageries, des tiers lieux dédiés à l’alimentation ou à l’insertion ou encore des espaces permettant de se reposer ou de charger son téléphone.
Pour répondre aux besoins des personnes sans abri et adapter les politiques publiques à leur égard, les communes ont besoin de disposer de données actualisées, tant quantitatives que qualitatives.
Je veux citer deux exemples démontrant l’utilité de ces décomptes. Le premier est celui des femmes sans abri.
L’Insee estime que celles-ci représentent 1 % de la population sans abri, alors que la Nuit de la solidarité parisienne de 2023 constate qu’elles représentent 9 %. Ce constat a permis à la Ville de Paris de créer des lieux dédiés à ces femmes.
Second exemple, qui me préoccupe particulièrement et qui peut conduire à des actions de prévention pour empêcher les gens de se retrouver à la rue : les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance. On estime que 40 % des jeunes sans abri sortent de l’ASE. Je ne peux pas croire qu’il soit impossible d’anticiper leur sortie de ce dispositif – rien n’est plus certain qu’une sortie de l’ASE – afin de préparer leur hébergement et d’éviter qu’ils ne se retrouvent à la rue.
Ces deux exemples concrets démontrent la nécessité de compter pour prévenir, afin d’adapter nos moyens d’action.
J’en viens au dispositif de la proposition de loi.
L’article 1er instaure, pour toutes les communes, une obligation de décompte annuel des personnes sans abri sur leur territoire, réalisé de nuit par des travailleurs sociaux et des bénévoles. Les modalités d’organisation des décomptes sont renvoyées à un décret. Il est prévu, à partir des données collectées, d’élaborer un diagnostic territorial relatif au sans-abrisme afin d’évaluer et de piloter la politique d’hébergement d’urgence et d’accompagnement social sur le territoire concerné.
La commission a adopté un amendement afin de tenir compte des spécificités des communes rurales et de taille moyenne, tout en conservant l’objectif d’un décompte annuel national. Ainsi, l’organisation des nuits de la solidarité ne concernerait que les villes de plus de 100 000 habitants. En effet, les communes rurales et de taille moyenne ne disposent pas toujours du tissu associatif et des ressources humaines nécessaires pour quadriller tout leur territoire. En outre, il appert que le phénomène du sans-abrisme concerne essentiellement – mais pas seulement, il est vrai – les métropoles : la ville d’Arras n’a, par exemple, relevé que 4 personnes sans abri lors de son dernier décompte, alors qu’elle est tout de même peuplée de 42 000 habitants. Nous avons donc assoupli le dispositif.
Pour les communes de moins de 100 000 habitants, l’obligation consisterait à transmettre chaque année au préfet de département les données relatives au nombre de personnes sans abri sur leur territoire. Elles auraient donc non pas à organiser une nuit de la solidarité, mais simplement à recenser ces personnes, comme elles doivent déjà le faire tous les cinq ans via le recensement des habitations mobiles et des personnes sans abri. Le préfet serait ensuite chargé d’établir un diagnostic territorial. Enfin, à l’échelon national, la Dihal coordonnerait et centraliserait les données.
En outre, la commission propose que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) rende un avis sur le décret organisant les modalités d’organisation des décomptes.
L’article 2 oblige le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport annuel d’évaluation nationale des politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme, à partir des données collectées lors des décomptes mentionnés à l’article 1er. Ce rapport comprendrait une présentation nationale des résultats du diagnostic et une liste de recommandations à mettre en œuvre en matière de planification et de développement de l’offre d’hébergement. La commission a souhaité que le CNLE rende un avis sur ces recommandations.
Mes chers collègues, la commission a adopté cette proposition de loi ainsi amendée ; je m’en félicite.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Alors que l’actualité nous rappelle, comme chaque année, combien la question du sans-abrisme mérite les politiques publiques les plus adaptées aux réalités et aux besoins, la commission vous invite à adopter ce texte. Pour bien agir, il faut d’abord connaître ; c’est ce que nous proposons au travers de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission – chère Pascale Gruny -, madame la rapporteure Laurence Rossignol, monsieur l’auteur de la proposition de loi Rémi Féraud, mesdames, messieurs les sénateurs, votre ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune.
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat est l’occasion de nous interroger sur la pertinence de la méthode actuelle d’estimation du nombre de personnes sans domicile ou sans abri.
Cette estimation est une boussole, nous en convenons tous. À cet égard, je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, comment fonctionne une boussole : pour que celle-ci soit utile, il est avant tout nécessaire de savoir où l’on veut aller.
Aussi me permettrez-vous de rappeler à titre liminaire quelques éléments clés de l’action du Gouvernement en matière de lutte contre le sans-abrisme, action qui repose sur deux principes : assumer la montée en puissance d’une politique d’hébergement d’urgence et de mise à l’abri immédiate des personnes vulnérables et accélérer les efforts de l’État en matière d’accès à un logement, non pas de fortune, mais pérenne, des personnes sans domicile.
En ce qui concerne la politique d’hébergement d’urgence, cela a été rappelé, il y a bien 203 000 places ouvertes, un nombre qui a doublé en dix ans et auxquelles il faut ajouter les 114 000 places du dispositif national d’accueil. Il y a donc 317 000 places – dans les Cada, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), les hôtels, etc. – pour accueillir ceux qui se retrouvent sans domicile.
En outre, au cœur de l’hiver – cela s’est de nouveau produit voilà quelques jours –, l’activation du plan Grand froid permet de rehausser ce niveau.
Enfin, vous l’avez indiqué, Patrice Vergriete a annoncé au début du mois de janvier le déblocage d’une enveloppe supplémentaire de 120 millions d’euros pour créer 10 000 places d’accueil complémentaires pour les publics vulnérables.
Au-delà de la mise à l’abri, il est crucial d’accélérer les efforts de l’État en matière d’accès au logement dans la durée des personnes sans domicile. En l’espèce, notre outil principal est bien le plan Logement d’abord, dans sa première version d’abord, qui a permis de donner un logement pérenne à 440 000 personnes, puis dans sa seconde version, qui a d’ores et déjà permis de loger 110 000 personnes sans domicile fixe.
Telle est notre boussole.
Notre ambition est simple : il s’agit de poursuivre ce travail de mise à l’abri, afin qu’il n’y ait personne à la rue, tout en proposant parallèlement des logements durables à ceux qui ont vocation à rester sur notre territoire.
Voilà le chemin à suivre.
Dans ce contexte, vous nous proposez, monsieur le sénateur Féraud – je tiens d’ailleurs à saluer votre travail, ainsi que celui de la commission et de sa rapporteure, Mme Laurence Rossignol –, une méthode permettant de recenser avec plus d’exactitude la réalité des besoins. Oui, il est méthodologiquement compliqué de faire une estimation robuste, fiable, du nombre de personnes concernées par le sans-abrisme, et ce pour de multiples raisons.
D’abord – c’est tautologique –, une personne sans domicile fixe n’a pas de lieu dans lequel on peut la recenser. Ensuite, certains habitats de fortune ne sont pas connus des agents qui assurent le recensement. En outre, l’absence d’homogénéisation des processus et la part des bénévoles dans ce recensement empêchent que soit appliquée partout la même méthode. Enfin, le recensement de jour ne permet pas de mesurer complètement la réalité du phénomène.
Cela étant dit, nous ne sommes pas totalement aveugles face à ce phénomène. D’abord, un certain nombre de facteurs nous permettent d’estimer le volume des besoins d’hébergement ; c’est d’ailleurs tellement vrai que, chaque année, c’est bien sur le fondement de l’estimation du nombre de sans domicile fixe que nos débats reposent. Cette estimation quantitative s’appuie sur un modèle prenant en compte des données connues ou prévisionnelles et se déduit d’abord des facteurs de pression. Je pense évidemment à l’impact des politiques du logement et d’asile, qui déterminent le nombre de personnes potentiellement expulsées de leur logement dans l’année à venir.
À cette estimation quantitative s’ajoutent des facteurs de fluidité sur les flux entrants et sortants du parc d’hébergement, issus de la mise en œuvre du plan Logement d’abord, de l’attribution des logements sociaux ou encore, dans le sens inverse, des éloignements volontaires ou forcés des personnes à droits incomplets.
J’ajoute que l’observation sociale constitue un point essentiel du plan Logement d’abord. Une connaissance précise des situations et des besoins est impérative pour mieux planifier les politiques d’intervention et organiser le réseau d’acteurs en conséquence, pour une raison : jusqu’à maintenant, nous avons parlé de chiffres et de flux, mais aucun d’entre nous dans cet hémicycle et aucun des élus locaux de ce pays ne conçoit le phénomène des sans domicile fixe et du sans-abrisme comme une simple question de chiffres ; nous le voyons comme une réalité qui recouvre des visages, des prénoms, des parcours, des situations, des silhouettes.
La Dihal coordonne l’amélioration de nos politiques de recensement et les éléments qui peuvent nous aider à affiner ces politiques. Les nuits de la solidarité sont clairement un modèle qui inspire nos discussions ; vous les avez prises en exemple et vous souhaitez les généraliser. Elles sont organisées depuis plusieurs années dans différentes villes – assez peu à l’échelle de notre pays, soyons honnêtes, une quarantaine – et l’ambition de la Dihal c’est d’arriver à harmoniser les méthodes de ces décomptes, au travers d’une démarche de coordination entre les villes volontaires, afin d’aboutir à une méthodologie robuste.
Cela passe également par le lancement d’une nouvelle enquête de l’Insee sur les sans domicile fixe. Elle a déjà été réalisée par le passé et le sera encore en 2025, afin d’améliorer la connaissance à un instant donné de l’ensemble des personnes sans domicile et, au-delà de leur nombre, de leur parcours, car l’enquête va plus loin.
Son champ d’observation est par ailleurs plus large que celui du texte et des nuits de la solidarité. Elle est donc particulièrement exigeante et nécessite des années de préparation, afin d’arriver aux bonnes questions, car elle repose sur un principe : aller à la rencontre des personnes sans domicile dans les services d’aide qu’elles fréquentent, d’hébergement ou de restauration.
Par ailleurs, le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) s’assure que toutes les personnes identifiées comme sans domicile font l’objet d’une évaluation, en sollicitant si besoin les acteurs locaux.
Je n’en dirai que deux mots, faute de temps, mais je veux saluer le travail de ses agents et le chantier de fiabilisation des données dans son système d’information, le SI-SIAO.
Enfin, la plateforme résorption-bidonvilles fournit de son côté en continu des informations sur les personnes en bidonville et sur les sites dans lesquels elles vivent. Ces personnes ne sont pas sans toit, mais personne ne peut considérer qu’il s’agit d’une situation de logement enviable, durable ou qu’il conviendrait de pérenniser sans l’améliorer.
J’en arrive à votre initiative, qui vise à instaurer un décompte annuel des sans-abri dans chaque commune.
Je le dis d’emblée, j’émettrai un avis favorable sur ce texte, parce qu’il va dans le bon sens, sous réserve de l’adoption des amendements du Gouvernement. Or, en écoutant la rapporteure, j’ai eu le sentiment que nous n’étions pas si éloignés que cela. (Mme la rapporteure affiche une moue dubitative.)
Je m’explique.
En premier lieu, nous ne souhaitons pas imposer à l’ensemble des communes une obligation de transmission des données à l’État, parce que nous considérons qu’on ne peut pas traiter les communes de plus de 100 000 habitants comme les autres.