M. Max Brisson. Toujours les mêmes recettes !
Mme Colombe Brossel. Prenez vos responsabilités et faites vivre enfin l’école de la République ! L’école de la confiance, c’est la confiance dans l’école et c’est la confiance dans l’école publique ! (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
filière pêche
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. À partir du 22 janvier et pour une durée d’un mois, des centaines de pêcheurs français seront empêchés d’exercer leur activité dans le golfe de Gascogne – 600 navires sont concernés.
Ce mois sans pêche, qui concerne les Français, mais non leurs collègues de l’Union européenne, a été proposé par le Gouvernement et durci par le Conseil d’État sous la pression des associations environnementales. Il s’agit de préserver les populations de petits cétacés des prises accidentelles.
Ce mois sans pêche, c’est un nouveau coup porté à toute une filière qui, depuis des années, tente de surmonter un à un les obstacles qui se dressent devant elle. Entre les conséquences du Brexit, notamment la mise en place d’un plan de sortie de flotte, l’envolée des prix du gazole, des quotas de plus en plus restrictifs et des importations en hausse constante, c’est bien la pêche française qui est désormais en voie de disparition.
Nos marins, leurs familles et, demain, toute la filière halieutique vont continuer de souffrir, malgré tous les efforts consentis depuis trente ans. Ils s’équipent progressivement pour pallier toutes les contraintes qu’on leur impose. L’incompréhension les gagne : ne veut-on pas valoriser le travail ? Ils sont empêchés de travailler !
Et, paradoxe naissant, en Bretagne, on réfléchit à importer par avion du poisson pêché à 8 000 kilomètres de nos côtes !
La plateforme d’indemnisation qui a été mise en place pour compenser le manque à gagner subi par les pêcheurs atténuera partiellement la douleur : elle ne concernera pas toute la filière ni ne guérira la maladie. Compenser n’est pas une perspective d’avenir.
Monsieur le Premier ministre, après l’industrie et l’agriculture, voilà encore, avec la pêche, un fleuron français – garant de notre autonomie – qui souffre. Il est grand temps de changer de cap ! Qu’avez-vous à dire aux pêcheurs et à leurs familles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Annick Girardin et M. Philippe Grosvalet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Rapin, l’émotion dont vous faites part est née d’une décision du Conseil d’État, en date du 22 décembre dernier. Vous êtes en train de commenter non pas une décision gouvernementale, mais au contraire la censure par le Conseil d’État d’une tentative du Gouvernement pour concilier la préservation de la biodiversité, d’un côté, face à un risque de disparition du dauphin et du marsouin commun et, de l’autre, la possibilité de poursuivre une activité de pêche qui fait partie intégrante de notre souveraineté.
Le compromis avait consisté à prendre un arrêté établissant des mesures de fermeture spatiotemporelles tout en prévoyant des dérogations pour certains équipements. L’impact desdits équipements a néanmoins donné lieu à une controverse scientifique, certains répulsifs sonores étant accusés d’attirer les dauphins près des bateaux équipés au lieu de les en éloigner, compte tenu de l’intelligence de l’espèce.
Les chiffres, monsieur le sénateur, sont préoccupants : plus de 1 000 échouages sont recensés chaque année et il y a consensus pour dire que les activités de pêche dans le golfe de Gascogne provoquent la mort de 5 000 à 10 000 cétacés par an. À ce niveau de mortalité, les risques sont réels et avérés pour la viabilité et tout simplement la survie d’une espèce (Mme Annick Girardin le conteste.) qui contribue à l’équilibre de cet écosystème.
Face à cette situation et compte tenu de la décision du 22 décembre, la question est de savoir comment accompagner la filière et comment, dans les semaines et les mois qui viennent, construire et trouver un équilibre : comment à la fois défendre la biodiversité et répondre à la préoccupation de ces hommes et de ces femmes dont je n’ignore pas que, pour eux, la pêche est non seulement un gagne-pain, mais une philosophie, une vocation, une façon de vivre ? C’est l’ambiance des ports qui est en jeu – je pense évidemment à tous ceux que vous connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, je pense à la Vendée et au golfe de Gascogne de manière générale. Ce sont des centaines de bateaux de plus de huit mètres qui sont concernés.
Nous nous battons en ce moment même et nous allons continuer de nous battre sur le volet des compensations, mais nous aurons très vite à nous retrouver avec les représentants des filières, car il est nécessaire, au-delà de ce mois de fermeture spatiotemporel, d’examiner cette question de façon plus posée et plus constructive, en vue du moyen terme. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et François Patriat applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, vous avez répondu techniquement à ma question ; je vous en remercie.
Néanmoins, au-delà de ce que vous avez exposé, reste à traiter l’enjeu des familles, sur tous les territoires littoraux. La question de la pêche se pose aujourd’hui dans le golfe de Gascogne, mais demain, Brexit oblige, elle sera de nouveau un sujet d’actualité prégnant sur la façade Manche Est-mer du Nord ainsi que sur les côtes de la Bretagne.
Monsieur le ministre, les enjeux liés à la mer n’ont-ils pas aujourd’hui valeur suffisante pour mériter un ministère de plein exercice ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Montaugé et Mickaël Vallet applaudissent également.)
retraites agricoles
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Voilà un an exactement, un texte était adopté à l’unanimité des deux chambres. Ici, au Sénat, au cours de la discussion générale précédant son adoption, Olivier Dussopt, alors ministre du travail, avait dit, au nom du Gouvernement : « Nos agriculteurs et nos agricultrices, plus largement les Français et les Françaises, nous attendent sur cet horizon de justice sociale. »
Ce texte, c’était la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, et non plus sur l’ensemble de la carrière.
La loi en question, promulguée le 13 février 2023, comporte un article unique, qui dispose que, dans un délai de trois mois à compter de sa promulgation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport précisant les modalités de sa mise en œuvre. Le rapport ainsi prévu doit présenter notamment « le détail des scénarios envisagés et des paramètres retenus pour [son] application […] ainsi que, le cas échéant, les dispositions législatives et réglementaires qu’il convient de modifier ».
Bref, ce rapport doit donner tous les éléments qui permettront à la Mutualité sociale agricole (MSA) de commencer cet énorme chantier.
Or, à ce jour, un an après, toujours aucun rapport ! Dès lors, les associations professionnelles agricoles et la MSA alertent sur le fait que, dans ces conditions, le dispositif ne sera probablement pas opérationnel dans le délai prévu par la loi.
Monsieur le ministre, je relaie aujourd’hui cette alerte : où en est ce rapport tant attendu ? Quand sera-t-il remis au Parlement ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Sollogoub, je vous remercie de votre question. Elle me permet de faire un point sur un sujet qui, vous l’avez dit, est important : un sujet de justice, de reconnaissance, mais aussi d’attractivité, au moment où nous parlons de renouvellement des générations.
Je veux commencer par vous dire ce qui a été fait – grâce à vous, d’ailleurs : les lois Chassaigne 1 et 2, le relèvement du minimum de pension agricole de 75 % à 85 % du Smic – soit 115 euros de plus par mois pour près de 200 000 pensionnés. Nous avons rendu plus équitable le calcul de la pension minimale : 200 000 retraités agricoles sont concernés, dont 70 % de femmes, et l’on sait à quel point la situation des femmes était en la matière très défavorable.
La réforme des retraites, défendue par Olivier Dussopt, a permis de revaloriser un certain nombre de pensions. Je pense aux exploitants qui sont partis à la retraite au titre de l’invalidité ou du handicap – 45 000 retraités sont concernés.
Nous avons donc avancé collectivement : l’occasion m’est donnée ce soir de le dire.
Pour ce qui concerne la proposition de loi du député Julien Dive, à propos de laquelle vous attendez un certain nombre de réponses, je dois à la vérité de dire que le ministère de l’agriculture, interrogé, à l’époque, sur le délai dans lequel nous pourrions rendre le rapport prévu à l’article unique, avait répondu qu’il était envisageable de le faire dans les trois mois suivant la promulgation du texte. Tenir ce délai s’est révélé très difficile : un certain nombre de données étaient manquantes et l’on sait très bien – la MSA l’a dit – qu’il est complexe de reconstituer les carrières.
Je suis toutefois en mesure de vous dire que nous allons pouvoir rendre public le rapport au début du mois de février 2024 – il fallait du temps ! Nous allons faire, dans ce cadre, un certain nombre de propositions.
C’est évidemment, je l’ai dit, un sujet très complexe : à modifier à ce point les règles de calcul, en retenant désormais pour référence les vingt-cinq meilleures années, on prend le risque qu’il y ait beaucoup de perdants et des gagnants mal identifiés. C’est pour cette raison que l’élaboration du rapport a pris autant de temps : j’assume que nous ayons pris tout le temps nécessaire pour faire les choses sérieusement et en bon ordre.
Deux pistes peuvent être envisagées, mais nous en reparlerons et vous serez associés à ce travail, mesdames, messieurs les sénateurs.
Première piste : appliquer la réforme aux seuls nouveaux entrants.
Seconde piste : procéder à une double liquidation. Le cas échéant, la liquidation se ferait sur la base des règles actuellement en vigueur pour les périodes d’assurance antérieures à 2026 et en fonction des vingt-cinq meilleures années pour les périodes postérieures.
C’est sur ces pistes que nous travaillons et que nous allons échanger : nous approchons du but, qui est de rendre justice aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le ministre, je suis très contente ! Je m’apprêtais, dans ma réplique, à râler très fort, mais tout va bien : vous annoncez une remise du rapport début février ; je ne m’attendais pas à une réponse aussi favorable.
Vous l’avez compris, nous serons très attentifs. Nous avons déjà perdu beaucoup de temps par rapport à l’échéance qui avait été fixée – je rappelle que le texte initial prévoyait que la réforme s’applique au 1er janvier 2024 (M. le ministre le concède.) –, et chaque semaine qui passe sans que le rapport soit remis va manquer à la MSA, s’agissant d’un dossier extrêmement complexe dont les enjeux sont d’une très grande importance. Nous attendons désormais que les choses aboutissent très vite. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sophie Primas.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable, par 31 voix pour et 2 voix contre, à la nomination de Mme Marie-Laure Denis à la présidence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
5
Candidatures à une commission d’enquête
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050.
En application de l’article 8 ter, alinéa 5, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Intégrité territoriale de la République d’Arménie
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution visant à condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, appelant à des sanctions envers l’Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 157).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a plus d’un siècle, les mots suivants ont été prononcés tout près d’ici, à la Sorbonne : « C’était notre sœur d’Orient qui mourait, et qui mourait parce qu’elle était notre sœur et pour le crime d’avoir partagé nos sentiments, d’avoir aimé ce que nous aimons, pensé ce que nous pensons, cru ce que nous croyons. » Ces phrases si justes, si émouvantes, ont été prononcées, quelques mois après le génocide arménien, par Anatole France. C’était en avril 1916.
Aujourd’hui, ces phrases si belles trouvent malheureusement un écho dans l’actualité, avec le nettoyage ethnique qui a eu lieu dans le Haut-Karabagh voilà quelques mois à peine.
Le Haut-Karabagh a été assiégé, coupé de la terre qui est sa mère, l’Arménie, et il a vu sa population affamée. En trois jours seulement, plus de 120 000 personnes – femmes, enfants, hommes et vieillards – ont été jetées sur les routes d’un exode peut-être définitif. C’est évidemment, à n’en pas douter, une opération de nettoyage ethnique.
Trois mille ans d’histoire, trois mille ans de présence arménienne sur cette terre ont été effacés en trois jours seulement ! C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de déposer cette résolution, que j’ai coécrite notamment avec Gilbert-Luc Devinaz, à qui je veux rendre hommage.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, mes chers collègues, cette résolution est transpartisane : elle a été signée par l’ensemble des groupes de notre hémicycle – c’est suffisamment rare pour être souligné. Derrière ce symbole, il y a une réalité : la cause arménienne est aussi une cause française, et nous la défendons quelles que soient nos origines géographiques ou nos préférences partisanes.
Bien sûr, monsieur le ministre, nous avons déposé cette résolution avec un objectif, nous étant aperçus, avec d’autres collègues, que ce processus d’éradication pouvait malheureusement être la première étape d’un autre processus, plus grave : la remise en cause de la souveraineté territoriale de l’Arménie.
Notre objectif est de crier haut et fort notre opposition. Il est de dire que nous n’accepterons pas l’inacceptable, que nous n’admettrons pas l’inadmissible. Notre objectif est de ne rien céder. Notre objectif est de ne rien croire des mots de M. Aliev. Bien sûr, celui-ci déclare vouloir la paix, mais, le connaissant, nous savons désormais que ces mots sont des mensonges !
Comment peut-on d’ailleurs le croire, alors qu’il a renié sa propre signature ? Je pense aux accords de cessez-le-feu de novembre 2020, des accords tripartites signés sous l’égide d’une Russie qui, là encore, a joué double jeu.
Comment peut-on le croire, alors que ces accords prévoyaient la libre circulation des populations à travers le couloir de Latchine, notamment entre le Haut-Karabagh et l’Arménie ?
Ces accords de cessez-le-feu ne prévoyaient bien évidemment aucune violation de la souveraineté de la nation et de l’État d’Arménie. Or tout cela a été balayé ! Ce sont donc des mensonges.
« Là où le mensonge prolifère, la tyrannie se perpétue. » Cette très belle phrase est de Camus. Ce lien intrinsèque entre le mensonge et la tyrannie, que Soljenitsyne avait lui aussi rappelé, a toujours existé, dans notre histoire et dans le monde entier.
Mes chers collègues, nous ne devons pas être dupes et nous ne devons pas accepter le fait accompli. C’est d’ailleurs grâce à son mensonge que M. Aliev a – en quelque sorte, car, s’il avançait ses pions, certains ont été complaisants – « berné » la communauté internationale.
Monsieur le ministre, vous étiez député au Parlement européen quand nous avons tous désapprouvé le voyage de Mme von der Leyen, qui est allée signer un accord gazier à Bakou.
On sait parfaitement que cet accord gazier visait, en réalité, à contourner les sanctions pourtant décidées par l’Union européenne à la suite de la transgression commise par la Russie, de son agression de l’Ukraine et des violences qu’elle y commet.
On ne peut pas croire ce que dit M. Aliev. On ne peut accorder le moindre crédit ni la moindre vérité à sa signature !
Néanmoins, si le régime de Bakou n’a pas de parole, il a un projet : le négationnisme et l’expansionnisme.
En particulier, il n’admet pas le génocide arménien de 1915, qu’une grande partie du monde reconnaît pourtant aujourd’hui. Pis, il affirme haut et fort que la ville d’Erevan a été volée par les Arméniens. Pis encore, il a baptisé la capitale du Haut-Karabagh, Stepanakert, des noms des génocidaires. (Mme Valérie Boyer s’exclame.) Rendez-vous compte, c’est du négationnisme !
Au-delà du cousinage que j’évoquais entre la tyrannie et le mensonge, il en existe un autre : les liens qu’entretiennent le négationnisme et l’expansionnisme, avec le projet de création, avec l’aide et l’appui constant de la Turquie, d’un espace commun néo-ottoman, qui irait de la mer Égée à la mer Caspienne. D’où cette idée d’un couloir de Zanguezour, qui permettrait d’assurer une continuité territoriale pour cet espace. D’où aussi l’expression de M. Erdogan, qui, parlant de ces deux pays, emploie cette formule : « Deux pays, mais une seule nation. »
Pouvez-vous penser, monsieur le ministre, que M. Aliev s’arrêtera là ? J’espère que non ! Il faut évidemment être extrêmement ferme.
Outre Mme von der Leyen, ce sont de nombreuses nations occidentales qui se sont déshonorées. Je me félicite que la France ait été l’une des rares nations à protester – peut-être timidement, sans doute tardivement.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle est néanmoins toujours au rendez-vous !
M. Bruno Retailleau. Le Président de la République s’est manifesté. Je suis prêt à le reconnaître à cette tribune, d’autant plus volontiers que, en règle générale, je ne suis pas un opposant complaisant à l’égard du chef de l’État.
M. Patrick Kanner. Pas comme Rachida Dati…
M. Bruno Retailleau. Je souhaite simplement, monsieur le ministre, que cette fermeté et cette détermination soient durables et totales, et qu’elles s’exercent sur chaque violation de l’Azerbaïdjan, même si cet État dispose de pétrole, de gaz, de certaines richesses – dans tous les sens du terme. Ce que je souhaite, c’est que toutes les violations soient punies. Tel est l’objet de la résolution que j’ai corédigée avec mon collègue Gilbert-Luc Devinaz.
Je pense aux violations du droit de la guerre, lors des quarante-quatre jours de la guerre de 2020. Je pense aux violations des droits de l’homme et du droit au juste retour des populations arméniennes. Je pense encore aux violations commises à l’égard des dirigeants politiques du Haut-Karabagh, dont on sait qu’ils sont aujourd’hui détenus dans les geôles de Bakou. Ces dirigeants doivent être libérés. Une voix française doit porter ce message de libération. On ne peut accepter cette situation.
Je pense, enfin, aux violations commises à l’encontre de cette culture. Il y a un trait commun à tous les régimes autocratiques totalitaires : ils s’en prennent à la présence humaine et jusqu’à la trace de celle-ci, la culture !
Ce que nous demandons solennellement, monsieur le ministre, c’est notamment que l’Unesco, qui a son siège à Paris et dont la directrice générale a été ministre de la culture en France, dépêche une délégation d’experts internationaux pour contrôler l’état de ce patrimoine multiséculaire, multimillénaire, qui appartient non seulement à la nation arménienne, mais à l’humanité tout entière.
J’espère du reste – je l’imagine bien volontiers –, que la ministre de la culture de ce gouvernement aura à cœur de ne pas ménager ses efforts pour encourager l’Unesco à faire son travail. C’est fondamental !
M. François Bonhomme. Ce n’est pas gagné…
M. Bruno Retailleau. Je parlais tout à l’heure de détermination et de fermeté. Elles doivent être durables et totales, parce que ce qui se joue dans le Caucase, c’est ce combat toujours renouvelé entre David et Goliath, entre la brutalité et la loi, entre les nations et les empires, entre la démocratie et les démocratures !
Ce qui se joue, aussi, au travers de l’existence de cette petite nation – petite par le nombre, mais grande par la culture et par ce qu’elle a apporté à la France, au travers de sa diaspora –, c’est une culture, c’est une civilisation, qui porte quelque chose qui la dépasse : une part de nous-mêmes. C’est un éclat et peut-être l’une des meilleures parts de ce que nous sommes.
Mes chers collègues, je vous remercie de soutenir cette résolution pour l’Arménie, mais aussi pour ces liens multiséculaires qui nous unissent à ce grand peuple et à cette belle nation courageuse ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’offensive éclair des forces de l’Azerbaïdjan le 19 septembre dernier, pour la première fois depuis plus de deux mille ans, la quasi-totalité des habitants de la république d’Artsakh a fui l’Arménie. Les seuls qui restent sont dans leurs tombes, d’ailleurs profanées dans des mises en scène absolument odieuses et lamentables, sans aucune protestation de la communauté internationale.
Cet exode, vécu comme une nouvelle tragédie par tous les Arméniens, s’inscrit dans le conflit séculaire marqué par le génocide de 1915.
Cette tragédie aurait pu être évitée. Le New York Times a récemment écrit, à propos de ce drame, que « presque personne ne l’avait vu venir ». Quelle hypocrisie ! Quelle contre-vérité !
Les Arméniens, ainsi que ceux qui, comme nous, dans cet hémicycle ou dans celui de l’Assemblée nationale, ont suivi le conflit avaient prévenu depuis longtemps que cela arriverait. C’était même le projet que l’Azerbaïdjan et la Turquie avaient en tête.
Monsieur le ministre, pas une année je n’ai cessé, à vos côtés ou aux côtés des députés et des sénateurs, d’alerter sur ce massacre annoncé.
Nous connaissons tous la situation géopolitique de cette région, qui vit avec les attaques, les résolutions et des négociations qui s’enlisent depuis des dizaines d’années.
Nous avons tous vu le conflit, que certains croyaient gelé, regagner de la vigueur en 2020.
Nous avons tous été témoins de l’escalade, dans la solitude et l’indifférence pour les Arméniens. Aujourd’hui, nous voyons le drame qui se joue dans le Caucase.
Nous avions d’ailleurs alerté, dans cet hémicycle, notamment à l’occasion de nos résolutions pour l’Arménie et l’Artsakh, en novembre 2020 et en 2022. À cet égard, je veux saluer et remercier l’engagement exceptionnel du président de notre Haute Assemblée, Gérard Larcher, dans le processus d’adoption de ces résolutions.
Je veux aussi souligner l’investissement de l’ancien président de notre commission, Christian Cambon, du président du groupe d’amitié France-Arménie, Gilbert-Luc Devinaz, à qui je veux rendre hommage, des présidents de l’ensemble des groupes, au premier rang desquels, bien sûr, figure Bruno Retailleau, qui s’est investi personnellement, avec beaucoup d’énergie, de courage et de conviction.
Le 7 juillet 1923 naissait la république autonome d’Artsakh, peuplée essentiellement d’Arméniens chrétiens, au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, dont la population était principalement azérie, turcophone et chiite.
Un siècle plus tard, le 28 septembre 2023, les dirigeants de l’Artsakh annonçaient la dissolution de l’entité indépendante de fait depuis 1991, avant d’être arrêtés par les forces azerbaïdjanaises.
Pourtant, à l’été 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’était rendue à Bakou afin de signer un accord honteux sur la livraison du gaz de l’Azerbaïdjan à l’Europe. Par la suite, elle a plusieurs fois loué ce pays comme un « partenaire énergétique fiable » de l’Union européenne. Quelle déroute morale, quelle honte et quelle infamie pour l’Europe et tous les pays qui l’ont soutenue !
Quelques mois plus tard, encouragé par ce soutien, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque, non sur le Haut-Karabagh, mais sur plusieurs zones à l’intérieur même de l’Arménie, du territoire souverain de ce pays reconnu par la communauté internationale, avec des frontières bien définies. Depuis lors, l’Azerbaïdjan occupe plus 100 kilomètres carrés de territoires incontestés et internationalement reconnus.
En décembre 2022, il a imposé un blocus sur le couloir de Latchine, l’unique passage entre l’Artsakh et l’Arménie.
En février 2023, la Cour internationale de justice de La Haye a émis une ordonnance contraignante, selon laquelle l’Azerbaïdjan devait immédiatement permettre la libre circulation des personnes et des marchandises dans le couloir : l’Azerbaïdjan l’a ignorée, méprisée.
Durant l’été 2023, la situation a empiré pour les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, avec de graves pénuries de nourriture, de combustibles et de médicaments.
La malnutrition a sévi et la situation est devenue si critique que plusieurs organisations ont mis en garde contre un possible génocide par la faim et par le manque de soins.
En août 2023, Luis Moreno-Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, a déclaré que les agissements de l’Azerbaïdjan devaient être considérés comme un génocide au regard de la convention sur ce crime. Pendant les plus de neuf mois qu’a duré le blocus, plusieurs dirigeants l’ont condamné et ont demandé à l’Azerbaïdjan d’y mettre un terme.
J’ai encore en tête les images du président de notre groupe, Bruno Retailleau, sur place, aux côtés de plusieurs élus et de camions humanitaires bloqués par les forces azerbaïdjanaises, aux portes de l’Artsakh.
Toutefois, contrairement à nos demandes, il n’y a eu ni sanctions ni même commencement de menace de sanctions. Là encore, quelle déroute morale !
Le gouvernement azéri a bien retenu le message : oui, il est possible de provoquer une crise humanitaire envers plus de 100 000 personnes, jusqu’à frôler le génocide, sans rien subir d’autre que des communiqués de presse timides des instances internationales ! Oui, il est possible de pratiquer la diplomatie du chantage. Oui, il est possible d’être un État corrupteur et corrompu. Tout est possible et tout se passe bien…
Malheureusement, ce qui est valable pour l’Ukraine, à juste titre, ne l’a jamais été pour l’Arménie.
Or, nous le savons tous, les mots n’ont jamais suffi à stopper les plans agressifs, génocidaires et barbares des États autoritaires. Des mesures beaucoup plus fermes étaient et seront nécessaires.
L’Azerbaïdjan considère qu’elle n’a jamais forcé les populations à fuir, mais ces exodes expéditifs s’expliquent par la crainte justifiée de vivre sous le régime autocratique de M. Ilham Aliev, dont la famille règne à Bakou depuis 1993. Ce dictateur n’a jamais caché ses intentions génocidaires.
Après le blocus du corridor de Latchine, après avoir éprouvé les populations locales, après les bombardements – au moyen, d’ailleurs, d’armes non conventionnelles –, quel choix avaient ces gens, si ce n’est la fuite, la prison ou la mort ? La valise ou le cercueil ? Certains ont même emporté leur cercueil de peur qu’il ne soit profané !
Voilà désormais l’Arménie qui a la lourde tâche d’accueillir, de soigner et de rassurer seule 100 000 personnes ayant quitté leur pays, leur terre, leur foyer, dans une indifférence presque générale, après avoir vécu le pire.
Je tiens à évoquer ici la mémoire des prisonniers torturés. Et je veux avoir une pensée pour Anouch Apetian, violée, démembrée, filmée, dont personne n’a parlé. Je n’ai entendu aucune association féministe parler du sort de cette femme ni d’autres, elles aussi victimes de l’indifférence…
Dans ce contexte, alors qu’il cherchait à se rendre en Arménie, Ruben Vardanian, humanitaire arménien et ancien ministre d’État, a été illégalement arrêté. Il fait partie des derniers habitants d’Artsakh récemment arrêtés de manière arbitraire pour des raisons politiques et détenus illégalement.
C’est également le cas de trois anciens présidents – Arayik Haroutiounian, Bako Sahakian, Arkadi Ghoukassian –, mais aussi d’autres hommes politiques, comme David Babayan, Levon Mnatsakanian, David lchkhanian et Davit Manoukian.
De nombreux autres Arméniens continuent d’être illégalement détenus dans les geôles de Bakou. Le peu d’informations accessibles sur leur état de santé et leur bien-être est profondément inquiétant. On sait qu’ils subissent tortures et menaces.
Ces personnes sont détenues en violation flagrante du droit international. Les conditions de leur détention sont particulièrement préoccupantes.