M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. En 2023, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a publié son rapport annuel sur l’état de la France en l’intitulant ainsi : Inégalités, pouvoir d’achat, écoanxiété : agir sans attendre pour une transition juste.
Ce rapport évalue la capacité des Français et des Françaises à adhérer à l’appel aux efforts individuels et collectifs pour relever le défi de la transition écologique.
Sans surprise, l’écoanxiété s’installe, accentuée par la barrière financière, qui empêche de s’engager réellement dans la transition écologique.
Nous attendions beaucoup de la loi de programmation sur l’énergie et le climat, qui devait être présentée avant le 1er juillet 2023.
À la place, et avec près de six mois de retard, un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique est en train de voir le jour.
Alors qu’il devait aborder la question du financement de la transition écologique, public comme privé, et la décliner en une trajectoire financière pluriannuelle ayant valeur d’engagement financier des parties, le texte qui nous est proposé ne concernera finalement que la production énergétique.
Monsieur le ministre, avez-vous abandonné l’idée d’une loi de programmation ?
Comptez-vous prendre en considération l’inégalité flagrante pesant sur les ménages pauvres et modestes, lesquels doivent assumer les hausses de dépenses contraintes liées au changement climatique ? Quelles sont les propositions de ce gouvernement en la matière ? Ainsi, que ferez-vous pour les plus modestes, qui seront confrontés à l’augmentation de 10 % du coût de l’électricité à venir ?
Le taux d’effort, qui représente le ratio entre les dépenses liées à la transition écologique et le revenu du ménage, n’est pas le même pour toutes et tous. Il faut donc travailler sur cette inégalité. C’est ce que j’ai fait lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, en soutenant, par exemple, le rééquilibrage de la charge fiscale de l’eau pesant sur les différentes catégories de redevables et dont le coût repose aujourd’hui essentiellement sur les ménages. Le plan Eau devait théoriquement en profiter !
Le dérèglement climatique soulève aussi une question de justice sociale. Il est donc essentiel que nous disposions d’une feuille de route claire et partagée. (Mme Colombe Brossel applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Notre pays, au moment où nous parlons, est le seul à avoir arrêté une planification.
Après avoir fourni un important travail nous permettant de disposer d’un document sérieux – il ne s’agit pas d’une simple compilation avec de belles couleurs et de beaux tableaux –, nous devons maintenant faire franchir d’autres étapes à cette planification : premièrement, sa territorialisation ; deuxièmement, sa trajectoire de financement, que vous avez appelée de vos vœux.
Monsieur Gillé, je veux croire que ce qui vous importe est non pas la date de la présentation du dispositif, mais sa cohérence et son ambition.
Le temps que l’on prend entre l’établissement de la planification nationale et sa déclinaison de l’échelle régionale à celle du bassin de vie, en associant l’ensemble des élus locaux, ne me semble pas perdu. C’est cette démarche qui nous permettra d’identifier les endroits où nous devrons accentuer nos efforts et de choisir les lignes budgétaires appropriées.
Des équilibres économiques vont être trouvés en matière de transition écologique, car le coût de l’inaction ou l’explosion des factures va nécessairement pousser certains acteurs à accélérer leur décarbonation.
La performance de l’industrie – elle est remarquable, regardons les baisses d’émissions ! –, est liée non pas simplement à la soudaine prise de conscience citoyenne de la nécessaire décarbonation, mais surtout aux exigences des clients et aux effets économiques de la dépendance aux énergies dont on ne maîtrise pas la production.
L’argent public, par nature limité, doit être concentré sur les impasses de financement. Je pense aux transports publics : il s’agit d’élaborer des politiques tarifaires pour accompagner les plus fragiles. Je pense également à la nécessité d’ajuster à ces évolutions les politiques ad hoc, à l’instar du chèque énergie évoqué par Denise Saint-Pé.
En même temps, on ne peut pas laisser penser que l’argent public sera la réponse à tout. Celui-ci doit être ciblé, en assumant ce ciblage, sur le fondement d’un diagnostic territorial fin, que nous sommes en train d’établir.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Pour cela, il faudra associer les caisses d’allocations familiales (CAF) et les conseils départementaux, organisations les mieux placées pour accompagner les plus modestes.
Je vous propose d’ouvrir ce chantier, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Je remercie également nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir pris l’initiative de ce débat de société, qui englobe beaucoup de sujets.
C’est vrai, la transition écologique représente, en masse financière, un budget très important, ce que l’on constate lors de l’examen de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », au cours de l’examen du projet de loi de finances.
J’aurais pu intervenir sur d’autres sujets, mais je me contenterai d’aborder celui qui m’anime régulièrement dans cet hémicycle : les transports publics ferroviaires.
Je connais l’engagement de l’État en la matière, notamment en faveur des petites lignes de fret, qu’il s’agisse des lignes capillaires ou des autres.
Certaines personnes utilisent très souvent les transports publics, notamment ferroviaires, quand d’autres, inconditionnelles de la voiture, les prennent très rarement.
Cela soulève des problèmes de desserte et de tarification, mais également de moyens humains : le problème de la sécurité dans les transports est souvent mis en évidence.
Les trains express régionaux (TER) relèvent de la compétence des régions.
Il y a de moins en moins de contrôleurs et d’agents au service des usagers. Dans les gares du département des Ardennes – j’associe ma collègue Mme Joseph à ce constat –, il n’y a plus grand monde pour aider et guider. Or tout le monde ne comprend pas les distributeurs, qu’ils fonctionnent ou non ; parfois, ils ne prennent pas les cartes, ou les rejettent ! Il importe pourtant de garder ce lien humain.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Laménie, je ne suis pas surpris de vous entendre sur ce sujet. (Sourires.) Tous ceux qui vous connaissent savent qu’il s’agit d’un combat non pas d’une soirée, mais d’une existence, si j’ose dire.
Notre pays est riche de ses 29 000 kilomètres de voies ferrées, un patrimoine unique.
Le choix de tout investir dans les grandes lignes a détérioré une partie du service et il est très compliqué de rattraper le retard.
Vous avez cité, à juste titre, le problème du capital humain, qui s’ajoute à celui du capital financier : il faut conduire des études, les accompagner, retrouver des capacités industrielles. Il ne suffit pas d’inscrire une somme dans un projet de loi de finances pour que les travaux se fassent. Il faut respecter le délai des études, assurer la complétude et la cohérence des lignes.
Quand on voit le montant des investissements rendus nécessaires par la réouverture de quelques trains de nuit – je pense aux lignes Paris-Berlin ou Paris-Aurillac – ou l’amélioration du service, on mesure bien que nous sommes appelés à un véritable sursaut national pour retrouver une desserte fine du territoire.
L’engagement budgétaire acté par la Première ministre Élisabeth Borne, qui sera évidemment confirmé par Gabriel Attal, s’élève à 100 milliards d’euros. Cet effort est l’une des pierres angulaires de notre politique de décarbonation.
Vous avez cité le fret ferroviaire : avec 10 % des marchandises transportées par des trains de fret, nous sommes près de deux fois en dessous de la moyenne européenne. Un excellent rapport d’information du Sénat en la matière propose, pour augmenter la part du fret, non seulement d’investir dans les rails, mais également de se préoccuper de la rénovation des plateformes, des systèmes de compatibilité entre les compagnies qui assurent ces services et de l’élargissement des chaînes d’intermodalité.
Enfin, il faut noter le travail de l’opérateur. De ce point de vue, les niveaux historiques de fréquentation témoignent de l’appétence de plus en plus grande de nos concitoyens pour ce mode de transport, le plus décarboné.
Aussi, il nous revient, en lien avec la SNCF et l’ensemble des parties prenantes, de proposer aux voyageurs une expérience client, si j’ose dire, qui allie la propreté et la sécurité à la promesse écologique que le train représente encore.
M. le président. La parole est à M. Bernard Pillefer.
M. Bernard Pillefer. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la diminution de 30 % des aides MaPrimeRénov’ pour le chauffage au bois.
Près de 7 millions de foyers français, soit environ un quart de la population, se chauffent au bois. Plus de 90 % des installations de chaudières à bois visent à remplacer une chaudière au fioul ou au gaz. En 2022, l’installation de poêles à granulés était la troisième installation la plus financée par le dispositif MaPrimeRénov’.
En parallèle, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit le doublement des logements chauffés par de la biomasse solide, principalement du bois, à l’horizon de 2028.
Pourtant, à compter du 1er avril 2024, les forfaits MaPrimeRénov’ pour l’installation d’équipements de chauffage fonctionnant au bois vont baisser de 30 %. Cette baisse est d’autant plus paradoxale qu’elle ne se justifie ni sur le plan environnemental ni sur le plan sanitaire.
D’un point de vue environnemental, en France, l’ensemble du bois prélevé pour le chauffage, mais aussi pour le papier et la construction, est largement inférieur à l’accroissement de la forêt.
D’un point de vue sanitaire, un plan d’action gouvernemental a vu le jour en 2021, ayant pour objectif de réduire de 50 % les émissions de particules fines liées au chauffage au bois domestique d’ici à 2030. Cela passe notamment par le remplacement des appareils anciens et l’installation d’équipements performants.
La baisse des aides MaPrimeRénov’ semble donc contraire à l’urgence de la décarbonation du chauffage, surtout dans les territoires ruraux et périurbains, où près de la moitié des foyers ont recours à ce type de chauffage domestique.
Au regard de ces considérations, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, sur les raisons ayant conduit à baisser les aides aux chaudières à bois ?
Pouvez-vous également préciser la place que le Gouvernement entend donner au chauffage au bois dans la transition écologique des ménages ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui n’est pas la plus simple !
Nous n’avons évidemment rien contre le chauffage au bois. Vous avez raison de le signaler, aujourd’hui, la part du chauffage au bois est loin d’épuiser la biomasse produite dans notre pays.
Néanmoins, si tous les Français se chauffaient au bois, la situation ne serait pas exactement la même. Vous l’avez rappelé en évoquant le plan d’action pour réduire de 50 % les émissions de particules fines du chauffage au bois domestique, publié en 2021, la question de l’émission des particules fines ne se pose pas de la même manière selon que l’on se trouve dans un espace peu dense ou en pleine ville. D’ailleurs, de grandes villes, particulièrement des capitales ou des mégapoles d’Amérique du Nord, ont interdit pour cette raison le chauffage au bois. Dans certains autres territoires, des restrictions peuvent exister.
Mais ce n’est pas ce qui nous a poussés à faire évoluer le dispositif MaPrimeRénov’. Vous l’avez dit, un plan d’action vise à favoriser les foyers fermés et à rappeler aux Français les bonnes pratiques, par exemple éviter de brûler du bois humide, car c’est la façon d’allumer le feu qui provoque ou non l’émission de particules fines. Vous êtes un spécialiste, donc ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre.
Le niveau des aides MaPrimeRénov’ était élevé, parce que, au moment de la crise ukrainienne, le tarif des pellets et du bois avait grimpé à des niveaux sans commune mesure avec ceux auxquels ils sont désormais revenus aujourd’hui. Certains avaient en effet profité de la guerre en Ukraine pour multiplier par deux, trois, voire quatre, le tarif des pellets ! D’ailleurs, dans ce contexte, la Haute Assemblée avait souhaité instaurer un chèque et un dispositif spécifique de soutien pour le bois.
Malgré la baisse de 30 % des aides, le chauffage au bois n’est pas exclu du bouquet des dispositifs éligibles au dispositif MaPrimeRénov’. On souhaite simplement ne pas inciter les Français à choisir davantage le bois que les pompes à chaleur, parce que si tout le monde faisait ce même choix, cela poserait un problème de bouclage sur la biomasse.
Dans les zones plus denses, il s’agit d’aller vers des modes de chauffage moins émetteurs. Nous souhaitons cependant soutenir le chauffage au bois, auquel nous croyons, en continuant de l’accompagner, avec une baisse du niveau de subventions à l’investissement.
Du reste, son faible coût de fonctionnement lui permet d’être compétitif économiquement et écologiquement sur le long terme.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, l’accès à un logement abordable et digne est un droit fondamental.
Pourtant, le secteur du logement subit l’explosion des inégalités, confirmée par les chiffres. Le logement représente jusqu’à 40 % des dépenses contraintes des ménages les plus pauvres, 37 % des passoires énergétiques sont occupées par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté, et plus de 5 millions de logements sont des passoires thermiques, classées F ou G.
La vulnérabilité énergétique est particulièrement prégnante dans les territoires ruraux. Le logement étant pour nombre de ménages le premier poste de dépenses, leur pouvoir de vivre se résume à choisir entre payer le loyer ou se nourrir correctement !
L’État est l’un des responsables de cette situation, en raison de son désengagement depuis 2017. Il est même allé plus loin dans l’injustice sociale avec une énième loi sur l’immigration qui subordonne le bénéfice des aides personnelles au logement (APL) pour les étrangers en situation régulière à cinq ans de résidence sur le territoire français.
Notre groupe a pourtant multiplié les tentatives pour rétablir de la justice sociale dans le secteur du logement, avec la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, qui avait pour objet de limiter le reste à charge pour les familles modestes, ainsi que le dépôt de nombreux amendements au cours des deux derniers projets de loi de finances pour relancer la politique de logement. Aucune de nos propositions n’a été entendue, soutenue, ou même reprise.
Il est urgent de réduire les inégalités sociales et territoriales qui se creusent dans notre pays.
Monsieur le ministre, comptez-vous mettre en œuvre une véritable politique d’accompagnement des citoyens pour que la transition écologique se traduise enfin par la réduction des inégalités en matière d’habitat et par la garantie d’une meilleure qualité de vie ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je ne m’attendais pas forcément à être interpellé sur la loi Immigration ce soir.
Aussi, je ferai miens – cela ne vous surprendra guère, même si vous pouvez y voir une facilité rhétorique – les mots de Michel Rocard, pour qui notre pays ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Il n’a pas dit que ça, c’est incomplet ! Il ajoutait : mais chacun doit en prendre sa part !
M. Christophe Béchu, ministre. Vous ne pouvez pas, d’un côté, déplorer le manque de logements, et, d’un autre, considérer qu’il serait indigne, en démocratie, qu’une majorité, laquelle correspond manifestement à la majorité de l’opinion, vote une loi ou décide de modifier les règles.
M. Franck Montaugé. C’est une mauvaise loi !
M. Christophe Béchu, ministre. Je trouve que les jugements moraux que vous portez sur ce sujet sont à géométrie variable.
Oui, le logement soulève nombre de difficultés, lesquelles ont plusieurs explications, mais il ne s’agit pas d’un problème franco-français. Partout en Europe, les gouvernements, quelle que soit d’ailleurs leur couleur politique, rencontrent des difficultés résultant du recul du pouvoir d’achat immobilier. C’est lié à l’augmentation à la fois du coût de l’argent et du coût des chantiers.
Lorsqu’il y a moins d’argent pour acheter un bien qui coûte plus cher, alors il y a une contraction du nombre de mètres carrés, ce qui aboutit à ces situations difficiles. C’est vrai en France, en Allemagne, en Espagne, ou encore en Belgique !
Vous pouvez constater cela dans tous les pays qui nous entourent, quelle que soit leur tendance politique.
Parallèlement, il y a un deuxième sujet, dont nous sommes en train de débattre, et qui est l’écologie.
Il faut certes encourager les constructions neuves pour satisfaire des besoins, mais aussi, dans le même temps, accélérer sur les réhabilitations et les rénovations. Dans notre pays, il y a des millions de logements vacants. La seule région Île-de-France compte 3,5 millions de mètres carrés de bureaux vides. Une partie des habitants de nos communes, allergiques aux voisins, signent des pétitions contre les permis de construire accordés par les maires, quelle que soit leur sensibilité politique.
Il s’agit d’une question d’ordre budgétaire, mais également philosophique. Nous devons remettre à zéro notre logiciel et retrouver les raisons collectives de construire plus sobrement, tout en répondant à des préoccupations sociales, économiques et écologiques.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, une transition écologique réussie doit bénéficier à l’ensemble de nos concitoyens, et pas seulement aux plus aisés.
Or nombre de Français ne se sentent pas concernés par la transition écologique, parce que les politiques déployées en la matière n’apportent aucune amélioration concrète à leur quotidien.
C’est une nécessité sociale et environnementale d’arrêter de considérer le logement comme une variable d’ajustement budgétaire pour en faire, enfin, une véritable cause de mobilisation nationale.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.
M. Jean-Claude Anglars. La question des solidarités au service de la transition écologique dans les territoires renvoie à l’enjeu primordial des mobilités. Des déplacements pendulaires à l’accès aux services, les transports et leurs réseaux sont au cœur du quotidien de nos concitoyens.
La dépendance à la voiture, qui varie très fortement selon la densité du territoire, domine le débat qui nous concerne. Dans les zones peu denses, essentiellement rurales, plus de trois quarts des déplacements sont effectués en voiture. Ce constat concerne environ 22 millions d’habitants, soit un tiers de la population française.
Pour les jeunes actifs, pour les familles, pour les seniors et les personnes dépendantes, mais aussi pour les touristes et les nouveaux arrivants, le pouvoir de vivre, c’est avoir accès aux mobilités routières et pouvoir compter sur leurs performances.
Or les conditions d’utilisation de la voiture personnelle ont largement influencé négativement le pouvoir de vivre ces dernières années, sous l’effet de la réduction de la vitesse maximale à 80 kilomètres par heure – les automobilistes se sont sentis stigmatisés –, de la hausse des prix des carburants, des augmentations des tarifs de péages, et des coûts inflationnistes des véhicules et de leur entretien.
C’est l’une des conséquences des inégalités territoriales : la transformation des mobilités se fait difficilement dans les zones rurales, faute de solution de substitution efficace aux modèles existants. Cette situation nécessite une action politique prioritaire et des investissements ciblés.
En Aveyron, par exemple, nous attendons un signal fort de l’engagement de l’État – il se fait toujours attendre –, pour achever la RN 88.
Aussi, monsieur le ministre, quels investissements compte faire le Gouvernement pour répondre aux contraintes de l’augmentation du coût des mobilités en zones rurales, et particulièrement en Aveyron pour la mise à 2x2 voies de la RN 88 entre Rodez et Séverac-d’Aveyron ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Merci de votre question, monsieur le sénateur Anglars. La loi 3DS a prévu, à son article 38, que certaines voies du domaine routier national pourraient être transférées aux départements et aux métropoles.
Tel est le cas de la RN 88 : le 1er janvier 2024, cette route nationale est passée sous la maîtrise du département de l’Aveyron. Je me suis entretenu de ce sujet, par téléphone, aux alentours du 22 décembre dernier, avec le président de son conseil départemental, Arnaud Viala, qui m’a fait remarquer que, dans la phase de bouclage final du contrat de plan État-région (CPER), il serait souhaitable que l’État envoie un signal au moins sur la partie « études » de ce projet d’aménagement.
Vous savez que, même si l’on tend de plus en plus à favoriser les projets d’infrastructure ferroviaire dans les CPER, ceux-ci peuvent également inclure, bien entendu, des infrastructures routières. Dès lors, au vu de ces échanges avec Arnaud Viala, nous garderons bien évidemment le projet d’aménagement de la RN 88 en tête lors de la finalisation du CPER en question, dans les prochaines semaines.
Rappelons que ce projet a reçu sa déclaration d’utilité publique (DUP) il y a vingt-cinq ans déjà. Les enjeux de mobilité qu’il soulève dépassent le territoire directement concerné. Dès lors, même si, à court terme, le financement de la réalisation du projet ne peut être envisagé, il conviendra de finaliser un financement partiel, d’autant que des études fines devront être réalisées dans certains secteurs situés en zone Natura 2000, afin de déterminer comment concilier les différents impératifs.
Je voudrais à présent revenir sur le début de votre propos, monsieur le sénateur, et sur la stigmatisation que vous avez évoquée.
Pour ma part, j’ai la conviction que, si l’on commence à expliquer qu’il y a les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, on stigmatisera une partie des Français, ceux qui n’ont pas accès aux solutions du fait de l’endroit où ils vivent et de l’impossibilité où ils se trouvent d’accéder aux domaines dans lesquels on fait les investissements les plus importants. On leur donnera le sentiment d’être exclus de la transition écologique et l’on fera d’eux des adversaires de celle-ci, alors qu’elle est nécessaire et qu’ils seront encore plus pénalisés si elle n’a pas lieu.
C’est bien pourquoi, dans les politiques de soutien à l’électrification de la voiture tout comme dans l’aide que nous apportons aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM), notamment au travers du plan France Ruralités, nous avons le souci de ne laisser personne sur le bord de la route, qu’elle soit nationale ou départementale.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet.
M. Fabien Genet. Dernier sénateur à pouvoir vous interroger ce soir, monsieur le ministre, je note que beaucoup de sujets ont déjà été évoqués. Je vous ai écouté avec attention et j’avoue que, en fin de compte, je ne regrette pas d’avoir assisté à ce débat.
Bien sûr, je suis quelque peu frustré de n’avoir pu suivre le discours de politique générale que le Président de la République a souhaité tenir ce soir, d’une manière assez audacieuse, constitutionnellement parlant, lors de sa conférence de presse. Mais le débat qui se tient en même temps ici, au Sénat, est très intéressant, car il porte sur un sujet essentiel : l’acceptabilité sociale des efforts de transition écologique et l’accompagnement nécessaire.
Si vous me le permettez, monsieur le ministre, je ferai un constat et deux remarques avant de vous poser une question.
Le constat, je le fais en relayant, à mon tour, les inquiétudes que je ressens sur le terrain, dans ma commune ou mon département, quant à la fracture sociale qui se creuse.
Beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment que cette politique de transition écologique est menée bien loin d’eux, dans une sorte de monde parallèle, par des responsables rêvant toujours à des solutions qui semblent idéales, mais qui coûteraient toujours plus cher : plus cher pour la voiture, plus cher pour le logement, plus cher pour la consommation de tous les jours.
Ainsi, les responsables politiques ignoreraient les difficultés de leurs concitoyens ; ils vivraient dans un univers similaire au monde idyllique de Barbieland – je sais combien cette évocation cinématographique fait sens dans cette assemblée… (Sourires.) – dont les habitants, les Ken et les Barbie, découvrent un jour la dureté du monde réel…
Il faut donc s’interroger sur la méthode employée en la matière, ce que je voulais faire au travers de deux remarques sur des situations que j’ai vécues récemment, même si je dois reconnaître que vous avez déjà apporté des éléments de réponse au cours du débat.
En premier lieu, j’ai assisté à la présentation aux maires, par le sous-préfet de mon arrondissement, des objectifs de planification écologique. À vrai dire, cet exercice de centralisme jacobin était un peu effrayant. Il me semble qu’il convient d’associer bien davantage les collectivités locales à cette démarche. D’ailleurs, les débats sur l’accélération du développement des énergies renouvelables prouvent la mobilisation des élus sur cette question.
En second lieu, je m’interroge sur la réalité de la politique du logement menée au travers des aides MaPrimeRénov’ : là encore, une meilleure association des collectivités locales est nécessaire. Je relève que vous avez annoncé que des projets de décentralisation seraient certainement engagés en la matière.
J’en viens enfin à ma question : monsieur le ministre, je voulais vous interroger sur l’autoconsommation énergétique, au travers notamment de panneaux photovoltaïques. Un certain nombre de mesures pourraient être prises pour favoriser celle-ci, notamment l’ouverture de l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) à de tels projets, ou encore un taux de TVA réduit à 5,5 % pour ces panneaux. Nous vous avions fait ces deux propositions au cours du dernier débat budgétaire, mais le 49.3 en a décidé autrement… Monsieur le ministre – nouveau ministre d’un nouveau gouvernement –, pourriez-vous nous rassurer en nous indiquant que, peut-être, une évolution est possible ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.