M. le président. Mes chers collègues, nous saluons la présence dans nos tribunes des maires et des élus de Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements.)
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est impossible d’aborder ce budget sans dire qu’il s’agit en réalité d’un exercice d’équilibriste.
Monsieur le ministre, je dois reconnaître que vous n’avez pas manqué de souplesse pour exécuter ce grand écart entre des exigences contradictoires : d’un côté, réduire le déficit budgétaire et l’endettement de notre pays, de l’autre, soutenir le pouvoir d’achat des Français et investir dans la transition écologique ou le régalien.
Pour le dire autrement, puisqu’il faut poser le cadre de cet exercice budgétaire, reconnaissons avec lucidité que, d’une certaine façon, nous sommes confrontés à la quadrature du cercle.
Il en résulte un budget que je crois pouvoir résumer en trois mots : inquiétant, engagé, mais subi.
Si j’évoque un budget inquiétant, c’est parce que l’on a envie de vous suivre, monsieur le ministre, mais qu’en même temps on n’est pas sûr d’avoir confiance dans les hypothèses sur lesquelles il se fonde.
Vos hypothèses sont jugées trop optimistes par tous les experts : vous vous appuyez sur une croissance à 1,4 % du PIB, un reflux marqué de l’inflation, qui chuterait à 2,6 %, une baisse des dépenses de l’État, alors que ce n’est jamais arrivé depuis 2015, une amélioration du solde budgétaire à hauteur de 27,6 milliards d’euros, un déficit public qui passerait de 4,9 % à 4,4 % du PIB, une hausse de la consommation et de l’investissement des ménages, malgré des taux d’intérêt élevés et alors que de nombreux Français se tournent en priorité vers l’épargne.
Certes, vos prévisions macroéconomiques pour 2023 se sont révélées justes – je pense notamment à la croissance. Certes, les bons résultats économiques obtenus jusqu’à présent en termes d’emploi et d’activité ont débouché sur un réel dynamisme des recettes fiscales. Certes, la nouvelle démarche des revues de dépenses devrait être un outil de bonne gestion, avec, à la clé, sûrement des économies et des gains d’efficience.
Mais ce budget s’apparente à une architecture complexe, qui reposerait sur une poutre dont on mesure mal la résistance. J’espère que nos débats viendront étayer cette impression et apporteront des réponses concrètes à nos inquiétudes.
Il s’agit également, pour le groupe du RDSE, d’un budget qui se veut engagé. Je dis bien « qui se veut » parce que, si la volonté du Gouvernement de soutenir le pouvoir d’achat, d’accélérer la transition écologique et d’investir dans les fonctions régaliennes est louable, il n’en demeure pas moins que les marges de manœuvre sont limitées et que les mesures réelles ne seront à l’évidence pas à la hauteur des effets d’annonce.
Ainsi, l’indemnité carburant pour les plus modestes n’est qu’une mesure purement symbolique : 100 euros par an quand vous faites vingt ou trente kilomètres par jour pour vous rendre au travail, c’est une somme dérisoire.
Il convient d’aborder avec prudence la question des transports dans le monde rural. L’abandon des énergies fossiles et la transformation de nos habitudes doivent faire l’objet d’un accompagnement des pouvoirs publics, y compris à destination des classes moyennes. Attention aux bonnes idées vertes qui déclenchent des colères noires et finissent sur des ronds-points jaunes. (Sourires.)
M. Christian Bilhac. Très bien !
M. Raphaël Daubet. De la même façon, écarter nombre de communes du prêt à taux zéro est une erreur funeste. Une fois de plus, ce sont les territoires ruraux qui sont oubliés. Justifier cette mesure par la maîtrise de l’artificialisation des sols ne peut que faire bondir les élus locaux, englués dans la coûteuse et interminable élaboration de plans locaux d’urbanisme intercommunaux qui sont déjà censés viser cet objectif.
On nous dit que ces territoires ne sont pas en tension. Mais bien sûr qu’ils le sont ! Seulement, les tensions sont bien différentes : dans ces secteurs, combien d’entreprises, parfois des fleurons de notre industrie, peinent à honorer leurs carnets de commandes, faute de main-d’œuvre ? Sans compter que l’enjeu démographique et celui du vieillissement menacent nos services publics, nos écoles, nos commerces…
En revanche, l’indexation des prestations sociales et des retraites sur l’inflation, de même que la lutte contre la fraude fiscale, sont évidemment d’excellentes mesures.
Le groupe du RDSE salue aussi l’effort en faveur des collectivités locales même si, à notre avis, il reste très insuffisant au regard des besoins.
Les communes et communautés de communes font face à un défi majeur. Alors qu’elles doivent s’engager dans une nouvelle ère à travers leurs investissements sur le terrain, qu’elles sont les seuls maîtres d’ouvrage de la transformation du pays, de la rénovation des infrastructures sportives, des écoles, des monuments, qui sont parfois à bout de souffle, du remplacement des réseaux en fin de vie, qu’elles ont la charge de concrétiser la transition dans les territoires, elles sont confrontées, dans le même temps, à un affaiblissement de leurs marges de manœuvre en raison du relèvement du point d’indice de la fonction publique territoriale et des effets de l’inflation.
L’augmentation de 220 millions d’euros de la DGF, tant attendue, est bienvenue, mais largement insuffisante.
Sur le papier, l’engagement pour la transition écologique est remarquable : 10 milliards d’euros. Mais là encore, les résultats seront-ils au rendez-vous des prévisions ?
Cette semaine, 800 millions d’euros de crédits non consommés dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov’ ont été annulés pour 2023. Et pourtant, on décide d’augmenter ces mêmes crédits de 1,6 milliard d’euros pour 2024. Est-ce pertinent ? Nos dispositifs sont si complexes et exigeants qu’ils détournent finalement les Français de la rénovation énergétique au lieu de les encourager à l’entamer sérieusement.
En définitive, nous nous retrouverons, en fin d’année 2024, à réaffecter des sommes colossales à de tout autres actions.
En revanche, la bascule vers la fiscalité verte et le crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte auront sans doute des effets concrets sur l’accélération de la transition écologique.
Le groupe du RDSE appelle à la prudence s’agissant de la généralisation des budgets verts. Certes, la valorisation des projets vertueux est souhaitable, mais prenons garde à la tentation de coter la vertu des actions municipales dans des tableurs Excel.
Mme Christine Lavarde. Très bien !
M. Raphaël Daubet. Quelle interprétation les institutions et la population feront-elles à terme de ces données ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Raphaël Daubet. Le groupe du RDSE salue également l’effort en faveur de l’école de la République, qui traverse une crise d’identité très profonde, alors même qu’elle doit contribuer à l’émancipation de nos enfants, au retour de l’ordre républicain, à la lutte contre les communautarismes et apporter une solution aux problématiques d’intégration. Rien que cela ! (M. Christian Bilhac applaudit.)
J’attire encore une fois votre attention sur l’enjeu majeur que constituent la recherche et l’enseignement supérieur. Il faut plus encore pour préparer l’avenir.
En outre, ce budget consacre des augmentations de crédits pour soutenir les fonctions régaliennes : défense, intérieur, justice. Il s’agit de choix stratégiques qui correspondent, pour nous, à une saine décision du Gouvernement.
J’en terminerai par là, in cauda venenum ! Ce budget est un budget subi, autrement dit un budget qui s’inscrit dans la continuité, ou pis, dans la continuation. C’est le budget d’un pays qui peine visiblement à se réformer, qui ne parvient pas à remettre en cause son organisation administrative.
À la lecture de ce projet de loi de finances pour 2024, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la pesanteur de l’héritage, des habitudes et du conservatisme dans nos politiques publiques, sur le poids de la dépense publique et l’obésité d’une partie de nos administrations qui grèvent le déficit public.
Quelle rationalisation administrative nous propose-t-on ? Ce projet n’est pas lisible. Il est grand temps que la simplification, que vous appelez de vos vœux, monsieur le ministre, se concrétise.
On observe en outre que les prévisions en termes d’embauches, dont certaines sont bien sûr utiles et attendues – mais d’autres moins –, sont en contradiction avec la loi de programmation des finances publiques. On s’appuie, pour investir, sur un tas d’opérateurs et d’agences, qui coûtent cher en fonctionnement et qui ne sont, au fond, que des interfaces entre l’État et les territoires.
L’ambition du plan France 2030 et le cap clair et volontariste de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 impliquent des investissements massifs et rapides, des courroies de transmission raccourcies et un délestage courageux de tout ce qui pèse inutilement sur l’organisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. le rapporteur général applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili.
M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément des propos de mon collègue Didier Rambaud, je souhaiterais livrer le point de vue de notre groupe sur les crédits alloués aux territoires d’outre-mer.
Je tiens à saluer l’effort du Gouvernement en direction de nos territoires, qui souffrent d’un retard important par rapport à l’Hexagone.
Les crédits destinés à ces territoires doivent faire l’objet d’un décompte global, toutes missions confondues, et non d’une prise en compte dans la seule mission « Outre-mer ».
En ce qui concerne ladite mission, les crédits sont notoirement en hausse, au-delà du rythme de l’inflation.
Je tiens plus particulièrement à saluer l’augmentation des compensations des exonérations de cotisations sociales, qui atteignent 123 millions d’euros, et la hausse des moyens visant à garantir la continuité territoriale, qui s’élèvent à 23 millions d’euros et qui contribueront notamment à pallier l’augmentation du coût des billets d’avion.
J’ajoute que le montant des crédits destinés à soutenir le logement sera historiquement élevé : il s’établira à 291 millions d’euros, en hausse de plus de 20 % par rapport à l’an dernier.
Bien entendu, on pourrait estimer, au regard de la situation concrète de nos territoires, qui cumulent les indicateurs de chômage et de pauvreté les plus préoccupants de la République, qu’il en faudrait encore plus. Et je partage ce constat.
Toutefois, il faut reconnaître que nos territoires ne sont pas oubliés par le Gouvernement, monsieur le ministre. J’en veux pour preuve les deux aides exceptionnelles votées cette semaine dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 : 50 millions d’euros de crédits pour l’aide à l’enfance accordés au conseil départemental de Mayotte et 63 millions d’euros pour combattre la crise de l’eau dans cet archipel.
Notre groupe défendra bien évidemment, au cours de la discussion budgétaire, un certain nombre d’amendements tendant à compléter les dispositions figurant dans ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous entamons l’examen de ce projet de budget, nous apprenons que, selon le programme des Nations unies pour l’environnement, notre planète serait sur une trajectoire de réchauffement, au regard des engagements pris, de près de 3 degrés Celsius d’ici à la fin du siècle. C’est un scénario catastrophe…
En tant que parlementaire, il nous incombe d’agir résolument. Dans le contexte de ce projet de loi de finances, chaque mission, chaque programme, chaque action revêt une importance particulière, car chaque tonne de CO2 évitée compte.
À l’Assemblée nationale, en recourant à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement décide finalement de tout, tout seul. Nous, membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, restons fermement convaincus qu’il faut maintenir un débat parlementaire exigeant sur la place accordée à la transition écologique dans ce texte. Nous continuerons de défendre un modèle de société plus durable, centré sur une nouvelle relation au vivant et ne laissant personne de côté.
La transition écologique doit être à la fois ambitieuse et juste. Le caractère social de cette transition est la condition sine qua non de sa réussite.
À cet égard, nous refusons catégoriquement les politiques publiques qui accablent les ménages les plus précaires. Alors que l’empreinte carbone des ménages les plus riches est la plus élevée, ce sont pourtant les revenus des ménages les plus modestes qui sont les plus pénalisés par la transition écologique. C’est la raison pour laquelle il est impératif de favoriser une répartition plus équitable des responsabilités.
Vous admettrez, mes chers collègues, que, de ce point de vue, le Gouvernement n’est pas au rendez-vous.
Le projet de budget proposé met l’accent sur le désendettement et la réduction des impôts. Alors que dans le rapport que leur a commandé Mme la Première ministre, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz préconisent des investissements publics supplémentaires de l’ordre de 34 milliards d’euros par an d’ici à 2030 pour réussir la transition énergétique, le Gouvernement ne prévoit que 10 milliards d’euros, dont 7 milliards d’euros pour le ministère de la transition écologique.
Un budget de 10 milliards d’euros au lieu de 34 milliards : comment pourrons-nous élaborer une transition écologique ambitieuse et juste avec des moyens aussi limités ?
Parallèlement, il faut s’attendre à ce que les recettes issues des taxes sur les énergies fossiles diminuent progressivement dans les années à venir et à ce que le ralentissement de la croissance – que nous voyons poindre – entraîne une perte de recettes fiscales et sociales pour l’État.
Nous en appelons par conséquent à un sursaut politique exceptionnel. Si le Gouvernement manque d’idées, qu’il prête une oreille attentive aux propositions que le groupe socialiste formulera au travers de ses amendements au cours de l’examen de ce projet de loi de finances.
Car, oui, nous entendons prendre l’argent là où il se trouve, en créant de nouvelles recettes indispensables pour relever ces défis. Nous prônons également une politique franche d’aides directes et des efforts de redistribution, qui placent les ménages modestes au centre de nos préoccupations.
Nous entendons aussi construire une société beaucoup plus sobre grâce au développement d’une économie de la réparation, qui créera des emplois verts, favorisera la réparation durable des produits et stimulera l’activité économique, tout en réduisant notre empreinte écologique.
France Stratégie l’affirme : la sobriété est le moyen le plus sûr d’économiser de l’argent public en permettant, par exemple, le développement du covoiturage, des transports en commun et du vélo. Demain, les infrastructures de mobilité douce devront faire l’objet d’un accompagnement plus intensif.
Nous entendons enfin réduire les inégalités territoriales. Pour ce faire, nous continuons de défendre un grand plan ferroviaire permettant la reconnexion des territoires ruraux et le désengorgement des zones urbaines denses.
En faisant de la réindustrialisation un levier, nous aspirons à transformer en profondeur notre paysage économique, afin de recréer des bassins d’emploi au cœur de nos territoires et de revitaliser nos villes. Cette démarche, associée à la transition vers une industrie décarbonée, constitue une aventure collective dont nous avons grand besoin.
Par ailleurs, nous pensons que les collectivités territoriales doivent être considérées comme des accélérateurs de la transition. Pour garantir ce rôle moteur et éviter l’inertie dans la mise en œuvre concrète des politiques climatiques, il est impératif de garantir leurs capacités financières – ma collègue Isabelle Briquet y reviendra.
Selon l’Institut de l’économie pour le climat, il est temps de briser les tabous de l’endettement des collectivités et du soutien insuffisant de l’État à leur égard. Il est essentiel de mieux cerner le mur de dépenses climatiques des collectivités, de les intégrer dans une stratégie pluriannuelle et de renforcer leur dialogue avec l’État pour éviter une transition qui aggraverait les disparités sociales et territoriales.
En ce sens, nous regrettons que le fonds vert proposé par le Gouvernement reste insuffisant. Pour une transition réussie, il est indispensable de prévoir un budget plus important.
En conclusion, mes chers collègues, je concède volontiers que la transition écologique a un coût, mais reconnaissons également que l’inaction se révélera encore bien plus coûteuse sur le long terme. Trouver les moyens de financer cette transition est une nécessité, mais ne sera pas suffisant. Il faudra aussi avoir le courage d’interdire et de réguler pour limiter les atteintes à l’environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances constitue un rendez-vous majeur de la vie démocratique de notre pays, qui doit fixer le cap d’une politique.
Les élus locaux le savent parfaitement quand ils présentent leur budget, nos dirigeants nationaux semblent au contraire l’avoir parfois oublié. Un budget traduit une orientation politique, une volonté, un chemin qui, s’il est balisé par notre système institutionnel, est surtout soumis à la sanction des citoyens.
Ainsi, ce projet de loi de finances, comme celui de l’année passée, interroge d’abord notre démocratie. Adopté par le Gouvernement avec le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, le texte ne permet plus qu’un débat limité, même s’il sort augmenté de 175 articles.
Si cette situation est juridiquement et constitutionnellement licite, elle est démocratiquement contestable. Heureusement, le bicamérisme contribue à ce que le débat de fond ait lieu ici, au Sénat, même si le Gouvernement ne retient trop souvent qu’une faible part des travaux que nous réalisons. Ce fut largement le cas il y a un an avec le projet de loi de finances pour 2023. Ne préjugeons pas, monsieur le ministre, de ce qu’il en sera pour 2024, et espérons. (M. le ministre délégué acquiesce.)
J’en viens maintenant au fond, à ce que signifient les chiffres qui nous sont soumis.
Le projet de loi de finances pour 2024 célèbre cinquante ans de déficits publics. Et de quelle manière, si je puis dire, tant l’ampleur du déficit semble déraisonnable !
La Commission européenne vient encore de signaler à la France qu’elle était parmi les derniers élèves de la classe.
Le présent projet loi de finances nous livre un « déficit extrême », comme le dit notre rapporteur général, en raison de la hausse des taux d’intérêt que nous subissons et de la charge de la dette qui est en train d’exploser sous le triple effet de l’inflation, de l’augmentation des taux d’intérêt et, surtout, de l’accroissement de la dette elle-même.
Pis encore, en 2024, l’État prévoit d’émettre une dette record de 285 milliards d’euros. Notre addiction à la dépense publique, à la dette souscrite pour fonctionner, et non pour investir, reste bien réelle. Cela risque de très mal se terminer pour tous les Français. Je veux ici, une nouvelle fois, vous alerter, les alerter.
Rappelons quelques caractéristiques fondamentales de la copie que vous nous présentez pour 2024.
Il s’agit d’un projet de loi de finances triplement inquiétant, qui continue à précipiter notre pays dans les abîmes.
D’abord, on ne peut que constater l’optimisme des prévisions macroéconomiques : une hypothèse de croissance très favorable, supérieure à toutes celles qui ont été émises par les organismes économiques, et des indicateurs pour lesquels on retient toujours le meilleur scénario. Cette posture met en cause la sincérité même de ce budget, qui pourrait se dégrader davantage compte tenu du resserrement de la politique monétaire et d’incertitudes grandissantes au niveau géopolitique.
Ce projet de loi de finances se caractérise par un déficit public, qui est le deuxième plus élevé de la zone euro – 4,4 % du PIB – et qui représente 45,7 % des ressources de l’État. La France reste en outre le troisième pays le plus endetté de la zone euro – 109,7 points du PIB –, avec une dette en hausse de près de 12 points depuis 2017, quand la dette de l’Allemagne se situe à peine au-dessus des 60 points.
La charge de la dette – 84 milliards d’euros – sera le premier poste budgétaire de l’État en 2027. Elle atteindra déjà 56 milliards d’euros dès 2024. Et encore, on peut raisonnablement considérer que l’ensemble de ses facteurs d’évolution pourraient la faire grimper encore davantage.
Rappelons que le stock de la dette publique française dépasse désormais les 3 000 milliards d’euros : chacun doit s’imprégner de ce montant. Même la Grèce rembourse sa dette par anticipation ; la France, elle, la laisse gonfler, au point que même l’économiste Olivier Blanchard s’en inquiète désormais.
Enfin, ce projet de loi de finances acte des dépenses publiques toujours en augmentation : celles-ci représenteront 100 milliards d’euros en deux ans, malgré le retrait des mesures prises pour faire face à la crise.
Je profite de cette occasion pour rappeler que seul l’État est responsable du déséquilibre des comptes publics, puisque les collectivités sont tenues de voter leur budget à l’équilibre et que les dépenses sociales pèsent bien moins.
Le maintien de la dérive toxique du « quoi qu’il en coûte » et la hausse constante des dépenses de l’État – + 22,3 % depuis 2017 – se confirment dans presque tous les ministères.
Ce qui est peut-être encore plus frappant dans ce projet de loi de finances, c’est la création de 8 500 emplois publics supplémentaires, sans qu’une réelle réflexion de fond ait été engagée sur nos politiques publiques. Nous devrions nous interroger sur cette problématique au vu de l’efficacité de nos services publics dans tous les secteurs.
Ce manque de réflexion avait été largement dénoncé dans les hôpitaux publics durant l’épisode le plus aigu de la crise de la covid-19, mais il semble également souvent valable dans l’éducation nationale, sans parler des agences et des autorités indépendantes que le Gouvernement a multipliées au cours de ces dernières années.
Pour réduire le déficit et limiter le recours à l’emprunt, deux voies peuvent être empruntées.
Pour ma part, je considère que le niveau de nos prélèvements obligatoires – 45,6 % –, le plus élevé de l’OCDE après le Danemark, nous interdit d’accroître la pression fiscale ; par ailleurs, l’absence de réformes structurelles ne nous permet pas encore de diminuer nos ressources fiscales.
Aussi, nous vous proposerons plusieurs pistes d’économies pour plus de 5 milliards d’euros, et ce afin de respecter la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques que nous avons votée au Sénat.
Je me concentrerai sur trois d’entre elles.
Tout d’abord, je proposerai des amendements visant à réduire la dépense fiscale, c’est-à-dire les niches fiscales, dont le montant cumulé atteint près de 200 milliards d’euros lorsqu’on y intègre les niches sociales. Et vous ne cessez d’en ajouter, monsieur le ministre, alors que la Cour des comptes s’interroge sur leur efficacité.
Il convient aussi d’être attentif aux effectifs publics qui créent durablement de la dépense publique. Il faut s’engager vers une réduction draconienne des effectifs de l’administration « administrante », cette administration qui gère, contrôle, édicte des normes, mais qui ne produit pas de service public, afin de tendre vers un rapport 80-20 : 80 % de la masse salariale devant les élèves, les patients, les citoyens à protéger, et 20 % au plus pour gérer les services.
La dernière piste d’économies consiste à réaliser une revue drastique et volontariste de nos dépenses publiques, loin de toute politique de rabot, en commençant par les dérives nées de l’agencification de la sphère publique et de la multiplication des doublons administratifs dus en partie à une décentralisation ou à une déconcentration non aboutie.
À cet égard, la liberté et la lisibilité de l’action doivent être retrouvées, et un nouvel équilibre entre l’État et des collectivités autonomes et responsables peut et doit être rapidement établi. J’aurai l’occasion d’y revenir au cours du débat.
Continuer à rogner l’autofinancement des collectivités constituerait une faute. Après le logement social, ne faites pas tomber les collectivités, les départements, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les infrastructures de mobilité.
Ces quelques pistes – et nous vous en proposerons d’autres – nous donneraient une boussole ; elles permettraient de tendre vers une sphère publique plus libre, plus responsable, plus efficace, plus pragmatique, plus proche, engagée dans les transitions et la souveraineté, une sphère publique telle que les Français sont en droit de l’attendre.
C’est un cap qui protège, mais aussi qui autorise et qui permet d’espérer.
Pour finir, j’évoquerai un motif de satisfaction, l’article 7 portant réforme des zones de revitalisation rurale. La mise en place de zones France ruralités revitalisation (FRR), un dispositif amendé de manière concertée et partagée, doit contribuer à répondre à l’attente de nos territoires ruraux. Il s’agit d’un message d’espoir pour lequel le Sénat a toujours œuvré. Si vous savez y répondre, en intégrant avec pragmatisme, c’est-à-dire avec efficacité, les amendements attendus, nous saurons vous accompagner et saluer cette action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général et M. Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la position du groupe Union Centriste en matière budgétaire est claire : réduire le poids de la dépense publique et davantage actionner le levier des recettes fiscales en vue de réduire les déficits, mais aussi d’atteindre la justice fiscale.
Évidemment, la voie est étroite entre la nécessité de réduire notre déficit et celle tout aussi impérative de répondre aux besoins du pays dans des domaines essentiels où tant reste à faire : la santé, l’éducation, la justice, le grand âge, la lutte contre le réchauffement climatique, la défense, la sécurité.
Ne nous y trompons pas, nous ne répondrons pas durablement aux besoins du pays si nous continuons à laisser filer la dette et les déficits.
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Bernard Delcros. Monsieur le ministre, votre projet de loi de finances tente d’aboutir à ce difficile équilibre : la prévision de déficit est ramenée à 4,4 % en 2024, mais des crédits supplémentaires sont prévus dans des domaines où ils sont absolument nécessaires.
Notre groupe considère cependant que, pour tenir cette ligne de crête, nous devons agir davantage sur le levier des recettes.
Nous pensons que, au moment où beaucoup d’efforts sont demandés à nos concitoyens, le budget de la France doit se distinguer par davantage de justice fiscale et par l’exigence d’une plus grande solidarité de la part des plus fortunés.
Nous proposerons donc une série de mesures concernant, par exemple, l’exit tax, pour éviter que certains détenteurs d’entreprises échappent à l’impôt en se délocalisant à l’étranger, parfois seulement deux ans après avoir bénéficié d’aides publiques massives ; les programmes de rachats d’actions, qui ont explosé ces trois dernières années ; les superprofits ; la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), afin que les bénéficiaires de superdividendes contribuent davantage à la restauration des grands équilibres budgétaires ; la rationalisation de plusieurs niches fiscales dans un double objectif de préservation de nos ressources et d’égalité devant l’impôt – Michel Canévet aura l’occasion de vous détailler ce point – ; le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, chère à notre collègue Nathalie Goulet ; le report de la suppression de la deuxième part de CVAE.
Au total, nous proposerons près de 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires.
Par ailleurs, vos prévisions reposent sur des données macroéconomiques parfois considérées comme incertaines. Mais comment pourrait-il en être autrement dans un contexte international aussi instable ? Certains les jugeront peut-être trop optimistes. Mais serait-il opportun pour notre pays d’afficher des prévisions macroéconomiques pessimistes ? Je ne le crois pas.
Au sujet des collectivités locales, nous savons bien que derrière les moyennes mises en avant, parfois flatteuses, se cachent en réalité de fortes disparités. C’est pourquoi notre groupe défendra non pas une augmentation uniforme de la DGF, mais une hausse ciblée sur les collectivités les plus fragiles. C’est d’ailleurs le choix que le Gouvernement a fait en circonscrivant les 220 millions de hausse de la DGF sur la péréquation communale et intercommunale, ce que nous approuvons.
Cependant, alors que la hausse de la DGF était de 320 millions d’euros en 2023, elle ne sera plus que de 220 millions d’euros pour 2024, soit une chute de 100 millions d’euros au seul détriment de la dotation de solidarité rurale (DSR), dont la hausse est réduite de moitié.