M. Christian Cambon. Tout à fait !
M. François Bonneau. J’en viens maintenant au cœur du sujet qui nous réunit ce soir. La France et le continent africain sont liés par une histoire particulière. Soulignons au passage que l’avenir de la francophonie passe par le continent africain.
L’Afrique se trouve au carrefour d’un grand nombre de débats qui nous animent, en particulier sur le réchauffement climatique et l’explosion démographique. Sur ces deux sujets d’ampleur, la France a la capacité de jouer un rôle important.
Le réchauffement climatique est un défi planétaire pour la survie de la population mondiale. Il y a urgence à agir, et cela passe notamment par le défi énergétique.
À l’heure où nous parlons, l’Afrique est le continent le moins électrifié de la planète ; il y a urgence à travailler cette question. Même si l’on peut constater une hausse de l’accès à l’électricité, elle ne se traduit pas nécessairement par le développement de grandes infrastructures de production et de diffusion.
L’accès à l’électricité est généralement corrélé au développement économique des territoires. Ainsi, les pays ayant le moins accès à la ressource énergétique sont ceux dont les populations sont les plus pauvres. L’électricité permet à l’inverse le fonctionnement d’usines, de centres de soins et de chaînes de froid et facilite l’accès à l’éducation, à l’information et au développement des projets.
Pourtant, les capacités en Afrique sont proches des moyennes mondiales. Un soutien français serait bénéfique pour aider les États intéressés à développer leurs infrastructures. Actuellement, certaines régions souffrent de coupures fréquentes, en raison du manque d’entretien des réseaux, de leur non-rentabilité et de connexions sauvages. Par exemple, le Nigéria connaît vingt-cinq coupures d’électricité par mois. Pour pallier cela, la moitié de la population nigériane dépend de générateurs électriques, plus polluants, mais plus fiables que le réseau classique.
Une fois ce constat dressé, comment agir ?
La France et l’Union européenne doivent aider l’Afrique à lutter contre le réchauffement climatique en l’accompagnant dans la création de sa propre électricité, car elle dispose d’importantes ressources permettant de constituer un mix énergétique vertueux.
Le nucléaire a sa place en Afrique. Le Ghana, le Nigéria, le Soudan et le Kenya sont désireux d’en bénéficier. Il revient à la France de se montrer compétitive en la matière, pour lutter face à la Chine et à la Russie notamment, à l’heure où 20 % des réserves d’uranium se trouvent sur le continent africain.
D’ailleurs, il est crucial d’aborder la question des ressources nécessaires aux industries du futur et à la décarbonation. Le graphite, les terres rares, le cuivre, l’aluminium et la platine sont des éléments essentiels pour les technologies vertes contre le réchauffement climatique. Sachant que la Chine domine actuellement la fourniture de ces ressources, la France et l’Europe font face à une dépendance stratégique préoccupante. Diversifier nos sources d’approvisionnement et établir des partenariats équilibrés avec les nations africaines riches de ces matières premières devient impératif.
Ce processus nécessite une coopération économique et un engagement à garantir que l’exploitation de ces ressources respecte les normes internationales. En renforçant ces partenariats, la France peut sécuriser son approvisionnement tout en contribuant au développement durable de l’Afrique.
L’hydraulique est également un axe intéressant pour la fabrication d’une électricité propre : le Nil, le Congo, le Niger et le Zambèze sont autant de vecteurs qui pourraient produire de l’énergie couvrant la plupart des besoins du continent.
Le potentiel le plus prometteur réside bien entendu dans l’énergie solaire, notamment en Afrique subsaharienne, la région la plus ensoleillée au monde. La France doit mettre à disposition son savoir-faire pour soutenir des projets de centrales photovoltaïques dans ces régions. Il faut également organiser l’acheminement de cette énergie et son stockage à terme.
Le solaire et l’éolien représentent seulement 2 % du mix énergétique de l’Afrique subsaharienne. La capacité de progression est donc immense.
La diffusion de l’électricité constitue un enjeu majeur, allant au-delà de sa production. Actuellement, les réseaux électriques se concentrent principalement sur les capitales africaines et leurs environs immédiats, négligeant les 63 % d’Africains vivant en dehors des villes. La ruralité est ainsi souvent laissée de côté.
Avec l’Union européenne, nous devons mettre des moyens ciblés sur l’électrification et les réseaux d’eau et d’assainissement de ce continent pour accompagner les besoins des habitants et, ainsi, éviter de voir partir une bonne partie de la jeunesse sans perspective dans son pays, ce qui serait l’un des mouvements de population les plus massifs de l’histoire de l’humanité.
J’en viens au second choc qu’aura à affronter l’Afrique : son explosion démographique.
Dérèglement climatique et dérèglement démographique sont souvent liés, les populations notamment victimes de sécheresse sont condamnées à partir, ne pouvant plus assurer leur subsistance. Dans moins de trente ans, l’Afrique comptera près de 2 milliards d’habitants, le Nigéria devenant le troisième pays le plus peuplé au monde en 2050. Le défi démographique et humain, souvent sous-estimé, est particulièrement complexe. Exacerbé par les conditions climatiques difficiles du continent, il représente un immense défi pour l’Afrique et, par extension, pour le monde entier.
La croissance démographique rapide pourrait rendre le continent inhospitalier en raison du réchauffement climatique et du manque de ressources alimentaires disponibles. Il est impératif d’agir et de soutenir l’Afrique.
La France et a fortiori l’Union européenne doivent soutenir les États africains dans l’accompagnement économique, logistique, médical et humain, pour combiner développement et amélioration du niveau de vie.
Ce faisant, associée à une offre éducative de plus grande ampleur, la croissance démographique se rapprochera de celle des autres pays du monde et contribuera à la croissance du PIB et à l’amélioration du niveau de vie.
L’Afrique est le continent de tous les risques et de tous les possibles du prochain demi-siècle. La France, en raison de sa proximité, peut et doit l’accompagner dans un avenir dont les Africains doivent eux-mêmes définir les contours. Ce n’est surtout pas à nous de le faire ; c’est bien à eux de le construire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, au mois de février dernier, le Président de la République affirmait : « Nous avons un destin lié avec le continent africain. » Les États africains sont confrontés à d’immenses défis. S’ils ne trouvent pas de solutions, la France et l’Europe en subiront aussi les conséquences.
Les effets du dérèglement climatique ne font que commencer à se faire sentir. Ils aggraveront sans nul doute les crises auxquelles ces pays font déjà face.
Avec une abondance de terres arables et de minerais, le continent africain dispose de solides atouts. Pourtant, la majorité des économies africaines connaissent une croissance économique insuffisante. Parfois tragique, cette situation ne peut nous satisfaire.
Les causes sont multiples, mais l’absence de sécurité est un facteur clé. Elle décourage bien sûr les investisseurs, aussi bien locaux qu’étrangers. Elle entraîne également des surcoûts qui nuisent à la rentabilité, qu’ils soient liés au besoin de protection ou bien à la réparation des dégradations.
S’y ajoute le caractère très perfectible des réseaux d’infrastructures. Encore dégradés par l’insécurité, ils pèsent eux aussi sur la croissance économique.
Les pays européens, notamment la France, bien entendu, entretiennent des relations particulières avec les pays africains. Pour des raisons historiques, mais aussi géographiques, nous devons veiller à les préserver et à les améliorer.
Le renouveau de nos relations a été engagé par le Président de la République au début de cette année. Nous nous félicitons de ses orientations.
En effet, cette évolution était plus que nécessaire. La France a fortement œuvré pour la sécurité du continent, particulièrement dans la bande sahélo-saharienne. Malheureusement, 53 de nos soldats sont tombés au cours de ces combats et bien d’autres ont été blessés. Nous n’oublions pas leur sacrifice et nous rendons hommage à leur engagement, en ayant une pensée pour leurs familles.
Notre pays a été bien mal récompensé de ses efforts. Succombant à des putschs alimentés par la désinformation russe, certains gouvernements ont demandé le départ de nos forces.
Ces revers ne signifient pas pour autant que nous devons nous désintéresser de la sécurité du continent africain. Nous restons convaincus qu’elle a des incidences directes sur la sécurité de la France et sur celle de nos partenaires européens.
Dans les pays avec lesquels nous continuons de travailler, il est nécessaire de réduire l’empreinte de nos forces, afin d’éviter d’apparaître comme une force d’occupation, ce que nous ne sommes pas.
La France dispose d’une très longue expérience des conflits. Nous savons que la force militaire ne suffit pas à elle seule à les résoudre. Parvenir à des compromis politiques est nécessaire. Au plus près des forces locales et des populations, nous croyons que le développement de coopérations, y compris internationales, sera d’une grande efficacité pour y parvenir.
La France peut conseiller, elle peut contribuer, mais il ne lui revient pas d’assumer la sécurité du continent africain. Cette tâche incombe nécessairement aux gouvernements locaux.
Dans le domaine économique, l’approche impulsée par le Président de la République nous semble également cohérente et pertinente.
Cohérente, tout d’abord, car elle correspond aux travaux menés en matière d’aide au développement, abandonnant une démarche d’assistance pour aller vers l’investissement constructif.
Pertinente, ensuite, car les logiques de prédation nous paraissent archaïques et inefficaces.
Avec ses méthodes, Pékin s’est proposé d’améliorer les infrastructures de plusieurs pays africains dans le cadre des nouvelles routes de la soie. En ne demandant pas de contrepartie politique et en mettant à profit une main-d’œuvre bon marché, les entreprises chinoises ont remporté bon nombre de contrats.
Le Sud, prétendument global, s’est quelque peu lézardé à la découverte des micros au siège de l’Union africaine construit par la China à Addis-Abeba… Le piège de la dette chinoise a achevé de refroidir les angélismes.
Nous ne sommes pas pour autant dispensés de faire évoluer nos relations avec les pays africains. Elles présentaient des vulnérabilités qui ont été exploitées par nos rivaux.
Nos partenaires africains attendent légitimement d’être traités en égaux. Parallèlement, nous pensons que la France doit assumer de rechercher son intérêt dans ses relations avec les pays africains tout comme avec ses autres partenaires.
Dans les années à venir, l’économie africaine sera l’un des principaux moteurs de la croissance mondiale. Les défis de l’éducation, de la santé ou encore de la transition énergétique sont autant d’occasions de développement pour nos entreprises. En s’attachant à des projets concrets et précis, ancrés au sein des sociétés civiles, nous pouvons faire progresser les deux économies de nos deux continents.
Nous conservons d’importantes marges de progression : moins de 5 % de nos importations sont destinées à l’Afrique. Elles n’ont pas progressé aussi vite que l’économie africaine dans son ensemble.
Réussir ces nouveaux partenariats implique d’accorder une attention particulière à l’information, notamment à la désinformation. Notre pays est régulièrement visé par des attaques de désinformation, qui portent une atteinte grave à notre réputation. Nos réussites sont insuffisamment mises en valeur, alors que nous sommes aisément désignés comme coupables.
Le ministère des armées en sait quelque chose. L’affaire du charnier de Gossi a fait l’objet d’une réponse rapide et adaptée. Elle rappelle que nous devons collectivement être très vigilants quant aux manipulations de l’information. Afin de mieux faire connaître ce que nous faisons et ce que nous ferons, il nous faut développer nos capacités de communication.
L’audiovisuel, qui bénéficie de fonds publics, doit travailler en ce sens, afin de ne pas laisser le champ libre à nos compétiteurs.
Dans la nouvelle ère qui s’ouvre, nous devons prendre garde à ne pas alimenter les rumeurs qui nous accusent de tenir un double discours. Nous devons continuer à soutenir la démocratie. Celle-ci a d’ailleurs beaucoup progressé depuis les années 1970, au cours desquelles la quasi-totalité des pays africains étaient autocratiques. Même lorsque les gouvernements s’écartent de la démocratie, nous souhaitons que la France continue de travailler avec les populations.
Accompagner le mouvement démocratique n’est pas seulement un impératif moral. C’est également une nécessité pratique, puisqu’il s’agit du régime de gouvernement le plus efficace à long terme.
Par des projets modestes, en lien avec la société civile, la France peut œuvrer pour son bénéfice et celui de ses partenaires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, certains entonnent un refrain selon lequel la France ferait l’objet d’un désamour de la part de l’Afrique. Je crois qu’il n’en est rien (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.), et ce débat est l’occasion de rétablir des faits et de nous projeter sur les intérêts de long terme de l’Afrique, sur les nôtres, bien sûr, et sur ceux que nous avons en commun.
Ce débat, le Président de la République l’a souhaité le 30 août dernier, un mois après le putsch mené au Niger contre le président Bazoum, répliquant les coups d’État menés au Mali et au Burkina Faso.
Abordons la question du Sahel dès maintenant, pour évoquer ensuite l’Afrique tout entière, qui ne saurait se résumer à ces arpents de sable sur lesquels 58 enfants de France ont payé de leur vie la lutte contre le terrorisme et la protection des populations. Permettez-moi ici de leur rendre hommage, ainsi qu’à leurs familles.
Leur sacrifice n’a pas été vain, n’en déplaise aux Cassandre de tout poil. Serval et Barkhane ont permis qu’aucune capitale ne soit prise par les factions islamistes et qu’aucun pays ne devienne un autre califat. C’est en gardant cela en mémoire qu’il faut examiner la situation actuelle.
La multiplication des putschs dans la zone sahélienne est-elle la remise en cause de l’action de la France ? Non. Ces coups d’État sont avant tout dirigés contre leurs dirigeants, leurs constitutions et leurs institutions.
Alors que la vie quotidienne est encore plus difficile pour les populations sahéliennes, madame la ministre, nous devons maintenir des liens humains forts avec les sociétés civiles – je pense ici à la problématique des visas –, tout comme avec les acteurs de terrain que sont les ONG, ces véritables partenaires, avec un ancrage résistant aux aléas politiques.
Pour autant, dans ce nouveau paysage politique, militaire et stratégique, faut-il renoncer à tout ? Renoncer, non ; reformater, oui. Le temps est venu de repenser notre empreinte militaire et sécuritaire. Nous sommes là pour faire non pas « à la place de », mais, le cas échéant, « à la demande de » et « avec ».
Nous pouvons aussi faire beaucoup pour le renforcement des capacités des unités locales, par la formation notamment. Je pense au rôle joué par les multiples ENVR, les écoles nationales à vocation régionale, rôle qu’a rappelé M. le ministre. Étudions aussi le succès de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), à Abidjan, que vous avez visitée, je crois, madame la ministre, voulue par le président Alassane Ouattara, exemple d’un partenariat réussi entre Côte d’Ivoire et France, étendu ensuite à une multitude d’autres partenaires.
Cela dit, notre débat est consacré aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains. Chaque mot a son importance. Notre débat ne saurait donc se réduire au Sahel. Il doit plutôt porter sur les partenariats que nous devons construire avec les 54 États africains pour relever les défis globaux.
En effet, nous avons partie liée : Européens, Français, Africains, notre avenir s’écrira ensemble, n’en déplaise aux adeptes du repli sur soi, à coups de « la Corrèze avant le Zambèze », et quoi qu’en pensent les escouades de followers des néo-gourous pseudo-panafricanistes, ces derniers n’étant que le cache-sexe de puissances autoritaires qui font de l’Afrique un terrain de prédation et un terrain de jeu parmi d’autres sur leur grand échiquier.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Comment vouloir délivrer l’Afrique de prétendues chaînes et se passer autour du cou la laisse de feu Prigojine ou de son maître Poutine ?…
Ce n’est pas cela être panafricain. Être panafricain, c’est plutôt répondre à l’appel lancé par le président Nana du Ghana, qui trace la seule perspective souveraine et révolutionnaire : « Soyons autosuffisants, sortons de l’aide. »
Être panafricain en 2023, ce n’est pas rejouer l’ère des indépendances. Être panafricain en 2023, c’est plutôt agir à l’ère des interdépendances. Ces interdépendances impliquent une coopération d’égal à égal sur le climat, les migrations, le développement durable : soit on réussit ensemble, soit on échoue ensemble.
La France agit.
Elle agit pour accroître les ressources financières permettant au Sud de mener à bien ses investissements, avec l’allocation de droits de tirage spéciaux.
Elle agit aussi pour un nouveau pacte financier mondial, qui ne sera pas juste un sommet, mais qui sera bien un processus avec un suivi, confié au président Macky Sall.
Elle agit pour les forêts tropicales aux côtés des acteurs des trois bassins, réunis en sommet à Brazzaville par le président Sassou-Nguesso.
Ces exemples montrent bien que la France n’est pas sur le reculoir. À l’instar d’Hervé Gaymard dans son rapport de 2019, tordons le cou à quelques mythes, à celui de la toute-puissance comme à celui du retrait.
Mme la ministre l’a rappelé, en vingt ans, les exportations françaises vers le continent africain ont doublé. La France est aujourd’hui le deuxième investisseur étranger sur le continent, avec un stock d’investissement qui a été multiplié par dix, passant de 6 milliards d’euros en 2000 à 60 milliards d’euros en 2022.
M. Bruno Retailleau. Oui !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. D’ailleurs, les impôts payés par les entreprises françaises dans les dix plus gros pays s’élèvent à 14 milliards d’euros, c’est-à-dire trois fois le montant de l’APD pour cette même zone !
Si la France n’est plus désirée, leitmotiv des agitateurs à la solde du Kremlin, pourquoi 100 000 étudiants viennent-ils étudier en France – sans compter ceux qui viennent dans le cadre de la formation continue avec des programmes spécifiques, comme l’Africa Infrastructure Fellowship Program (AIFP), lancé par Thierry Déau, qui permet de renforcer les compétences des ingénieurs et des acteurs de la commande publique africaine ?
La relation entre la France et les cinquante-quatre partenaires africains est donc plus vivace que jamais, mais elle évolue, dans son périmètre et dans ses projets.
Cette relation se normalise, au sens où nous sommes l’un des partenaires de l’Afrique comme l’Afrique est l’un de nos partenaires. Au risque de provoquer, je dirai que, plus cette relation se banalise, mieux c’est ! En effet, quand une chose devient banale, c’est qu’elle est devenue un réflexe ou une habitude.
Habituons-nous à cette nouvelle Afrique. Participer aux côtés des Africains à la nouvelle Afrique, c’est tout le sens de l’action engagée depuis 2017 par le Président de la République, avec de nombreux gestes concrets. Je pense aux restitutions d’œuvres ou à la profonde réforme du franc CFA, qui deviendra l’eco dans quelques mois.
Avec des événements comme le Forum Création Africa, la France est toujours plus et toujours mieux au contact de celles et ceux qui façonnent l’avenir de l’Afrique, lui-même continent de l’avenir. Il est en effet un continent de l’avenir au regard de sa dynamique démographique et de sa dynamique économique.
« Les fondamentaux sont donc là, solides et prometteurs », pour reprendre les propos du président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), Étienne Giros.
Certains relèveront que la dynamique démocratique semble marquer le pas, ce qui pourrait être une menace pour l’avenir. Pourtant, dans de nombreux pays, les dirigeants se succèdent au terme de processus électoraux : au Nigéria, au Kenya et, ce week-end, au Libéria.
Par ailleurs, la démocratie française elle-même n’est pas identique en tout point à la démocratie suisse ou américaine. La Ve République peut d’ailleurs apparaître à certaines autres démocraties comme bien verticale. Acceptons donc que la démocratie africaine ait ses caractères propres, synthèse faite par chaque peuple de son histoire, de sa géographie et de son environnement.
Acceptons que les peuples et États africains fassent leurs propres choix. Qu’ils nous choisissent ou pas, nous répondrons toujours présent au rendez-vous, s’ils le souhaitent.
Oui, il y a une compétition et elle est accrue depuis deux décennies. Assumons-la, n’en ayons pas peur, montrons ce que nous savons faire ! Il n’y a pas à avoir de « doctrine Monroe » française ou européenne en Afrique. On peut regarder droit dans les yeux nos concurrents que sont la Chine et la Russie.
La France n’a ni à rougir ni à pâlir. Elle a une politique globale et panafricaine, avec une offre qui va de la culture au sport, en passant par le numérique et l’environnement. Le caractère universel de notre réseau diplomatique fait que nous la mettons en œuvre de la Gambie au Lesotho en passant par la Guinée-Bissau.
Tout cela fait que la France est un partenaire crédible, qui a toujours plaidé pour une meilleure participation de l’Afrique à la gouvernance mondiale.
Ces appuis témoignent de la position singulière de la France, par la langue française, que nous avons en partage avec nombre d’États, comme par les outre-mer. Avec le million de Français de La Réunion et de Mayotte, nous sommes en effet de plain-pied dans les enjeux de l’Afrique de l’Est et de l’Océan indien.
La France peut aussi s’appuyer sur des liens très forts avec les diasporas que constituent les Français établis hors de France en Afrique.
Ces liens permettent également d’amortir les chocs dans les relations interétatiques. Je pense naturellement au Maroc. Je crois que nous devons avoir un réflexe franco-marocain dans l’espace eurafricain. Je me réjouis d’ailleurs que les deux rives de la Méditerranée aient pu dialoguer lors du Choiseul Business Forum qui s’est tenu voilà quelques jours.
Dans un registre différent, la filière d’Orient au sein du Quai d’Orsay est un véritable trésor qui permet de maintenir cette connaissance du continent.
Vous l’avez compris, madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est donc de façon résolument optimiste pour l’Afrique et pour les partenariats de la France avec les peuples et les États d’Afrique que je terminerai mon propos.
Si, par le passé, cette relation a pu être « ressentie comme déséquilibrée, teintée de paternalisme » – pour reprendre les mots de « l’appel des 40 », lancé cette semaine dans Jeune Afrique –, aujourd’hui, je crois que, avec l’esprit nouveau qui nous guide autour de « partenariats réciproques et équilibrés », nous préparons bien les prochaines décennies.
Comme toutes les idées sont bonnes à prendre, du rapport d’information Tabarot-Fuchs aux propositions d’élaboration d’un livre blanc, je me réjouis que notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ait décidé d’y consacrer une part significative de son programme de travail pour l’année à venir.
Cap sur l’Afrique et sur la France de 2050 ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, à l’occasion d’un précédent débat, le groupe CRCE-K a dénoncé les fondements de nos rapports économiques, politiques, monétaires, diplomatiques et militaires, qui, de son point de vue, entravent depuis des années le développement des pays africains.
Aujourd’hui, c’est la confiance même dans notre relation à l’Afrique qui est en jeu et mise en cause par ces rapports anachroniques, d’un autre temps, à mille lieues de tous les nouveaux enjeux du XXIe siècle.
Je pense au franc CFA, aux traités de libre-échange ultralibéraux et au fait que la France n’a pas porté le fer contre le démantèlement des services publics et des embryons d’État social dans ces pays.
Je pense aussi à notre silence face à la course au moins-disant fiscal, au nivellement par le bas de la protection des travailleurs, aux politiques de prédation et de maxi-bénéfices des multinationales, dont certaines sont françaises, puisque des groupes comme Bolloré et Bouygues agissent en toute impunité avec la complicité d’élites locales corrompues.
Je pense bien évidemment à la persistance d’une logique néocoloniale de présence et d’interventions militaires, de moins en moins supportée notamment par les jeunesses africaines.
Nous ne sommes pas seuls à alerter sur ce propos. Soyons attentifs aux propos de Gérard Araud, ancien représentant permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, qui estime que nous devons « changer du tout au tout la forme de notre présence ».
Malgré les alertes, les conseils, les propositions que nous avons nous-mêmes formulées depuis plusieurs années, force est de constater que la position et la vision de la France n’évoluent guère.
Depuis le coup d’État au Niger, la France persiste à commettre les mêmes erreurs qu’au Mali et au Burkina Faso, avec une politique faite de coups de menton, de sanctions et d’appui aux velléités d’intervention militaire de la Cédéao, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Entendons-nous bien : nous condamnons ce coup d’État,…
Mme Michelle Gréaume. … à l’instar de nombreux démocrates africains, tout comme nous avons condamné ceux qui ont été perpétrés au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso.
Mme Michelle Gréaume. Mais engager un tel bras de fer, comme la France a pu le faire dans le passé au Burkina Faso et au Mali, avec les pays les plus pauvres au monde, n’a conduit qu’à renforcer la popularité des putschistes, notamment auprès de la population nigérienne.
Mme Michelle Gréaume. Autrement dit, le rejet de la politique française en Afrique devient un levier pour qui veut asseoir son pouvoir. C’est dire si le problème est profond et la nécessité de changer de politique urgente.
Cette image dégradée n’aurait pour explication que l’influence malveillante d’autres puissances à notre égard. Si ce phénomène est bien réel, il ne doit pas détourner notre regard de nos propres responsabilités. Les autorités françaises doivent tirer les leçons de ces différents échecs diplomatiques et adopter une politique humble et sans œillères face à la situation sahélienne.
Tendons une oreille attentive à l’aspiration des jeunesses africaines à une seconde indépendance et respectons la volonté des États africains de diversifier leurs partenariats stratégiques. Si les autorités françaises ne tiennent pas compte de cette lame de fond, en s’efforçant de trouver notre place dans ce nouvel environnement, nous continuerons à mener une politique empreinte de relents néocoloniaux.
La droite sénatoriale nous a montré, lors des débats sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, que nous sommes encore bien loin d’une telle prise de conscience. Lorsqu’elle vote une mesure visant à conditionner l’aide au développement à la coopération en matière migratoire des États bénéficiaires, nous ouvrons la porte à une logique de punition collective et, par là même, couvrons de honte la France.
Pour entamer cette mue, notre groupe a formulé et continue de défendre ses nombreuses propositions.
Tout d’abord, en recommandant une augmentation des recettes fiscales des pays africains, car celles-ci ne représentent qu’à peine la moitié de celles des pays de l’OCDE, nous proposons de flécher 10 % de l’aide publique au développement vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays, afin de leur donner, à terme, des moyens budgétaires pérennes pour relever les défis de développement et de changement climatique auxquels ils font face.
Ensuite, plus globalement, il est nécessaire de revoir en profondeur la philosophie de notre aide, pour la tourner résolument vers la construction des bases solides d’un développement propre des pays destinataires et la dégager de toutes les logiques de pillage, qui persistent encore largement.
Sans doute conviendrait-il de travailler en plus étroite relation avec les ONG présentes sur le terrain. Efforçons-nous également d’octroyer plus de dons que de prêts, puisque ces pays sont dans l’incapacité de rembourser.
Tout en soutenant le développement du financement endogène dans ces pays, nous devons réviser les règles d’attribution des droits de tirage spéciaux (DTS) au Fonds monétaire international (FMI), en favorisant les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Si nous n’allons pas en ce sens, soyons sûrs que les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) seront actifs en ce domaine – ils ont d’ailleurs déjà commencé.
Agissons également en faveur d’une agroécologie vivrière qui a fait ses preuves, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.
Œuvrons en faveur de l’industrialisation indispensable de ces pays. Au cours des dernières décennies, les relations économiques ont maintenu dans les États africains une économie de rente. Dans notre intérêt, il faut rompre avec cette dernière. En vue d’atteindre cet objectif, ne faudrait-il pas réfléchir à des mécanismes au niveau national, européen et international, favorisant une transformation sur place des matières premières de ces pays ?
Du point de vue énergétique, nous pourrions faire profiter les États africains de notre savoir-faire, notamment en matière nucléaire, en étroite collaboration avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Comment se fait-il que le Niger nous fournisse depuis des décennies de l’uranium pour le fonctionnement de nos centrales nucléaires, sans que nous lui proposions en échange une expertise technique pour le lancement d’un programme nucléaire civil ?
De plus en plus de dirigeants et de décideurs africains réfléchissent de cette manière. Si nous ratons le coche, d’autres pays, comme la Russie, l’Inde, le Canada et la Chine, saisiront cette occasion. J’en veux pour preuve les derniers accords passés avec des États africains, dont la République centrafricaine, le Burkina Faso et le Rwanda.
Il est temps de changer de logique et d’engager une stratégie à long terme, fondée sur la coopération et sur le soutien des choix endogènes de développement de ces pays. Il s’agit du seul moyen de réparer nos liens avec eux, ainsi qu’avec leurs peuples. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)