Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais faire de la planification écologique sans tenir compte des particularités aussi bien économiques que géographiques, climatiques et sociétales de nos territoires serait une erreur.
Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la prise en compte de la biodiversité dans le code de l’environnement s’est faite à travers une juxtaposition de textes, abordant des points comme l’inventaire de la biodiversité, les systèmes de protection – par voie contractuelle ou autres – ou encore la notion de protection forte, sur laquelle un travail est actuellement mené. On sait pourtant que les principales causes de l’érosion de la biodiversité sont la fragmentation des habitats naturels, l’étalement urbain et les pratiques agricoles. Je vous renvoie au débat que nous avons eu dans cette assemblée sur le glyphosate.
Certaines choses ne fonctionnent pas. Depuis une vingtaine d’années, la politique d’aménagement du territoire est un véritable échec. On a connu les plans d’occupation des sols (POS), les plans locaux d’urbanisme (PLU), les Scot, les Sraddet. Maintenant, il est question du ZAN, dont on a déjà beaucoup parlé. Malgré cela, l’étalement urbain se poursuit.
Certaines choses fonctionnent bien. L’installation récente de l’OFB est plutôt un succès à mon sens, tout comme la mise en place des agences régionales de la biodiversité (ARB), même si leur implication est plus ou moins forte selon les régions. Je mentionnerai également la gestion des aires protégées, sujet qui m’est cher et que nous avons peu évoqué aujourd’hui, ainsi que le rôle des régions par le biais, notamment, de la compétence de gestion des sites Natura 2000 qui leur a été transférée voilà quelque temps.
Mon collègue Grégory Blanc a mentionné à juste titre l’implication au plus près des territoires, en particulier des communes. Pour moi, c’est un véritable sujet. Parmi les dispositifs évoqués, ce qui se fait en matière d’aménités rurales est, à mon avis, bien perçu. Mais tout cela donne le sentiment que l’on travaille plus au maintien qu’à la reconquête de la biodiversité.
Comment travailler au niveau des territoires, à l’échelle des communes, pour obtenir des résultats en termes de reconquête de la biodiversité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Weber, je ne suis pas totalement surpris du champ de votre question. Je sais que votre attachement à la biodiversité et aux parcs naturels régionaux ne date pas de votre récente élection au Sénat. Vous êtes même sans doute l’un des rares exemples de sénateur élu après avoir eu des responsabilités au sein d’un parc naturel régional. C’est peut-être un nouveau modèle de prise en compte de la biodiversité ! (Sourires.)
Le travail autour des aménités rurales est une réponse extrêmement concrète à la demande des territoires ruraux : ceux-ci souhaitent que l’on ne s’en tienne pas au seul nombre d’habitants, mais que l’on regarde aussi la contribution à travers les espaces pris en charge. Il s’agit donc, en quelque sorte, de rendre justice à ceux qui ont la responsabilité des plus grandes parties de notre territoire. La dotation de 100 millions d’euros constitue une première marche, qui en appellera d’autres.
Par ailleurs, j’aurai l’occasion de présenter la semaine prochaine avec Sarah El Haïry la stratégie nationale de la biodiversité. Vous pourrez constater dans le cadre de l’examen du PLF que nous dégageons des moyens, assortis aux objectifs. Il y a la restauration et la reconquête de la biodiversité ; il y a aussi l’accompagnement de toutes les formes de biodiversité dans un contexte où, à l’échelle planétaire, les chiffres font froid dans le dos. Ainsi, d’après les chiffres de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), 1 espèce sur 8, soit 1 million d’espèces connues, est aujourd’hui menacée d’extinction.
Autre point crucial pour la biodiversité : notre politique de l’eau. Même si le sujet n’a pas beaucoup été évoqué, un plan a été mis en place. Il s’est concentré sur la question de la quantité, compte tenu de la sécheresse, mais le défi est celui de la qualité, avec seulement 44 % des masses d’eau de ce pays qui sont en bon état écologique. Les conséquences sur les milieux aquatiques – pour le coup, elles sont documentées – de l’utilisation excessive d’entrants ou encore du manque d’attention envers les continuités écologiques, nécessitent d’ajouter aux crédits supplémentaires – près de 400 millions d’euros – prévus pour la biodiversité en 2024 un montant de 475 millions d’euros à destination des agences de l’eau. Ces fonds devraient permettre, là aussi, de changer de braquet.
Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.
M. Michaël Weber. Encore une fois, nous saluons tous la dotation de 100 millions d’euros pour les aménités rurales, après deux années d’existence du dispositif. Il faut aussi, je crois, chercher ensemble des solutions pour accélérer le mouvement et entrer dans des cercles de nouveau vertueux, sans se limiter à la simple reconnaissance de l’engagement de certains acteurs, comme les gestionnaires d’aires protégées. C’est là-dessus qu’il faut travailler dans les mois et années à venir. Croyez bien que je serai au rendez-vous pour formuler des propositions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Il y a un mois, avec mes collègues Mathieu Darnaud et Christian Klinger, nous avons rencontré plus de 200 élus du Haut-Rhin. Ces derniers nous ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur mandat.
L’objectif de la planification écologique d’atténuer rapidement nos émissions de gaz à effet de serre, tout en anticipant les conséquences du dérèglement climatique, est un sujet qui – on le pressent – devra affronter sur le terrain une difficile mobilisation de certains d’entre eux, notamment des plus ruraux.
En effet, les maires sont nombreux à demander davantage de décentralisation et de déconcentration, à déplorer des politiques qu’ils perçoivent comme injonctives et, parfois, inapplicables, quand elles ne se contredisent pas les unes avec les autres…
Alors que la territorialisation de la planification écologique, qui doit être menée au pas de charge, prône le débat et la coopération, ils nous rétorquent déjà que les préfets garderont de toute manière et, une nouvelle fois, la main sur les conditions de sa mise en œuvre.
Leurs propos ne visent nullement à remettre en cause la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de préserver la biodiversité et les ressources naturelles ou de s’adapter au changement climatique. Mais il y a déjà beaucoup d’agences et de directions, dans les régions ou les préfectures, beaucoup d’offices et d’autres services publics qui travaillent avec eux à la décarbonation des transports, la préservation de la qualité de l’eau et des forêts, la rénovation des bâtiments, le développement des énergies vertes.
Pourquoi alors, nous demandent-ils, ajouter ce qui est perçu comme une énième couche et ne fait qu’accentuer chez eux le sentiment d’être contraints ?
Alors que la stratégie nationale bas-carbone compte sur les investissements massifs et rapides mis en œuvre par les collectivités, celles-ci se posent et nous posent légitimement la question des moyens qui leur seront alloués, notamment en termes d’ingénierie, pour faire ce que l’on attend d’elles.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous convaincre et mobiliser ces élus dans la défiance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Sabine Drexler, j’étais persuadé que vous alliez me parler de rénovation énergétique, d’architecte des Bâtiments de France et de la difficulté à concilier des injonctions contradictoires (Sourires.), et vous m’amenez sur un tout autre terrain – mais ce n’est pas non plus une complète surprise –, celui de la défense des élus de votre territoire.
Je veux vous dire très solennellement, et dans la continuité de précédents propos, qu’il n’y aura pas d’injonction préfectorale au lendemain de la planification écologique. Nous faisons l’inverse, en identifiant sur le terrain les projets existants qui, si on les aide, peuvent donner plus rapidement des résultats.
Je ne crois absolument pas au fait que l’on puisse déterminer depuis Paris des éléments comme un schéma de mobilité. Mettre en place des services express régionaux métropolitains dans des métropoles peu denses n’a pas de sens. Promouvoir les transports en commun dans des territoires où il ne se passe rien, quand on sait qu’un bus quasiment vide pollue plus que six voitures, n’a pas de sens. Et vous pouvez faire tous les plans vélo que vous souhaitez – nous l’avons fait –, il ne se passera rien sans un maire pour dessiner in fine une piste cyclable sécurisée, car la motivation des usagers ne tient pas uniquement dans le niveau d’assistance du vélo électrique.
Ne faut-il pas dans tel territoire donné du transport à la demande ? Dans tel autre, ne peut-on faire tourner un car ou un dispositif alternatif avec du biométhane ? Dans un troisième, un projet citoyen de covoiturage peut-il être mis en œuvre ? C’est typiquement le genre de questions que nous allons nous poser.
Nous pensons en effet que c’est en conjuguant la diversité des territoires que nous parviendrons à atteindre l’objectif.
Vous avez raison, madame la sénatrice, d’évoquer le parcours du combattant des maires. Je vous invite justement demain, à douze heures trente, au stand que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires tient au Congrès des maires : nous signerons une charte pour une ingénierie publique avec l’ensemble des agences, afin de simplifier l’accès aux différents dispositifs.
Le législateur, dans le cadre de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, a fait du préfet le patron départemental de l’Ademe, précisément pour que l’on ne soit plus obligé de se demander à quelle adresse courriel ou physique il faut envoyer son dossier. Que l’on s’adresse à l’ANCT, à l’Anah, au Cerema, à la Banque des territoires, la démarche sera la même, et cela viendra compléter le dispositif mis en place pour apporter des réponses concrètes via des interlocuteurs existants. S’ajouteront, notamment, les 100 chefs de projets dont je viens de parler.
Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. Le débat qui nous est proposé peut justement être l’occasion de rappeler la nécessité d’aider les collectivités locales dans la transition écologique.
Rappelons notamment la mise en œuvre du ZAN à travers les Scot en cours d’écriture ou de réécriture ; c’est le cas dans mon département… Tous ces schémas que les collectivités locales doivent adopter – et il y en a ! – sont un exemple de ce que peut impliquer une planification.
Il faut donc réfléchir aux conséquences de décisions souvent imprégnées de générosité et de volontarisme. Toute demande normative, toute exigence de planification écologique risque malheureusement de pénaliser nos collectivités locales, qui sont suffisamment sous pression.
Il faut aussi réfléchir à de nouveaux instruments plus incitatifs et moins coercitifs, car la planification n’est jamais loin de l’obligation et de la contrainte.
Il serait hasardeux d’imposer de nouvelles contraintes à nos collectivités locales qui, ayant déjà peu de moyens, sont confrontées à une baisse de leurs ressources. Au contraire, elles doivent être accompagnées, notamment les plus petites d’entre elles, qui ne disposent ni de moyens ni d’ingénierie suffisante.
Un dispositif peut entraîner une très grande complexité. Songeons-y, ainsi qu’aux fausses bonnes idées par lesquelles on prend à témoin l’opinion publique, en oubliant la réalité de nos territoires. Je l’avais souligné voilà deux ans dans un débat sur l’assistance aux collectivités locales ; je l’ai fait encore voilà quelques mois dans le débat sur la pollution lumineuse.
La question de la consultation est posée. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut se diriger. J’en veux pour preuve les collectivités qui consultent leurs citoyens à l’occasion de la révision de leur PLU ou de la mise en place du plan climat. Aidons-les à le faire et donnons-leur une assistance !
Nous avons besoin d’une écologie associant les territoires et les citoyens, non d’une écologie de la norme et de la punition qui ne débouche que sur de nouvelles contraintes et sur des controverses sans fin. Oui à une écologie de l’accompagnement et de l’encouragement !
Nous n’avons pas besoin d’un ZAN bis, monsieur le ministre ; le renforcement de l’écologie dans nos territoires doit de faire sur la base de l’incitation et de la confiance.
Je me permets pour finir une petite interpellation pas si hors sujet que cela : j’attends une réponse sur le projet de forêt primaire dans les Ardennes…
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je réponds d’abord à la fin de votre question. Je pense que vous faites référence au projet de l’association Francis Hallé, pour lequel des discussions ont démarré avec les collectivités territoriales. Je le précise, à la fin, rien ne se fait sans l’accord, d’une manière ou d’une autre, des élus locaux.
Il y aura ici, je pense, des gens qui ne douteront pas de ma sincérité si je dis que je n’ai pas spécialement envie de faire un ZAN bis. Une fois, cela suffit, à tous points de vue ! J’ai pris les choses là où elles en étaient, en m’efforçant de les simplifier, et je vais faire en sorte de conduire le dossier.
Pour vous répondre, je vais évoquer, non pas ce que je veux faire, mais ce que j’ai déjà fait.
Voici comment la transition écologique a été lancée dans la communauté urbaine que j’ai présidée et comment nous y avons associé tous les habitants du territoire, en nous appuyant sur les trente maires de cette communauté. Nous avons pris tous les programmes municipaux, y compris ceux des listes vertes et socialistes qui avaient perdu les élections à Angers, et nous en avons tiré 1 000 idées. Ces 1 000 idées sont devenues 154 propositions concrètes, portées sur un document qui a été distribué dans toutes les boîtes aux lettres de l’agglomération angevine. Alors qu’il fallait trois quarts d’heure pour remplir le cahier de vote, nous avons reçu 11 000 réponses, de foyers, de groupes ou de classes. Les propositions ayant obtenu plus de 50 % de vote font aujourd’hui l’objet d’une planification territoriale qui, très concrètement, sera l’apport à la démarche de territorialisation en train d’être lancée.
Voilà l’écologie à laquelle je crois ! Il s’agit de se demander comment on embarque les habitants, comment on les associe, sans rester dans des postures consistant à expliquer qu’il faut être plus radical que les radicaux ou, à l’inverse, à relativiser l’urgence. C’est ce chemin médian que propose le Gouvernement aujourd’hui et sur lequel il faut avancer avec les Français et les collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de septembre dernier, une circulaire de Mme la Première ministre a précisé les modalités de la déclinaison territoriale de la planification écologique souhaitée par le Président de la République. Ce document prévoit l’organisation de COP régionales associant les exécutifs locaux, coanimées par les présidents des conseils régionaux et les préfets de région, avec pour objectif l’établissement d’ici à l’été 2024 d’une feuille de route régionale pour 2030.
De nombreuses collectivités territoriales sont engagées dans des démarches vertueuses sur le plan environnemental, pour certaines depuis longtemps : Agenda 21, PCAET, etc. Elles bénéficient d’aides diverses, de l’Ademe, des syndicats d’énergie et, éventuellement, d’autres collectivités. Elles sont méritantes et exemplaires.
Cela étant, les dépenses des collectivités locales, d’un montant de 275 milliards d’euros chaque année, ne prennent en compte que partiellement les enjeux. Environ 70 milliards d’euros sont consacrés à l’investissement, dont la moitié pour les communes et intercommunalités, avec des aides de l’État à hauteur de 20 %, soit 6 milliards d’euros.
La circulaire évoque un soutien en ingénierie sans que les contours soient précisés. Or le besoin d’intervention des collectivités pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone est chiffré à 12 milliards d’euros par an. L’accompagnement de l’État sera déterminant.
La question du verdissement des dotations d’investissement et de fonctionnement – DETR, DSIL, DGF – se pose donc, en complément du fonds vert.
Monsieur le ministre, seriez-vous favorable à la mise en œuvre de l’écoconditionnalité des aides de l’État, véritable levier de la transition et de la planification ? (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Mandelli, j’attends ce moment depuis ce matin, ayant repéré que vous seriez sans doute le dernier orateur de l’après-midi. Je me suis dit que si j’arrivais au terme de l’exercice, c’est déjà que j’aurais survécu au feu roulant des questions de vos collègues et à la multiplicité des sujets d’interpellation ! (Sourires.)
Plus sérieusement, je crois à l’écoconditionnalité dès lors qu’elle s’applique dans les deux sens, c’est-à-dire pour favoriser ce qui est vertueux et écarter ce qui ne l’est pas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, favoriser ce qui est vertueux, vous l’avez fait ici, dans le cadre de l’examen de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, en assumant le fait que l’on puisse appuyer des dispositifs par exemple liés à des circuits courts. C’est ce que, très concrètement, nous allons faire avec les voitures électriques, afin de ne plus subventionner avec de l’argent public la construction de voitures fabriquées en Chine dans des usines tournant au charbon et acheminées par des moyens de transport utilisant du kérosène, et de privilégier celles qui, en particulier grâce à la part importante du nucléaire dans notre mix énergétique, seront produites de manière décarbonée.
L’écoconditionnalité à laquelle je crois, c’est aussi celle que nous avons mise en œuvre dans le cahier des charges de l’aide à la replantation de la forêt française. Dans une période où nous avons besoin de préserver la biodiversité et de stocker davantage de carbone, nous avons interdit toute coupe rase d’opportunité, qui permettrait de récupérer le gain de la coupe tout en demandant, ensuite, la subvention pour reboisement.
Cette écoconditionnalité se retrouve également dans le plan France 2030. C’est précisément parce que l’on attend d’un certain nombre de projets qu’ils puissent nous permettre d’accélérer la transition écologique que nous leur faisons bénéficier de soutien public. Demain après-midi, au Congrès des maires, une séquence autour des engagements de cinquante entreprises les plus émettrices de France sera l’occasion d’illustrer cet aspect de l’écoconditionnalité : l’ampleur de la décarbonation justifiera l’ampleur des aides qui leur seront accordées.
Mais il y a une limite à tout cela. Il ne faut pas construire une usine à gaz. Il ne faut pas, par excès de précision et manque d’humilité, descendre à un niveau de détail qui finirait par nous poser des difficultés. Il y a parfois des zones grises pour lesquelles il est souhaitable, si l’on n’est pas certain de pouvoir correctement évaluer la conditionnalité, de se donner un peu plus de temps. Je pourrais vous donner quelques exemples en dehors de cette séance.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Mon intervention dépassait le périmètre du fonds vert, des dispositifs de relance ou encore de la loi sur l’industrie verte, qui, d’ailleurs, a figé un certain nombre d’éléments. Je pensais plutôt aux dotations annuelles : aujourd’hui, 15 % seulement de l’affectation de la DETR est fléchée vers des projets à caractère environnemental ; le taux est équivalent pour la DSIL. C’est dans ce cadre que je vous interrogeais sur l’écoconditionnalité, y compris en incluant les budgets de fonctionnement pour des collectivités qui seraient très engagées. Nous changerions de paradigme, mais ce serait un signal très fort !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Les budgets verts constituent une première étape. Cela étant, si l’on veut être capable, demain, de faire de l’écoconditionnalité sur les subventions, il faut s’accorder sur ce que l’on mesure.
J’y vois par ailleurs une limite, qui tient au caractère discutable de l’urgence écologique de certains projets pourtant d’intérêt public. Reprenons l’exemple de l’accessibilité des bâtiments : si l’on ne conserve pas de moyens pour accompagner, dans des zones où se trouvent des populations fragiles ou vieillissantes, des projets de collectivités territoriales consistant, par exemple, à installer des rampes d’accès, on risque de rater un objectif. Les projets des élus locaux sont divers et, localement, il peut y avoir des priorités sociales, que l’on ne doit pas non plus ignorer.
Je vous rejoins donc, monsieur Mandelli, sur le fait qu’il faudra aller au-delà de ces taux de 15 %. Mais je ne suis pas favorable à un dispositif entièrement écoconditionné, qui finirait par créer des zones d’ombre ou des manques dans un certain nombre d’autres politiques.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie au nom de mon groupe tous les collègues ayant animé ce débat.
La transition écologique et énergétique est désormais le cadre d’action des collectivités territoriales et, plus largement, notre horizon commun en matière d’intérêt général.
Les collectivités vont devoir augmenter considérablement leurs investissements si nous voulons atteindre les objectifs nationaux et européens dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone.
Depuis 2017, monsieur le ministre, l’État a mis beaucoup de temps pour formaliser la planification écologique nécessaire à la définition du cadre d’action publique.
Je salue le travail réalisé par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), mais beaucoup reste à faire et de nombreuses questions demeurent en suspens. J’en évoquerai deux, majeures : le financement des politiques publiques de transition écologique et la méthode pour garantir une action globalement efficiente.
D’ores et déjà, il est indispensable de s’assurer que les collectivités territoriales auront une capacité financière suffisante, dans la durée, pour mener à terme les projets. Ce point est absolument central.
Pour financer leur action en matière de transition écologique, les collectivités devront combiner le recours à l’emprunt à des niveaux – il faut en avoir conscience – inhabituels ; la réorientation de certains de leurs choix d’investissement vers la transition écologique ; l’augmentation de leurs ressources propres par le biais des politiques tarifaires, de prélèvements sur leurs fonds de roulement ou de ce qu’il reste de fiscalité. En outre, les soutiens financiers de l’État, hypothétiques, seront essentiels pour mobiliser la Nation.
Aucun de ces leviers n’est facile à utiliser ; ils devront être combinés.
En réalité, la situation nécessitera plus que des ajustements ponctuels. Il ne faut pas se mentir, le mur des investissements liés au climat obligera à reconsidérer la structure de l’équilibre financier issu de la décentralisation. On ne passera pas facilement de 55 milliards d’euros d’investissement aujourd’hui à 80 milliards d’euros en 2030.
À partir de ce constat, quelles sont les difficultés à traiter ?
D’abord, le rapport à l’endettement est très variable suivant le type et la taille des collectivités. La nécessité d’emprunter au-delà des niveaux habituels, parce qu’il le faudra, sera pour certaines un frein.
Ensuite, les collectivités devront faire des arbitrages entre actions liées au climat et investissements plus classiques. Ce chantier restera difficile tant qu’il n’existera pas, avec l’État, une vision partagée du sujet.
Nous considérons que le renforcement des soutiens de l’État aux collectivités est indispensable pour la réussite nationale en matière climatique. La nécessité de redresser les comptes publics n’exonère pas l’État d’aider les collectivités pour réussir la transition climatique.
L’évaluation et la revue des politiques publiques spécifiques de l’État devraient permettre de trouver des économies, en même temps que des ressources, tout en améliorant les services publics.
L’indexation de la DGF sur l’inflation – non prévue à ce jour – et la pérennisation du fonds vert à 2,5 milliards d’euros par an ne suffiront pas à résoudre l’équation financière de l’action climatique des collectivités locales. Pour bien mesurer les conséquences, les projections indiquent que l’encours de dette des collectivités augmenterait de plus de 77 milliards d’euros en 2030 par rapport à 2022.
À système fiscal constant, l’aide de l’État sera d’autant plus décisive que la diminution structurelle des ressources des régions et départements est dès aujourd’hui forte, avec des conséquences sensibles sur les aides futures à l’investissement du bloc communal.
Notre système de fiscalité locale est-il adapté aux besoins de financement de la transition écologique ? Non. Le Gouvernement est aussi attendu sur ce point, monsieur le ministre.
Le programme de stabilité présenté à la commission européenne et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 devraient être en ligne avec les besoins de financement des collectivités locales. Ils ne le sont pas ! L’État connaît-il bien le niveau des investissements liés au climat qui incomberont aux collectivités locales ? Personnellement, j’en doute. L’expertise de M. Jean Pisani-Ferry pourrait être utilement mobilisée à cet égard. L’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, que nous appelons de nos vœux, clarifierait aussi ce point.
Je conclus en évoquant la méthode. La relation entre État et collectivités doit être opérationnellement adaptée à la transition écologique. Les contrats de relance et de transition écologique, les COP et autres instances de ce type ne suffiront pas et risquent de constituer – cela a été évoqué – des facteurs de complexité accrue.
C’est d’un accompagnement opérationnel que les collectivités ont besoin : de l’ingénierie, qui demandera des ressources spécifiques non disponibles aujourd’hui, jusqu’à l’exercice de la maîtrise d’ouvrage et l’évaluation de la performance climatique des projets réalisés.
Le dialogue entre l’État et les collectivités doit être réinventé en se basant sur des revues de plans pluriannuels d’investissement (PPI) cohérents avec les possibilités locales de financement et les objectifs retenus en matière de climat.
La réussite de la transition écologique du point de vue des collectivités passera par des moyens adaptés et par une refonte du dialogue et de la gestion de projets avec l’État.