Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Moi aussi, je vais émettre un avis défavorable sur les amendements de MM. Szczurek et Ravier et un avis favorable sur les amendements identiques de Mme Boyer et de M. Le Rudulier.
Je tiens à revenir sur l’ensemble des arguments qui ont été développés.
Quelle est l’histoire du délit de séjour irrégulier ? Il faut remettre les choses dans leur contexte, sans quoi l’on risque de dire quelques sottises.
Le délit de séjour irrégulier, je l’ai dit hier lorsque j’ai débattu avec M. Retailleau, a certes été supprimé par une loi de la fin de l’année 2012, voulue par M. Hollande. À l’époque, madame Boyer, nous étions députés ensemble, et j’avais voté contre cette suppression ; mais il faut aussi rappeler qu’il s’agissait de la transposition dans le droit français d’une directive européenne, qui avait été adoptée du temps du Parti populaire européen (PPE).
S’il faut rappeler que le Président de la République était secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2012, il faut préciser également, pour faire bonne mesure, que c’est le PPE, auquel vous apparteniez – auquel nous appartenions –, qui a « poussé » cette directive et l’a fait adopter : on peut dire, en toute honnêteté, qu’il s’agissait d’une coproduction…
Quelques années étant passées, doit-on considérer que le délit de séjour irrégulier est nécessaire ? Est-il vrai qu’il n’y a pas d’autre moyen, comme le dit M. Ravier, d’empêcher les gens de traverser sa propriété – je suis très heureux de savoir que vous en avez une, monsieur le sénateur – et de passer par son balcon pour s’installer chez lui afin d’y boire ou d’y manger ?
La réponse est non, monsieur Ravier, et vous le savez très bien, ou alors vous ne fréquentez pas les services de police, ce qui est ennuyeux quand on prétend les soutenir – n’hésitez pas à les rencontrer ! (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Les policiers ou les gendarmes vous diraient qu’il existe désormais plusieurs moyens de traiter la situation d’une personne qui se trouve irrégulièrement sur le territoire national.
Il en existe au moins trois.
Premièrement, le délit d’entrée irrégulière par une frontière extérieure à l’espace Schengen ou en outre-mer s’applique particulièrement à ce pays de première entrée qu’est la France.
Quant au délit d’entrée irrégulière par une frontière intérieure, il a été évidemment maintenu. Je vous renvoie à l’article L. 821-1 du Ceseda, qui punit l’entrée irrégulière d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende et autorise le placement en garde à vue d’un étranger pris en flagrant délit d’une telle violation des règles relatives à l’entrée sur le territoire européen.
Deuxièmement, on peut s’appuyer sur le délit de maintien en séjour irrégulier, que j’évoquais hier. Ce n’est pas parce que l’on a supprimé le délit de séjour irrégulier que l’on a supprimé le délit de maintien irrégulier sur le territoire national.
Le droit européen n’excluant pas cette faculté pour les États, la France a conservé un tel délit, que l’article L. 824-3 du Ceseda punit d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, ce qui permet de placer en garde à vue l’étranger qui se maintient irrégulièrement sur le territoire.
Troisièmement, le délit de retour non autorisé sur le territoire français s’applique souvent aux étrangers en situation irrégulière quand ils ont fait l’objet d’une interdiction administrative du territoire (IAT) ou d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).
Nous aurons l’occasion de montrer que nous souhaitons progresser pour ce qui est de la durée maximale de l’IAT, en proposant, par la voie d’un amendement gouvernemental, de la faire passer de cinq ans à dix ans. Le délit de retour non autorisé est puni, quant à lui, de trois ans d’emprisonnement par l’article L. 824-11 du Ceseda.
Vous le voyez, il existe des possibilités ! Bien évidemment, monsieur Ravier, si quelqu’un vient contre votre gré manger et boire chez vous, il vous est tout à fait possible d’appeler la police, et il nous est tout à fait possible de répondre favorablement à votre demande, comme à celle de tout citoyen, la police nationale, comme la gendarmerie nationale, étant un service public efficace.
M. Stéphane Ravier. Bien qu’elle ne soit pas aidée par le Gouvernement !
M. Gérald Darmanin, ministre. En la matière, il n’y a pas loin de la coupe aux lèvres : certes, il n’y a plus de placement en garde à vue pour le délit de séjour irrégulier stricto sensu, parce que la police nationale ou la gendarmerie nationale disposent d’autres moyens pour intervenir, mais il existe désormais une « retenue ».
C’est exactement la même chose, à ceci près évidemment que, au temps du délit de séjour irrégulier, les gens étaient placés en garde à vue devant un officier de police judiciaire en vue d’une éventuelle peine de prison.
Madame Boyer, monsieur Le Rudulier, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, pendant tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy il n’y a eu que 600 condamnations pour le seul délit de séjour irrégulier, dont seulement 187 ont donné lieu au prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela s’appelle des aménagements de peine !
M. Gérald Darmanin, ministre. Comme la durée de ces peines est toujours inférieure à deux ans et comme Mme Dati et M. Sarkozy avaient fait adopter une loi permettant aux condamnés à moins de deux ans de prison d’échapper à la réclusion, je ne pense pas que les gens qui ont fait de la prison ferme pour délit de séjour irrégulier soient légion…
Ce délit n’avait de toute façon pas été conçu pour que les personnes condamnées fassent de la prison : il avait été imaginé pour pouvoir effectuer des contrôles. Tel est d’ailleurs le sens de ces amendements ; c’est pourquoi je soutiens ceux de M. Le Rudulier et de Mme Boyer, qui me paraissent conformes au droit européen.
Monsieur Ravier, vous demandez quel autre pays est dans la même situation que la France. Je réponds que tous les pays de l’Union européenne le sont ! Et il est vrai, monsieur Le Rudulier a raison, qu’il est possible de maintenir dans le droit national un délit de séjour irrégulier, à condition qu’il soit puni non par une peine de prison, mais par une amende.
L’adoption de ces amendements donnera un instrument de plus à la police nationale et à la gendarmerie nationale.
Je veux tout de même admettre ici, en guise d’hommage au travail qu’avait réalisé le ministre de l’intérieur Valls en 2012, qu’il était faux de dire, quoi que j’aie pu moi-même déclarer à l’époque, que l’on observerait une baisse du nombre des interpellations une fois supprimé le délit de séjour irrégulier : il y en a eu beaucoup plus après qu’avant le remplacement de ce délit par la mesure de retenue que j’ai évoquée.
Il y a eu 91 661 interpellations sous le quinquennat de M. Hollande, contre 70 000 environ sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et 120 000 sous le premier quinquennat du président Macron, grâce à cette mesure qui permet la vérification du droit au séjour et la privation de liberté pendant les vingt-quatre heures que dure la retenue.
On fait beaucoup de bruit autour de cette abrogation du délit de séjour irrégulier. Tous les pays européens l’ont appliquée, de manière plus ou moins extensive.
Réparons cette erreur ensemble en instaurant l’amende proposée par M. Le Rudulier et Mme Boyer ! Mais il est tout à fait faux de dire que les policiers et gendarmes n’ont plus les moyens d’interpeller, de placer en retenue et de présenter à un officier de police judiciaire une personne qui séjournerait irrégulièrement sur le territoire national. Il n’est pas vrai que l’on ne puisse plus lutter contre l’immigration irrégulière ; simplement, ce délit de séjour irrégulier, qui ne pouvait donner lieu à des peines de prison effectives, était en effet superfétatoire.
On peut regretter que la directive européenne adoptée voilà quinze ans l’ait été, mais nous avons les moyens aujourd’hui de rectifier une partie des difficultés qui se posent ; et quoi qu’il en soit, je rappelle que la police, notamment la police aux frontières, a d’ores et déjà les moyens d’entrer chez vous, à condition que vous l’accueilliez, monsieur le sénateur Ravier, au cas où une personne pénétrerait intempestivement dans votre domicile pour y prendre une bière.
Monsieur Ravier, imaginez que Mme Le Pen ait envie de vous revoir, sans vous avoir prévenu. La voilà qui force votre propriété dans les Bouches-du-Rhône, monsieur le sénateur, pour vous convaincre, autour d’un verre, de renoncer à la quitter pour M. Zemmour. (Sourires.)
M. Stéphane Ravier. Mme Le Pen est Française !
M. Gérald Darmanin, ministre. Le cas échéant, n’hésitez pas à appeler la police : nous vous répondrons bien volontiers et vérifierons l’identité de l’intruse.
Vous verrez bien, alors, que nous sommes capables de procéder à de telles vérifications d’identité, alors même qu’il n’existe plus de délit de séjour irrégulier ! (Nouveaux sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Henri Cabanel et Dany Wattebled applaudissent également.)
J’émets donc un avis favorable sur les amendements nos 120 rectifié et 549 rectifié ter, mais un avis défavorable sur les amendements identiques nos 64 rectifié ter et 342 rectifié bis.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 549 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 64 rectifié ter et 342 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er J.
L’amendement n° 475 rectifié, présenté par MM. Bitz, Patriat et Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, MM. Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili et Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud, Rohfritsch et Théophile, est ainsi libellé :
Après l’article 1er J
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le nombre : « 15 000 euros » est remplacé par le nombre : « 75 000 euros ».
La parole est à M. Olivier Bitz.
M. Olivier Bitz. Cet amendement a pour objet de durcir les sanctions applicables aux reconnaissances frauduleuses de paternité.
Actuellement, la législation punit de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait, pour toute personne, de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française.
Nous proposons de fixer à 75 000 euros le montant de l’amende encourue par l’auteur d’une telle reconnaissance frauduleuse de paternité.
Il s’agit, dans un contexte où de telles reconnaissances frauduleuses sont de plus en plus fréquentes, notamment dans certains territoires ultramarins et en particulier à Mayotte, d’envoyer un signal clair et d’encourager l’autorité judiciaire à intenter les poursuites nécessaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Il sera favorable : il est logique d’être particulièrement attentif à sanctionner les reconnaissances frauduleuses de paternité ; nous le verrons plus tard dans le débat – vous y avez fait allusion, mon cher collègue –, à propos de Mayotte.
J’ajouterai deux précisions.
Premièrement, si nous sommes favorables à cette élévation du quantum de la peine, nous sommes tout de même d’avis d’en relativiser la portée. J’ai demandé à M. le ministre quel était le nombre de condamnations prononcées sur ce chef ; il me répondra sans doute avec habileté que seule la Chancellerie dispose de ces chiffres. En tout état de cause, je ne suis pas certain qu’elles aient été très nombreuses…
Deuxièmement, je souhaite souligner néanmoins, mon cher collègue, la pertinence de votre proposition, car les reconnaissances frauduleuses de paternité posent deux problèmes, au regard du Ceseda et des règles applicables aux étrangers, d’une part, mais aussi, eu égard aux mamans seules, d’autre part – c’est dans ce genre de situations que pareilles reconnaissances frauduleuses interviennent –, puisqu’elles ont des conséquences pour l’enfant en matière d’état civil.
Lorsqu’il s’agit, ensuite, de détricoter de l’état civil la reconnaissance frauduleuse, je vous assure que l’exercice n’est pas aisé, ce qui veut dire que la société est victime de ce phénomène, mais que les bébés et enfants concernés le sont eux aussi.
D’où l’avis favorable de la commission sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Mon avis sera favorable, évidemment.
Monsieur le rapporteur, c’est en effet la Chancellerie qui dispose de ces statistiques : vous avez deviné ma réponse ! Je sais juste que 20 % des fraudes que nous constatons sont des fraudes à la paternité.
Monsieur Bitz, pour le bien de nos débats, dont le compte rendu sera lu attentivement par le Conseil constitutionnel, je me dois de dire que l’amende que vous prévoyez est parfaitement proportionnée. À l’heure actuelle, en effet, l’infraction pénale qui est constituée par le délit d’escroquerie est punie de 375 000 euros d’amende. Le dispositif de l’amendement que vous présentez est de ce point de vue parfaitement proportionné.
Cette mesure aura un intérêt tout particulier à Mayotte, pour combattre les fraudes à la paternité,…
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Bien sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre. … la modification du droit de la paternité applicable dans ce département y ayant entraîné une multiplication desdites fraudes. À cet égard, les statistiques parlent d’elles-mêmes, monsieur le rapporteur.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er J.
L’amendement n° 268 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 139 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer et Belrhiti, M. H. Leroy, Mme Dumont, MM. Daubresse et Meignen, Mme Bellurot, MM. Bouchet, Tabarot et Houpert, Mmes Lopez et Garnier, MM. Cadec, Sido et Klinger et Mme Goy-Chavent, est ainsi libellé :
Après l’article 1er J
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 21-23 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être naturalisé s’il a été pris en charge au cours de sa minorité dans les conditions prévues à l’article L. 221-2-4 du code de l’action sociale et des familles. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise ce que l’on appelle les mineurs non accompagnés (MNA), qui souvent ne sont pas mineurs et sont accompagnés – mais, hélas, par des réseaux de trafiquants d’êtres humains. Vous le savez, ce phénomène a été décrit à plusieurs reprises, ces personnes sont la proie de ce qui peut exister de pire.
Actuellement, le fait que ces jeunes soient pris en charge par les départements, dans des conditions qui sont très difficiles pour ces derniers, pose problème. En France, les mineurs ne sont pas concernés par l’obligation de détenir un titre de séjour, puisqu’ils ne peuvent pas être en situation irrégulière, sauf cas particulier : aucune mesure d’éloignement du territoire n’est envisageable à leur encontre.
Je rappelle que, pour la seule année 2021, l’Assemblée des départements de France estime que le nombre de MNA pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance s’élève à 11 315, majoritairement des hommes – à 95 % –, principalement issus d’Afrique subsaharienne.
L’article 21-15 du code civil dispose que « l’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique résulte d’une naturalisation accordée par décret à la demande de l’étranger ». En d’autres termes, un mineur qui aurait été considéré comme MNA, donc qui aurait été en situation irrégulière, quoiqu’il ait été inexpulsable du fait de sa minorité, pourrait accéder, à sa majorité, à la nationalité française.
Le fait que cette acquisition de la nationalité française ait lieu à la majorité crée un appel d’air.
M. Jérôme Durain. Cela faisait longtemps !
Mme Valérie Boyer. Or, mes chers collègues, je me permets d’attirer votre attention sur la situation de ces personnes qui, en tout état de cause, sont très jeunes, et sont donc les plus vulnérables.
Nous constatons qu’il s’agit en grande majorité de jeunes hommes, mais nous voyons apparaître de plus en plus de jeunes femmes enceintes, mineures ou non, qui viennent en France dans des conditions particulièrement difficiles. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Pascal Savoldelli manifeste son exaspération.)
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Boyer. Nous reviendrons au cours du débat sur ce qui se passe à Mayotte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Nous avons émis un avis favorable sur votre précédent amendement, madame Boyer. Sur ce terrain, en revanche, nous ne pouvons pas vous suivre.
J’ai bien compris que vous visiez la situation de déclaration au moment de la majorité, mais la rédaction que vous avez utilisée est extrêmement large. J’entends bien, madame Boyer, les difficultés relatives au sujet des MNA dans notre pays : nous les avons en tête, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
Reste que, dans la rédaction que vous nous soumettez, dès lors que l’on a été pris en charge comme MNA à 16 ans ou à 17 ans, que cet âge soit exact ou non – à la limite, peu importe –, on sera privé à vie de la possibilité d’acquérir la nationalité française.
Cette idée me paraît tout de même un peu étonnante. Supposons que, pour telle ou telle raison, l’on soit resté sur le territoire français, que l’on y ait travaillé pendant longtemps, que l’on y ait résidé pendant plus de cinq ans ou plus de dix ans – nous reparlerons de ce point un peu plus tard au cours du débat –, et supposons que, toutes ces années, l’on n’ait eu aucune difficulté : que l’on soit privé à jamais de la possibilité de demander sa naturalisation me paraît un petit peu excessif.
Mme Laurence Harribey. Un petit peu ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Nous avons compris votre idée, ma chère collègue, mais la rédaction que vous proposez ne nous permet pas d’émettre un avis favorable sur votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Indépendamment de l’excellente argumentation de M. le rapporteur, je voudrais dire à la Haute Assemblée que je m’opposerai, au nom du Gouvernement, à tout amendement et à tout article ajouté au texte par la commission et portant sur la naturalisation.
La volonté du Gouvernement était de faire un texte sur le droit des étrangers, non sur le droit de la nationalité française : ce sont deux choses différentes.
Nous n’avons pas à rougir de notre bilan en matière de naturalisation : je rappelle que, depuis 2017, c’est-à-dire depuis l’élection d’Emmanuel Macron, nous naturalisons 30 % de moins que sous Nicolas Sarkozy, via les entretiens d’assimilation et des durcissements de l’accès à la naturalisation.
Il nous semble cependant qu’il ne faut pas mélanger le débat sur les étrangers en France avec celui sur l’accès à la nationalité. Le Gouvernement est tout à fait prêt à parler du droit de la nationalité, mais, dans un texte de loi qui porte sur les étrangers, évoquer la naturalisation nous semble…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Inconstitutionnel !
M. Gérald Darmanin, ministre. … incohérent.
C’est pour cette raison, madame de La Gontrie, que je voudrais ici préciser très solennellement, comme je l’ai fait plusieurs fois à l’attention du président de la commission des lois et du rapporteur, qu’il me semble évident que ces dispositions, qui ne figuraient pas dans le texte initial du Gouvernement, sont des cavaliers législatifs.
J’espère que le Conseil constitutionnel saura les censurer, et je refuserai d’avoir ce débat ici. Je le précise, je suis tout à fait prêt à l’avoir à l’occasion de l’examen d’un autre texte, qu’il s’agisse d’une proposition de loi ou d’un texte gouvernemental, même si le Gouvernement considère que là n’est pas l’urgence du moment.
Il paraît à peu près évident, me semble-t-il, que le Conseil constitutionnel devra se pencher sur tous les passages précis du texte où la commission des lois – et, en séance publique, la Haute Assemblée – aura, nonobstant l’article 45 de la Constitution, ajouté des dispositions relatives à la nationalité.
Par ailleurs, politiquement parlant, les discussions qui ont lieu à l’Assemblée nationale ne sont pas les mêmes qu’ici : les groupes politiques y sont assez différents.
Si, au Sénat, des amendements comme celui de Mme Boyer peuvent être examinés dans le cadre d’un débat républicain, nous avons beaucoup plus de mal à avoir des discussions tenues sur le droit des étrangers ou le droit de la nationalité à l’Assemblée nationale…
Vous voyez très bien ce que je veux dire ; je le dis pour tous les partis qui sont ici majoritaires ou d’opposition, alors qu’ils sont très minoritaires à l’Assemblée nationale, ce qui crée un débat qui n’est pas celui, fondé sur le respect des personnes – indépendamment de ce que l’on pense de l’immigration –, qu’a voulu le Gouvernement.
Je veux ici réitérer mon appel solennel au retrait ou à la suppression des articles ajoutés par le Sénat et relatifs à la nationalité.
J’émettrai par conséquent un avis systématiquement défavorable sur tous les amendements qui concernent le droit de la nationalité, en espérant que ces dispositions, si elles figurent dans le texte définitivement adopté, se verront censurées par le Conseil constitutionnel.
Mme la présidente. L’amendement n° 335 rectifié ter, présenté par Mmes Imbert, Noël, Puissat et Bellurot, MM. Somon, Sautarel et H. Leroy, Mmes Demas, Berthet et Joseph, M. Paccaud, Mmes Malet et Garnier, MM. Burgoa et Belin, Mme Estrosi Sassone, MM. Anglars, Pellevat et Saury, Mme Belrhiti, MM. Houpert, Bruyen et Pointereau, Mme Eustache-Brinio, M. Cadec, Mme P. Martin, M. Brisson, Mmes Borchio Fontimp, Micouleau et Gruny, MM. Bouchet, Savin et Gueret, Mmes Bonfanti-Dossat et Nédélec, MM. D. Laurent et Bouloux, Mme Dumont, MM. Lefèvre et Rochette, Mme Aeschlimann et MM. Rietmann, Perrin, Tabarot, Chatillon, Khalifé et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er J
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 221-2-5 du code de l’action sociale et des familles est abrogé.
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Cet amendement vise à abroger l’article L. 221-2-5 du code de l’action sociale et des familles, qui a été modifié par l’article 39 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet. En effet, depuis la promulgation de cette loi, le département d’accueil ne peut plus procéder à une réévaluation de la minorité et de l’état d’isolement d’un mineur non accompagné orienté par la cellule nationale.
Or il faut bien reconnaître que, dans certains départements, ces personnes en situation irrégulière sont systématiquement ou très souvent reconnues mineures et sont par conséquent à la charge du conseil départemental.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. La commission des lois a le plus profond respect pour le travail de toutes les autres commissions du Sénat, et je ne vous cache pas, madame Imbert, que, en l’espèce, vous nous posez un problème diplomatique, car nous ne voulons aucune difficulté avec nos collègues ! (Sourires.)
Vous demandez en effet que l’on revienne sur une disposition qui, contenue dans la loi Taquet, a environ 18 mois. Cette mesure, de surcroît, avait été pleinement approuvée par le Sénat. Je cite le rapport de M. Bernard Bonne, qui était le rapporteur de notre assemblée sur ce texte : « Les réexamens de la situation des MNA ne sont pas souhaitables pour les jeunes et démontrent une défiance du département envers la qualité de l’évaluation menée par ses pairs. » Ces arguments sont toujours valables.
Peut-on en dix-huit mois se dédire sur un sujet dont les données n’ont pas changé ? Alors que nous militons régulièrement pour une plus grande stabilité législative, modifier, un an et demi après son adoption, une disposition que nous avons nous-mêmes approuvée nous paraît un exercice quelque peu délicat, au moins d’un point de vue diplomatique…
Néanmoins, je laisse bien sûr à nos collègues beaucoup plus spécialistes de ces sujets que votre serviteur le soin de donner leur appréciation.
En tout cas, vous comprenez, ma chère collègue, que nous demandons le retrait de votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 335 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 3 rectifié quater est présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Bazin et Daubresse, Mme Dumas, M. Mandelli, Mme V. Boyer, M. Reichardt, Mmes Belrhiti et Dumont, MM. E. Blanc, Brisson, Somon, Belin et Courtial, Mme Di Folco, M. Bouchet, Mmes Garnier, Lassarade et Berthet, MM. Saury, Frassa, Burgoa, Piednoir et J.P. Vogel, Mmes Demas, Micouleau, Aeschlimann, F. Gerbaud et Josende, M. Anglars, Mme Noël, MM. Genet et Bas, Mmes Drexler et Joseph et MM. Chatillon, de Nicolaÿ, Grosperrin et Savin.
L’amendement n° 625 est présenté par Mme M. Jourda et M. Bonnecarrère, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er J
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le premier alinéa de l’article L. 300-1 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour bénéficier du droit mentionné au premier alinéa, l’étranger non ressortissant de l’Union européenne doit résider en France depuis au moins cinq ans au sens de l’article L. 111-2-3 du code de la sécurité sociale. »
II. – Le deuxième alinéa de l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale est complété par les mots : « et résidant en France depuis au moins cinq ans au sens de l’article L. 111-2-3 ».
III. – Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 232-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour bénéficier de l’allocation mentionnée au premier alinéa, l’étranger non ressortissant de l’Union européenne doit résider en France depuis au moins cinq ans au sens de l’article L. 111-2-3 du code de la sécurité sociale. » ;
2° Après le premier alinéa de l’article L. 245-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour bénéficier de l’allocation mentionnée au premier alinéa, l’étranger non ressortissant de l’Union européenne doit résider en France depuis au moins cinq ans au sens de l’article L. 111-2-3 du code de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié quater.