Sommaire
Présidence de M. Pierre Ouzoulias
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.
situation de précarité des étudiantes et des étudiants en cette rentrée 2023
Question n° 834 de Mme Antoinette Guhl. – Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Antoinette Guhl.
formation des enseignants et calcul du droit à pension de retraite
Question n° 752 de M. Olivier Rietmann. – Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
filet inflation et reversement des communes
Question n° 878 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Question n° 836 de M. Cyril Pellevat. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Cyril Pellevat.
gestion du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée
Question n° 674 de Mme Maryse Carrère. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; Mme Maryse Carrère.
augmentation des fraudes sur la taxe soda
Question n° 851 de M. Dany Wattebled. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Dany Wattebled.
Question n° 793 de M. Jean-François Longeot. – Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Jean-François Longeot.
situation des travailleurs sans-papiers de la poste
Question n° 856 de M. Pascal Savoldelli. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Pascal Savoldelli.
Question n° 832 de M. Daniel Laurent. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
effectifs de police à allauch et plan-de-cuques
Question n° 837 de Mme Valérie Boyer. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Valérie Boyer.
hôpitaux et risques de cyberattaque
Question n° 866 de M. Jean Hingray. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
naturalisation des réfugiés hmongs de guyane
Question n° 881 de M. Georges Patient. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Georges Patient.
inquiétante situation des familles avec enfants à la rue à paris
Question n° 858 de M. Ian Brossat. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Ian Brossat.
Question n° 831 de Mme Annick Jacquemet. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
manque de concertation des élus locaux pour l’implantation d’antennes relais sur leur territoire
Question n° 865 de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
demande de clarté des exceptions prévues aux plans d’exposition au bruit
Question n° 874 de Mme Frédérique Puissat. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Frédérique Puissat.
dérogations relatives à l’implantation de grillages dans les espaces naturels
Question n° 768 de M. François Bonneau. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. François Bonneau.
soutien de l’état dans le cadre du transfert de la gestion des digues domaniales
Question n° 823 de Mme Martine Berthet. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Martine Berthet.
problèmes posés par la mise en place d’une forêt primaire dans les ardennes
Question n° 833 de Mme Else Joseph. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Else Joseph.
extension et enfouissement des gravières en basse-ariège
Question n° 839 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Raymonde Poncet Monge.
délai de publication des décrets d’application concernant la loi « zéro artificialisation nette »
Question n° 841 de M. Rémi Cardon. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Rémi Cardon.
incertitudes sur les modalités de transfert des compétences eau et assainissement
Question n° 845 de Mme Marie-Pierre Monier. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Marie-Pierre Monier.
absence de protection fonctionnelle pour les conseillers municipaux sans délégation
Question n° 862 de M. Jean-Michel Arnaud. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Michel Arnaud.
financement des réseaux express métropolitains
Question n° 860 de M. Jean-Pierre Corbisez. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Pierre Corbisez.
Question n° 790 de Mme Sylviane Noël. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Sylviane Noël.
réforme du dispositif maprimerenov’
Question n° 875 de M. Christian Klinger. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Christian Klinger.
lutte contre les causes de l’insécurité des élus locaux
Question n° 859 de Mme Marie Mercier. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Marie Mercier.
projet de révision de la directive sur les émissions industrielles
Question n° 756 de Jean-Baptiste Lemoyne, en remplacement de M. Bernard Buis. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Question n° 817 de Mme Pascale Gruny. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; Mme Pascale Gruny.
dégâts occasionnés aux vignobles par le mildiou, indemnisations et création d’un fonds d’urgence
Question n° 846 de M. Alain Duffourg. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
financement des mesures agroenvironnementales et climatiques
Question n° 863 de M. Daniel Salmon. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Daniel Salmon.
Question n° 879 de M. Pierre Cuypers. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Pierre Cuypers.
fixation du prix de l’énergie sur le marché européen
Question n° 838 de M. Pierre-Jean Verzelen. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Pierre-Jean Verzelen.
bénéfice du fonds chaleur et territorial pour les établissements scolaires privés du premier degré
Question n° 692 de M. Stéphane Sautarel. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Stéphane Sautarel.
difficultés de recrutement dans le secteur du soin à domicile
Question n° 533 de M. Fabien Genet. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Fabien Genet.
formation des médecins maîtres de stage
Question n° 621 de M. Jean-Luc Fichet. – Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Luc Fichet.
modalités de révision du dispositif rézone relatif à l’installation des médecins
Question n° 843 de M. Jean-Baptiste Lemoyne. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Jean-Baptiste Lemoyne.
pérennité du service des urgences de l’hôpital de manosque
Question n° 741 de M. Jean-Yves Roux. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Question n° 784 de M. Alain Marc. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Alain Marc.
pérennisation de l’expérimentation du « baluchonnage » en faveur des aidants familiaux
Question n° 850 de Mme Jocelyne Guidez. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Jocelyne Guidez.
rôle du conseil conjugal et familial
Question n° 869 de M. Claude Kern. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Question n° 801 de Mme Françoise Gatel. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Françoise Gatel.
financement du dispositif « territoires zéro chômeur »
Question n° 849 de Mme Marie-Pierre Richer. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Marie-Pierre Richer.
territoires zéro chômeur en danger
Question n° 864 de Gilbert-Luc Devinaz. – Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Gilbert-Luc Devinaz.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud
3. Amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Silvana Silvani, auteure de la proposition de loi
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Cécile Cukierman ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Clôture de la discussion générale.
Rejet, par scrutin public n° 21, de l’article.
Article 6 – Devenu sans objet.
Tous ses articles ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, la proposition de loi n’est pas adopté.
Suspension et reprise de la séance
4. Abrogation de l’article 40 de la Constitution. – Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle
Discussion générale :
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi constitutionnelle
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié de M. Vincent Louault. – Retrait.
Rejet, par scrutin public n° 22, de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.
compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Ouzoulias
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
Mme Catherine Conconne.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
situation de précarité des étudiantes et des étudiants en cette rentrée 2023
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, auteure de la question n° 834, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Antoinette Guhl. Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, la précarité explose à un tel niveau que nous en appelons à la protection de la jeunesse, car une société qui ne prend pas soin de sa jeunesse est une société qui n’a pas d’avenir.
Je rappelle un chiffre, édifiant, issu d’une enquête menée par Linkee en cette rentrée 2023 : 76 % des étudiants interrogés ont un « reste à vivre » de moins de 100 euros par mois, soit 3,33 euros par jour, une fois leurs factures payées.
Quel pays laisse sa jeunesse se poser la question de se loger, de se soigner ou de se nourrir ? Je le dis avec tristesse, la réponse à cette question est la France, madame la ministre.
Cette situation de précarité était pourtant bien prévisible.
La revalorisation de 4 % du montant des bourses sur critères sociaux, prévue pour la rentrée 2022, a été maintenue dans la loi de finances pour 2023. Pourtant, les rapporteurs avaient souligné que cela ne permettrait pas de « couvrir l’érosion du pouvoir d’achat découlant de l’inflation constatée en 2022 et 2023 ». C’était donc bien prévisible.
Madame la ministre, face à l’urgence d’agir pour toute une génération d’étudiantes et d’étudiants, face à l’atteinte portée au principe d’égalité d’accès à l’enseignement supérieur, quand et comment comptez-vous mettre en œuvre une réforme structurelle du système des bourses ?
Avez-vous prévu de donner suite à l’appel de plusieurs présidents d’université pour la mise en place d’une allocation d’études pour l’ensemble des étudiants ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Antoinette Guhl, je vous remercie de votre question.
Le Gouvernement, de même qu’il a très vite porté attention à la protection des Français, n’a pas attendu pour proposer des mesures de protection du pouvoir d’achat des étudiants en particulier, en agissant dès la crise sanitaire, avec, par exemple, la création du repas à 1 euro, en présentant des mesures d’urgence pour la rentrée universitaire 2022 – je ne les rappellerai pas toutes –, dont une première revalorisation des bourses de 4 %, et en apportant, dès cette rentrée 2023, plusieurs améliorations au système de bourses sur critères sociaux, avec une augmentation de près de 20 % du budget dédié aux bourses.
Ces dispositions consistent à revaloriser tous les niveaux des bourses, à réintégrer près de 35 000 boursiers qui n’étaient pas éligibles, à reclasser 140 000 boursiers à un échelon supérieur et à neutraliser les effets de seuil.
Nous avons pour la quatrième année consécutive gelé la tarification des repas au centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), à 1 euro pour les boursiers, ainsi – j’y insiste – que pour les non-boursiers précaires, et à 3,30 euros pour tous les autres étudiants, sans condition de ressources.
Nous gelons également de nouveau pour cette année universitaire les loyers en résidence Crous et les frais d’inscription.
Cette première étape de la réforme des bourses, nous l’avons décidée selon deux principes : la responsabilité et la justice sociale.
Agir en responsabilité, c’était n’engager que des mesures que nous savions pouvoir mettre en œuvre dès cette rentrée 2023. Agir pour la justice sociale,…
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre. … c’était renforcer le système redistributif.
Nous avons également agi sur la question des Crous, en recrutant 70 personnes, et sur celle de la santé mentale des étudiants, qui est un point important.
Notre action se traduit par un demi-milliard d’euros supplémentaires dans le budget 2024.
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour la réplique.
Mme Antoinette Guhl. Madame la ministre, je ne souhaite pas que le titre du livre de Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi (L’oratrice brandit l’ouvrage évoqué.), demeure une réalité.
Aussi, madame la ministre, mes chers collègues, je vous invite à venir au séminaire jeunesse intitulé Pour une fois, écoutons-les !,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Antoinette Guhl. … que j’organiserai prochainement au Sénat avec mes collègues Monique de Marco et Mathilde Ollivier.
Mme Sylvie Retailleau, ministre. Merci !
formation des enseignants et calcul du droit à pension de retraite
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, auteur de la question n° 752, adressée à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.
M. Olivier Rietmann. Madame la ministre, vous avez le mérite de répondre au nom de votre collègue Stanislas Guerini à une question qui ne relève pas de votre portefeuille. Je tiens à vous en remercier.
J’espère toutefois sincèrement que la note préparée par son cabinet apportera enfin la réponse attendue depuis des mois par les professeurs victimes d’un cafouillage administratif.
Le problème est plus que connu. J’ai en effet adressé plusieurs courriers et questions écrites à vos collègues. Et il s’agit là de ma seconde question orale sur le sujet en moins de six mois !
J’avais d’ailleurs, à l’époque, terminé celle-ci de manière quelque peu familière, en déclarant : « […] nous reviendrons à la charge, s’il le faut. » Nous y voilà !
Nous sommes le 31 octobre 2023, et le décret d’application de la loi du 26 juillet 1991 n’a toujours pas été publié.
Vous laissez dans l’expectative 30 000 enseignants, qui ignorent si, oui ou non, la parole donnée par l’État sera respectée et si, oui ou non, les trimestres qu’ils ont acquis au cours de leur période de formation seront comptabilisés.
Au mois de mars 2023, votre collègue Olivier Dussopt engageait le Gouvernement à trouver une solution avant l’été.
Le 17 mai, Sarah El Haïry m’assurait que les services étaient en train de finaliser le projet de décret.
Le 22 juin, le cabinet du ministre Stanislas Guerini m’écrivait que ces travaux devraient trouver une solution d’ici à la fin de l’année.
Vous allez me répondre qu’il reste deux mois… Or plus le temps passe, plus l’inquiétude grandit et plus les rumeurs vont bon train, comme celle, par exemple, d’un possible plafonnement du nombre de trimestres accordés par année d’allocation.
Madame la ministre, je vous serais très reconnaissant de tuer dans l’œuf ce bruit de couloir !
J’en viens désormais à mes questions. Quand votre gouvernement sera-t-il en mesure de publier le texte réglementaire manquant ? Quelles précautions prend-il pour, d’une part, assurer son application uniforme sur l’ensemble du territoire national et, d’autre part, permettre la régularisation des situations individuelles pour lesquelles les bonifications ont été incomplètes ou n’ont pas été accordées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Olivier Rietmann, nous vous savons très engagé sur le sujet, puisque, comme vous l’avez souligné, et nous en sommes conscients, ce n’est pas la première fois que vous interrogez le Gouvernement à cet égard.
Comme les ministres chargés de l’éducation nationale et de la fonction publique ont eu l’occasion de le dire, c’est une priorité de cette année pour eux – je vous le confirme de nouveau –, et les services sont pleinement mobilisés.
Je le rappelle, même si vous connaissez évidemment bien la question, aux termes de l’article 14 de la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991, sont prises en compte, pour la constitution et la liquidation de la pension, d’une part, les périodes pendant lesquelles ont été perçues les allocations d’enseignement créées en 1989 et, d’autre part, la première année passée en institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) en qualité d’allocataire, c’est-à-dire la période de perception de l’allocation d’IUFM prévue par décret en 1991.
Toutefois, le décret en Conseil d’État auquel la loi de 1991 renvoyait pour fixer les modalités de prise en compte, notamment la proportion dans lesquelles ces périodes sont retenues pour la constitution des droits à pension, n’a effectivement jamais été pris. Nous le regrettons.
Cette absence de décret a empêché les personnels concernés de faire valoir leurs droits dans de bonnes conditions, même si des démarches individuelles ont pu aboutir à une prise en compte, notamment à l’issue de procédures devant les juridictions administratives.
Le Gouvernement entend faire cesser cette situation et combler le retard pris en tenant la promesse faite au monde enseignant dans les années 1980.
L’objectif est donc de faire aboutir un projet de décret correctif avant la fin de l’année – je vous le confirme –, et les travaux interministériels sont engagés en ce sens.
filet inflation et reversement des communes
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la question n° 878, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Face à la crise de l’énergie, nous avions émis des propositions : sortie du marché européen de l’énergie, indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation, bouclier tarifaire.
Vous n’en avez pas voulu. Vous débordiez d’enthousiasme : 22 000 communes allaient toucher le filet de sécurité, nombre qui allait ensuite passer à 18 000, puis à 11 000, puis à 8 000. Finalement, il n’en reste que 2 930, tandis que 3 425 collectivités devront rembourser ce filet, pour un montant de 69 784 830 euros.
Pour le Pas-de-Calais, ce sont 133 collectivités qui en ont bénéficié, mais 93 d’entre elles sont contraintes de rembourser, pour un montant de 2 640 000 euros.
Madame la ministre, la colère gronde aujourd’hui chez les élus, chez les maires. Depuis quelques jours, je suis interpellée de partout.
D’abord, sur la forme, quel mépris de votre part ! Il n’y a eu aucun courrier, aucune information, certains maires ayant même appris par voie de presse qu’ils allaient devoir rembourser l’acompte perçu.
Dès le 3 octobre 2022, avec plusieurs dizaines de maires, d’élus, dont le député Jean-Marc Tellier et le sénateur Jean-Pierre Corbisez, nous nous étions rassemblés à Arras pour défendre nos propositions face à l’inflation.
À la suite de ce rassemblement, j’ai interrogé la Première ministre sur ce qui se passerait si l’on demandait aux communes de rendre l’acompte. Nous y sommes !
Une fois de plus, vous n’avez pas saisi l’occasion de prendre de véritables mesures. Vous avez préféré vendre du rêve aux maires.
Madame la ministre, alors que les maires ont deux mois pour saisir le tribunal administratif, pouvez-vous nous expliquer comment vous avez pu avoir un taux d’erreur aussi important, puisque 54 % des collectivités en France et 70 % dans le Pas-de-Calais vont devoir rembourser ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a instauré, au titre de l’année 2022, une dotation budgétaire au profit des communes satisfaisant un certain nombre de critères cumulatif : ce sont ainsi 2 011 communes et 930 syndicats qui ont été soutenus, pour un montant total de 406 millions d’euros.
En outre, la loi a prévu que, pour les communes et leurs groupements anticipant, à la fin de l’exercice 2022, une baisse d’épargne brute de plus de 25 %, la dotation pouvait faire l’objet, à leur demande, d’un acompte versé sur le fondement d’une estimation de leur situation financière. Ce sont 4 177 collectivités et groupements qui en ont bénéficié à la fin de l’année 2022, pour un montant global de 106 millions d’euros.
Toutefois, on observe, pour beaucoup d’entre elles, une situation financière bien plus favorable que celle qui a été envisagée à l’époque. Cela justifie un reversement de l’acompte que vous avez mentionné.
Si cela concerne 82 % des bénéficiaires de l’acompte, ces remboursements d’acomptes portent très majoritairement sur des montants peu élevés : 75 % sont inférieurs à 10 000 euros et 61 % à 5 000 euros. Ils représentent par ailleurs une charge limitée par rapport à la structure financière des collectivités concernées, puisque, pour une très grande majorité de celles-ci, le remboursement pèse pour moins de 1 % de leurs recettes réelles de fonctionnement.
Toutefois, conscient des difficultés rencontrées par certaines collectivités, le Gouvernement a prévu des mesures permettant d’étaler cette charge sur les deux derniers mois de l’année 2023 pour les plus fragiles, voire sur l’année 2024 en cas de difficultés importantes.
J’ajoute que les services locaux de la direction générale des finances publiques (DGFiP) se tiennent à la disposition des collectivités concernées pour mettre en œuvre cet étalement si besoin. Ce lissage participera à la préservation de l’équilibre financier des collectivités qui seraient confrontées à des insuffisances de trésorerie.
réintégration des travaux d’aménagement de terrains dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 836, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Cyril Pellevat. Ma question porte sur la réintégration des travaux d’aménagement de terrains dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).
Les dépenses des collectivités territoriales couvertes par le FCTVA sont soumises à divers critères d’éligibilité. En 2021, à la suite de la réforme de l’automatisation, certaines dépenses publiques ont perdu leur éligibilité à la compensation. C’est notamment le cas du compte « Agencements et aménagements de terrains ».
Les projets d’aménagement sont pourtant essentiels pour les collectivités territoriales, qu’il s’agisse d’aménagements nécessaires à l’atteinte de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), de l’aménagement de terrains affectés par les incendies ou encore des projets en faveur de la transition écologique.
Récemment, la Première ministre a fait savoir que, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2024, les dépenses d’aménagement de terrains seraient de nouveau éligibles au FCTVA. Cela ne peut être que salué.
Toutefois, en raison de la courte période durant laquelle les dépenses ont été rendues inéligibles, il serait injuste de pénaliser les collectivités ayant fait le choix de continuer à investir pendant celle-ci.
Aussi, madame la ministre, je souhaite savoir si les dépenses engagées en 2021 et 2022 seront rendues éligibles rétroactivement.
Par ailleurs, la compensation étant versée à n+1, les dépenses réalisées pour l’aménagement de terrains en 2023 devraient être prises en charge par le FCTVA, au regard de l’intégration des crédits nécessaires dès le PLF de 2024. Pouvez-vous me confirmer que les aménagements de terrains effectués en 2023 seront bien éligibles à la compensation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Pellevat, l’automatisation du FCTVA mise en œuvre par la loi de finances pour 2021 a conduit à revoir la définition de l’assiette des dépenses d’investissement éligibles : elle se constate désormais en fonction de leur imputation comptable sur un compte éligible.
Le périmètre des comptes du plan comptable des collectivités ne permet pas de faire coïncider exactement l’assiette automatisée et l’assiette réglementaire précédant la réforme.
Des ajustements ont donc été opérés dans un objectif de neutralité financière de la réforme, à la suite d’une large concertation avec les associations d’élus, engagée en 2016.
Ainsi, si certaines dépenses n’ont toujours pas été retenues dans l’assiette automatisée, d’autres dépenses auparavant inéligibles ont été rendues éligibles ; je pense principalement aux dépenses relatives à des biens mis à disposition de tiers.
Sur la période 2021-2023, les simulations réalisées en amont montrent que la réforme induit un coût supplémentaire pour l’État et se révèle donc globalement favorable aux collectivités, si on la considère à l’échelle nationale.
Après avoir mené une consultation, le Gouvernement a décidé qu’à compter du 1er janvier 2024, les dépenses d’aménagement de terrain, imputées au compte 212 « Agencements et aménagements de terrains », seront réintégrées dans l’assiette d’éligibilité au FCTVA.
Les droits au FCTVA sont déterminés au regard du cadre juridique applicable à date et ne peuvent pas faire l’objet d’un versement rétroactif.
L’extension rétroactive des dépenses d’aménagement de terrains occasionnerait un coût évalué à près de 750 millions d’euros pour les trois exercices 2021, 2022 et 2023.
Enfin, en réintégrant les dépenses d’aménagement de terrains dans l’assiette du FCTVA à compter du 1er janvier 2024, le Gouvernement majore de 250 millions d’euros le soutien apporté chaque année à l’investissement des collectivités territoriales.
Il s’agit donc d’une mesure tournée vers l’avenir qui vise à renforcer le niveau de l’investissement public local futur et à accompagner encore davantage les projets locaux.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, je vous remercie de ces éclaircissements.
Bien évidemment, la non-rétroactivité sur les trois derniers exercices aura pénalisé un certain nombre de communes. Quand je les rencontre, les élus des communes de Haute-Savoie me disent régulièrement que cela bloquera leurs prochains travaux ! Il en résultera une perte d’investissements, notamment pour les entreprises.
Il faut trouver des compensations supplémentaires. Sinon, il y aura des pertes de marché et des pertes énormes pour les collectivités.
gestion du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, auteure de la question n° 674, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Maryse Carrère. Ma question est presque identique à celle qui vient d’être posée par mon collègue.
Le FCTVA assure un soutien financier important de l’État aux investissements des collectivités locales.
Or nous sommes fortement sollicités par nos communes et leurs groupements sur des changements de règles incomprises et incompréhensibles.
Par exemple, le syndicat mixte du Pays de Lourdes et des Vallées des Gaves, qui s’occupe de la rivière, déclarait cette année les montants engagés pour ses investissements à compter du 1er janvier 2021 via la procédure usuelle. Jusqu’à cette année, ces investissements étaient éligibles au FCTVA. Mais, aujourd’hui, seuls 18 000 euros, au lieu de 120 000 attendus, ont été reversés au syndicat.
Les commissions syndicales viennent également d’apprendre qu’elles n’étaient plus éligibles au FCTVA pour l’intégralité de leurs investissements. Il en va de même de nombreuses communes, notamment s’agissant de City stades.
Madame la ministre, il apparaît donc nécessaire et plus qu’urgent d’harmoniser, de clarifier et d’expliquer la liste des comptes déterminant l’assiette éligible au FCTVA.
Des mesures de clarification et un accompagnement des collectivités surprises par le changement de règles sont-ils prévus ? Au vu des remontées de terrain, il apparaît nécessaire de trouver des accords, afin de ne pas laisser ces collectivités dans des situations financières délicates.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice Carrère, avec l’automatisation de la FCTVA, l’éligibilité des dépenses se constate lorsqu’elles sont régulièrement imputées sur un compte éligible.
L’utilisation des comptes est encadrée par les instructions budgétaires et comptables applicables aux collectivités locales. Il n’est donc plus nécessaire que celles-ci déclarent leurs dépenses par l’intermédiaire d’un état papier pour obtenir leurs attributions de FCTVA : elles doivent seulement veiller à la correcte imputation de leurs dépenses.
Les collectivités locales n’ont désormais presque plus de charge déclarative et se voient attribuer le FCTVA plus rapidement. Toutefois, cette réforme a suscité des questions d’assiette : le Gouvernement y reste attentif, en concertation, j’y insiste, avec les associations d’élus.
Pour les collectivités ou groupements concernés par des dépenses relatives aux risques d’inondation, comme le syndicat mixte du Pays de Lourdes et des Vallées des Gaves, et, plus généralement, pour les groupements exerçant les compétences de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), l’assiette des dépenses éligibles au FCTVA va être clarifiée.
En premier lieu, la réforme de l’automatisation n’a pas supprimé les dispositions qui fixent l’éligibilité des dépenses d’investissement exposées sur des biens dont ils n’ont pas la propriété dès lors qu’elles concernent des travaux de lutte contre les avalanches, les glissements de terrain, les inondations et les incendies, ainsi que des travaux de défense contre la mer. Cette dérogation concerne également les travaux pour la prévention des incendies de forêt présentant un caractère d’intérêt général ou d’urgence. Ces dépenses font l’objet d’un état déclaratif qui permet aux collectivités ou groupements concernés de bénéficier du FCTVA en dehors du circuit automatisé.
En second lieu, le Gouvernement a souhaité améliorer l’assiette automatisée du FCTVA en intégrant les dépenses d’aménagement de terrain, notamment celles qui peuvent être engagées dans le cadre des compétences Gemapi. Les comptes concernés seront intégrés dans l’assiette du FCTVA à partir du 1er janvier 2024.
C’est un effort supplémentaire de FCTVA de près de 250 millions d’euros par an qui améliore significativement la lisibilité et la cohérence de l’assiette du fonds pour les collectivités bénéficiaires.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je me réjouis de la possibilité pour les syndicats devant assumer de lourds investissements, comme la Gemapi, de bénéficier de dérogations particulières.
Aujourd’hui, les collectivités bénéficient de subventions qui sont toujours étudiées sur la base du prix hors taxe. Demain, il faudra peut-être étudier la possibilité pour l’État, notamment au travers de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), de les réévaluer sur la base du prix TTC, puisqu’elles ne sont plus éligibles au FCTVA.
augmentation des fraudes sur la taxe soda
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, auteur de la question n° 851, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Dany Wattebled. Madame la ministre, pour protéger la santé de la population, la loi de finances pour 2012 a instauré une taxe linéaire de 7,55 euros par hectolitre sur toutes les boissons sucrées.
Le projet de loi de finances de la sécurité sociale pour 2018 a rendu cette taxe progressive en fonction de la teneur en sucre des boissons.
Entre 2012 et 2022, cette « taxe soda » a fortement augmenté, jusqu’à rapporter aujourd’hui 4 000 euros par camion.
Depuis 2019, cette taxe est perçue non plus par les douanes, mais par l’administration fiscale, par le biais d’une déclaration de TVA mensuelle.
Le montant total à payer rend quasi impossible le contrôle du bon niveau de taxe retenu, d’autant que ce contrôle se fait a posteriori, loin des dates des échanges de biens.
Cela a amené l’émergence d’importateurs de sodas d’origine européenne qui règlent rarement la taxe due. Leurs clients, grossistes et distributeurs font de même, et tous participent à un carrousel de TVA, dans la plus grande impunité, car ces entreprises disparaissent rapidement afin d’échapper aux poursuites. C’est ainsi que l’on retrouve dans la grande distribution des sodas à taux de sucre élevés vendus moins cher que les boissons « zéro ».
Le non-respect de cette taxe entraîne une inégalité concurrentielle avec les entreprises respectant la loi et un manque à gagner dépassant au minimum 10 millions d’euros par mois pour l’administration fiscale.
Il semble essentiel de rappeler toute l’importance de cette taxe et les dangers que peuvent représenter les boissons concernées.
Madame la ministre, entendez-vous renforcer les moyens de contrôle de la taxe soda dans un futur proche ? Prévoyez-vous une solidarité du paiement de cette taxe entre tous les acteurs de la chaîne ? En parallèle, envisagez-vous la mise en place de sanctions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Wattebled, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est l’une des priorités du Gouvernement et de notre administration.
Le transfert de la contribution sur les boissons contenant des sucres à la direction générale des finances publiques s’inscrit pleinement dans cet objectif, en permettant, à long terme, une rationalisation, mais aussi une homogénéisation des circuits de recouvrement et de contrôle.
À la suite du transfert à la DGFiP, les recettes encaissées au titre de cette taxe ont augmenté. Ainsi, alors que la moyenne des encaissements des deux dernières années antérieures au transfert s’établissait à 497 millions d’euros, elle progresse à 581,8 millions d’euros en moyenne ces deux dernières années. Par ailleurs, en 2022 le nombre de déclarants est en augmentation, avec 219 contributeurs en plus en 2022 par rapport à 2021.
Au-delà des aspects de recouvrement, la DGFiP est en mesure de lutter efficacement contre les différents types de fraudes fiscales.
D’une part, elle possède une sérieuse expérience dans la lutte contre les schémas complexes de fraude, notamment en matière de taxes sur le chiffre d’affaires. Elle met ainsi en œuvre une stratégie très offensive de contrôle fiscal en matière de fraude fiscale grave et complexe, en faisant usage des nombreux dispositifs juridiques et outils à sa disposition, comme face aux sociétés éphémères.
D’autre part, le recouvrement de la contribution sur les boissons sucrées a été modernisé, puisqu’il a été au processus déclaratif de la TVA, à laquelle sont assujettis la grande majorité des redevables de la contribution. Ce processus déclaratif allégé sans justificatifs transmis obligatoirement à l’administration constitue un gain de simplification tant pour l’usager que pour l’administration.
Cette dernière a notamment la possibilité de recentrer les moyens du contrôle fiscal sur la fraude à enjeux plutôt que sur le contrôle de forme des déclarations. En outre, l’ensemble des taxes transférées à la DGFiP bénéficient désormais des moyens modernes de détection contre la fraude. Depuis le transfert de la contribution, des premiers travaux informatiques spécifiques ont d’ores et déjà été menés et ont permis la programmation des premiers contrôles, avec des résultats très encourageants.
Je n’ai malheureusement plus le temps de vous répondre, mais je sais que vous me pardonnerez.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
M. Dany Wattebled. Madame la ministre, je vous invite à poursuivre les efforts, compte tenu de l’importance des fraudes qui demeurent.
obligation pour les employeurs territoriaux d’indemniser leurs anciens agents fonctionnaires démissionnaires
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, auteur de la question n° 793, transmise à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur une problématique concernant l’indemnisation des anciens agents fonctionnaires démissionnaires par les employeurs territoriaux, tels que les collectivités et établissements publics.
Selon le code du travail, les employeurs publics sont tenus d’assumer la charge et la gestion de l’allocation chômage pour leurs anciens agents fonctionnaires démissionnaires, conformément aux articles L. 5424-1 et L. 5424-2 du code du travail. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux fonctionnaires titulaires, contrairement aux agents contractuels.
Actuellement, l’employeur pour lequel l’intéressé a travaillé le plus longtemps est responsable de l’indemnisation en cas de démission d’un agent territorial, même si ce dernier a retrouvé un emploi dans le privé ou le public et a été licencié ultérieurement. Une telle situation peut mettre en difficulté financière de petites structures, majoritairement présentes parmi les employeurs territoriaux.
Ces cas, bien que restant rares, sont en constante augmentation et auront probablement une fréquence accrue à l’avenir, avec les mobilités croissantes entre le secteur public et privé.
L’affiliation des fonctionnaires qui dépendent des employeurs territoriaux au régime géré par Pôle emploi ne semble pas une solution adéquate, en raison de ses impacts financiers considérables.
Je vous interroge donc sur la possibilité de confier la gestion de ce risque aux centres de gestion de la fonction publique, qui pratiquent déjà la mutualisation sur divers sujets, via soit une cotisation spécifique, soit une augmentation du taux de cotisation légal.
Plus généralement, je souhaite connaître la position du Gouvernement quant à la résolution de ce problème d’indemnisation des employés démissionnaires par les collectivités. (Mme Annick Jacquemet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Longeot, les employeurs territoriaux assurent la charge de l’allocation relative au chômage pour leurs anciens agents titulaires selon le système de l’auto-assurance et disposent de la faculté d’adhérer au régime d’assurance chômage géré par Pôle emploi pour leurs anciens agents contractuels.
Vous appelez l’attention du Gouvernement sur les conséquences financières de la prise en charge, par les collectivités territoriales et leurs établissements publics employeurs, du coût de l’indemnisation du chômage des fonctionnaires démissionnaires.
Je le rappelle, le décret du 16 juin 2020 relatif au régime particulier d’assurance chômage applicable à certains agents publics et salariés du secteur public précise que les cas de démission ouvrant droit au chômage sont limités aux agents démissionnant pour un motif légitime : pour suivre son conjoint ou en raison d’un changement de résidence justifié par une situation dans laquelle le salarié est victime de violences conjugales.
Par ailleurs, le code général des collectivités territoriales prévoit, aux articles L. 2321-2 et R. 2321-2, la possibilité pour les collectivités territoriales, lors de l’élaboration de leur budget, d’estimer la probabilité de la survenance de divers risques et de prévoir une dotation d’un montant égal au risque évalué. Ces dispositions permettent ainsi de couvrir le risque relatif au financement des allocations dues à une perte d’emploi d’un ancien agent territorial.
J’en viens à votre proposition de confier aux centres de gestion la charge du risque relatif au chômage des anciens agents titulaires démissionnaires via une cotisation supplémentaire ou une augmentation du taux actuel.
Ainsi que vous le rappelez, pour Pôle emploi, un tel transfert de compétences représenterait un coût financier non négligeable pour les collectivités territoriales, compte tenu du nombre très faible d’agents titulaires concernés par une démission. En effet, en 2019, 74 000 anciens agents territoriaux ont été indemnisés au titre du chômage par leurs anciennes collectivités employeuses, dont seulement 1 155 anciens agents titulaires.
Pour ces raisons le Gouvernement n’est pas favorable à une telle mesure.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.
M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, je comprends votre réponse, et la situation n’est en effectivement pas simple.
Néanmoins, puisque vous évoquez la démission pour motif légitime, je puis vous indiquer que, dans un syndicat à vocation unique de mon territoire, le motif de la démission était légitime, puisque la personne concernée avait demandé à suivre une formation, qu’elle n’avait pas suivie, puis n’a pas réintégré son service. La collectivité a donc dû l’indemniser et embaucher un nouvel agent, étant ainsi confrontée à des dépenses importantes…
situation des travailleurs sans-papiers de la poste
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la question n° 856, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Pascal Savoldelli. Malgré les nombreuses alertes auprès de l’État, l’injustice que subissent les travailleurs sans-papiers du groupe La Poste dans le Val-de-Marne se poursuit.
Ces travailleurs sont en grève depuis maintenant deux ans. Tous ont travaillé avec abnégation et courage durant les périodes de confinement ; ils ont même été applaudis. Aujourd’hui, ils demandent légitimement leur régularisation.
La Poste avait pourtant reconnu le 5 mai 2022 une sous-traitance en cascade, mais ce groupe n’assume pas ses responsabilités de donneur d’ordre. Au lieu de cela, il annonce rompre le contrat de sous-traitance de Chronopost avec Derichebourg. C’est se dédouaner de la situation de ces travailleurs privés de droits élémentaires.
La Poste est détenue à 100 % par l’État et par la Caisse des dépôts et consignations. L’État a donc une responsabilité dans cette histoire. Or le code du travail dispose, je vous le rappelle, que « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit [une personne] non muni[e] du titre l’autorisant à exercer une activité salariée ». Cette situation est donc illégale autant qu’inhumaine et ces personnes méritent réparation.
Madame la ministre, quelles actions le Gouvernement compte-t-il mettre en place avec le groupe La Poste pour régulariser ces travailleurs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Savoldelli, depuis décembre 2021, le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-sur-Seine a installé un campement aux abords de la société Chronopost, à Alfortville, afin d’obtenir la régularisation de personnes en situation irrégulière qui auraient été employées par Chronopost ou ses sous-traitants.
Une délégation a été reçue par la direction générale des étrangers en France à deux reprises, les 9 février et 13 juillet 2022. Il a alors été demandé au collectif d’adresser les éléments utiles à l’examen de la situation des personnes employées en situation irrégulière aux préfectures, qui étudieront les dossiers au cas par cas, au regard des critères de l’admission exceptionnelle au séjour. Celle-ci peut être appréciée favorablement si l’étranger justifie actuellement d’une ancienneté significative de travail et de séjour, ainsi que d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche.
En l’état des textes, l’admission de ces travailleurs au séjour requiert en effet une action positive de l’employeur. Conformément au principe général régissant les relations entre le public et l’administration, cet examen est individuel et doit être effectué par la préfecture du domicile du demandeur. Les personnes concernées ont été invitées à déposer une demande auprès de la préfecture de leur lieu de résidence. À ce jour, trente-deux dossiers pour demande de régularisation ont été reçus par la préfecture du Val-de-Marne ; la majorité d’entre eux n’ont aucun lien avec le groupe La Poste.
Au demeurant, la lutte contre l’emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière reste l’une des priorités du Gouvernement. À ce titre, à la demande de la préfecture du Val-de-Marne, l’inspection du travail mène les investigations nécessaires concernant les salariés du site d’Alfortville.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, votre réponse, c’est à mes amis travailleurs de Chronopost, présents aujourd’hui dans les tribunes de notre hémicycle, que vous devez l’adresser.
Je vous ai bien écoutée : pas un mot sur la responsabilité de La Poste ! Pas un mot sur son sous-traitant, Derichebourg ! Aucune mention, pas de problème !
À ce jour, trente et un dossiers ont été déposés, avec seulement onze réponses. Depuis lors, il n’y a pas eu une seule avancée. L’attente est inhumaine pour ces travailleurs.
Je vous le dis avec solennité, personne n’est de trop dans notre société.
M. Pascal Savoldelli. Je sais que nous ne pouvons pas poursuivre le débat ici, mais seriez-vous d’accord pour que nous organisions une nouvelle table ronde au ministère du travail ?
complexité de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 832, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Daniel Laurent. Ma question porte sur la complexité de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle à la suite de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.
Le phénomène concernerait à l’échelle nationale 10,4 millions de maisons individuelles, d’après le rapport d’information de la commission des finances du Sénat sur le financement du risque de retrait-gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti.
Dans la Charente-Maritime, 221 communes sur 463 ont déposé une demande à la suite de l’épisode de sécheresse de 2022 ; 86 de ces demandes ont été retenues, 74 n’ont pas satisfait aux critères fixés par la circulaire du 10 mai 2019 et 61 dossiers sont toujours en attente de traitement.
Les élus des communes non retenues ont, certes, pu prendre connaissance de la fiche de notification des motivations, mais celle-ci est totalement absconse. Il y est question de pourcentage du sol de la commune où la présence d’argiles sensibles au retrait-gonflement des argiles (RGA) est avérée, d’indicateur d’humidité des sols superficiels, de durée de retour associée, de critère vérifié, etc. Les élus sont ainsi dans l’incapacité d’expliquer de manière compréhensible à leurs administrés les raisons du rejet et les disparités de reconnaissance entre communes voisines, voire contiguës. Nombre de communes envisagent de faire des recours, mais ils seront complexes à formuler.
Madame la ministre, envisagez-vous une évolution et une évaluation de la législation, la loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, qui avait notamment pour objectif de faciliter les démarches de reconnaissance et de renforcer la transparence des décisions, n’ayant pas atteint ses objectifs ? Entendez-vous suivre la recommandation du rapport d’information précité…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Laurent. … visant à financer en priorité des expérimentations techniques de prévention du risque RGA dans les communes ?
Enfin, une révision des critères de la circulaire de 2019…
M. le président. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue !
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Laurent, l’épisode de sécheresse et de réhydratation des sols survenu en 2022 a donné lieu au dépôt d’un nombre record de demandes communales de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle : 8 832 !
Sur les 8 832 communes, 6 415 ont été reconnues par plusieurs arrêtés publiés au Journal officiel, ce qui représente un taux de reconnaissance de 73 %.
La motivation des décisions est désormais directement précisée dans les arrêtés interministériels, et des documents explicatifs propres à la situation de chaque commune sont transmis aux municipalités. La transparence des motivations des décisions est donc assurée. Elle a été renforcée au cours des derniers mois par le Gouvernement, afin de respecter la volonté du législateur formulée dans la loi portant réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles, que vous avez mentionnée.
Le financement d’expérimentations techniques visant à améliorer la prévention des risques naturels ne relève pas du champ d’action du ministre de l’intérieur et des outre-mer, mais plusieurs initiatives ont été engagées par les pouvoirs publics en ce sens au cours des derniers mois.
À titre d’illustration, la Caisse centrale de réassurance, qui assure le financement du régime de la garantie catastrophe naturelle, et la fédération France Assureurs ont lancé ensemble le projet Initiative sécheresse, visant à améliorer la méthode de protection des maisons individuelles face à la sécheresse. Cette initiative a fait l’objet d’une candidature dans le cadre de l’appel à projets « Prévention et remédiation des désordres bâtimentaires dus au phénomène de retrait et gonflement des sols argileux » de France 2030. Cet appel à projets vise notamment à renforcer le positionnement de la France sur la trajectoire de la lutte contre le changement climatique et à améliorer notre résilience face à ses effets.
effectifs de police à allauch et plan-de-cuques
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 837, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Valérie Boyer. Il y a un mois, le Président de la République a annoncé la création de 238 brigades de gendarmerie en renfort dans les zones rurales.
Malheureusement, ne répondant pas aux critères pour intégrer une zone de gendarmerie, les communes d’Allauch et de Plan-de-Cuques, dans les Bouches-du-Rhône, ne seront pas concernées. C’est pourquoi les maires de ces deux communes, Lionel de Cala à Allauch et Laurent Simon à Plan-de-Cuques, réclament, mais en vain, depuis trois ans – trois longues années –, des effectifs supplémentaires de police nationale. En résumé, elles ne sont ni assez rurales pour être en zone de gendarmerie, alors qu’elles l’étaient avant 2003, ni assez urbaines pour bénéficier de renforts de police.
Ne nous leurrons pas, ni les renforts annuels des commissariats marseillais ni les renforts des zones rurales ne bénéficient à ces communes.
Pourtant, les policiers, qui étaient au nombre de 63 en 2016, sont actuellement moins de 10 pour 35 000 habitants, soit 0,03 policier par habitant ! Cette situation n’est pas acceptable. Même si les communes ont des polices municipales remarquables, auxquelles je veux ici rendre hommage, la sécurité des Français doit rester une compétence régalienne.
C’est pourquoi je me fais leur porte-parole en demandant la création d’une circonscription de sécurité publique, afin de plus dépendre de la division sud de Marseille, qui doit déjà couvrir un territoire de 59 kilomètres carrés, sans parler des embouteillages, qui peuvent s’étendre sur 45 kilomètres ; bref, c’est inaccessible ! Les délais d’intervention sont trop longs, alors qu’en matière de sécurité, vous le savez, chaque seconde compte.
En outre, au regard des contraintes administratives, les policiers municipaux se retrouvent parfois obligés d’abandonner les poursuites contre des délinquants pris en flagrant délit.
Une des premières libertés des Français est de pouvoir vivre en sécurité. Allauch et Plan-de-Cuques, comme toutes les communes de France, qu’elles se trouvent en zone urbaine, périurbaine ou rurale, doivent bénéficier de la même présence de nos forces de l’ordre.
Quand comptez-vous mettre en place une circonscription de sécurité publique pour les 35 000 habitants de ces deux communes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Boyer, le Gouvernement a fait de la sécurité une question absolument prioritaire. (Mme Valérie Boyer manifeste son scepticisme.)
Grâce aux moyens financiers sans précédent – 15 milliards d’euros supplémentaires – que le Parlement a consentis au travers de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), nous allons amplifier encore l’action que nos policiers et gendarmes mènent sur le terrain. Et, vous le savez bien, madame la sénatrice, Marseille est au cœur de nos préoccupations, avec notamment la stratégie Marseille en grand, lancée par la Président de la République en 2021.
À ce jour, la circonscription de sécurité publique de Marseille, qui inclut les villes d’Allauch et de Plan-de-Cuques, dispose d’un effectif opérationnel de 1 392 gradés et gardiens de la paix, contre 1 312 à la fin de 2020. S’y ajoutent les 797 policiers des unités dites départementales de la direction départementale de la sécurité publique, qui interviennent partout où c’est nécessaire, contre 730 à la fin de 2020.
Le commissariat de secteur situé à Plan-de-Cuques, compétent aussi pour Allauch, compte en effet 10 agents, dont 7 gradés et gardiens de la paix, parmi lesquels se trouvent 3 officiers de police judiciaire. Comme tout commissariat de secteur, sa mission est réduite, quoique essentielle – recevoir le public et enregistrer les plaintes, mais aussi traiter le judiciaire de proximité –, mais les missions de voie publique sont désormais assurées – j’insiste vraiment sur ce point – par les policiers de la circonscription elle-même, ce qui n’était pas le cas en 2016.
Je veux en conclusion dire un mot de la prochaine mise en place dans les Bouches-du-Rhône, comme dans tous les départements, d’une direction départementale unique de police. Cette réforme conduira à placer sous un commandement unifié l’ensemble des forces de police du département. Le résultat concret est que nous pourrons ainsi déployer plus de policiers sur le terrain, plus rapidement et plus facilement, en fonction des situations locales.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.
Mme Valérie Boyer. Après le « en même temps », on a les oubliés de l’« entre-deux » ! Je vous l’ai indiqué dans ma question, madame la ministre, les temps d’intervention d’un commissariat situé à Marseille ne sont pas admissibles pour les communes d’Allauch et de Plan-de-Cuques,…
M. le président. Veuillez conclure.
M. le président. Concluez, madame Boyer !
Mme Valérie Boyer. … de créer une circonscription de sécurité publique.
hôpitaux et risques de cyberattaque
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray, auteur de la question n° 866, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Jean Hingray. Le 7 octobre dernier, les hôpitaux de Vittel et de Neufchâteau ont été victimes d’une cyberattaque. Celle-ci vient gonfler des chiffres déjà alarmants : l’hôpital paie un prix très élevé pour l’accélération de la numérisation, alors que son outil numérique est mal sécurisé.
En 2021, 730 établissements de santé ont été victimes de cyberattaques. L’objectif des hackers est évident : collecter des données, devenues ultralucratives, ou, pour certains d’entre eux, déstabiliser nos systèmes de santé.
Alors que l’informatique prend chaque jour une place de plus en plus importante dans notre système de soins, ces piratages deviennent très inquiétants. À Vittel et à Neufchâteau, ils ont entraîné la suspension des activités programmées, des consultations et des interventions chirurgicales. Certains services n’ont pas encore pu être rétablis et les hôpitaux sont revenus au « tout papier ». Une question évidente se pose : comment bien soigner un patient dont les antécédents médicaux sont stockés dans une machine à laquelle on n’a plus accès ?
En 2021, la stratégie de cybersécurité pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux s’est renforcée avec une enveloppe de 350 millions d’euros. Cela reste insuffisant au regard de la vulnérabilité de nos hôpitaux face à une telle menace. Les hackers se faufilent sans peine dans un dispositif de défense trop morcelé, dans lequel coexistent de nombreux services : une plateforme d’assistance pour accompagner les victimes – www.cybermalveillance.gouv.fr –, le commandement de la gendarmerie dans le cyberespace pour lutter contre la criminalité et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), qui pilote la stratégie de défense et de sécurité des systèmes d’information de notre pays.
Comme en matière sportive, ce n’est pas parce que l’on défend à trois que l’on est sûr d’empêcher l’attaquant de s’approcher de ses cages…
Que compte faire le Gouvernement pour lutter contre ces cyberattaques ?
M. le président. Veuillez conclure.
M. Jean Hingray. Et quel budget compte-t-il allouer à cette question en 2024 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Hingray, les cyberattaques qui touchent les centres hospitaliers sont généralement dues à des rançongiciels.
D’un point de vue préventif, des recommandations sont régulièrement émises par l’Anssi.
De manière complémentaire, des actions de prévention sont également proposées par la gendarmerie. À cet égard, la plus emblématique d’entre elles est le diagnostic opérationnel national cyber, ou Diagonal, qui décline de manière pratique les prescriptions issues de la norme ISO 27001 et du règlement général sur la protection des données, ainsi que les prescriptions de l’Anssi. Ce questionnaire permet à l’entité concernée d’affiner ses connaissances quant à son niveau de maturité cyber et dégager des axes de travail dans une perspective d’amélioration continue. Il y a, certes, un coût financier non négligeable dans la mise en place d’une sécurité informatique robuste, mais il n’en demeure pas moins que cet investissement sera, dans tous les cas, inférieur aux conséquences d’une attaque réussie.
En ce qui concerne la répression, les investigations sont particulièrement longues, parce qu’elles nécessitent systématiquement une coopération internationale. Celle-ci est réelle et efficace, avec toutefois des disparités entre pays partenaires, mais elle engendre des délais de traitement très longs. Lorsque des individus sont identifiés, souvent disséminés à travers le monde, leur interpellation nécessite une coordination de l’ensemble des partenaires. À titre d’exemple, citons l’opération judiciaire menée par la gendarmerie contre le groupe Ragnar Locker à la mi-octobre 2023, qui a nécessité l’engagement de 150 personnes à l’échelon international pour conduire à l’interpellation de quatre personnes, dont une mise en examen en France, et qui prend sa source dans un dossier lancé en 2020.
D’un point de vue judiciaire, les peines sont lourdes, puisque les responsables de telles attaques encourent jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende. Au surplus, détenir sans motif légitime des outils permettant de commettre des attaques informatiques fait encourir jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Voilà les éléments que je souhaitais vous apporter sur ce sujet prégnant et d’actualité.
naturalisation des réfugiés hmongs de guyane
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 881, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Georges Patient. Madame la ministre, je souhaite sensibiliser le Gouvernement à la situation d’anciens réfugiés hmongs qui se voient refuser leur demande de naturalisation en raison d’une maîtrise insuffisante de la langue française.
Ces anciens réfugiés, obligés de fuir le Laos pour avoir pris le parti de la France lors de la guerre d’Indochine, ont été installés par la France en Guyane entre 1977, pour les premiers arrivés, et 1988, pour les derniers. Présents sur le territoire guyanais depuis des dizaines d’années, ils se sont parfaitement intégrés, participant activement et grandement à l’activité économique. L’idée d’un retour au Laos est depuis longtemps abandonnée, d’autant qu’avec le temps, leurs enfants et petits-enfants nés en Guyane ont fait leur vie sur place, maintenant profondément ancrée dans la société guyanaise, et sont tous de nationalité française.
Or, aujourd’hui encore, la majeure partie de ces anciens réfugiés ne parviennent pas à obtenir la nationalité française, qu’ils ne cessent de réclamer. L’argument constamment invoqué est l’absence de maîtrise de la langue française, alors qu’il s’agit de personnes âgées et que l’article 413-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) dispose que les personnes étrangères âgées de plus de 65 ans ne sont pas soumises à la condition relative à la connaissance de la langue française.
Madame la ministre, le projet de loi qui sera discuté par le Sénat au cours des prochains jours doit durcir la condition de maîtrise de la langue française. Ces personnes âgées resteront-elles définitivement des réfugiés ? Ne pourront-elles jamais devenir des citoyens français ? Ne leur devons-nous pas cela pour avoir combattu de côté de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Patient, la communauté hmong de Guyane est aujourd’hui estimée à près de 2 000 membres ; elle se distingue par son mode de vie communautaire, renforcé par son isolement dans la forêt amazonienne.
Parmi les conditions d’acquisition de la nationalité française par décret figure une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française. Le niveau de compétence linguistique attendue de tout postulant est aujourd’hui fixé par référence au niveau B1 oral et écrit du cadre européen commun de référence pour les langues. Cette condition d’assimilation linguistique peut effectivement constituer un obstacle à l’acquisition de la nationalité française par décret pour certaines personnes issues de cette communauté, notamment parmi les générations arrivées en France en 1977 et ne maîtrisant pas ou maîtrisant peu la langue française en raison de leur isolement initial au sein de la structure communautaire.
Toutefois, ces personnes sont susceptibles de bénéficier de l’exemption de la condition d’assimilation linguistique sur le fondement de l’article 21-24-1 du code civil, qui prévoit que cette « condition […] ne s’applique pas aux [personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou apatride] résidant régulièrement et habituellement en France depuis quinze années au moins et âgés de plus de soixante-dix ans ».
Par ailleurs, certaines d’entre elles peuvent également entrer dans le champ de l’article 21-13-1 du même code, qui prévoit l’acquisition de la nationalité française par simple déclaration et sans condition d’assimilation linguistique pour « les personnes qui, âgées de soixante-cinq ans au moins, résident régulièrement et habituellement en France depuis au moins vingt-cinq ans et sont les ascendants directs d’un ressortissant français ».
Ces deux dispositifs permettent donc de faciliter l’accès à la nationalité française des personnes issues de la communauté hmong, qui le méritent.
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.
M. Georges Patient. Madame la ministre, j’ai bien entendu votre réponse, mais pourriez-vous transmettre des instructions en ce sens aux autorités locales, afin qu’elles en tiennent compte ?
inquiétante situation des familles avec enfants à la rue à paris
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, auteur de la question n° 858, adressée à Mme la ministre des solidarités et des familles.
M. Ian Brossat. Ma question porte sur la situation d’enfants qui, comme tous les enfants, ont des aspirations de leur âge et vont à l’école tous les matins, mais qui ont une particularité : ils dorment dehors, dans des abris de fortune avec leurs parents ou, éventuellement, à l’école, lorsque le directeur décide de remédier aux insuffisances de l’État.
Ces enfants sont au nombre de 3 000 dans le pays, selon les dernières statistiques de l’Unicef, ce qui traduit une augmentation de 42 % depuis un an.
Dans le XVIIIe arrondissement, dont je suis élu, ces enfants sont au nombre de 60 et, accompagnés de leur famille, ils dorment dehors ou dans des abris de fortune. Ces enfants comptent beaucoup sur l’école, qui permet de s’intégrer, de s’élever, de s’émanciper, mais ils ne peuvent pas avoir une scolarité convenable sans hébergement pérenne.
Le Conseil d’État a rappelé à de très nombreuses reprises, depuis juillet 2016, qu’il revenait à l’État de proposer un hébergement à ces enfants et à leurs familles. Cette semaine encore, il a ordonné à l’État d’héberger deux mères de famille avec enfants.
Ma question est donc simple : quelles sont les mesures que le Gouvernement compte prendre pour que ces enfants aient enfin un toit au-dessus de leur tête et puissent vivre convenablement, dignement, dans la septième puissance économique du monde ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Brossat, le Gouvernement partage vos préoccupations sur la situation de ces familles.
Confronté à ces situations dramatiques, l’État prend donc ses responsabilités et les efforts déployés pour mettre à l’abri n’ont jamais été aussi importants, comme en témoigne le maintien du très haut niveau du parc d’hébergement.
L’État a assuré un développement continu des places d’hébergement d’urgence, avec l’ouverture chaque année de plus de 200 000 places, dont 47 000 à Paris, permettant la mise à l’abri d’environ 70 000 enfants, qui, sans cela, faute d’hébergement, vivraient à la rue.
On estime par ailleurs le nombre de mineurs logés dans les dispositifs d’intermédiation locative financés par l’État à environ 25 000.
L’accès au logement social a également été un axe d’action très important. Depuis 2018, plus de 122 000 logements sociaux ont été attribués en faveur de ménages sans domicile. Cela concerne environ 240 000 personnes, dont 100 000 enfants, soit 40 % de plus que sur la période 2013-2017. Au total, près de 100 000 enfants sont donc pris en charge par l’État.
Il n’en demeure pas moins que des situations telles que celles que vous citez sont toujours signalées et demeurent préoccupantes. Pour répondre aux enjeux liés à la grande précarité, le territoire parisien a un dispositif de veille sociale qui travaille en étroite collaboration avec les services de l’État et ceux de la ville de Paris, notamment la mission d’urgence sociale de la direction des solidarités de la ville.
Pour ce qui concerne la situation des familles du XVIIIe arrondissement, l’ensemble des demandes a bien été pris en compte par le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) parisien et par les services de l’État, qui recherchent, au cas par cas, des solutions adaptées à ces situations, dans un contexte difficile de saturation du parc.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour la réplique.
M. Ian Brossat. Certains de ces enfants sont présents dans nos tribunes aujourd’hui.
Nous n’avons pas simplement, en la matière, une obligation de moyens ; nous avons une obligation de résultat.
Le précédent ministre du logement avait déclaré qu’il n’y aurait plus d’enfant à la rue ; il y en a toujours. Il est grand temps que ce problème soit réglé, afin que, dans une puissance économique comme la nôtre, il n’y ait plus d’enfant qui dorme dehors, que tous les enfants aient un toit au-dessus de leur tête et puissent vivre correctement.
opportunité d’élargir l’assiette d’éligibilité du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée aux dépenses de déneigement
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, auteure de la question n° 831, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. (M. Alain Duffourg applaudit.)
Mme Annick Jacquemet. Ma question porte sur l’opportunité d’ouvrir le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) aux dépenses liées au déneigement de la voirie.
Chaque hiver, malgré les faibles marges de manœuvre budgétaire dont elles disposent, les communes situées en zone de montagne doivent assumer des dépenses importantes liées aux opérations de déneigement. Les maires ayant l’obligation légale d’assurer le déneigement des voies de la commune qu’ils administrent, ces dépenses sont inévitables.
Si le FCTVA vise en principe à soutenir l’investissement public local, certaines dépenses d’entretien ont, à titre d’exception, été incluses dans son assiette. C’est notamment le cas des dépenses d’entretien destinées à conserver la voirie dans un bon état, telles que celles qui sont liées à l’élagage, au fauchage, au débroussaillage ou à l’entretien de la végétation.
Or les dépenses de déneigement, actuellement assimilées à des dépenses de fonctionnement visant à assurer de bonnes conditions de circulation et n’entrant donc pas dans le champ de l’éligibilité du FCTVA, contribuent tout autant aux bonnes conditions d’utilisation de la voirie. En plus de fluidifier la circulation et d’éviter des accidents routiers, elles permettent d’éviter la détérioration plus rapide de la voirie, qui aurait pour conséquences des besoins d’investissement plus fréquents.
Dans le territoire dont je suis élue, le Doubs, les maires concernés sont nombreux à me solliciter sur ce sujet. Si les parlementaires et les élus locaux ont été entendus par le Gouvernement pour ce qui concerne la réintégration des dépenses d’agencement et d’aménagement de terrains dans l’assiette d’éligibilité du FCTVA – je tiens d’ailleurs à saluer cette avancée –, l’ouverture du FCTVA aux dépenses de déneigement me semblerait également salutaire.
Le Gouvernement serait-il ouvert à une telle évolution ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Jacquemet, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée est un soutien de l’État à l’investissement public local, qui représentera en 2024 plus de 7,1 milliards d’euros. Il vise à compenser la TVA payée par les collectivités pour leurs dépenses d’investissement.
Or, vous le savez bien, les dépenses liées au déneigement constituent des dépenses de fonctionnement, comme le précise la circulaire du 26 février 2002.
Toutefois, à titre d’exception, certaines dépenses d’entretien, notamment des bâtiments publics, de la voirie et des réseaux, sont éligibles. Dans le cas que vous évoquez, il s’agit de dépenses visant à assurer des conditions normales de circulation, au même titre que les dépenses relatives au nettoiement et au balayage de la voirie, ou à la lutte contre le verglas. Il n’est pas prévu à ce stade d’ouvrir le bénéfice du fonds à des dépenses de fonctionnement d’autre nature.
Je souhaite également rappeler que l’article 279 du code général des impôts dispose que la TVA est perçue au taux réduit de 10 % pour « les prestations de déneigement des voies publiques lorsqu’elles se rattachent à un service public de voirie communale ou départementale ». Un remboursement du FCTVA au taux habituel de 16,404 % serait donc particulièrement favorable et supérieur à la TVA acquittée sur ces opérations.
Nous souhaitons véritablement rester, s’agissant des dépenses de fonctionnement, dans quelque chose de très exceptionnel. C’est la raison pour laquelle nous ne répondons pas favorablement à votre demande.
Je rappelle enfin l’avancée majeure à laquelle le Gouvernement procède dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 : les dépenses d’aménagement de terrains seront rendues éligibles à compter du 1er janvier 2024, ce qui représentera plus de 250 millions d’euros supplémentaires pour les collectivités au titre de la FCTVA. Cette mesure renforcera le soutien de l’État aux projets d’aménagement liés à l’enneigement.
manque de concertation des élus locaux pour l’implantation d’antennes relais sur leur territoire
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la question n° 865, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. (Mme Else Joseph applaudit.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Les élus locaux sont en première ligne pour répondre aux enjeux de la transition écologique ; je pense que, sur ce point, nous serons tous d’accord. Pourtant, leur parole n’est souvent pas écoutée… Puisque l’État leur en demande toujours plus, ce paradoxe s’explique de moins en moins !
Madame la ministre, j’attire donc votre attention sur le manque de concertation avec les maires dans la prise de décisions concernant l’implantation d’antennes relais sur leur territoire, d’autant plus quand il s’agit d’un terrain privé.
Dans mon département, les Alpes-Maritimes, je suis régulièrement interpellée sur cette problématique tant par les maires que par les administrés. Je veux à cet effet associer à mon intervention ma collègue sénatrice Patricia Demas, qui est aussi investie sur le sujet.
Au Rouret, à Saint-André de la Roche, à Tourrettes-sur-Loup, à Falicon ou encore à Saint-Jeannet, l’implantation forcée de ces antennes crée l’incompréhension et entraîne même de la colère. Outre les conséquences environnementales, ce sont notamment les enjeux de santé publique qui inquiètent et angoissent. Plus encore, leur prolifération presque incontrôlée, voire anarchique ne peut perdurer en l’état.
Comme vous le savez, la voix des maires, bien qu’essentielle, n’est toujours pas prise en considération : ces implantations échappent à leur domaine de compétence. Alors que des manifestations d’élus et de riverains s’enchaînent partout en France, les solutions pérennes manquent toujours à l’appel. Le recours à la mutualisation des opérateurs semble insuffisamment privilégié.
Madame la ministre, chaque jour, dans une commune de France, des voix s’élèvent contre le déploiement et contre l’exploitation de ces antennes. Il est donc urgent d’agir pour répondre à cette préoccupation légitime, sans sacrifier les intérêts des territoires ruraux dans la lutte contre les zones blanches. Avez-vous vraiment conscience de cet enjeu ? Quelles sont vos nouvelles pistes de travail pour enfin associer réellement les élus locaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Borchio Fontimp, le Gouvernement a fait de la couverture numérique des territoires l’une de ses priorités et poursuit des objectifs ambitieux, notamment au travers du New Deal mobile.
Dans ce cadre, il a fait le choix de confier l’identification des zones à couvrir prioritairement aux territoires, à savoir aux préfectures et aux collectivités territoriales, à l’appui d’équipes projets de proximité, pierre angulaire locale du dispositif. L’implication des élus est donc déterminante dans le cadre de cette politique publique et a été prévue dès les premiers instants.
En revanche, les situations que vous évoquez n’appartiennent pas à ce programme gouvernemental de résorption des zones blanches. Dans ce cadre, l’implantation d’antennes relais classiques, c’est-à-dire ne dépendant pas du New Deal mobile et hors zones blanches, est régie par la combinaison de dispositions relevant de trois codes : le code des postes et des communications électroniques, le code de l’urbanisme et le code général des collectivités territoriales.
Le maire est compétent pour conclure une convention d’occupation temporaire du domaine public avec un opérateur de communications électroniques en vue d’autoriser l’implantation d’une antenne relais sur une dépendance de son domaine public.
Les maires peuvent demander aux opérateurs, qui ont obligation de le leur transmettre, un dossier établissant l’état des lieux des installations prévues sur leur territoire ; si ces derniers ne le fournissent pas, je me mets à votre disposition. La mairie est ainsi compétente pour informer le public sur tout projet ou installation existante à proximité des domiciles.
Les opérateurs mobiles métropolitains tiennent aussi informés les responsables des collectivités locales de tout projet d’installation d’une antenne relais dans le cadre du Guide des relations entre opérateurs et communes, adopté conjointement par l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et par l’association française des opérateurs mobiles (Afom) en décembre 2007.
Les dispositions actuelles assurent donc aux maires d’être parties prenantes dans l’installation d’antennes relais. Je reste ouverte à toute proposition qui vous semblerait pertinente pour aller plus loin et pour associer plus largement ces élus.
demande de clarté des exceptions prévues aux plans d’exposition au bruit
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, auteur de la question n° 874, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Frédérique Puissat. Madame la ministre, comme vous le savez, de nombreuses communes mettent en place un plan d’exposition au bruit (PEB). Ma question porte sur celle d’Heyrieux, dans le département de l’Isère, concernée par le PEB de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry.
Le maire que nous avons la chance d’avoir, Daniel Angonin, et le conseiller départemental et sénateur Damien Michallet, qui se joint à ma question, partagent une double inquiétude relative, d’une part, à la qualité de vie des habitants par rapport au bruit, ce qui est bien normal, et, d’autre part, au souci de développer leur commune et notamment de permettre à des jeunes d’y rester.
Dans ce cadre, madame la ministre, il reste possible de construire en zone C d’un PEB sous deux réserves. Premièrement, il faut que ces constructions soient « situées dans des secteurs déjà urbanisés et desservis par des équipements publics ». Deuxièmement, il faut que celles-ci « n’entraînent qu’un faible accroissement de la capacité d’accueil d’habitants exposés aux nuisances ».
Ma question est simple et a trait au mot « faible ». En effet, le maire de la commune souhaite développer un petit lotissement de dix logements dans un équipement qui répond à la première des caractéristiques : le secteur est « déjà urbanisé » et « desservi par des équipements publics ». Madame la ministre, dix logements correspondent-ils à cette notion de « faible accroissement de la capacité d’accueil d’habitants exposés aux nuisances » ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Puissat, vous avez appelé mon attention sur la situation de la commune d’Heyrieux, concernée en partie par le plan d’exposition au bruit de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, qui limite son développement urbain. Vous souhaitez obtenir des précisions sur les notions de « faible accroissement de la capacité d’accueil d’habitants » et d’« opérations de reconstruction », qui permettent de déroger, dans les conditions définies par l’article L. 112-10 du code de l’urbanisme, à l’interdiction de « constructions à usage d’habitation » situées dans la zone C du PEB.
Je vous informe que des dérogations prévues dans l’article L. 112-10 précité ont déjà été accordées à la mairie d’Heyrieux. À cet effet, l’arrêté du préfet de l’Isère du 26 mars 2013 définit un périmètre dans la zone C du PEB de l’aéroport pour comprendre le centre ancien d’Heyrieux. À l’intérieur de ce périmètre, des opérations de réhabilitation et de réaménagement urbains ont été autorisées dans les secteurs de requalification délimités et selon les opérations décrites dans l’arrêté préfectoral. En particulier, trois secteurs de réaménagement sont identifiés dans le projet de requalification du centre-ville d’Heyrieux et de son quartier ancien.
À la fin de l’année 2018, le maire de la commune est de nouveau intervenu pour solliciter une nouvelle augmentation du nombre de constructions de logements. La direction départementale des territoires (DDT) a alors confirmé que les dérogations accordées pour ces constructions ne devaient pas excéder vingt logements pour 1 000 habitants de la zone C considérée.
Ce critère est donc apprécié localement par les services compétents de l’État, après concertation des acteurs en présence. Tout nouveau projet d’accroissement de l’habitat dans ce périmètre devra donc être examiné en tenant compte des précédents travaux autorisés au titre du renouvellement urbain de la commune.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.
Mme Frédérique Puissat. Madame la ministre, j’entends dans votre réponse que la construction est possible. Si vous êtes d’accord, je proposerai, avec mon collègue Damien Michallet, une réunion avec le directeur de la DDT et avec le préfet pour essayer d’expertiser ce projet d’une dizaine de nouveaux logements, qui permettraient à des jeunes de la commune de s’installer, conformément au souhait du maire et du conseil municipal.
dérogations relatives à l’implantation de grillages dans les espaces naturels
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, auteur de la question n° 768, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la biodiversité.
M. François Bonneau. La loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée a été adoptée pour contrer la prolifération des grillages dans les différentes régions françaises, ce qui, selon ses auteurs, entraînerait des problèmes de sécurité en matière d’incendie et de santé, entraverait la libre circulation de la faune et nuirait au développement du tourisme rural.
Bien que cette loi vise à reconnaître l’importance croissante de protéger la nature contre l’engrillagement, elle contient certaines exemptions. Elle a permis de préciser, au 7° de l’article L. 372-1 du code de l’environnement, que les restrictions ne s’appliquent pas « aux clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ».
Il est essentiel de souligner l’intérêt de certains enclos dans la préservation de la nature et dans la régénération des écosystèmes forestiers. Ces terrains clôturés jouent un rôle déterminant en permettant le contrôle des populations animales et la gestion de l’affluence dans les zones boisées. Cette approche favorise activement la régénération des peuplements et des plantations forestières. En limitant l’accès des animaux aux zones sensibles, ces fermetures assurent la protection des jeunes arbres et des espèces végétales fragiles.
Il convient de noter que de nombreux terrains clôturés avaient déjà été reconnus par les services préfectoraux avant la promulgation de la loi, car leur conformité aux différentes conditions requises énoncées dans l’article L. 424-3 du code de l’environnement était établie.
Dans le contexte actuel, où la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité sont des enjeux majeurs, il est essentiel de reconnaître l’importance de certaines « clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières » dans la gestion durable de nos espaces naturels.
Par conséquent, madame la ministre, je souhaite vous demander de confirmer si les propriétaires d’enclos nécessaires à la régénération de la forêt sont exemptés des interdictions de clôture.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. La loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée dispose en particulier que les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières permettent « en tout temps la libre circulation des animaux sauvages ».
Les continuités écologiques sont en effet essentielles à la préservation de la biodiversité. La faune sauvage ne doit pas être engrillagée dans des enclos étanches. Elle doit pouvoir circuler librement pour s’alimenter, pour se reproduire et pour assurer son cycle biologique.
Cependant, de nombreuses zones présentent malheureusement un déséquilibre entre la forêt et le gibier. La surpopulation de cervidés et de sangliers s’accompagne de dégâts infligés aux régénérations forestières. C’est tout l’avenir de la forêt qui peut s’en trouver menacé. Lorsque les circonstances l’exigent, un engrillagement de protection doit donc être installé dans des zones en régénération pour qu’elles échappent à la dent du gibier.
Le législateur a ainsi prévu plusieurs exceptions – je vous le confirme – permettant de maintenir un engrillagement, dont les « clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières » telles que visées au 7° de l’article L. 372-1 du code de l’environnement.
Plus globalement, un travail local entre les forestiers et les chasseurs doit être mené pour réduire les dégâts infligés aux jeunes arbres dans ces zones en déséquilibre. C’est sur la base d’un diagnostic partagé entre les acteurs, reposant sur des indicateurs coconstruits, que peuvent se déployer les actions les plus efficaces pour rétablir un équilibre entre une forêt qui se régénère et les populations d’espèces de faune sauvage.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour la réplique.
M. François Bonneau. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions. Il faut avoir conscience de l’importance de la forêt dans l’absorption du carbone à l’échelle de notre pays et de la planète. Il convient donc la protéger.
soutien de l’état dans le cadre du transfert de la gestion des digues domaniales
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 823, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Martine Berthet. En application de l’article 59 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam), l’État transférera à la date du 28 janvier 2024 la gestion de quatre-vingts kilomètres de digues domaniales au syndicat mixte de l’Isère et de l’Arc en Combe de Savoie (Sisarc). Bien que la décision soit connue depuis dix années et que le transfert soit désormais imminent, le syndicat mixte se heurte au silence total de l’administration centrale.
Pourtant, les enjeux sont énormes. Non seulement les digues sont en mauvais état et nécessitent des travaux importants alors qu’elles étaient sous la responsabilité de l’État, mais les représentants de ce dernier sous-entendent une remise en cause de leurs engagements financiers. Pour le Sisarc, l’héritage est intenable : 50 millions d’euros sur une enveloppe globale de travaux de remise à niveau d’environ 100 millions d’euros !
Vous comprenez que, dans cette situation, la simple posture de renvoyer à l’augmentation des impôts locaux n’est pas entendable. Aussi, je constate à regret que l’esprit d’étroite collaboration qui avait toujours prévalu sur ce dossier a désormais complètement disparu.
Il y a pire. Dans l’incapacité d’avancer sur la mise en place d’une convention, le syndicat découvre dans la presse un projet de décret, dont la publication serait imminente, tendant à rendre automatique le transfert de la gestion sans s’embarrasser de la signature d’une quelconque convention l’encadrant !
De plus, ce même décret ferait reposer immédiatement les responsabilités sur l’autorité de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). En somme, et alors que ces ouvrages protègent des milliers de nos concitoyens, l’administration, et plus précisément la direction générale de la prévention des risques (DGPR), se lave les mains…
Face à cette dérive, madame la ministre, laisserez-vous votre administration crucifier le Sisarc et toutes les autorités « gemapiennes » concernées, ou, au contraire, veillerez-vous à garantir l’engagement financier de l’État à propos de ces ouvrages vitaux pour les populations de la Savoie ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Berthet, depuis la loi Maptam en 2014, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre se sont vu attribuer la nouvelle compétence Gemapi, afin de mieux structurer la gestion des digues de protection.
Depuis le 1er janvier 2018, ces EPCI, appelés les « Gemapiens », ont la responsabilité de la gestion des systèmes d’endiguement. La taxe Gemapi a été créée pour donner aux Gemapiens les moyens d’exercer leur compétence.
Concernant les digues domaniales de l’État, la loi de 2014 a prévu une phase transitoire jusqu’au 28 janvier 2024 pour permettre aux Gemapiens de s’approprier la gestion de ces ouvrages.
L’État est particulièrement vigilant et sensible à la situation des ouvrages de l’Isère et de l’Arc. Une démarche partenariale pertinente a été mise en place entre l’État et les collectivités concernées, réunies dans le Sisarc. Elle a permis pendant cette période de dix ans que ce syndicat mène déjà des travaux de consolidation des digues. L’État les a financés à 100 % alors qu’ils étaient programmés par les collectivités.
Comme vous l’indiquez, les travaux qui ont été menés n’ont pas suffi à faire en sorte que les systèmes d’endiguement concernés atteignent le niveau de protection que les collectivités souhaitent pour l’avenir. Pour faire face à cette situation et à l’inquiétude des collectivités, l’État s’est engagé à apporter un soutien financier, bonifié par le fonds Barnier, à hauteur de 80 % pour les travaux engagés avant le 1er janvier 2028. Ce pourcentage est le maximum permis par la réglementation.
Le ministre Christophe Béchu a mandaté le préfet pour apporter d’éventuels compléments et ainsi réduire le reste à charge. Le préfet pourra mobiliser divers outils, dont le fonds vert, que vous connaissez bien. Ce dernier sera augmenté de 500 millions d’euros en 2024, pour un total de 2,5 milliards d’euros au profit des collectivités.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Si l’État s’est engagé, il serait temps d’en informer les élus, parce que le silence est pour l’instant total ! Il reste tout de même quatre-vingts kilomètres de digues à entretenir…
problèmes posés par la mise en place d’une forêt primaire dans les ardennes
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, auteure de la question n° 833, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Else Joseph. Nous sommes inquiets face aux perspectives de réalisation d’une forêt primaire dans le nord-est de l’Europe par l’association Francis Hallé. Cette dernière projette de sanctuariser 70 000 hectares de forêt. Ce projet transfrontalier aurait des implications considérables dans mon département, les Ardennes. Outre un flou sur le calendrier, ce projet exclurait les activités humaines pour 7 000 ans !
Adieu les promenades libres, les rêveries innocentes des promeneurs, ou leur joie de découvrir le patrimoine animal ou végétal ! Finis la chasse, la pêche, l’affouage… Va-t-on désormais installer des gradins pour observer la nature ? En effet, dans ce projet, les activités humaines n’auront plus leur place, si ce n’est sur des caillebotis ou lors de visites guidées…
Ce n’est pas la nature que l’on met sous cloche, mais bien l’homme ! Ce dernier est devenu le principal suspect… Pourtant, il a tout fait pour améliorer son rapport avec l’environnement. À ce titre, je peux témoigner du travail effectué par le parc naturel régional (PNR) des Ardennes pour protéger la biodiversité. Il est possible d’assurer le respect de nos activités et de nos traditions tout en respectant l’environnement.
Quand on entend que « les Ardennes ne se caractérisent pas par un caractère économique et touristique important », c’est tout simplement scandaleux ! Que fait-on de l’industrie forestière, soit plus de 350 000 mètres cubes de bois récoltés, alors que l’on développe partout la biomasse bois ? Nous nous interrogeons ! Quid des investissements du conseil départemental des Ardennes dans la voie verte, classée route EuroVelo, au sein de cette belle vallée de la Meuse ?
Si j’étais d’humeur badine, je me poserais cette question : est-ce cela le projet d’industrie verte dont le département des Ardennes doit être pilote ?
Madame la ministre, voilà quelques mois, le ministère a donné son accord de principe à ce projet. Nous attendons une réponse claire de la part du Gouvernement sur cette opération qui punira les Ardennes. Le département ne doit pas être la victime d’un projet déconnecté, nourri par une vision idéologique et irréelle de la nature !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Joseph, le projet en faveur d’une forêt primaire dans les Ardennes est porté par l’association Francis Hallé pour la forêt primaire. Il consiste à dédier une surface de 70 000 hectares à la libre évolution de la forêt sur un territoire relevant de trois États : la Belgique, l’Allemagne et la France.
Les espaces en libre évolution constituent autant de refuges pour la biodiversité spécifique aux milieux forestiers. Ils sont également des points de référence qui feront l’objet d’un suivi scientifique dans la durée, permettant de faire progresser la connaissance des milieux forestiers et de leur biodiversité associée.
Les zones en libre évolution peuvent s’insérer dans des massifs forestiers qui ont, quant à eux, majoritairement vocation à être exploités et gérés, afin d’adapter les forêts au changement climatique, de prévenir le risque incendie et d’approvisionner notre société en matériau bois renouvelable.
L’État est attentif à ce projet de restauration de forêt primaire, qu’il se concrétise dans les Ardennes ou dans tout autre territoire. Nous tenons tout particulièrement au dialogue, qui doit être nécessairement mené entre l’association et l’ensemble des parties prenantes des territoires envisagés.
À ce titre, les acteurs de la filière forêt-bois représentent une force structurante du territoire ; ses besoins ont vocation à être pris en compte. Le bois est une filière d’avenir pour les territoires forestiers de tout le Grand Est, et l’État soutient son développement. Le bois matériau exploité durablement est une ressource d’avenir pour notre économie. Il est essentiel pour décarboner le secteur de la construction.
Le Gouvernement, dans le contexte de changement climatique et de nécessité de prévenir les risques d’incendie, entend également promouvoir et étendre la gestion durable des forêts dans les zones où elle n’est pas pratiquée.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Madame la ministre, je suis un peu déçue : j’attendais une réponse ! Êtes-vous pour ? Êtes-vous contre ? Il faut envoyer un message clair au département ! Vous évoquez la biodiversité, certes, mais, si la forêt n’est plus entretenue, que fait-on face aux problèmes de sécurité posés par les incendies ? Les efforts fournis par mon département ont été considérables.
M. le président. Veuillez conclure.
Mme Else Joseph. Je vous indique qu’un collectif est désormais en place. Il rassemble tout le monde, car nous sommes contre cette forêt primaire.
extension et enfouissement des gravières en basse-ariège
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la question n° 839, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis de nombreuses années, les entreprises du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) multiplient les projets d’exploitation du granulat en Basse-Ariège, où se situe une nappe phréatique classée comme ressource prioritaire par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) Adour-Garonne.
Les carrières actuelles sont déjà à l’origine de nombreuses retenues d’eau, ressource prélevée directement dans la nappe. L’eau est exposée sur 250 hectares. Pourtant, le schéma régional des carrières prévoit l’extension des carrières de plus de 1 100 hectares afin d’alimenter de grands projets dont l’utilité, comme pour l’A69, est contestable.
Cette exposition des eaux de la grande nappe phréatique ariégeoise revient à l’assécher en l’exposant à évaporation. Selon une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’exposition de 100 hectares d’eau provoque un déficit hydrique d’un million de mètres cubes par an. Ainsi, ce sont plus de 8 millions de mètres cubes d’eau annuels qui seront perdus avec l’extension des exploitations, pénalisant toute la population et les milieux naturels, qui subissent déjà des périodes de stress hydrique.
Il est urgent, dans ce contexte, de revenir sur l’extension des gravières, d’autant plus que le projet inclut également des autorisations d’enfouissement des déchets du BTP malgré l’interdiction figurant dans le code de l’environnement. Ces déchets se dégradent en lixiviats chargés d’aluminium, rendant l’eau impropre à la consommation.
Le risque est donc de polluer définitivement la nappe et de bloquer les ressources en eau d’une grande partie de la région alors même que les sécheresses se multiplient du fait de l’aggravation du dérèglement climatique.
Madame la ministre, pouvez-vous suspendre l’extension des gravières, l’enfouissement des déchets du BTP dans la nappe et réévaluer le projet à l’aune d’une étude sur les futurs besoins en eau des habitants et des habitantes de la région Occitanie ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Poncet Monge, la bonne gestion des ressources minérales représente un enjeu stratégique, notamment le fait de les produire au plus près de la zone de consommation.
Malgré une montée en puissance progressive du recyclage des matériaux, le bassin toulousain est à l’heure actuelle déficitaire en matériaux. Il est dépendant de l’approvisionnement par des granulats alluvionnaires provenant des bassins voisins, en particulier de l’Ariège.
L’exploitation des alluvions nécessite le plus souvent une phase de mise à nu, suivie généralement d’un remblaiement. Les services de l’État sont particulièrement vigilants face aux risques de modification des régimes d’écoulement ou d’altération de la qualité de la nappe.
C’est pourquoi les autorisations délivrées par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) sont accompagnées de prescriptions spécifiques. Le schéma régional des carrières d’Occitanie a ainsi été soumis à évaluation environnementale. Il est compatible avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et des schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), et prend en compte le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Par ailleurs, le remblayage des carrières est strictement encadré par la réglementation nationale : les déchets utilisables en la matière doivent être inertes, sous réserve qu’ils soient compatibles avec le fond géochimique local. S’ils sont externes à la carrière, ils doivent respecter des valeurs limites, à la suite d’un test de lixiviation qui recrée le phénomène d’extraction des produits contenus dans les déchets par l’eau.
Pour conclure, madame la sénatrice, sachez que les services de l’État surveillent les résultats d’analyse des eaux souterraines prélevées autour des carrières et collaborent particulièrement sur ce point avec les associations de protection de l’environnement.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je crois qu’il faut réévaluer les projets à l’aune de l’accélération du dérèglement climatique.
délai de publication des décrets d’application concernant la loi « zéro artificialisation nette »
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, auteur de la question n° 841, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Rémi Cardon. Madame la ministre, j’attire votre attention sur les difficultés de mise en œuvre de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), malgré l’adoption de notre récente proposition de loi. Il faut admettre que cette dernière a entraîné des bouleversements alors que plusieurs documents de planification de l’aménagement du territoire, notamment les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi), sont d’ores et déjà en cours d’élaboration.
Pour certains documents, un recours a été présenté devant le tribunal administratif. Divers litiges entre l’État et nos collectivités pourraient être simplement résolus par la publication – enfin ! – de décrets d’application. Je pense notamment à la fameuse garantie rurale, indispensable pour assurer le minimum de développement dont le secteur a tant besoin.
Voici un exemple, madame la ministre, de l’« en même temps » exercé dans les services de l’État. À Querrieu, ville de la Somme, un projet nécessite 1,3 hectare. Or la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) en attribue un seul par commune. Si un autre projet, dans une autre commune, nécessitait moins d’un hectare, la réponse serait la même : en l’absence de décret, rien pour l’instant ne pourrait être fait.
Il ne faut pas raconter des histoires différentes en fonction des projets et des opportunités. Les difficultés s’accumulant en matière de maintien des services publics et des commerces de proximité, il est temps, sans entrer dans la caricature des conflits entre urbains et ruraux, d’œuvrer à l’apaisement. Il faut apporter des garanties aux projets menés dans ces territoires.
Pour cette raison, madame la ministre, quand publierez-vous les décrets ? Quand on prétend mettre en œuvre la planification écologique, il faut – excusez-moi de le préciser – la coconstruire avec les élus locaux.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Cardon, conformément aux engagements du Gouvernement, par la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, nous avons ajusté les dispositions de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. L’objectif était de donner une plus grande marge de manœuvre aux territoires.
En parallèle de l’examen de la loi du 20 juillet 2023 au Parlement, plusieurs décrets d’application ont fait l’objet d’une concertation avec le Sénat, l’Assemblée nationale et l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF).
Un premier projet de décret relatif à la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols vise à décliner cette mise en œuvre dans les documents de planification et d’urbanisme.
Un second projet de décret relatif à l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sols tend à décliner les dispositifs dans les documents de planification et d’urbanisme à compter de 2031. Ce texte précise la nomenclature définissant les surfaces artificialisées ou non artificialisées, notamment les seuils de référence à partir desquels ces surfaces pourront être qualifiées comme telles.
Ces décrets ont été soumis à l’avis du Conseil national d’évaluation des normes et du Conseil d’État. Ils doivent être signés dans le courant du mois de novembre prochain par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu.
Dans la continuité de ces décrets, les projets d’envergure nationale ou européenne, dont la consommation d’espace sera comptabilisée dans un forfait national, feront l’objet d’un arrêté ministériel avant la fin du mois de mars de 2024. Une première liste sera soumise à consultation des régions et des conférences régionales de gouvernance avant la fin de l’année 2023. Je pense vous avoir ainsi donné les dates et le calendrier.
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.
M. Rémi Cardon. On avance… Nous prenons date du calendrier que vous évoquez. J’espère que les échéances sont garanties et que le débat autour de l’ensemble des projets français sera ainsi apaisé.
incertitudes sur les modalités de transfert des compétences eau et assainissement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, auteure de la question n° 845, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la ministre, malgré les modifications successives de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les modalités de transfert au 1er janvier 2026 des compétences « eau et assainissement » aux intercommunalités restent problématiques pour nombre de communes et de communautés de communes.
M. Jean-Michel Arnaud. Bravo !
Mme Marie-Pierre Monier. Soyons clairs : les élus ne contestent pas la mutualisation ; ils contestent seulement l’obligation de transfert. D’ailleurs, ils n’ont pas attendu la contrainte législative pour mettre en place des mutualisations choisies, sur la base des difficultés qu’ils rencontrent dans la gestion de l’eau et dans la configuration des besoins de leur territoire.
De nombreuses communes rurales se sont déjà organisées en syndicats sur des bassins versants ou avec des communes voisines, pour partager les ressources en eau ou mutualiser les réseaux d’alimentation ou de traitement. Le 30 mars dernier, les annonces du Président de la République dans le cadre de la présentation du plan Eau ont laissé les élus dans le flou : ils sont en attente de précisions pratiques concernant les « bonnes solutions de mutualisation » et le « modèle pluriel, différencié, qui repose sur l’intelligence des élus de terrain et la diversité du territoire ».
Il reste un peu moins de trente mois avant janvier 2026. Madame la ministre, j’aimerais donc que vous m’indiquiez sous quelle forme réglementaire ou législative et dans quel délai seront mises en place les nouvelles possibilités de différenciation, avec quelles modalités d’organisation. Cela impliquera-t-il un retour à un transfert optionnel des compétences « eau et assainissement » aux intercommunalités ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Monier, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement représente un enjeu fondamental sur l’ensemble du territoire national. L’échelon communautaire a été choisi par le législateur pour remédier aux difficultés sanitaires, économiques et écologiques engendrées par l’émiettement des services. La mutualisation des moyens financiers et d’expertise à cette échelle permet – nous en sommes convaincus – d’améliorer la résilience et de moderniser les réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement.
À plusieurs reprises, le législateur et le Gouvernement ont apporté des souplesses, en 2018, avec l’activation d’une « minorité de blocage », ou dans le cadre du texte Engagement et Proximité ou de la loi 3DS, permettant, par exemple, le maintien de syndicats intracommunautaires. De la souplesse a donc été apportée.
Face aux tensions liées aux épisodes successifs de sécheresse, une gestion de l’approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine à une échelle dépassant les frontières de l’intercommunalité peut se révéler pertinente dans certains territoires.
Sans revenir sur la répartition des compétences, le Gouvernement est favorable à l’introduction de nouvelles souplesses.
La première serait d’étendre le maintien par délégation aux syndicats intracommunautaires à tous ceux qui existeront au 1er janvier 2026.
La deuxième serait de faciliter l’intervention des départements en leur permettant d’adhérer à des syndicats mixtes ouverts exerçant des compétences en matière d’eau potable ou de se voir déléguer la maîtrise d’ouvrage par un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ou un syndicat mixte compétent en matière de production, transport et stockage d’eau destinée à la consommation humaine.
Voilà les deux ajustements envisagés.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Monier. Bien évidemment que les enjeux sont importants pour l’eau et l’assainissement. Vous l’avez dit, des assouplissements ont été introduits, notamment grâce au travail du Sénat, afin de repousser la date de prise de compétence.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre Monier. Mais, franchement, sur le terrain, il faut faire confiance aux élus, qui connaissent très bien leur réseau, particulièrement dans les petites communes rurales.
absence de protection fonctionnelle pour les conseillers municipaux sans délégation
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la question n° 862, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Jean-Michel Arnaud. Les agressions de maires et de conseillers municipaux étaient, selon les estimations de l’Association des maires de France, en hausse de 15 % en février 2023.
Face à de tels actes, conformément au code général des collectivités territoriales, « la commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages ».
Tout acte de violence envers certains élus locaux entraîne donc l’activation automatique de la protection fonctionnelle. J’ai bien dit « certains élus locaux » ! En effet, en l’état actuel du droit, les conseillers municipaux sans délégation ne sont pas systématiquement couverts par ladite protection, alors que les risques encourus peuvent être équivalents à ceux qui sont encourus par les maires ou les adjoints.
Dans l’optique d’assurer la sécurité des élus municipaux, le Sénat a récemment adopté, à l’unanimité, la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires. Néanmoins, à l’occasion de l’examen du texte, nous n’avons pas pu légiférer sur la protection fonctionnelle en faveur des conseillers municipaux sans délégation, l’article 40 de la Constitution nous ayant été opposé.
À l’heure actuelle, il appartient donc au juge de se prononcer sur l’application du dispositif en prenant en compte la jurisprudence de 2011, qui consacre, en tant que principe général du droit, « l’octroi de la protection fonctionnelle à tout agent public quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions ».
Vous l’avez compris, seul le Gouvernement peut prendre la décision d’étendre la protection fonctionnelle à l’ensemble des élus municipaux.
Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il l’intention d’élargir le dispositif aux conseillers municipaux sans délégation ? Est-il disposé, comme cela a été récemment demandé en commission des lois, à lever le gage d’un amendement parlementaire relatif à sur cette problématique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Arnaud, les élus municipaux bénéficient d’un régime de protection qui s’apparente à la protection fonctionnelle applicable aux agents publics. Les collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale et certains syndicats mixtes sont ainsi tenus d’accorder leur protection à certains de leurs élus en cas de faits n’ayant pas le caractère de faute personnelle détachable du service ou des fonctions.
Ce régime s’applique dans les cas suivants.
Premièrement, l’élu fait l’objet de poursuites judiciaires civiles ou pénales pour des faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions. S’agissant des élus des conseils municipaux, la protection fonctionnelle relève de l’État lorsque l’élu agit en qualité d’agent de l’État.
Deuxièmement, l’élu est victime de violences ou d’outrages à l’occasion ou du fait de ses fonctions.
Troisièmement, cette protection peut également, à leur demande, être accordée aux conjoints, enfants et ascendants directs des élus décédés dans l’exercice ou du fait de leurs fonctions à raison des faits à l’origine du décès.
Comme je m’y suis engagée lors de l’adoption en première lecture de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, le sujet de l’extension de la protection fonctionnelle sera travaillé lors de la navette parlementaire.
Enfin, comme vous le savez, le bénéfice de la protection fonctionnelle doit, en l’état actuel du droit, faire l’objet d’une délibération expresse de l’organe délibérant.
Toutefois, le Gouvernement soutient la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, déposée par M. François-Noël Buffet, Mme Françoise Gatel et M. Mathieu Darnaud, examinée récemment par le Sénat, qui prévoit certaines évolutions, notamment le fait de rendre l’activation de la protection fonctionnelle automatique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Cela étant, l’extension prévue ne vise que les conseillers départementaux et régionaux ayant une délégation. Les conseillers municipaux de base ne sont donc pas concernés !
Or, dans de nombreux départements de France, dont le mien, un certain nombre de conseillers municipaux, parce qu’ils sont conseillers municipaux, sont menacés, invectivés, voire agressés, alors qu’ils ne peuvent pas bénéficier de la protection fonctionnelle.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Michel Arnaud. Le Gouvernement doit mobiliser les moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre une telle protection.
financement des réseaux express métropolitains
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, auteur de la question n° 860, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
M. Jean-Pierre Corbisez. Ma question concerne la problématique du financement des réseaux de transport ferroviaire.
Le Gouvernement a fait du développement du train un enjeu de sa transition énergétique, afin de décarboner les transports, l’un des postes pesant le plus lourd dans nos bilans d’émission de gaz à effet de serre.
Voilà un an, le Président de la République annonçait sa volonté de relancer les RER métropolitains, volonté traduite par les premiers engagements financiers présentés lors du récent Conseil de la planification écologique.
Le projet de service express métropolitain de l’étoile ferroviaire de Lille est inscrit dans ces financements. En tant qu’élu des Hauts-de-France, je ne peux que m’en féliciter.
Néanmoins, pour dire les choses trivialement, le compte n’y est pas, tant s’en faut. !
Le montant annoncé des subventions, à savoir 700 millions d’euros, interroge d’ailleurs sur la volonté réelle du Gouvernement d’accompagner cette révolution du train défendue par le Président de la République.
Le projet de service express métropolitain de Lille a en effet été évalué de 7 milliards d’euros à 9 milliards d’euros. Au-delà de la création d’une ligne entre Lille et Hénin-Beaumont, nécessaire pour désengorger les autoroutes et les voies rapides reliant Lille au Bassin minier, il est également prévu d’implanter une nouvelle gare à Lille.
L’enveloppe annoncée dans le cadre de la négociation du contrat de plan État-région ne couvre, a minima, que 10 % du projet. Elle permettra au mieux de couvrir les études préalables et les premiers investissements.
Dans ces conditions, comment imaginer la faisabilité d’un tel projet ? La région des Hauts-de-France ne sera jamais en mesure de boucler les financements, même avec le soutien d’autres collectivités.
Quelles mesures entendez-vous prendre pour accompagner la région des Hauts-de-France dans la réalisation de ce projet nécessaire au bien-être de ses habitants et à la transition écologique de ce territoire, marqué durement par une douloureuse histoire industrielle et sociale ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Corbisez, dans le cadre de la priorité donnée à l’amélioration des déplacements du quotidien par la loi d’orientation des mobilités, et sous l’impulsion du Président de la République, le Gouvernement a lancé une démarche visant à doter les grandes aires urbaines qui le souhaitent de services express régionaux métropolitains (Serm).
L’objectif est ambitieux. Il s’agit de développer les transports du quotidien et, en particulier, de doubler la part modale du transport ferroviaire dans les déplacements du quotidien autour des grands pôles urbains, à la fois pour améliorer la desserte des zones périurbaines et pour participer à la décarbonation des mobilités.
Pour le concrétiser, il s’agit de s’inscrire dans une démarche collective visant à élaborer des projets locaux avec les acteurs concernés, au premier rang desquels les régions et les autorités organisatrices des mobilités.
C’est l’objet de la proposition de loi déposée par M. Jean-Marc Zulesi, votée par l’Assemblée nationale le 16 juin dernier et par le Sénat le 23 octobre dernier. Celle-ci donne une définition des Serm et prévoit qu’ils soient labellisés par l’État sur la base d’une proposition des collectivités concernées.
En matière de financement, l’État est au rendez-vous pour accompagner les démarches locales. Ainsi, après que le plan de relance aura consacré un volet spécifique à la mise en œuvre de services express métropolitains, doté de 30 millions d’euros, pour engager de premières études et faire émerger les projets plus rapidement, la future programmation budgétaire prévoit un volet spécifique dans les contrats de plan État-régions, les fameux CPER, représentant un montant de l’ordre de 800 millions d’euros pour l’État.
Le cas échéant, des financements innovants tels que des recettes affectées aux projets pourront également être mis en place, si les collectivités portant les projets le souhaitent et selon des modalités qu’elles définiront.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je réinterrogerai M. Clément Beaune ce soir en commission. Mme la Première ministre annonce 100 milliards d’euros pour le ferroviaire. Or vous venez d’évoquer 30 millions d’euros ! Quel écart ! (Mme la ministre proteste.) Nous espérons que la région sera suivie concernant les financements !
conséquences de la modification du seuil de ratio de tension sur la demande de logement social pour les communes
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, auteure de la question n° 790, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Sylviane Noël. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le décret du 29 mars 2023 est venu modifier le seuil de tension sur la demande de logement social mesuré à l’échelle des territoires concernés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
En Haute-Savoie, plusieurs communes se voient subitement appliquer un nouveau ratio. C’est le cas de Marignier dans l’agglomération clusienne, qui se voit dorénavant appliquer un objectif de 25 % de production de logements sociaux, au lieu de 20 %, ce qui fait mathématiquement passer le montant de sa pénalité SRU de 40 000 euros à 85 000 euros, soit plus du double, payable immédiatement, alors même que cette commune avait atteint une très large majorité de ses objectifs initiaux en la matière.
Une telle attitude de l’État est très décourageante, voire stigmatisante pour les élus. C’est une situation insupportable, à plusieurs titres.
Financièrement, cette pénalité intervient de manière rétroactive – son montant a été notifié aux communes au mois de juillet, alors que leur budget devait être voté au plus tard le 15 avril 2023 –, dans un contexte particulièrement délicat pour les collectivités locales, compte tenu de l’explosion de leurs charges de fonctionnement et de la baisse d’une partie de leurs recettes.
Juridiquement, cette pénalité vient sanctionner, à la manière d’un couperet, sans aucun délai ni préavis, la non-atteinte d’un objectif qui ne s’imposait pas jusqu’alors aux communes, ce qui est particulièrement discutable.
Humainement, enfin, sont sanctionnés des élus, alors que, dans immense majorité, ils sont particulièrement actifs pour tenter de résorber le retard de production de logements sociaux. Leurs efforts ne sont donc pas récompensés, bien au contraire, dans un département frappé de surcroît par la rareté et la cherté du foncier.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu’en matière de logements, comme pour bien d’autres politiques publiques, il est temps que l’État fasse usage de la carotte plutôt que du bâton dans ses rapports avec les collectivités locales, afin de restaurer la confiance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Noël, à chaque début de période triennale d’application du dispositif issu de l’article 55 de la loi SRU, le Gouvernement définit un seuil de tension sur la demande de logements sociaux en deçà duquel les territoires concernés se voient appliquer un objectif abaissé.
Le récent décret n° 2023-235 du 28 avril 2023 a fixé ce seuil à quatre demandes pour une attribution.
Le Gouvernement a fait le choix de la stabilité en décidant de reconduire le seuil préexistant. Ce décret a fait l’objet d’une concertation avec les associations nationales représentatives des élus locaux et a reçu des avis favorables du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) et du Conférence nationale du handicap (CNH).
Les communes dans lesquelles le taux de tension est inférieur à ce seuil se voient appliquer un taux abaissé de 20 % de logements sociaux parmi l’ensemble des résidences principales, contre 25 % dans le droit commun.
Par conséquent, la hausse du taux cible attendu de la commune de Marignier s’explique non pas par le changement réglementaire, mais uniquement par la hausse de la tension observée dans l’unité urbaine de Cluses, à laquelle elle est rattachée.
Le taux est passé de 3,9 à 4,5 demandes pour une attribution en trois ans. Ce niveau de tension résulte d’une méthode de calcul visant à prendre en compte la situation particulière liée à l’épidémie de covid-19, puisqu’un décret du 17 février 2023 a prévu, de manière dérogatoire, de neutraliser les données de l’année 2020 au sein de la moyenne triennale retenue.
Le relèvement de l’objectif est ainsi lié à l’intensification des enjeux de production de logements sociaux sur ce territoire. La commune conserve la possibilité de déduire de son prélèvement annuel ses dépenses engagées en faveur du développement d’une offre sociale.
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour la réplique.
Mme Sylviane Noël. Madame la ministre votre réponse me laisse une nouvelle fois sur ma faim !
Je vous ai interrogée sur des faits très concrets, et vous me répondez en termes techniques. Je connais les dispositifs de déductibilité que vous évoquez.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Sylviane Noël. Je souhaitais vous sensibiliser aux caractéristiques d’une telle sanction.
réforme du dispositif maprimerenov’
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, auteur de la question n° 875, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Christian Klinger. Le projet de planification écologique du Gouvernement, rendu public fin septembre, vise à faire de la France « l’une des premières nations à sortir des énergies fossiles », afin de préserver sa biodiversité et ses ressources, tout en répondant aux préoccupations des Français.
Le chauffage au bois domestique s’inscrit bien dans cette vision. Les Français ne s’y sont pas trompés : 7,2 millions de ménages utilisent un tel équipement ! Pourtant, vous envisagez de réduire de manière drastique les aides pour le chauffage au bois domestique à partir de 2024, alors que d’autres solutions de chauffage verraient leur niveau d’aide augmenter.
Ce sera priver une partie importante des ménages les plus modestes habitant en milieu rural d’un accès à la source de chauffage la plus compétitive, au moment où le Gouvernement cherche précisément à amortir le choc de la facture énergétique.
Une telle évolution aurait des conséquences directes sur le tissu économique de la filière, qui compte de nombreuses PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), ancrées dans les territoires, notamment les territoires ruraux, alors même qu’une augmentation planifiée de près de 250 000 tonnes par an de la production est prévue jusqu’en 2028.
Agir contre la filière bois énergie reviendrait donc à remettre en cause une solution efficace pour décarboner le secteur du chauffage, qui reste encore très dépendant des énergies fossiles.
Lors des annonces de la révision du dispositif MaPrimeRénov’ pour 2024, avez-vous mesuré toutes les conséquences pour la filière bois et granulés de chauffage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Klinger, depuis plusieurs mois, le Gouvernement prépare une refonte des aides à la rénovation énergétique, MaPrimeRénov’, pour le 1er janvier 2024.
L’objectif de cette réforme est double. Tout d’abord, il s’agit d’accélérer la dynamique de restauration performante, qui reste aujourd’hui insuffisante pour atteindre nos objectifs climatiques de réduction de la consommation énergétique. Celle-ci fait l’objet du parcours MaPrimeRénov’ pour les rénovations d’ampleur.
Ensuite, il s’agit d’accélérer la dynamique de décarbonation du chauffage, pour atteindre nos objectifs de sortie des énergies fossiles et de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Ce parcours MaPrimeRénov’ donne lieu à des aides qui seront conditionnées, avant l’installation d’un équipement de chauffage décarboné, y compris une pompe à chaleur hybride, à la présentation d’un DPE, un diagnostic de performance énergétique, avant travaux, afin de s’assurer que les maisons individuelles ne sont pas des passoires énergétiques notées F ou G.
Compte tenu du caractère limité de la ressource en biomasse à l’horizon 2030, les travaux de planification écologique ont dégagé des priorités d’utilisation de la biomasse.
Dans l’optique de respecter cette priorisation, les paramètres des aides MaPrimeRénov’ pourraient être ajustés, afin de soutenir l’installation d’équipements bois, dans les cas pour lesquels il s’agit de la solution de référence. Je pense ainsi au remplacement de chaudières au fioul dans les zones rurales ou les zones de montagne.
En tout état de cause, tout recentrage sera progressif, afin de ne pas mettre à mal notre trajectoire de décarbonation des vecteurs de chauffage et donner de la visibilité à la filière.
Le parcours MaPrimeRénov’ accompagné continuera de financer l’installation d’un appareil de chauffage bois – chaudière, foyer fermé, poêle, insert –, dans le cadre d’une rénovation d’ampleur. Les nouvelles modalités seront connues dans les prochains mois.
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger, pour la réplique.
M. Christian Klinger. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Vous le savez, le bois de chauffage et le granulé de bois sont issus d’une ressource locale, durable et responsable qui répond pleinement aux problématiques écologiques et économiques de la transition énergétique.
Si vous fléchez trop vers la pompe à chaleur électrique, vous augmentez le risque de pics de demande pendant la période hivernale et par grand froid. Ne mettez donc pas tous vos œufs dans le même panier et soutenez aussi la filière bois, vertueuse à bien des égards.
lutte contre les causes de l’insécurité des élus locaux
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, auteur de la question n° 859, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Marie Mercier. Le 10 octobre dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires de M. François-Noël Buffet. Ce texte, auquel vous êtes favorable, madame la ministre, est nécessaire.
Nous l’avons tous dit, l’agression d’un maire est une attaque contre la République. Et je ne reviendrai pas sur les exemples dramatiques et tristement connus qui se sont déroulés en France.
En Saône-et-Loire, le maire de Mancey a démissionné. Des menaces graves ont été proférées contre les maires de Cheilly-lès-Maranges, Montcenis, Senozan, Les Bizots, Saint-Ambreuil et Saint-Rémy. Bien d’autres encore ont dû affronter de véritables tempêtes.
Voilà quelques jours, dans ce département, que vous connaissiez bien, un maire entouré de ses adjoints et de son directeur général des services n’a pas pu présenter un projet d’agrandissement de zone de loisirs devant 30 administrés. Ces derniers se sont montrés tellement agressifs que le maire a failli appeler le 17. Il avait préparé quatre projections, et il a dû s’arrêter au début de la première.
Très attachée à l’intérêt général et à l’attractivité de sa commune, l’équipe municipale est profondément bouleversée et se sent démunie. Pourquoi tant de violence dans une commune tranquille et pour une aire de jeux ? Si les maires ont toujours été confrontés à des conflits et des querelles, l’ampleur que prend le phénomène est inquiétante. Il n’y a plus de respect de la fonction.
Madame la ministre, quand cette proposition de loi, que vous défendez, sera-t-elle inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, promulguée et, surtout, appliquée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Marie Mercier, vous le savez, la sécurité des élus revêt un caractère fondamental et la lutte contre les violences commises à l’encontre des titulaires de mandats locaux appelle à un travail collectif, que nous avons entrepris depuis le début de l’année.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’est engagé à soutenir la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, adoptée par le Sénat en première lecture le 10 octobre dernier. Ce texte comporte des avancées majeures, en permettant notamment d’améliorer la prise en charge financière de la protection des élus et d’alourdir les sanctions pénales.
J’ai annoncé le 17 mai dernier le lancement d’un « pack sécurité ».
À l’échelon national, j’ai souhaité la création d’un centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus – il comprend un gendarme et un sous-préfet –, qui se consacre à temps plein à la coordination des milliers de policiers et gendarmes œuvrant pour leur sécurité, afin d’associer une prévention à chaque menace.
Enfin, j’ai présenté début juillet 2023 un plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus. Ce plan cherche à agir sur quatre axes : la protection juridique et fonctionnelle, la sécurité physique des élus et l’accompagnement psychologique, la réponse judiciaire, et les relations entre les maires et les parquets.
De très nombreux sujets nécessitent toutefois de modifier la loi. Tout est dans le texte voté à l’unanimité au Sénat. Je fais mon maximum pour qu’il soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avant la fin de l’année.
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.
Mme Marie Mercier. Madame la ministre, je note la date importante que vous venez de nous annoncer.
Nous le savons, cette proposition de loi a des limites. En effet, les amendes restent impayées et les dépôts de plainte sont classés sans suite. Il faut traiter non seulement les effets, mais aussi, et surtout les causes.
D’ores et déjà, il convient d’appliquer les règles existantes. Les règles communes ne sont plus respectées, l’autorité est défiée par des administrés – j’insiste sur ce point – de tous âges et tous milieux.
Les maires sont inquiets, madame la ministre, et la France tout entière s’inquiète face à ce qui est ressenti comme un recul de l’ordre et de l’autorité.
projet de révision de la directive sur les émissions industrielles
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, en remplacement de M. Bernard Buis, auteur de la question n° 756, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, en remplacement de M. Bernard Buis. Notre collègue Bernard Buis tenait à interroger le Gouvernement sur le projet de modification de la directive européenne relative aux émissions industrielles (IED).
Avec cette directive, il s’agit de réduire les émissions des exploitations concernées via des mesures environnementales définies à l’échelon européen.
Le 5 avril 2022, la Commission européenne a présenté un projet de modification de cette directive, en intégrant dans son champ d’application les élevages de volailles, porcins et bovins à partir du seuil de 150 unités de gros bétail.
Dans le cadre des négociations européennes, le Gouvernement a défendu une position visant à tenir compte des contraintes, notamment financières, que la révision de la directive engendrerait pour la profession agricole.
Le 10 juillet 2023, le Parlement européen a voté contre le projet de la Commission. Nous pouvons nous réjouir de ce vote, qui est porteur d’un message de soutien à destination des filières agricoles. Contrairement à ce que nous pouvons lire ici ou là, ce n’est en rien une mauvaise nouvelle pour la transition écologique.
Les exploitations agricoles françaises sont d’ores et déjà activement engagées dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et dans la préservation de l’environnement. Élevage et écologie ne sont pas incompatibles. Les opposer sans nuance ne sert à rien.
Cela étant, il y a eu des négociations dans le cadre du trilogue européen, au lendemain du vote des parlementaires.
Mon collègue Bernard Buis souhaitait donc vous interroger. Les négociations sont-elles toujours en cours ? Quelles sont les prochaines étapes de ces négociations ? Comment le Gouvernement s’investit-il pour protéger nos éleveurs ? Enfin, ces derniers ont-ils encore des raisons de s’inquiéter ou peuvent-ils être sereins ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, l’inclusion dans le champ de la directive des activités d’élevage ayant des impacts environnementaux importants ne peut être pensée qu’en soulignant que l’élevage a un avenir en France et détient une partie de la solution face au changement climatique.
Dans cette logique, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a annoncé, en lien avec le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, un plan de soutien à l’élevage, à l’occasion du trente-deuxième sommet de l’élevage de Cournon.
Dans la même optique, la France s’est aussi exprimée à plusieurs reprises au niveau européen pour défendre l’élevage et restreindre au maximum l’inclusion de l’élevage dans le champ de la directive IED.
Ces interventions fortes en faveur de l’élevage ont porté leurs fruits, puisque plusieurs avancées ont ainsi été obtenues dans l’orientation générale du Conseil adoptée le 16 mars dernier par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne : rehaussement des seuils d’entrée, exclusion des élevages extensifs, définition des règles applicables aux exploitations par acte d’exécution pour un meilleur contrôle par les États membres des obligations qui seront imposées aux exploitants.
La France a soutenu cette proposition de compromis, tout en insistant sur l’indispensable prise en compte des systèmes d’élevage durables.
Le mandat du Parlement, voté le 11 juillet dernier, propose le statu quo sur le sujet. Les trilogues sont désormais engagés sous l’égide de la présidence espagnole, et le sujet « élevage » devrait être abordé lors du troisième trilogue politique du 28 novembre prochain.
Les négociations sont donc en cours. Il nous faut, côté Conseil, trouver des voies de compromis entre les deux mandats. La France estime que le résultat du vote du Parlement doit inciter le Conseil à faire un effort supplémentaire pour desserrer la contrainte sur les exploitations d’élevage.
conséquences potentielles de la proposition de règlement européen sur les produits phytosanitaires (sur) sur les vignobles français.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, auteur de la question n° 817, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Pascale Gruny. Depuis plusieurs mois, les viticulteurs français s’inquiètent des conséquences potentielles de la proposition de règlement européen relatif à l’utilisation durable des pesticides, dit règlement SUR.
Ce règlement, en cours de négociation, vise à imposer des mesures contraignantes aux États pour réduire de 50 % l’usage des produits phytosanitaires, en prévoyant notamment une interdiction absolue de traitement dans et à proximité de zones dites sensibles.
Concrètement, il s’agirait d’une bande d’interdiction de traitement sanitaire de 3 mètres, que la rapporteure de la commission de l’environnement du Parlement européen voudrait même étendre à 50 mètres !
Si une telle approche extensive des « zones sensibles » était retenue, cela reviendrait à abandonner purement et simplement les parcelles du vignoble champenois. Plus de 1 500 hectares de l’appellation Champagne sont déjà classés site Natura 2000, et on estime à 1 000 hectares les surfaces concernées par les zones de non-traitement !
Les latitudes de l’AOC Champagne rendent par ailleurs les vignes très sensibles aux maladies et ne permettent pas de se dispenser de traitements pour produire du raisin qualitatif en quantité. Il est indispensable de laisser aux vignerons un temps de transition nécessaire pour trouver des alternatives aux produits de biocontrôle, dont on leur interdirait l’utilisation dans certains secteurs de l’appellation.
Madame la ministre, quelles positions le Gouvernement entend-il défendre à Bruxelles sur ce dossier pour préserver les intérêts de nos viticulteurs et protéger notre souveraineté alimentaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Gruny, il convient de le préciser, la négociation du texte SUR est encore en cours. Cette proposition de règlement est donc encore susceptible d’évoluer, tant au niveau du Conseil que du Parlement européen, puis en trilogue.
La France soutient la proposition de la Commission d’avoir un règlement sur l’utilisation durable des produits phytopharmaceutiques.
Placée au niveau européen, une telle initiative porte cette transition à la bonne échelle. Elle assure en effet une protection commune du consommateur européen et l’absence de distorsions entre les producteurs européens. Elle permet ainsi de négocier les mêmes conditions de production sur tout le territoire de l’Union européenne.
La France soutient le principe d’un tel texte, notamment au regard d’un objectif d’harmonisation. Toutefois, des évolutions restent nécessaires pour réussir à concilier de manière réaliste protection de la santé et de l’environnement, d’une part, et production agricole et souveraineté alimentaire, d’autre part.
L’étude d’impact complémentaire de la proposition de règlement SUR ne documente pas suffisamment les baisses de rendement et de production, ainsi que les impacts attendus, en fonction des options, pour la protection des zones sensibles.
Oui, la viticulture est essentielle au développement et à l’aménagement de nombre de nos territoires. Elle est créatrice de richesses et d’emplois. Ses écosystèmes et ses paysages sont très divers et abritent une biodiversité reconnue.
Le Gouvernement est conscient de l’enjeu que représente l’utilisation de certains produits dans les zones agricoles comprises dans ces zones sensibles.
Par conséquent, le déploiement du projet SUR doit impérativement être accompagné du développement massif d’alternatives : la mise à disposition de nos agriculteurs d’outils de substitution fiables permettant le maintien d’un état sanitaire performant au sein de l’Union européenne est un enjeu essentiel, sur lequel nous travaillons.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. En la matière, madame la ministre, nous avons l’habitude que les intérêts français, loin d’être préservés, passent à la trappe… Nos voisins et néanmoins concurrents européens font souvent beaucoup mieux que nous. Nous comptons donc vraiment sur de la fermeté de la part du Gouvernement !
Les produits phytosanitaires sont aussi un médicament pour les plantes, il faut le dire et le marteler. On en a besoin pour traiter les maladies. Tant que la recherche n’a pas avancé, prenons donc garde de ne pas empêcher nos viticulteurs de continuer de les utiliser.
On estime qu’une réduction de 50 % de l’usage des produits phytosanitaires se traduirait par une perte de rendement de 28 % pour la viticulture française. Or, dans le Bordelais, on arrache des vignes…
dégâts occasionnés aux vignobles par le mildiou, indemnisations et création d’un fonds d’urgence
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, auteur de la question n° 846, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Alain Duffourg. Madame la ministre, je souhaite interroger le Gouvernement sur la situation climatique qu’a connue notre pays entre les mois de mai et de juillet 2023, ainsi que sur son impact sur les récoltes, en particulier dans le vignoble gersois.
En effet, comme vous le savez, les vignes du Gers et de certains départements limitrophes ont subi une attaque de mildiou sans précédent. Celle-ci faisait suite à des calamités survenues en 2021 et 2022, liées notamment au gel et à la grêle.
Votre collègue M. Fesneau, ministre de l’agriculture, est venu dans le Gers le 2 octobre dernier. À cette occasion, les représentants de la profession agricole et de la filière viticole du territoire lui ont remis un dossier faisant état de pertes particulièrement importantes, estimées à 50 %, voire à 80 % de la récolte, alors que celle-ci s’annonçait assez prometteuse.
Vous n’ignorez pas que le préjudice économique risque d’être très important. C’est la raison pour laquelle ce dossier a été adressé à votre ministère.
Les réclamations qui sont formulées aujourd’hui par les viticulteurs et les organisations agricoles me paraissent tout à fait justifiées : nous le savons, dans le cadre du dispositif d’assurance qui a été mis en place pour couvrir les agriculteurs contre les calamités agricoles, une partie des dégâts doit rester à la charge des producteurs, en l’occurrence des viticulteurs, une autre est prise en charge par l’assurance et le reste relève de la solidarité nationale.
Si nous acceptons qu’une part des pertes reste à la charge des viticulteurs, la compagnie d’assurances concernée n’entend pas régler les dommages consécutifs au mildiou. Il ne reste donc que la solidarité nationale, à laquelle aujourd’hui nous faisons appel, en demandant la création d’un fonds d’urgence.
Ces pertes ont été chiffrées à 23 millions d’euros. Madame la ministre, concrètement, une ligne budgétaire est-elle prévue à cet effet ? Et quand les viticulteurs pourront-ils être indemnisés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Duffourg, je tiens à vous redire que le Gouvernement soutient les viticulteurs ; Marc Fesneau, que vous avez cité, s’était d’ailleurs immédiatement rendu en Gironde pour mesurer l’étendue des dégâts liés au mildiou et échanger avec les producteurs.
Vous évoquez le Gers ; je souhaite citer également Fronton, dans le nord de la Haute-Garonne, qui a été très touchée par le mildiou, comme l’Aude ou les Pyrénées-Orientales. Il est vrai que les dégâts sont importants cette année.
L’ampleur des conséquences agronomiques des attaques exceptionnelles de mildiou pour les exploitants ne pourra être connue de manière précise qu’après la récolte et sa commercialisation, donc pas avant 2024, ce qui est également le calendrier des indemnisations d’assurance récolte pour les agriculteurs touchés, en sus du mildiou, par des aléas climatiques.
Il convient néanmoins de rappeler que l’assurance récolte n’indemnise que les pertes liées directement à un aléa climatique, non les conséquences sanitaires indirectes de l’aléa.
Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, la situation de certains viticulteurs, qui n’ont ni stocks ni épargne, pourrait bel et bien se révéler très difficile dès le début de l’année 2024.
Le cas échéant, nous pourrons apporter un soutien à ces exploitations en mobilisant tout d’abord, au niveau local, les dispositifs de droit commun : dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés non bâties, report de cotisations sociales et fiscales, prise en charge de cotisations sociales de droit commun. Ensuite, des mesures spécifiques pourront être envisagées, pour accompagner les viticulteurs qui connaîtraient les plus grandes difficultés de trésorerie.
financement des mesures agroenvironnementales et climatiques
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, auteur de la question n° 863, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Daniel Salmon. Le Gouvernement, via la planification écologique, a affiché une ambition environnementale forte et annoncé des milliards d’euros pour la transition.
Pourtant, sur le terrain, les moyens ne semblent pas au rendez-vous là où il s’agit de financer les changements de pratiques agricoles. En effet, madame la ministre, votre gouvernement a laissé s’installer, depuis quelques mois, une situation d’impasse budgétaire en matière de financement des mesures agroenvironnementales et climatiques, outils pourtant essentiels à la transition écologique.
En Bretagne, alors que les organisations agricoles et la région vous alertent depuis des mois, il manque toujours 53 millions d’euros pour répondre aux demandes des agriculteurs qui se sont engagés dans le dispositif des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec). D’autres territoires sont dans la même situation ; au niveau national, ce sont plusieurs centaines de millions d’euros qui manquent à l’appel.
Les agriculteurs concernés se sont engagés volontairement dans cette dynamique. Or leurs dossiers risquent d’être rejetés par l’État. Ils vont se retrouver au bord de la route, un gouffre financier devant eux.
Cette situation a de quoi mettre à mal la confiance que les agriculteurs avaient dans ce dispositif : voilà qui n’est guère engageant pour les années à venir, alors que la transition agricole se fait plus urgente chaque jour.
Votre collègue Marc Fesneau nous a dit hier qu’il travaillait à ce que les agences de l’eau prennent leur part au financement du dispositif. Mais, au vu des sommes manquantes – plusieurs centaines de millions d’euros –, on peut d’ores et déjà affirmer que cette solution sera clairement insuffisante.
Aussi, madame la ministre, pouvez-vous prendre ici même un engagement fort et garantir à l’ensemble des agriculteurs engagés dans le processus des Maec qu’ils seront bel et bien accompagnés et aidés comme prévu ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Salmon, je rappelle en premier lieu que l’enveloppe des mesures agroenvironnementales et climatiques était pour la France de 255 millions d’euros par an sur la période de programmation 2015-2020 de la politique agricole commune (PAC).
Le Gouvernement a arbitré, en 2021, en faveur d’une enveloppe annuelle de 260 millions d’euros par an pour ces mesures au cours de la période de programmation 2023-2027 de la PAC, soit une légère augmentation de l’enveloppe globale.
Sur ce montant, 40 millions d’euros par an ont été confiés aux régions pour financer des Maec non surfaciques ; cela représente 12,5 millions d’euros sur la période 2023-2027 pour la région Bretagne.
Une enveloppe de 220 millions d’euros par an est donc consacrée aux Maec surfaciques, qui sont gérées par l’État. Cette enveloppe a été prérépartie entre les territoires et, pour contractualiser des Maec, qui sont des contrats de cinq ans, le Gouvernement a décidé d’engager dès 2023 l’immense majorité des crédits afférents de la programmation 2023-2027.
L’enveloppe prévue pour les Maec surfaciques à contractualiser en 2023 représente donc pour l’instant 87 millions d’euros dans la région Bretagne.
Je redis que 12,5 millions d’euros sont par ailleurs à la main de la région Bretagne pour des Maec non surfaciques : il y a là un moyen supplémentaire d’accompagner les démarches vertueuses des agriculteurs.
La somme des crédits européens et des contreparties nationales financées sur le budget du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire pour ces Maec est semblable aux ressources mobilisées sur la période 2015-2020.
Par ailleurs, il y a d’autres financeurs, notamment les agences de l’eau.
Compte tenu des déclarations faites par les agriculteurs dans le cadre de la campagne PAC 2023, nous sommes en train de faire le point sur les financements attendus dans les différentes régions. Le montant de la participation de l’État a été voté dans la loi de finances pour 2023 ; quant à la contribution des autres financeurs, nous vérifions en ce moment même qu’elle atteint bien le niveau attendu.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Madame la ministre, vous me parlez de ce qui est payé. Je vous parle, moi, de ce qui manque ! C’est la signature de l’État qui est en jeu.
Les agriculteurs s’engagent dans un dispositif ; ce n’est pas pour que, au bout du compte, on les abandonne. Il faut que la parole de l’État soit tenue. Il y va aussi de l’avenir de l’agriculture bio : les aides à cette agriculture sont passées de 110 euros à 92 euros par hectare et par an.
suspension du paiement de l’avance des aides de la politique agricole commune pour certains agriculteurs seine-et-marnais
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, auteur de la question n° 879, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Pierre Cuypers. Le 18 octobre dernier, j’attirais l’attention de M. le ministre de l’agriculture sur la suspension du paiement de l’avance des aides de la politique agricole commune pour les agriculteurs de plus de 67 ans en raison de « difficultés de déploiement de certains outils d’instruction », d’après la lettre d’information d’octobre 2023 de la direction départementale des territoires (DDT).
Plusieurs milliers de dossiers, dont 200 pour mon seul département, la Seine-et-Marne, sont mis en attente tant que l’Agence de services et de paiement n’aura pas résolu son incapacité à croiser les données des caisses de retraite. De surcroît, aucune précision n’est donnée concernant la date attendue de résolution de ce problème.
Résumons simplement la situation : sous prétexte de problèmes informatiques et de l’incompétence de certains de ses services, l’État pratique la rétention de millions d’euros d’aides de la politique agricole commune, au mépris total de ces exploitants qui, de leur côté, n’ont aucun doute pour ce qui est de leurs propres échéances financières et bancaires…
Madame la ministre, j’attends la solution que propose le ministère de l’agriculture concernant le règlement dans les plus brefs délais de cette situation, qui est aussi inadmissible qu’insoutenable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Cuypers, depuis l’entrée en vigueur, en 1993, de la réforme de la politique agricole commune, la France paie massivement des avances sur les paiements directs à la surface, les principales aides couplées animales et l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN), et cela dès le premier jour autorisé par la réglementation, soit le 16 octobre.
Nous sommes le seul État membre à procéder ainsi. Depuis 1993 également, nous ne payons jamais l’intégralité des sommes à verser lors de la semaine du 16 octobre.
Cette année, alors que nous avons à mettre en œuvre une réforme profonde de la PAC, laquelle est entrée en vigueur dans un délai qui n’a jamais été aussi court, le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, a tenu son engagement d’un paiement effectué selon le calendrier d’une campagne habituelle.
Ce sont ainsi 84,4 % des agriculteurs français ayant déposé un dossier qui ont reçu un paiement entre le 16 et le 18 octobre. Cette proportion s’élève même à 89 % dans votre département, monsieur le sénateur.
Vous soulevez le cas de certains dossiers d’agriculteurs qui ont plus de 67 ans.
Dans un objectif de renouvellement des générations notamment, le fait qu’un agriculteur de plus de 60 ans ne soit éligible aux aides de la PAC que s’il ne bénéficie pas d’une pension de retraite entraîne un contrôle spécifique, qui suppose de croiser des données avec les bases des caisses de retraite.
C’est vrai, l’une de ces caisses a éprouvé des difficultés à fournir dans les délais la base demandée pour effectuer ce contrôle. Mais le sujet est maintenant réglé, monsieur le sénateur, et le paiement, pour les agriculteurs de plus de 67 ans qui respectent cette condition de non-cumul, interviendra dans les tout prochains jours.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour la réplique.
M. Pierre Cuypers. J’entends bien votre réponse, madame la ministre. Mais qu’entendez-vous par « dans les tout prochains jours » ? Est-ce dans huit jours ? Dans quinze jours ?…
Je voudrais simplement vous rappeler que les aides de la politique agricole commune font partie intégrante du résultat des entreprises concernées, qui elles-mêmes paient ensuite des impôts.
Cela signifie que, à partir du 16 octobre, une fois les aides versées, les agriculteurs, quel que soit leur âge, prévoient leurs échéances et leurs remboursements.
Cela signifie que, à l’heure actuelle, dans mon département, plus de 200 exploitants agricoles sont incapables de répondre aux engagements qu’ils ont pris, qu’il s’agisse de rembourser leurs fournisseurs ou de maintenir l’équilibre de leur compte bancaire. Vous n’avez pas répondu à ce problème.
fixation du prix de l’énergie sur le marché européen
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la question n° 838, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
M. Pierre-Jean Verzelen. Ma question porte sur le mécanisme de fixation du prix de l’énergie au niveau européen, donc, en définitive, sur l’électricité et sur le nucléaire.
En France, certains relèvent du bouclier tarifaire, dont la sortie est prévue dans le temps et « en escalier ». D’autres relèvent du prix du marché, notamment les collectivités et certaines entreprises, dont l’équilibre économique s’en trouve considérablement modifié, parfois jusqu’à la quasi-asphyxie.
En France, nous bénéficions d’un avantage compétitif historique : le nucléaire, l’énergie la plus propre et la moins chère. Et il semble que nous soyons redevenus autosuffisants.
Hélas, les ménages français et les entreprises n’en voient pas la couleur. En effet, le mécanisme historique de la dernière énergie appelée continuant de s’appliquer au niveau européen, le prix de l’électricité est en définitive indexé sur celui du gaz, voire du charbon.
Une prise de conscience a eu lieu à ce sujet voilà quelques mois, comme l’ont montré certaines annonces faites par le Président de la République et par la Commission européenne, ou encore le sommet franco-allemand organisé il y a quelques semaines.
Toutefois, ces quelques annonces ne m’ont pas semblé extrêmement claires. Aussi, où en sommes-nous réellement quant à un éventuel changement du mécanisme de fixation du prix de l’énergie en Europe ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Verzelen, je vous prie d’excuser ma collègue ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui a permis l’adoption d’un accord européen le 17 octobre dernier, à l’occasion du Conseil des ministres de l’énergie.
C’est là une victoire majeure : une victoire pour l’Europe, en réponse à l’Inflation Reduction Act américain et à la concurrence chinoise ; une victoire pour la France, qui inscrit dans le marbre le principe du traitement identique du nucléaire et des énergies renouvelables ; une victoire pour le climat, cet accord facilitant les investissements dans la production d’énergie décarbonée.
Cet accord permettra de stabiliser les prix de long terme et de protéger les consommateurs français. Concrètement, nous déconnectons les prix de l’électricité de ceux du gaz pour empêcher les envolées de nos prix de l’électricité en cas de crise sur le marché des énergies fossiles ; nous donnons de la visibilité aux industriels et aux consommateurs quant aux prix de l’électricité sur le long terme ; nous sécurisons nos approvisionnements énergétiques grâce à la solidarité européenne.
En d’autres termes, comme l’a déclaré le Président de la République, nous reprenons le contrôle sur les prix de l’électricité.
La sortie du marché européen, souhaitée par certains, aurait conduit à augmenter les factures des Français et à mettre gravement en difficulté nos industries et notre sécurité d’approvisionnement. Une réforme était toutefois nécessaire. C’est tout le travail mené par Agnès Pannier-Runacher avec l’Alliance européenne du nucléaire, mais également avec la Commission européenne et avec les présidences successives, qui permettra de protéger mieux encore les intérêts de notre pays.
La prochaine étape sera la finalisation du compromis avec le Parlement européen, qui devrait intervenir d’ici à la fin de l’année 2023.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour la réplique.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, vous dites qu’une sortie de la France du mécanisme européen de fixation du prix aurait été catastrophique. Je n’en suis pas convaincu : les pays qui ont pu en sortir, l’Espagne et le Portugal, ne s’en plaignent pas…
Toujours est-il que je prends acte de ce que vous avez indiqué au début de votre réponse. Je vous encourage à communiquer auprès des organismes professionnels, des entreprises et des commerçants pour leur exposer les avancées que vous venez de mentionner. Je ne suis pas convaincu, en effet, que vos propos soient conformes à leur ressenti.
bénéfice du fonds chaleur et territorial pour les établissements scolaires privés du premier degré
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, auteur de la question n° 692, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
M. Stéphane Sautarel. Le fonds chaleur territorial vise à soutenir les projets de production de chaleur menés à partir d’énergie renouvelable et de récupération d’énergie, ainsi que les réseaux de chaleur liés à de telles installations.
Ce dispositif est issu de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui fixe des objectifs de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie et de multiplication par cinq de la quantité d’énergies renouvelables et de récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid d’ici à 2030.
Dans le Cantal, par exemple, un établissement scolaire privé du premier degré a déposé un dossier de subvention pour pouvoir bénéficier de ce fonds, afin de remplacer une chaudière au fioul par une chaudière à granulés de bois.
Or l’article L. 151-3 du code de l’éducation, tel qu’il est interprété de manière constante par le Conseil d’État, dispose que toute aide, financière ou matérielle, des collectivités publiques à ces établissements est prohibée.
En outre, la loi dite Falloux du 15 mars 1850 encadre l’intervention des collectivités.
Le fonds chaleur territorial étant porté par l’État, il semble que, au regard de ces dispositions, les établissements scolaires privés ne peuvent pas en bénéficier.
Pouvez-vous, madame la ministre, confirmer la non-éligibilité des établissements scolaires privés au fonds chaleur territorial ?
Le cas échéant, envisagez-vous une évolution du cadre juridique actuel, afin que ces établissements, comme d’autres personnes morales ou physiques, puissent bénéficier d’une aide pour améliorer la performance énergétique de leurs bâtiments et ainsi contribuer à l’atteinte de nos objectifs d’accroissement de l’usage des énergies renouvelables ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Sautarel, la lutte contre le changement climatique nécessite que notre modèle de développement soit plus sobre en énergie. L’objectif de la neutralité carbone en 2050 requiert notamment de redoubler d’efforts pour réduire la consommation d’énergie et développer les énergies renouvelables dans tous les secteurs.
L’atteinte de nos objectifs climatiques passera donc par une amélioration des performances énergétiques de l’ensemble de notre parc de bâtiments. À cet égard, notre objectif est clair : 40 000 écoles primaires publiques devront être rénovées d’ici à dix ans.
Le Président de la République a annoncé, le 23 avril 2023, un grand plan de rénovation énergétique des écoles élémentaires visant à renforcer les outils d’accompagnement et de financement existants et à mettre en place de nouveaux outils destinés à soutenir les collectivités dans la rénovation de leur bâti.
Les communes peuvent ainsi mobiliser plusieurs aides financières publiques et privées, dont le fonds chaleur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), pour financer les projets de rénovation des écoles publiques.
Le fonds chaleur est un outil unanimement reconnu pour son utilité et son efficience. Ses résultats sont probants en matière d’installation de production de chaleur renouvelable, de récupération de chaleur et de déploiement de réseaux de distribution de chaleur et de froid renouvelables.
Concernant les établissements privés, le Conseil d’État a en effet jugé, dans une décision du 14 avril 1999, qu’aucune aide à l’investissement ne pouvait être accordée par une commune à un établissement privé d’enseignement primaire.
En application de cette jurisprudence, l’Ademe attribue des aides du fonds chaleur à certains établissements privés d’enseignement, comme des collèges privés, mais elle n’attribue pas de subventions aux établissements privés d’enseignement primaire.
Toutefois, au regard de l’importance de l’enjeu, les services compétents de l’administration sont mobilisés pour étudier la possibilité d’une actualisation de cette interprétation.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.
M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie, madame la ministre, de vos propos.
Toutefois, au-delà de l’étude que vous avez annoncée, qui n’est qu’une première étape, c’est la réponse proprement dite qui est surtout attendue. Les objectifs de la trajectoire énergétique d’adaptation au réchauffement climatique étant unanimement partagés, il n’y a pas de raison que nos bâtiments scolaires ne soient pas traités de la même manière selon qu’ils abritent des écoles publiques ou privées.
Au-delà de la réponse que vous venez de formuler, j’aimerais donc que le Gouvernement donne suite à ma demande en adaptant les textes dans les meilleurs délais, afin de prendre en compte les besoins des écoles privées.
difficultés de recrutement dans le secteur du soin à domicile
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, auteur de la question n° 533, transmise à Mme la ministre des solidarités et des familles.
M. Fabien Genet. Madame la ministre chargée des collectivités territoriales, je souhaite tout d’abord saluer la grande polyvalence dont vous faites montre ce matin. (Sourires.)
Je veux ensuite attirer votre attention sur les difficultés de recrutement que connaissent les structures de soins et d’aide à domicile et sur les tensions qu’elles provoquent sur le système de maintien à domicile, dans mon département, la Saône-et-Loire, comme dans l’ensemble des territoires du pays.
La publication d’une enquête récente réalisée auprès des directeurs de structures de soins et d’aide à domicile a révélé les très importantes difficultés de ce secteur en plein développement dans le contexte du vieillissement de la population. Selon les chiffres publiés, près d’une demande de prise en charge sur dix ne pourrait pas être honorée et une demande sur quatre ne pourrait l’être que partiellement.
Progressivement constitué et structuré, le maillage territorial des professionnels du soin et de l’aide à domicile joue un rôle tout à fait incontournable, notamment en milieu rural, où il apporte une autre solution que le placement en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et permet un maintien à domicile qui est bien souvent le vœu des seniors concernés par ce type de prise en charge.
Les difficultés de recrutement de ce secteur se font ressentir dans tous les territoires du pays. En moyenne, un poste sur deux n’a pas pu être pourvu en 2022, alors que la presque totalité de ces structures a fait paraître des annonces de recrutement.
Le manque de reconnaissance salariale est certainement la première explication de cette pénurie de vocations. Des actions fortes doivent être menées afin de rendre les professions de ce secteur attractives grâce à une amélioration des conditions de travail, à une meilleure prise en charge des indemnités kilométriques et à une meilleure tarification des services fournis.
C’est pourquoi, madame la ministre, je souhaite connaître les mesures spécifiques que le Gouvernement entend prendre pour venir en aide à ces professions, tant dans le domaine de la formation que dans celui de l’amélioration de leurs conditions salariales.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Genet, Mme Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles, affirme son soutien à la valorisation des professions du secteur de l’aide aux personnes âgées.
L’ambition du Gouvernement étant de renforcer et d’assurer la qualité de l’accompagnement dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 représente une avancée vers l’atteinte de l’objectif consistant à créer 50 000 postes supplémentaires dans lesdits établissements.
En effet, les fonds alloués à cette ambition sont doublés par rapport à 2023, ce qui va permettre le recrutement d’environ 6 000 soignants pour l’année à venir.
La ministre Aurore Bergé souligne parallèlement l’engagement total du Gouvernement, via la budgétisation d’un milliard d’euros d’ici à la fin du quinquennat, pour soutenir les aides à domicile. Au travers des mesures de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France et de la feuille de route afférente, qui paraîtra à la fin du mois de novembre prochain, la ministre souhaite apporter des solutions concrètes aux effets immédiatement visibles.
Cette politique s’articule autour de trois points : premièrement, faciliter les déplacements et la mobilité des professionnels par la mise en place d’une carte professionnelle et la généralisation de flottes de véhicules de service ; deuxièmement, améliorer l’organisation du travail en s’attaquant aux problèmes du temps partiel subi, des horaires fractionnés et des plages non rémunérées via une refonte, à moyen terme, du système de financement à l’heure de ces services ; troisièmement, traiter le problème du manque de qualification et de perspectives professionnelles dans le secteur en simplifiant et en développant massivement l’accès à la formation professionnelle sous différentes formes et en encourageant tous les parcours.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. Je vous remercie, madame la ministre, de ces éléments. Une véritable mobilisation en faveur de ces métiers est en effet indispensable pour les faire connaître et reconnaître, c’est-à-dire pour les rendre plus attractifs.
Il y va de la prise en compte du vieillissement de la population, de la soutenabilité financière de ce système d’aide pour les familles comme pour le pays, du traitement digne dû à chacun de nos seniors et de la solidarité entre les générations.
formation des médecins maîtres de stage
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 621, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, à mon tour, je veux vous féliciter pour votre grande polyvalence. (Sourires.) Néanmoins, je regrette vivement l’absence de Mme la ministre chargée des professions de santé, ma question étant tout de même très précise…
Quelque 12 000 médecins généralistes, en France, sont maîtres de stage. Ils sont d’une utilité majeure pour former de jeunes médecins, en particulier dans les territoires où le manque de professionnels de santé est criant.
Depuis l’adoption du principe d’une quatrième année d’internat en médecine générale, mis en œuvre lors de la présente rentrée universitaire, le nombre de médecins généralistes maîtres de stage doit mécaniquement augmenter.
Les médecins généralistes maîtres de stage s’inquiètent toutefois de ce que l’Agence nationale du développement professionnel continu réduise les possibilités de formation et que, de ce fait, de moins en moins de médecins puissent être maîtres de stage.
Un rapport, réalisé avec l’appui conjoint de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), a été remis au printemps dernier au ministre de la santé et de la prévention et à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les membres de la mission sur l’ajout d’une quatrième année au diplôme d’études spécialisées de médecine générale y préconisent de « promouvoir la maîtrise de stage universitaire en maintenant, en tant que de besoin, sa formation “hors quota” lorsqu’elle est indemnisée par l’Agence nationale du développement professionnel continu » – il s’agit de la recommandation n° 13 du rapport.
Les médecins généralistes maîtres de stage demeurent inquiets quant au nombre de formations disponibles et au volume horaire qui leur est consacré.
Madame la ministre, quelles dispositions compte prendre le ministre de la santé pour augmenter de manière significative l’accès aux formations de maîtrise de stage pour les médecins généralistes et pour rassurer ces derniers quant à votre stratégie d’augmentation du nombre de médecins, notamment dans les territoires où leur présence fait défaut ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Fichet, tout mettre en œuvre pour lutter contre la désertification médicale est une priorité du Gouvernement. Et s’agissant du lien entre les territoires et les professionnels, vous savez que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont au cœur de cette ambition.
Favoriser la réalisation des stages en ambulatoire et accompagner la mise en œuvre de la quatrième année de médecine générale sont aussi des axes forts de notre politique depuis 2019. Les résultats sont concrets : plus de 13 000 praticiens ont été formés à la maîtrise de stage universitaire (MSU) depuis 2017.
Pour autant, nous souhaitons aller plus loin, tant dans l’offre de formation que dans l’accompagnement financier, en agissant dans deux directions.
Premièrement, un nouveau cadre pédagogique pour la formation initiale et continue à la MSU sera défini d’ici à la fin de l’année 2023. Sur la base d’un tronc commun, il fixera les objectifs spécifiques à l’accompagnement des étudiants de deuxième et troisième cycles de médecine.
Deuxièmement, le Gouvernement a souhaité amplifier la montée en charge du nombre de praticiens formés via une réelle dynamique financière et pluriannuelle. Ainsi une enveloppe de 41,9 millions d’euros est-elle allouée à ces formations sur la période 2022-2027.
Par ailleurs, nous souhaitons favoriser l’exercice coordonné : l’objectif est qu’il y ait 4 000 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) sur le territoire en 2027. Dans ce cadre, nous faisons sauter un verrou en permettant à la maison de santé, et non plus seulement au médecin, d’être juridiquement le maître de stage, à l’instar de ce qui est déjà possible à l’échelle d’un service à l’hôpital.
Nous avançons dans le maillage du territoire par les CPTS, l’objectif étant celui d’une couverture à 100 % d’ici à la fin de l’année 2024. Des territoires qui se coordonnent mieux, ce sont des MSP qui se portent bien et autant d’occasions de stages pour nos étudiants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Mais elle ne me satisfait pas, comme vous pouvez l’imaginer, puisque les possibilités de formation de maîtres de stage sont réduites.
Je rappelle à toutes fins utiles que le Sénat a voté il y a un an à peine une proposition de loi portant création d’une quatrième année de troisième cycle de médecine et d’un statut de docteur junior accordé à des étudiants, qui devront être encadrés par des maîtres de stage.
Il faut évidemment lutter contre les déserts médicaux, mais aussi prendre en compte la nécessité que ces médecins juniors soient parfaitement accompagnés par des maîtres de stage bien formés et suffisamment nombreux.
modalités de révision du dispositif rézone relatif à l’installation des médecins
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, auteur de la question n° 843, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en premier lieu, de saluer la présence ce matin dans nos tribunes du conseil municipal d’Escolives-Sainte-Camille, emmené par son maire. Ils sont chez eux au Sénat : c’est leur maison, celle des élus locaux !
J’en viens à ma question, qui est relative au classement des territoires dans le cadre de l’outil Rézone.
Vous le savez, cet outil permet aux professionnels de santé de savoir quelles sont les aides dont ils peuvent bénéficier. Rézone distingue, d’un côté, les zones d’action prioritaire, qui sont éligibles à de nombreux dispositifs de l’assurance maladie pour favoriser l’installation, et, de l’autre, les zones d’action complémentaire, qui offrent une palette beaucoup plus restreinte.
Or il y a un paradoxe, dont m’a fait part notamment M. le maire de Coulanges-sur-Yonne. En effet, je me suis rendu dans sa commune et j’ai pu me rendre compte, sur place, de l’incidence de cet outil, à savoir que des territoires sous-denses en termes de démographie médicale se trouvent parfois catégorisés dans des zones d’action complémentaire. Ils n’ont donc pas accès à l’ensemble de la palette des aides, ce qui pose problème.
J’ai en mémoire, par exemple, le cas d’un médecin qui souhaite s’installer, mais qui remet en cause son projet d’installation en raison de l’absence d’aides liées à ce zonage.
Aussi, madame la ministre, comment le zonage Rézone est-il établi ? Comment peut-on le réviser ? Et quelles sont les dérogations à la main de l’agence régionale de santé (ARS) ou du ministère pour accompagner un médecin souhaitant s’établir en zone d’action complémentaire au-delà de ce qui est déjà prévu pour ces zones ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, vous le savez, le zonage médecins est établi par les ARS sur la base d’une méthodologie nationale revue récemment – en 2021 –, après concertation avec l’ensemble des parties prenantes, afin de mieux prendre en compte les spécificités locales.
C’est sur la base de ce zonage que sont mises à jour les données de l’assurance maladie publiées dans Rézone. Celui-ci est un outil complémentaire d’aide à l’installation des médecins. Il est révisé a minima tous les trois ans, mais l’arrêté régional peut être modifié par l’ARS, afin d’ajuster les aides aux besoins du territoire.
Ainsi le zonage dont dépend Coulanges-sur-Yonne pourra être modifié par l’ARS jusqu’au mois de juillet 2024, afin de l’actualiser et de mieux correspondre, le cas échéant, aux réalités du territoire.
En outre, dans votre département de l’Yonne, une organisation tripartite d’installation réunissant la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), l’ARS et le conseil départemental examine mensuellement les projets d’installation et propose un accompagnement personnalisé aux professionnels de santé souhaitant s’installer.
Dans ce cadre, selon les projets et les besoins, plusieurs leviers peuvent être mobilisés : aide à l’installation complémentaire du conseil départemental ; exonération sur les bénéfices pour une implantation en zone de revitalisation rurale ; élaboration d’un projet personnalisé d’installation du professionnel de santé, incluant l’appui d’un assistant médical, l’intégration au sein d’un exercice coordonné ou un accompagnement à l’accueil de la famille du professionnel.
Vous le constatez, monsieur le sénateur, favoriser l’égal accès aux soins est une priorité de l’action menée par Aurélien Rousseau et moi-même.
Je veux vous redire ici ma conviction : c’est avec les professionnels de santé eux-mêmes et avec l’ensemble des acteurs du territoire, y compris les élus dont vous êtes – je sais d’ailleurs votre mobilisation sur ce sujet –, que nous réussirons à relever les défis inédits qui sont devant nous en matière d’accès aux soins.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour la réplique.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la ministre, je retiens de vos propos que Rézone peut être modifié par le directeur régional de l’ARS d’ici à 2024.
Je retiens également que les aides sont mobilisables, y compris jusqu’à douze mois au-delà de l’installation.
Ces éléments de réponse seront très précieux pour la commune de Coulanges-sur-Yonne, afin d’y maintenir la présence médicale.
Enfin, je vous remercie du regard attentif que vous portez au département de l’Yonne, que vous avez déjà visité par deux fois ; votre dernière visite est d’ailleurs assez récente. Nous comptons sur vous pour maintenir cette bienveillante vigilance.
pérennité du service des urgences de l’hôpital de manosque
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 741, transmise à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, il y a maintenant un an, sur ces mêmes travées, je vous alertais des très grandes difficultés rencontrées par les urgences de l’hôpital de Manosque.
En 2022, nous déplorions vingt-huit jours de fermeture de nuit durant l’été.
L’année 2023 n’est pas terminée, mais nous disposons de chiffres alarmants : depuis début le début de l’année 2023, les urgences de Manosque sont fermées cent quatre-vingts nuits et dix-huit journées, et seuls 39 % sont des jours régulés.
Pour le mois de novembre, il n’y aura aucunes urgences de nuit jusqu’au 15 novembre quand des ouvertures de jour sont planifiées, sauf les 4, 5, 8 et 13 novembre, en espérant que les usagers retiendront l’information… et si possible leurs pathologies !
Au total, les urgences de Manosque connaissent une très forte dégradation de leurs services et ont peu de perspectives de rétablissement. Quant au centre La Vista, qui vient d’ouvrir à proximité, il annonce déjà « ne pas avoir vocation à les remplacer ».
Madame la ministre, nous avons bien compris que la réponse que vous allez faire à nos concitoyens est d’appeler le 15. Je vous rassure tout de suite, c’est bien évidemment ce que tous les élus conseillent à leurs administrés depuis quelques années !
Est-ce suffisant, puisque la situation se dégrade encore ? J’ai bien peur que non. C’est toute la chaîne des premiers secours et recours qui souffre désormais durablement de cette dégradation.
Le précédent ministre de la santé, M. Braun, nous annonçait le 1er septembre 2022 une série de mesures qui devaient, selon lui, produire des effets : la loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, la prime de solidarité territoriale adaptée, le soutien de dispositifs innovants d’aides médicales d’urgence et des appels à candidatures.
Ces mesures, madame la ministre, n’ont pas permis d’améliorer la situation d’un service public hospitalier qui s’enfonce dans la crise.
Mes chers collègues, le « provisoire-qui-change-tout-le-temps » doit-il devenir une norme en matière de santé publique, notamment dans nos territoires ruraux ? Ce provisoire use les personnels de l’hôpital, il use les premiers secours et les pompiers, il fragilise des patients qui trouvent porte close et n’ont pas de rendez-vous en médecine de ville.
En tant que sénateur, je défends l’équilibre territorial du département, y compris en termes de santé, et je constate qu’il est très fragilisé. En tant que sénateur, je mesure aussi que cette situation met à mal les autres activités de l’hôpital.
Aussi, madame la ministre, comment comptez-vous conforter rapidement les urgences de Manosque, l’ensemble du site et des activités de l’hôpital, redonnant ainsi confiance aux acteurs de la santé des Alpes-de-Haute-Provence ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, sans nier les difficultés réelles que nous avons déjà évoquées il y a quelque temps et que vous énoncez une fois de plus, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour renforcer le recrutement et l’attractivité du centre hospitalier de Manosque.
Cela passe d’abord par la mise en place d’une organisation permettant de maintenir une prise en charge des patients malgré les tensions qui sont réelles sur les ressources humaines.
Cette organisation repose sur plusieurs leviers.
Tout d’abord, des médecins correspondants du service d’aide médicale urgente (Samu) sont installés à proximité de la ville de Manosque, afin de permettre à la population de bénéficier des premiers soins urgents dans l’attente de l’arrivée d’une structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur).
Nous avons ensuite mis en place un protocole de fonctionnement restreint lorsque la situation des ressources humaines (RH) nécessite une régulation de la prise en charge au sein des urgences de Manosque, c’est-à-dire un maintien de l’accueil et des prises en charge des urgences vitales. À cette fin, le plateau technique de l’établissement reste accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Par ailleurs, une maison médicale de garde est installée à côté du centre hospitalier, permettant une prise en charge de la population les dimanches et les veilles de jours fériés.
Nous avons également débloqué des financements pour faciliter le déploiement de dispositifs, tels qu’un véhicule léger infirmier dans les périodes les plus tendues – il est installé dans le secteur de Castellane et mobilisé par le Samu des Alpes-de-Haute-Provence –, ou encore le déploiement d’une équipe dédiée au transport infirmier interhospitalier.
Enfin, car il nous faut surtout recruter plus de professionnels pour retrouver un fonctionnement normal, nous avons financé notamment un poste de chargé de mission pour travailler sur le recrutement et les leviers d’attractivité RH du territoire. Une vaste campagne de communication a été lancée pour diffuser les offres d’emploi en tension au sein du groupement hospitalier de territoire (GHT), ainsi qu’une vidéo promotionnelle à l’attention des praticiens hospitaliers et des internes.
Je crois par ailleurs savoir qu’un rendez-vous est prévu dans le courant du mois de novembre avec le cabinet du ministre Aurélien Rousseau, rendez-vous auquel vous participerez. Cela montre bien l’engagement de notre ministère sur ce dossier et notre volonté de le suivre dans la durée.
Non, comme vous l’avez souligné, le provisoire ne doit pas devenir la norme. C’est le sens de l’action que nous menons et que nous souhaitons poursuivre à vos côtés.
prise en compte de tous les contrats dans l’arrêt de travail d’un salarié multi-employeurs particuliers
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 784, transmise à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Alain Marc. Madame la ministre, les salariés travaillant chez plusieurs particuliers rencontrent d’importantes difficultés pour obtenir, à la suite d’un arrêt de travail, le paiement complet des indemnités journalières et des compléments de salaire qui leur sont dus.
Ces salariés doivent fournir une copie de leur arrêt de travail à chacun de leurs employeurs. Or, si les entreprises sont bien organisées, grâce à leur service de ressources humaines (RH) ou à leurs gestionnaires de paie, les particuliers employeurs, souvent âgés et usant du chèque emploi service universel (Cesu) pour la gestion de leur emploi familial, ne connaissent pas toujours leurs obligations en la matière. Ils ne savent parfois pas comment les accomplir ou ne les accomplissent pas correctement.
La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) doit déterminer, employeur par employeur, le montant des indemnités journalières au regard de la rémunération que chacun a versé au salarié au cours des trois derniers mois. Ce montant doit être ensuite communiqué à la caisse de prévoyance des salariés de chaque particulier employeur, afin qu’un complément de salaire soit calculé et reversé directement au salarié.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour autoriser les CPAM à récupérer directement les informations fournies dans le cadre de la déclaration sociale nominative (DSN) chaque mois par les entreprises et le Cesu, afin de leur permettre de calculer le montant des indemnités journalières, employeur par employeur, et d’effectuer ainsi plus rapidement un versement global au salarié ?
Pouvez-vous également me préciser si le Gouvernement envisage d’autoriser les CPAM à remettre en un seul envoi à la caisse de prévoyance des salariés du particulier employeur l’intégralité du dossier « complément de salaire » pour chacun des employeurs particuliers du salarié, le complément de salaire étant lui-même ensuite globalisé pour un paiement direct et unique au salarié ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur Alain Marc, vous avez raison, la procédure applicable aux salariés du particulier employeur présente aujourd’hui des lourdeurs. Cette charge repose en grande partie sur le salarié.
En effet, contrairement à l’ensemble des salariés, un intervenant à domicile employé directement par un particulier fait l’objet non pas d’une déclaration sociale nominative, mais d’une déclaration par le dispositif Cesu. En théorie, les particuliers employeurs devraient compléter l’attestation d’emploi comme tout employeur de droit commun. Toutefois, dans les faits, c’est le salarié qui fournit à la Cnam l’ensemble des bulletins de ses différents employeurs sur la période de référence.
Le Gouvernement a donc fait évoluer le dispositif pour simplifier les démarches des salariés déclarés au Cesu.
Depuis 2022, il suffit que les salariés déclarés au Cesu adressent à l’organisme d’assurance maladie une attestation sur l’honneur spécifique, ainsi que les volets 1 et 2 de leur avis d’arrêt de travail. La simplification de cette démarche permet, par conséquent, de procéder plus rapidement au versement des indemnités journalières de sécurité sociale.
Par ailleurs, les salariés des particuliers employeurs dépendent du régime de prévoyance obligatoire, encadré par la convention nationale des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile datant du 15 mars 2021.
La gestion de ce régime a été confiée à l’Institution de retraite complémentaire des employés de maison (Ircem).
En tant qu’organisme partenaire de l’assurance maladie, l’Ircem bénéficie de la télétransmission des décomptes des indemnités journalières de ces salariés, dispensant ainsi les salariés de toute démarche supplémentaire et leur permettant de percevoir plus rapidement leurs indemnités complémentaires de prévoyance.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Madame la ministre, je vous remercie de ces informations.
Peut-être faudrait-il tout de même prévoir une évaluation des dispositifs mis en place pour faciliter ces démarches, afin que ces salariés, dont les rémunérations sont souvent faibles, puissent percevoir le plus rapidement possible leurs indemnités journalières.
pérennisation de l’expérimentation du « baluchonnage » en faveur des aidants familiaux
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 850, adressée à Mme la ministre des solidarités et des familles.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la pérennisation de l’expérimentation du « baluchonnage » au titre de l’article 53 de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc.
En effet, cette expérimentation de dérogation au droit du travail, inspirée du baluchonnage québécois, lancée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie en 2019 et pilotée par la direction générale de la cohésion sociale, a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2023 par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Cette solution novatrice de répit est désormais proposée dans 24 départements en France. Elle permet à un intervenant unique de suppléer l’aidant à domicile sur une période continue allant de trente-six heures à six jours consécutifs. Sont particulièrement concernés les aidants de personnes pour qui la préservation des repères est essentielle.
Ce dispositif permet aux aidants familiaux d’accéder au répit tout en améliorant la qualité de la relation avec leur proche aidé, favorisant ainsi le maintien à domicile.
Au 30 juin 2023, ce sont 389 baluchonnages qui avaient été réalisés dans tout l’Hexagone, pour 1 598 jours de répit pour les aidants.
Aujourd’hui, à quasiment cent jours de la fin de l’expérimentation, j’alerte le Gouvernement sur les conséquences dommageables d’une interruption, même temporaire, ou seulement du prolongement d’un an du dispositif pour les aidants et l’opérationnalité des services.
Consciente de votre engagement, je souhaiterais savoir, madame la ministre, si vous entendez prolonger ce dispositif intéressant, en garantissant les financements nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Guidez, la ministre des solidarités et de la famille regrette de ne pouvoir être présente ce matin. Elle m’a priée de vous fournir les éléments de réponse suivants.
Mieux accompagner et prendre soin de nos aidants est un impératif auquel le Gouvernement souscrit pleinement. Je tiens à saluer votre engagement constant sur ce sujet et les avancées permises par votre proposition de loi.
Vous avez raison, il est essentiel de favoriser le répit des aidants. Le relayage sur les lieux de vie en constitue l’une des options possibles.
Bien que l’expérience québécoise de la marque baluchon ne soit pas transposable directement en France, une expérimentation a été lancée en 2019 et prolongée, comme vous le soulignez, jusqu’au 21 décembre 2023 par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, en raison de la crise sanitaire.
Le relayage à domicile avec un seul relayeur, bien qu’il représente une part marginale de l’offre, est crucial pour les binômes aidants-aidés ayant des besoins spécifiques.
L’inspection générale des affaires sociales (Igas) dans son rapport de décembre 2022 recommande de cerner le périmètre de cette solution pour les situations sans alternative.
À la suite de cette expérimentation, une prolongation à cadre constant est prévue,…
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. … suivie par la définition du cadre législatif via la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France, en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Ces étapes permettront de préciser les éléments indispensables à la protection des salariés et à l’accès financier pour les personnes.
Le ministère des solidarités et des familles réitère sa volonté d’une collaboration étroite avec les branches et les syndicats, dans un secteur marqué par un taux élevé d’accidents du travail.
Enfin, cette offre doit s’intégrer dans un parcours plus large intégrant, notamment, du soutien psychologique.
J’ajoute que ces travaux s’inscrivent dans la prochaine stratégie « agir pour les aidants » et seront menés en lien avec le ministère délégué aux personnes handicapées et le ministère du travail.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments d’information.
Il importe absolument de pérenniser ce dispositif. Je resterai vigilante sur cette question dans le cadre de l’examen prochain de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France. (M. Loïc Hervé applaudit.)
rôle du conseil conjugal et familial
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, auteur de la question n° 869, adressée à Mme la ministre des solidarités et des familles.
M. Claude Kern. Madame la ministre, je souhaite vous interroger aujourd’hui sur le rôle du conseil conjugal et familial dans la prévention des ruptures familiales, plus particulièrement sur sa reconnaissance, ainsi que sur la question de son financement.
Comme l’a reconnu le Président de la République lors du conseil des ministres du 14 septembre 2022, « le volet “prévention” des politiques d’accompagnement des familles devra être renforcé, notamment la prévention des conflits intrafamiliaux et des ruptures des liens familiaux. C’est un sujet d’intérêt pour les enfants, pour les parents – notamment pour les femmes –, ainsi que pour la collectivité dans son ensemble ».
Or, à ce jour, le conseil conjugal et familial n’est toujours pas reconnu en tant que service d’accompagnement et de prévention, ni financé, alors que, nous le savons, la déconjugalité affecte fortement notre société, que ce soit directement ou indirectement.
La déconjugalité est la première cause de pauvreté des femmes et des enfants. Elle est également la première cause du manque de logements, mais elle est aussi souvent très lourde de conséquences sur les parcours scolaires, sociaux et de vie des enfants. Son coût se révèle considérable pour la collectivité.
Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) soulignait déjà dans son rapport de 2017 la grande utilité des conseillers conjugaux et familiaux dans leur rôle préventif à toute séparation. Il appuyait sur la nécessité de mieux les reconnaître pour être davantage mobilisés, eux qui accompagnent chaque étape de la vie relationnelle des couples, en leur donnant la possibilité d’engager un dialogue et de réfléchir à leurs modes de fonctionnement.
Valeur plébiscitée par les Français, la famille est aujourd’hui toujours plus fragilisée, avec un taux de divorce qui atteint 45 % et 2 millions de familles monoparentales, soit près d’une famille sur quatre.
Le conseil conjugal et familial mérite donc d’être reconnu et valorisé en tant que service d’accompagnement et de prévention.
Dans ce contexte social si difficile, pouvez-vous nous éclairer sur les intentions du Gouvernement dans le domaine de la prévention des ruptures et de l’accompagnement des couples et familles, particulièrement s’agissant de la reconnaissance et du financement du conseil conjugal et familial ? (M. Loïc Hervé applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur Claude Kern, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser la ministre des solidarités et des familles, qui m’a priée de vous fournir les éléments de réponse suivants.
Vous soulignez très justement l’importance de la mobilisation des pouvoirs publics pour accompagner les couples et les familles après une séparation, notamment lorsque celle-ci est conflictuelle, au travers de dispositifs tels que la médiation familiale ou les espaces de rencontres.
Un accompagnement des personnes dans leur vie affective, relationnelle et sexuelle est déjà possible aujourd’hui via les établissements d’information, de consultation et de conseil familial (EICCF), qui bénéficient d’un soutien financier de l’État.
La réforme de 2018 a modernisé ces structures renommées « espaces vie affective, relationnelle et sexuelle » (Evars), tout en actualisant leur mission. Les conseillers conjugaux et familiaux, experts dans le domaine du conseil et du soutien, trouvent dans ces lieux un terrain d’action privilégié pour accompagner les couples à travers les différentes épreuves de la vie conjugale.
Pour autant, il nous faut faire davantage dans l’accompagnement proposé aux couples en difficulté. En effet, combien de souffrances pourraient être évitées, tant pour les parents que pour les enfants, en aidant un couple à surmonter ces difficultés ou en accompagnant une séparation de manière apaisée ?
De plus, en agissant de la sorte, combien de dépenses supplémentaires pourraient être évitées, à la fois pour les collectivités, mais aussi pour les couples eux-mêmes ?
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. C’est pourquoi le ministère des solidarités et des familles proposera à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) d’expérimenter au cours de cette mandature des modes de financement permettant de mieux soutenir les actions menées par les Evars.
La philosophie de l’investissement social doit également s’appliquer à l’accompagnement des couples et des familles, et cela avant même que les difficultés ne conduisent à une séparation.
représentativité des élus locaux au sein du conseil d’administration de la caisse nationale des allocations familiales
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, auteur de la question n° 801, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Mme Françoise Gatel. Madame la ministre, ma question est très simple : elle porte sur la représentativité des élus locaux au sein des conseils d’administration des caisses d’allocations familiales (CAF).
Le projet de loi pour le plein emploi vise à créer un statut d’autorité organisatrice de la politique d’accueil du jeune enfant, confié aux communes.
Or, madame la ministre, les élus communaux savent qu’ils ont à exécuter des injonctions des CAF en matière de normes de sécurité ou de taux de remplissage, mais ils ne sont jamais associés aux conseils d’administration de la Caisse nationale d’allocation familiale (Cnaf) ou des caisses territoriales.
Le Sénat est très attaché au principe « qui décide paie », ou du moins au principe « qui paie est associé à la décision ».
Aussi, madame la ministre, le Gouvernement entend-il, au sein des caisses d’allocations familiales, faire une place aux élus locaux, qui sont les principaux contributeurs et acteurs de la politique de la petite enfance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Françoise Gatel, le Gouvernement exprime sa satisfaction à l’égard du compromis qui a été trouvé en commission mixte paritaire concernant les articles visant à établir le service public de la petite enfance (SPPE).
Sous réserve du vote du texte issu de la commission mixte paritaire, l’attribution de la compétence d’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant aux communes constituerait en particulier une reconnaissance méritée de l’engagement de longue date du bloc communal dans cette politique publique cruciale. Cela viendrait également renforcer le rôle central des communes dans le SPPE, en adéquation avec les engagements pris par le Président de la République et la Première ministre.
En lien avec les communes et leurs représentants, le ministère des solidarités et des familles annonce que la compensation de cette nouvelle compétence sera définie à la suite d’une étude des charges induites réalisée en collaboration avec les associations représentatives des collectivités territoriales. Le questionnaire pour cette étude a déjà été construit et validé.
La convention d’objectifs et de gestion (COG) pour la période 2023-2027, signée dès juillet 2023, allouera des moyens ambitieux pour soutenir le secteur, en premier lieu les communes, dans la préparation et la mise en œuvre du SPPE.
Concernant l’avenir, dès l’entrée en vigueur des compétences d’autorité organisatrices de l’accueil du jeune enfant des communes, il sera essentiel de mettre en place des processus associant les communes aux décisions nationales, de manière adaptée à leur rôle spécifique dans le modèle d’organisation cible.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour la réplique.
Mme Françoise Gatel. Je suis ravie de votre explication, madame la ministre. Toutefois, je ne demande pas d’argent, je demande la parole pour les élus locaux !
Tout comme moi, vous vous réjouissez de l’adoption de ce texte. Mais, je vous le dis très gentiment et avec un peu d’humour, les élus locaux ne cherchent ni des médailles ni de la reconnaissance. Ils n’ont qu’une seule exigence, et elle est légitime, c’est d’être associés aux décisions et aux projets qu’ils devront financer.
Madame la ministre, je compte sur votre énergie et votre détermination pour que le Gouvernement répondre un jour favorablement à cette demande toute simple.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, auteure de la question n° 849, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Mme Marie-Pierre Richer. Madame la ministre, il est inutile de rappeler l’importance de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », qui se déploie dans pas moins de 58 départements. Pourtant, elle est menacée depuis l’arrêté du 31 juillet 2023, qui diminue la participation de l’État au financement des emplois créés dans le cadre de ce dispositif.
Par ailleurs, les sommes inscrites à cet effet dans le projet de loi de finances pour 2024 ne permettent pas d’envisager une suite sereine pour les territoires déjà habilités, a fortiori pour les projets en voie d’habilitation.
Dans le Cher, la communauté d’agglomération Bourges Plus a déposé sa candidature. Afin de mettre en place ce dispositif, des moyens ont été engagés pour assurer la viabilité du projet. L’entreprise à but d’emploi (EBE) créée à cette fin est déjà prête à accueillir ses premiers salariés, en envisageant, qui plus est, le développement de travaux utiles localement, dans des secteurs absents actuellement parmi les acteurs économiques existants.
Les démarches engagées dans le Cher, comme celles qui le sont dans les autres territoires habilités, sont essentielles pour l’accompagnement des personnes privées durablement d’emploi.
Après les nombreuses interventions de mes collègues, quelles sont vos intentions quant au maintien d’un financement correspondant aux besoins identifiés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Marie-Pierre Richer, le ministre Olivier Dussopt regrette de ne pouvoir être présent ce matin. Il m’a prié de vous fournir les éléments de réponse suivants à votre question.
Vous interrogez le Gouvernement sur son soutien à l’expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée ». Cet appui est constant et encore en augmentation pour 2024.
Vous nous interrogez sur les habilitations, plus particulièrement sur le déploiement des expérimentations dans le Cher. Le Gouvernement a soutenu la prolongation de cette expérimentation en 2020 pour une durée de cinq ans, afin d’habiliter 50 nouveaux territoires en plus des 10 territoires historiques.
Nous avons habilité systématiquement les territoires proposés par le conseil d’administration. Nous en sommes désormais à 58.
Ce budget représente une augmentation de 53 % par rapport à 2023, avec plus de 23 millions d’euros de crédits supplémentaires, ce qui constitue la plus forte croissance du budget du ministère du travail.
L’État finance à la fois une dotation d’amorçage pour chaque emploi nouvellement créé, un complément temporaire d’équilibre en cas de déséquilibre financier des structures, et une contribution au développement de l’emploi.
S’agissant de la contribution au développement de l’emploi, un décret fixe cette contribution dans une fourchette allant de 53 % à 102 % du Smic par emploi. Elle était établie à 95 % avant la crise de la covid-19. Elle est montée à 102 % durant la crise sanitaire. Nous avons décidé qu’elle serait de nouveau de 95 % à compter du 1er octobre 2023, soit le même niveau qu’en 2019, avant la crise sanitaire.
Rendre possible une croissance des emplois dans les territoires zéro chômeur de longue durée pour que l’expérimentation soit probante et permettre un pilotage budgétaire du dispositif, comme pour l’ensemble des lignes du budget de l’État dans ce domaine, telles sont les deux orientations du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Richer. Madame la ministre, je trouve votre réponse quelque peu « couci-couça »…
J’espère que l’expérimentation poursuivra sa route. J’ai rencontré des personnes bénéficiaires. Elles sont pleinement engagées et fondent beaucoup d’espoir dans ce processus, à l’instar des personnes qui sont à l’initiative de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Élisabeth Borne, alors ministre du travail, avait affirmé devant le Parlement : « Aucun territoire ne sera laissé au bord du chemin ». Aujourd’hui, il est impératif que cette volonté soit également celle du ministre Olivier Dussopt et, plus largement, celle du Gouvernement.
J’y insiste, ce dispositif porté avec tous les partenaires par la communauté d’agglomération Bourges Plus est le seul à ce jour dans le département du Cher. Nous comptons vraiment sur sa validation.
territoires zéro chômeur en danger
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, auteur de la question n° 864, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, à mon tour d’aborder l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
La semaine dernière, le ministre Olivier Dussopt a soutenu que l’enveloppe consacrée à ce dispositif augmentait dans le cadre du projet de loi de finances (PLF). Certes, mais il manque toujours 20 millions d’euros pour boucler le budget de l’expérimentation, qui, je le rappelle, a été décidée à l’unanimité par le Parlement en 2020.
Le ministre Dussopt a également évoqué une évaluation en cours, alors que la loi de 2020 prévoit qu’elle soit effectuée douze mois avant la fin de l’expérimentation, en 2026. De quelle évaluation parle-t-il ? Le Gouvernement souhaite-t-il changer les règles du jeu alors même que ce dispositif est en train de monter en puissance ?
En habilitant de nouveaux territoires, le Gouvernement s’engage à soutenir leur trajectoire d’embauche.
Alors que l’Europe vient d’annoncer une enveloppe de 23 millions d’euros pour soutenir les pays membres désireux de répliquer l’expérimentation française, comptez-vous revenir sur la somme allouée dans le cadre du PLF et permettre à cette expérimentation de se dérouler pleinement, comme la loi le prévoit ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, Olivier Dussopt regrette de ne pouvoir être présent ; il m’a prié de vous apporter des éléments de réponse à votre question, en complément de ceux que je viens de donner à votre collègue.
Vous interrogez le Gouvernement sur son soutien à l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Cet appui est constant et, je le répète, il augmentera encore en 2024.
Le Gouvernement a soutenu la prolongation de cette expérimentation en 2020 pour une durée de cinq ans, afin d’habiliter 50 nouveaux territoires, en plus des 10 territoires historiques. Jusqu’à présent, nous avons habilité systématiquement les territoires proposés par le conseil d’administration. Nous en sommes actuellement à 58.
Ce budget enregistre une augmentation de 53 % par rapport à 2023, avec plus de 23 millions d’euros de crédits supplémentaires, ce qui constitue la plus forte croissance dans le budget du ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Nous souhaitons continuer à avancer sur ce dispositif, mais il appartient à l’association de piloter son budget : laisser les territoires qui sont déjà habilités créer de nouvelles entreprises à but d’emploi et recruter des salariés librement réduira nécessairement le nombre de nouveaux territoires susceptibles d’être habilités.
Comme le prévoit la loi, un comité scientifique travaille depuis juin dernier, sous la présidence de Yannick L’Horty, à l’évaluation de cette expérimentation. Il rendra ses conclusions au plus tard à la mi-2025. Son rapport permettra notamment d’éclairer sur l’utilité des « territoires zéro chômeur de longue durée », sur le lien avec les structures de l’insertion par l’activité économique et sur la durabilité de ce modèle économique.
Permettre une croissance des emplois dans les « territoires zéro chômeur de longue durée », pour que l’expérimentation soit probante, mais aussi, je le répète, garantir un pilotage budgétaire du dispositif, comme pour l’ensemble des lignes du budget de l’État : telles sont les deux orientations du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, même si, moi aussi, je regrette qu’Olivier Dussopt ne soit pas présent.
Si vous maintenez l’enveloppe budgétaire en l’état, les conséquences seront graves, permettez-moi de le souligner.
Ainsi, à Villeurbanne, dont j’ai été l’élu et où l’on compte deux quartiers prioritaires de la politique de la ville, quelque 70 recrutements seront annulés et plus d’une centaine de personnes figurant sur les listes d’attente n’auront pas la possibilité de trouver un emploi. Autrement dit, vous rendrez vulnérable ce dispositif, qui concerne des personnes ayant déjà le sentiment d’être abandonnées par les pouvoirs publics.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion de la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives, présentée par Mme Cathy Apourceau-Poly, Mme Éliane Assassi, Mme Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 926 [2022-2023], résultat des travaux de la commission n° 60, rapport n° 59).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Silvana Silvani, auteure de la proposition de loi.
Mme Silvana Silvani, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en évacuant d’emblée un malentendu : une loi d’amnistie ne contrevient pas à la séparation des pouvoirs fondant notre ordre républicain.
Au travers de cette proposition de loi, nous ne remettons pas en cause les jugements passés, donc l’action de la justice, puisque nous ne revenons pas sur les peines ou les amendes prononcées. Nous demandons seulement que les femmes et les hommes condamnés voient leur sanction amnistiée.
Cette loi d’oubli et d’apaisement est une tradition qui remonte aux lois constitutionnelles de 1875. Après cette date, il était d’usage d’ouvrir chaque législature par une mesure de clémence visant à la réconciliation nationale.
En ces murs, le sénateur Victor Hugo plaida le 22 mai 1876 pour l’amnistie des communards dans les termes suivants : « Les sociétés humaines, douloureusement ébranlées, se rattachent aux vérités absolues et éprouvent un double besoin, le besoin d’espérer et le besoin d’oublier. […] Je demande l’amnistie. Je la demande dans un but de réconciliation. » L’amnistie des communards prit finalement effet le 14 juillet 1880. L’objectif était de permettre au peuple révolutionnaire de Paris de réintégrer le camp de la République.
Le 24 mai 1936, lorsque 600 000 manifestants montent au Mur des Fédérés pour commémorer la Commune, le cortège demande l’amnistie des militants syndicaux et des antifascistes. Le 7 juin 1936, l’amnistie figure parmi les premiers projets de loi déposés, aux côtés de la semaine des 40 heures et des congés payés, par le Gouvernement du Front populaire.
Le 22 mai 1968, enfin, le Sénat vote l’amnistie pour les infractions et les sanctions consécutives à des fautes disciplinaires et professionnelles commises à l’occasion de ce que l’on appela alors « les événements ».
Nous le voyons au travers de ce bref rappel, à différentes époques, lorsqu’un événement social d’une ampleur exceptionnelle survient, le législateur sait considérer que les sanctions consécutives à l’action militante ne doivent pas demeurer, afin de faciliter la réconciliation nationale.
La présente proposition de loi concerne les infractions punies de moins de dix ans d’emprisonnement commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives. Elle ne concerne en aucun cas les casseurs présents dans les manifestations.
Nous proposons également d’amnistier les sanctions disciplinaires. L’inspection du travail serait donc chargée de veiller à ce que les mentions de ces faits soient retirées des dossiers des intéressés. Notons, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a validé cette possibilité dans une décision du 20 juillet 1988, en indiquant que le législateur pouvait « étendre le champ d’application de la loi d’amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles dans un but d’apaisement politique ou social ».
Par ailleurs, comme dans la loi du 20 juillet 1988, nous demandons la réintégration des salariés licenciés.
Nous proposons enfin de supprimer les informations nominatives et les empreintes génétiques collectées sur les militantes et les militants lors des mobilisations sociales, notamment à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites. Je rappelle que ce fichage, initialement réservé aux délinquants sexuels, a été élargi à de nombreux domaines, dont la dégradation de biens, ce qui revient à assimiler des syndicalistes à des criminels !
Notre groupe parlementaire a donc fait le choix de s’inscrire dans une longue tradition sociale et républicaine.
Les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946 protègent l’action collective, qui est aujourd’hui attaquée de toutes parts.
Ce droit, inhérent à toute démocratie, reconnu par notre Constitution, est remis en cause par la répression du Gouvernement contre les militantes et les militants, mais également par les stratégies d’intimidation utilisées par le patronat dans les entreprises.
Cette intimidation prend la forme du chantage à l’emploi, de menaces physiques par des barbouzes recyclés en milices patronales, comme du temps du SAC (service d’action civique). Avec les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE-K, je m’insurge contre ces procédures qui criminalisent l’action revendicative et attaquent en plein cœur le droit de résister.
J’ai une pensée pour toutes ces femmes et tous ces hommes victimes de leur engagement militant en faveur des autres.
Je pense à Alexandre Pignon, secrétaire départemental de la fédération des activités postales et de télécommunication des Pyrénées-Orientales et postier à Perpignan, visé par une plainte pour entrave à la liberté du travail.
Je pense aux dix salariés de l’entreprise Sonelog, dans le Vaucluse, qui ont été licenciés pour faute lourde après s’être mis en grève pour exiger de meilleures conditions de travail et une hausse des salaires.
Je pense à Loris Taboureau, employé de restauration à Disneyland Paris, licencié en raison de son engagement lors de la grève du parc d’attractions menée, au printemps dernier, pour réclamer une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail.
Je pense également à cette employée de 23 ans du Leclerc de Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, renvoyée pour avoir exercé son droit de grève et avoir manifesté son opposition à la réforme des retraites.
Je pense enfin à Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l’énergie de la CGT, convoqué le 6 septembre dernier au commissariat.
Au total, près de mille militantes et militants sont aujourd’hui sous la menace de licenciements, de sanctions disciplinaires, de convocations ou de poursuites judiciaires.
Toutefois, que reproche-t-on à ces femmes et à ces hommes ? D’avoir défendu un idéal qui les dépasse, des convictions en faveur d’une société plus juste, plus égalitaire, plus humaniste ou plus écologiste. Ces femmes et ces hommes, qui s’opposent avec leurs moyens à la destruction de notre société sont considérés aujourd’hui comme des délinquants ou des criminels ! Mais qu’ont-ils fait, si ce n’est manifester leur exaspération en usant de leur droit à la parole et la résistance ?
Selon le douzième rapport du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail (OIT), établissant un baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, « les pratiques antisyndicales, parmi lesquelles les discriminations, ne sont pas un phénomène isolé, tant dans le secteur privé que dans le secteur public ». Ainsi, 46 % des personnes interrogées estiment avoir été discriminées du fait de leur activité syndicale. Quelque 67 % des syndiqués perçoivent leur engagement comme un risque professionnel.
Ces chiffres montrent qu’une partie du patronat continue à nier la légitimité de l’engagement syndical et met en place des stratégies antisyndicales, afin de dissuader les salariés de se syndiquer et de s’organiser collectivement.
Le Gouvernement n’est pas en reste en la matière, car, en réponse aux manifestations et aux concerts de casseroles, il a pris des interdictions préfectorales et déployé l’ensemble de la panoplie des munitions contenues dans les armureries de la police.
À l’usage disproportionné de la force à l’encontre des jeunes mobilisés contre la réforme des retraites dans leurs lycées ou dans leurs universités, se sont ajoutées des sanctions administratives et pédagogiques. Dans les lieux de travail comme dans les lieux d’études, la répression n’a pourtant pas sa place. Ces femmes et ces hommes en lutte sont ainsi considérés comme des fauteurs de troubles à l’ordre public…
Or qui sont les fauteurs de troubles ? Les patrons voyous, qui refusent de payer leurs impôts en France et délocalisent les entreprises pour satisfaire les intérêts des actionnaires ? Ou ces femmes et ces hommes, qui luttent pour défendre leurs droits, pour garder leur dignité ou pour préserver leur environnement ?
Pour conclure, mes chers collègues, avec ce texte, nous vous proposons d’amnistier les faits commis dans le cadre de conflits du travail, d’activités syndicales ou revendicatives dans l’entreprise, ou encore de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics.
La majorité sénatoriale devrait se souvenir que, en 2002, elle a adopté une loi d’amnistie qui couvrait les infractions commises dans le cadre de conflits du travail et de mouvements revendicatifs.
Monsieur le garde des sceaux, la liberté de manifester et la liberté syndicale sont des éléments nécessaires dans une démocratie, car elles permettent au débat de s’enrichir et à une partie de l’opinion de s’exprimer. Le rôle du ministère du travail est d’agir pour protéger les syndicalistes, plutôt que d’adresser, comme cela a été fait, un vade-mecum sur l’autorisation administrative des licenciements pour fait de grève des salariés protégés ou de représentants du personnel…
Pour notre part, nous avons toujours été du côté de celles et de ceux qui luttent pour faire respecter leurs droits, pour une société plus juste et plus solidaire. Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par Cathy Apourceau-Poly et plusieurs sénateurs membre du groupe CRCE-K, dont notre ancienne collègue la présidente Éliane Assassi, a pour objet l’amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.
Je commencerai tout d’abord par rappeler le cadre général de l’amnistie, loi d’exception dont la pratique est de plus en plus limitée.
Le quatrième alinéa de l’article 34 de la Constitution dispose que l’amnistie relève de la loi. Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, « sur le fondement de ces dispositions, le législateur peut enlever pour l’avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés ». Les effets de l’amnistie sont définis aux articles 133-9 à 133-11 du code pénal. L’article 133-10 prévoit que l’amnistie « ne préjudicie pas au tiers » ; les préjudices civils peuvent donc être indemnisés.
Historiquement, les lois d’amnistie poursuivent deux finalités.
La première est le retour à la paix civile ou l’apaisement des passions après des périodes de troubles particulièrement déstabilisatrices. On pense, par exemple, à la fin de la guerre d’Algérie. L’amnistie tend, par l’extinction de l’action publique et la libération des personnes détenues, à permettre le retour de tous à la vie civile. C’était le but de la loi du 10 janvier 1990 portant amnistie d’infractions commises à l’occasion d’événements survenus en Nouvelle-Calédonie, par exemple.
La seconde finalité est le désengorgement des juridictions de contentieux de masse considérés comme de faible importance. C’est en ce sens que peuvent être interprétées les lois d’amnistie votées après les élections présidentielles sous la Ve République, jusqu’à la présidence de Jacques Chirac.
Les lois d’amnistie, qui se sont multipliées au cours des années 1980, ont été l’objet de critiques de plus en plus nombreuses.
De fait, depuis 1990, aucune loi d’amnistie n’a plus été adoptée en lien avec des événements ou un territoire donné, et les revendications portées en ce sens ont été écartées par le Président de la République. Plus récemment, la pratique des lois d’amnistie proposées par le Gouvernement à la suite des élections présidentielles n’a pas été reconduite à l’occasion des élections de 2007. La dernière loi de ce type date donc de 2002, et cette pratique semble abandonnée depuis lors.
Outre que de telles lois semblent le fait du prince et seraient plus fréquentes qu’autrefois avec le passage au quinquennat, la tolérance de la société à voir des infractions, dont la plupart relèvent du quotidien – ainsi des infractions routières – rester impunies semble désormais faible.
Le nombre d’infractions exclues du champ des lois d’amnistie avait, en conséquence, progressivement augmenté, au point d’interroger sur la légitimité du choix des infractions susceptibles d’être amnistiées.
Bien qu’elles tirent toutes les conséquences juridiques de l’évolution de la jurisprudence relative aux lois d’amnistie, ces critiques peuvent également être adressées au texte en discussion.
La première de ces critiques concerne le caractère mal défini de la notion de « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux ». Cette notion paraît très étendue, au point d’être potentiellement insaisissable, voire de poser des difficultés d’interprétation.
La loi pénale étant d’interprétation stricte, toute imprécision tend à priver un dispositif d’effet. Des divergences d’interprétation sont cependant possibles et pourraient être dommageables sur des questions d’amnistie.
La seconde critique, plus importante, concerne le champ de l’amnistie prévu. Il est particulièrement large, puisqu’il concerne la plupart des délits survenus « à l’occasion » de conflits du travail ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux. Ce champ dépasse les seuls manifestants venus défendre une cause ; il inclut également ceux qui ont pu se joindre à eux dans l’intention de commettre des délits.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. Naturellement, nous avons en tête les images des casseurs qui ont agi lors des événements de ce printemps.
La proposition de loi s’étend par ailleurs à toutes les infractions passées, sans limitation en amont dans le temps.
Enfin, l’amnistie, telle qu’elle est proposée, concerne non seulement les délits, mais aussi toutes les sanctions disciplinaires touchant les salariés du secteur privé, les fonctionnaires, les étudiants et les élèves. Pour ces deux dernières catégories de personnes, elle entraîne, s’il y a eu exclusion, réintégration desdits étudiants ou élèves dans l’établissement universitaire ou scolaire.
Certes, la proposition de loi prévoit des exceptions à l’amnistie.
Ainsi, aux termes de l’article 3, les étudiants ou élèves exclus à la suite de faits de violence et amnistiés ne seraient pas réintégrés de plein droit dans l’établissement. Les fautes lourdes ayant conduit au licenciement ne seraient pas non plus comprises dans le champ de l’amnistie.
Surtout, l’article 1er dispose que ne seraient pas couvertes par l’amnistie les violences à l’encontre d’un dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une incapacité de travail, non plus que les atteintes volontaires à l’intégrité d’un mineur de moins de 15 ans ou d’une personne particulièrement vulnérable.
Ces exceptions paraissent cependant insuffisantes. Plusieurs types d’atteintes aux personnes et aux biens, comme le vol précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours, seraient amnistiés en application du texte, s’il était adopté.
Du point de vue tant des personnes auxquelles elle pourrait s’appliquer que des infractions comprises dans son champ, la proposition de loi paraît aller bien au-delà de l’objectif de protection du droit à l’action collective et syndicale visé par ses auteurs, comme l’a rappelé Mme Silvana Silvani.
Mon propos ne vise nullement à lutter contre l’action syndicale ou contre les syndicalistes ; simplement, il considère la proposition de loi selon le spectre plus large, que je viens de développer.
Bien qu’elle soit digne d’intérêt, la proposition de loi ne constitue pas, aux yeux des membres de commission des lois, une réponse souhaitable à la gestion des troubles qui sont survenus au cours des dernières années.
En effet, la commission a considéré que les garanties entourant l’action publique et les procédures relatives aux mesures disciplinaires touchant les salariés, fonctionnaires, étudiants et élèves permettent de prendre en compte de manière adéquate et proportionnée les événements survenus à l’occasion de conflits sociaux ou d’actions revendicatives et qu’une amnistie générale serait inadaptée.
En conséquence, la commission n’a pas adopté la proposition de loi présentée par le groupe CRCE-K. Elle vous demande, mes chers collègues, de faire de même. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
La proposition de loi dont nous débattons a pour objet, comme l’a indiqué Mme la sénatrice Silvani, d’amnistier les contraventions et délits punis de moins de dix ans d’emprisonnement, lorsqu’ils ont été commis à l’occasion de conflits du travail, d’activités syndicales ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux.
Si vous le voulez bien, arrêtons-nous un instant sur les mots, car, en droit, la sémantique compte double, si j’ose dire. Le mot « amnistie » nous vient du latin amnestia, emprunté au grec ancien amnêstía, qui signifie « un oubli ». L’amnistie peut donc être juridiquement comprise comme une forme d’oubli, d’amnésie législative, qui serait consentie pour satisfaire un souhait du corps social. Il peut s’agir de rétablir la paix civile après des événements collectifs particulièrement douloureux. Tel était le cas après la guerre d’Algérie.
À ces amnisties événementielles se sont succédé des amnisties générales, une forme de solde de tout compte pratiqué systématiquement par la gauche, mais aussi par la droite, entre 1981 et 2002 à la suite des élections présidentielles.
Cette « tradition », dont l’objet originel avait muté, s’est finalement éteinte voilà plus d’une vingtaine d’années et, disons-le clairement, il ne paraît pas opportun de la ressusciter.
En réalité, un tel oubli n’avait rien d’un pardon, mais tout d’une renonciation coupable venant affaiblir l’autorité de l’État et remettre en question l’indépendance de la justice.
En 2023, une telle loi d’amnistie ne ferait qu’aggraver la discorde et nourrir l’impunité, alors même que les voies de l’apaisement ont été trouvées et que le dialogue social a été renoué lors d’une grande conférence sociale le mois dernier.
Au-delà du principe, sur lequel nous sommes en désaccord, cette proposition de loi pose deux difficultés majeures.
Tout d’abord, elle aurait pour effet d’amnistier un champ très large d’infractions, passibles d’une peine pouvant atteindre dix ans de prison. Par exemple, seraient amnistiés plusieurs types d’atteintes aux personnes et aux biens, comme le vol précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours. Pour rappel, cette infraction est punie de sept ans d’emprisonnement.
Un vol commis lors d’une manifestation serait donc amnistié. Voilà ce que vous nous proposez.
M. Pascal Savoldelli. C’est une approche circonstancielle !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ensuite, les circonstances dans lesquelles s’inscrirait cette amnistie sont particulièrement larges et laisseraient, en réalité, planer le doute sur des faits qui méritent évidemment une réponse pénale. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.)
En effet, la proposition de loi pose comme condition que les faits aient été commis à l’occasion de « mouvements collectifs revendicatifs », une notion également très large et peu circonscrite. Elle emporterait des effets de bord importants, et je ne suis pas certain que vous les ayez tous mesurés.
À titre d’exemple, là encore, votre loi d’amnistie s’appliquerait-elle aux événements qui ont secoué notre pays en juillet dernier ? Je vous pose la question, parce qu’un certain nombre de vos alliés politiques… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cécile Cukierman. Ils ne sont pas ici !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous ne sommes les alliés de personne !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … ont indiqué que les émeutes de juillet dernier étaient en réalité une « révolte populaire », ce terme ayant même été repris par le Syndicat de la magistrature.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Jaloux ! (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En l’occurrence, la notion très large – trop large – que vous avez choisie fait, à l’évidence, planer le doute.
Or il n’y a aucun doute : il ne s’agissait pas d’une révolte, mais de délinquants, très jeunes pour la plupart. Il était impératif de rétablir l’ordre républicain.
Tel était l’objet d’ailleurs de ma circulaire du 5 juillet 2023 relative au traitement des infractions commises par les mineurs dans le cadre des violences urbaines et aux conditions d’engagement de la responsabilité de leurs parents. J’y demandais « une réponse ferme, rapide et systématique », ainsi que l’engagement de la responsabilité des parents, chaque fois que c’était possible et pertinent.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer l’engagement des magistrats et des greffiers, qui nous ont permis, par leur action efficace et immédiate, de rétablir, avec les forces de sécurité intérieures, l’ordre républicain dans un temps record.
Que les choses soient clairement dites, c’est chaque fois à l’occasion – et souvent au prétexte – de tels mouvements collectifs que se sont produits au cours des dernières années de nombreuses violences urbaines, des pillages ou des actes de vandalisme et de dégradation. Or de tels actes n’ont absolument rien à voir avec l’expression légitime de revendications collectives.
C’est pour cette raison que je mène une politique pénale claire et ferme. Elle se résume ainsi : le droit de manifester, oui, bien sûr ; le droit de tout démolir et de s’en prendre aux forces de l’ordre, non !
M. Pascal Savoldelli. C’est binaire !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela fait partie des exceptions !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tel fut l’objet de ma dépêche du 18 mars 2023 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’occasion des manifestations ou des regroupements en lien avec les contestations contre la réforme des retraites, qui m’a d’ailleurs valu une contre-circulaire « Canada Dry », si j’ose la qualifier ainsi, du Syndicat de la magistrature. Je rappelle d’ailleurs à toutes fins utiles que seul le garde des sceaux conduit la politique pénale au nom du Gouvernement, tout en étant responsable devant le Parlement.
Je veux être très clair : il n’est pas souhaitable que des personnes ayant commis des délits passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement soient amnistiées.
Le Gouvernement ne souhaite pas que l’on puisse offrir une impunité aux casseurs, aux pillards, aux vandales, qui ne recherchent aucune réconciliation, mais qui, bien au contraire, se repaissent en permanence du désordre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous savez très bien que tel n’est pas l’objet de la proposition de loi. Vous travestissez la réalité. Nous visons les syndicalistes !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les mesures d’amnistie prévues par cette proposition de loi n’ont rien d’un remède, d’autant qu’elles instillent un poison : le sentiment que la justice ne serait pas indépendante.
Je le rappelle, les juges de notre pays sont totalement indépendants, et c’est très bien ainsi.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Par ailleurs, cette amnistie ne contribuerait pas à enterrer des querelles passées.
Elle provoquerait la stupéfaction – c’est un doux euphémisme – chez la plupart de nos compatriotes qui ont été témoins des pillages et des destructions. Elle creuserait davantage le fossé entre la plupart de nos concitoyens, qui sont attachés à la stabilité républicaine, et ceux qui guettent la moindre faiblesse des institutions.
En effet, s’il est évident que le droit de manifester et le droit de se mettre en grève sont parmi les plus fondamentaux de notre République indivisible, démocratique, laïque et sociale, ces droits s’exercent dans le cadre de la loi, que nous devons tous respecter.
Pensez un instant, s’il vous plaît, aux commerçants qui ont vu leurs vitrines systématiquement détruites pendant les manifestations des « gilets jaunes » ou pendant le mouvement contre la réforme des retraites.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Les syndicalistes condamnent ces actes eux aussi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pensez-vous qu’ils comprendraient que l’on amnistie ceux qui ont pillé ou incendié leur enseigne, qui à la fois fait leur fierté et leur procure leurs revenus ?
Ce n’est pas un bon message à adresser à ceux qui, dans les moments difficiles que traverse notre nation, font le choix de la résilience, du dialogue et du suffrage, plutôt que de la violence. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. Tenir de tels propos, pour un garde des sceaux, ce n’est pas terrible !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les signataires de la proposition de loi indiquent vouloir notamment amnistier le secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l’énergie de la CGT. (Mmes Cathy Apourceau-Poly et Céline Brulin acquiescent.)
Bien que je ne puisse commenter une enquête en cours – je le rappelle avec force, et c’est bien normal, la justice est indépendante et tranchera l’affaire en question en toute liberté, dans le respect de tous nos principes –, avez-vous bien réfléchi aux conséquences concrètes de la portée très vaste de votre texte ?
En effet, en application de ladite proposition de loi, seraient amnistiés nécessairement les individus ayant violemment caillassé, place de la Nation, des camions et des militants de la CGT lors de la manifestation du 1er mai 2021, faisant une vingtaine de blessés selon l’organisation syndicale elle-même.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est malin ! (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je note enfin que cette proposition de loi ne prévoit aucune exception en ce qui concerne la commission d’infractions en lien avec des motifs sexistes, homophobes, racistes ou antisémites.
Par exemple, votre proposition de loi permettrait d’amnistier des auteurs de cris tels que « Mort aux juifs ! », lors de certaines manifestations qui peuvent dégénérer. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. Un minimum de respect, s’il vous plaît ! Où vous croyez-vous ?
Mme Cécile Cukierman. Est-ce ainsi que vous pensez apaiser le climat ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous partez du principe que, dans une manifestation, toutes les infractions qui pourraient être commises de façon périphérique doivent être amnistiées.
M. Pascal Savoldelli. C’est faux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous n’avez pas réfléchi aux conséquences et aux effets de bord du texte que vous présentez.
M. Pascal Savoldelli. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous dévoyez notre proposition de loi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Au contraire, madame la sénatrice, je suis en plein dedans !
Je le répète, si nous appliquions votre texte à la lettre, un vol commis dans le cadre d’une manifestation serait amnistié, de même que d’autres débordements.
Mme Céline Brulin. Nous attendons vos amendements !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Amendez donc le texte !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je le dis clairement, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le Gouvernement, cette situation est d’autant moins acceptable qu’une telle amnistie serait totalement contraire à la politique pénale que je mène.
Dans ma circulaire du 10 octobre dernier relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023, j’ai demandé aux procureurs de la République de la sévérité contre les actes antisémites et les apologies du terrorisme.
Il en va de même, d’ailleurs, pour des propos racistes, antimusulmans, sexistes ou homophobes qui seraient proférés dans de telles circonstances. Ma position est claire, nette et définitive : l’amnistie ne serait pas alors acceptable.
Votre proposition de loi n’exclut pas non plus les incitations à la haine, à la violence ou à la discrimination envers les forces de l’ordre ou les élus, puisque seuls sont exclus les actes de violence ayant entraîné une interruption temporaire de travail. Vous comprendrez, là encore, que ces dispositions ne sont pas acceptables.
Dans un contexte de radicalisation du débat public et de propagation des discours de haine, il n’apparaît pas opportun d’adopter de telles mesures d’amnistie.
Les victimes d’infractions, et avec eux la grande majorité des Français, attendent que la justice, à laquelle nous avons redonné des moyens inédits – je veux remercier le Sénat, une fois encore, d’y avoir largement contribué par ses votes –, soit rendue en toute indépendance lorsque des infractions sont commises, y compris dans les moments de tension que nous avons pu connaître au cours de ces dernières années.
Oui, en temps de paix et dans une grande démocratie, c’est bien une justice indépendante qui est garante de notre pacte social, pas une loi d’amnistie. (M. Stéphane Le Rudulier applaudit.)
Rappel au règlement
Mme Cécile Cukierman. Mon intervention se fonde sur l’article 36 de notre règlement.
Monsieur le garde des sceaux, l’initiative parlementaire est un droit. Comme toute initiative, elle est évidemment perfectible.
Il existe un autre droit fondamental, qui est le droit d’amendement.
Si, comme nous, vous avez à cœur de défendre notre République – elle est également, je vous le rappelle, une République sociale aux termes de la Constitution –, si, comme vous le dites, notre proposition de loi soulève, dans sa version initiale, autant d’écueils, et si vous partagez notre volonté de préserver ces corps intermédiaires que sont les organisations syndicales, vous pouvez tout à fait formuler toutes les propositions d’amendements que vous souhaitez.
Au Sénat, nous nous sommes toujours inscrits dans une logique de travail constructif avec l’ensemble de nos collègues comme avec le Gouvernement.
Monsieur le garde des sceaux, dans cet hémicycle, nous n’avons jamais été les porte-parole de telle ou telle organisation syndicale. Je vous invite à régler directement les griefs que vous pourriez avoir avec certaines d’entre elles.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, nous ne pouvons accepter deux écueils.
Le premier est l’amalgame qui, in fine, vise à mettre sur le même plan des responsables syndicalistes et celles et ceux qui ont cassé et pillé pendant les manifestations et pendant les émeutes.
Le second est tout aussi insupportable et inacceptable. Il consiste à sous-entendre que les auteurs de cette proposition de loi permettraient, au travers de leur texte, que soient tenus dans notre pays des propos antisémites. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Mélanie Vogel applaudit également.)
Vous le savez, cela ne correspond ni à notre histoire ni à nos valeurs. Il est inacceptable de laisser entendre que telle serait notre intention, de surcroît avec l’aide d’alliés que nous ne connaissons pas et qui ne sont pas les nôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Sébastien Fagnen applaudit également.)
M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame Cukierman, jamais je n’ai dit que vous partagiez ces valeurs.
M. Pascal Savoldelli. Quelles valeurs ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je dis simplement que la proposition de loi que vous nous présentez, telle qu’elle est rédigée, permet en réalité d’amnistier toutes les infractions qui sont commises dans le cadre de manifestations.
Convenez que cela puisse poser problème au Gouvernement ! J’ai cité plusieurs exemples. Je ne dis pas que vous êtes du côté des voleurs. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Je m’en tiens à votre texte, tel qu’il est libellé : si le vol est commis dans le cadre d’une manifestation sociale, que nous devons évidemment respecter, alors il bénéficie d’une amnistie. Je ne puis qu’être en désaccord.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Déposez un amendement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si, demain, dans le cadre d’une manifestation, des propos antisémites, sexistes ou homophobes – vous ne les ferez évidemment jamais vôtres, je connais votre histoire – devaient être tenus, alors ils seraient amnistiés.
Vous me permettrez d’affirmer, une fois encore, mon désaccord.
Mme Céline Brulin. Dans ce cas, amendez la proposition de loi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n’ai rien dit de plus que cela.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous étudions aujourd’hui tend à prévoir l’amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.
L’amnistie est une tradition ancienne. Héritière de la grâce royale à ses origines, elle fut bien vite appropriée par la République. Victor Hugo disait à son propos qu’elle était « la porte de la clémence ouverte par la force ».
Toutefois, cette tradition ancienne n’est jamais allée de soi. J’en veux pour preuve cette citation d’Hervé Bazin : « L’amnistie est l’expédient des gouvernements faibles ».
Si cette tradition semble morte depuis 2002, elle n’est pas totalement sortie des esprits. Des collègues du groupe Les Républicains la défendent parfois pour de petites infractions routières. Des événements politiques forts pourraient la faire ressusciter.
Les sénateurs communistes s’étaient déjà distingués en déposant, en novembre 2012, une proposition de loi sur le sujet, qui fut examinée par le Sénat en février 2013.
La majorité sénatoriale de l’époque avait d’ailleurs adopté ce texte, soutenu par des personnalités éminentes et peu suspectes de vouloir laisser prospérer la chienlit ! Je pense à MM. François Patriat, Didier Guillaume, Gérard Collomb, Jean-Michel Baylet, Jacques Mézard, à Mme Patricia Schillinger ou encore à MM. François Rebsamen, Thani Mohamed Soilihi et Jean-Noël Guérini…
À l’époque, l’ambition était d’apaiser les tensions sociales qui avaient été identifiées après le quinquennat du président Sarkozy. De nombreux combats syndicaux avaient agité le pays : Continental, les « cinq de Roanne » – cinq syndicalistes de la CGT qui avaient tagué des « Casse-toi, pauv’con ! » sur des murs roannais avant d’être relaxés en 2014 –, ou encore Molex.
Pour jauger la présente initiative parlementaire de nos collègues communistes, il nous faut nous interroger sur le contexte : est-il similaire ?
Si vous me permettez d’utiliser un vocabulaire à connotation monarchique, le règne d’Emmanuel Macron n’a pas été de tout repos sur le plan social. Nous avons tous en tête l’épisode catastrophique des retraites, lors duquel l’exécutif s’est montré sourd à la contestation sociale, tout en laissant s’exercer une lourde répression.
Nous comprenons bien l’objectif de nos camarades du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui amorcent une tentative de réanimation de cette tradition : consacrer une « amnistie sociale » aux manifestants ayant participé aux mouvements sociaux de ces dernières années et ayant notamment été interpellés et condamnés pour des faits de violences et de dégradations urbaines voilà quelques mois, lors du passage en force de la réforme des retraites.
Depuis lors, les tensions dans le pays se sont encore accrues. Les liens entre l’exécutif et nos concitoyens n’ont cessé de se distendre. Le recours à la violence comme moyen d’action politique s’est exacerbé.
Nous l’avons constaté au travers de la prolifération du nombre de Black Blocs présents lors des manifestations liées au mouvement des « gilets jaunes », ainsi que pendant la réforme des retraites. Nous l’avons vu aussi dans la détermination grandissante des mouvements écologistes venus contrer les projets de mégabassines à Sainte-Soline.
En réaction, le Gouvernement multiplie les réformes violentes et les lois liberticides. Il nourrit les tensions par des politiques sociales et économiques délétères, doublées d’une stratégie de maintien de l’ordre particulièrement discutable.
Aussi, il peut être légitimement considéré, à certains égards, que les droits des Français – notamment en matière syndicale et de droit à manifester – ont été largement mis à mal au cours des dernières années.
Ces droits sont pourtant constitutionnellement garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par le préambule de la Constitution de 1946. Ils ne sauraient, de ce fait, être restreints.
Bien évidemment, nous ne considérons aucunement que le droit à manifester est un droit à casser. Nous ne cautionnons nullement les violences, les heurts et les attaques envers les forces de l’ordre ou contre des bâtiments et biens mobiliers, qu’ils soient publics ou privés.
Toutes et tous, sur les travées de cet hémicycle, nous sommes des partisans du maintien de l’ordre public. Ceux qui utilisent aujourd’hui la brutalité comme outil de lutte dévoient les justes combats qui poussent nos concitoyennes et concitoyens à se mobiliser et à sortir dans la rue.
Toutefois, ces faits de violences ne sauraient être pleinement décorrélés de leur contexte. Nous connaissons depuis quelques années un climat particulier, presque inédit.
À la crise économique et sociale est venue s’agréger une crise sanitaire, avec la pandémie de covid-19, suivie d’une guerre meurtrière en Ukraine, aux portes de l’Europe. La recrudescence des conflits à l’échelle planétaire n’est pas non plus de nature à apaiser l’humeur du pays.
Cette atmosphère anxiogène contribue, de fait, à alimenter le ressentiment des Français envers des gouvernants perçus comme impuissants, à court de solutions et incapables d’endiguer ce phénomène.
Hélas, force est de constater que parfois – nous le déplorons –, ce ressentiment se transforme en une violence qui s’est exprimée dans l’espace public au cours des derniers mois.
Je le redis, nul ici ne cautionne ces actes. Dans une société démocratique et moderne, aux mœurs pacifiées, de tels débordements ne sont pas acceptables. Mais alors que notre nation est plus divisée que jamais, nous ne saurions ainsi balayer une main tendue envers des personnes qui, par colère ou par dépit, ont pu participer récemment à certains débordements.
Aussi, il semble nécessaire de noter que ce texte ne concerne que les personnes ayant commis des actes réprimés par le code pénal et pour lesquels la peine encourue n’excède pas dix ans d’emprisonnement.
M. Jérôme Durain. Par ailleurs, il n’exonère aucunement les personnes susceptibles de bénéficier de cette amnistie des réparations ayant trait à des condamnations relevant du droit civil.
Il nous semble important de préciser que les communes et établissements pourront ainsi toujours bénéficier de la réparation du préjudice subi lors d’un mouvement social.
Il nous semble également important de rappeler qu’un amalgame a parfois été de mise entre des casseurs et des manifestants de bonne foi.
Nous le rappelons avec force : l’intimidation, la criminalisation et la discrimination des militants syndicaux, associatifs et politiques ne sont pas dignes de notre État de droit.
Monsieur le rapporteur, nous avons entendu les critiques que vous avez formulées en commission. Vous estimiez notamment que le périmètre de l’article 1er de cette proposition de loi était bien trop large, tant sur le plan temporel que dans son champ d’application.
Nous prenons acte de cette appréciation, sans toutefois souscrire pleinement à ces arguments. Nous notons que la loi de 2013 nous semble plus précise et bornée que celle qui nous est soumise aujourd’hui.
J’ai même des interrogations sur la portée de ce texte en matière de droits des migrants. Des militants d’extrême droite ne pourraient-ils pas en bénéficier ?
Mes chers collègues, le droit d’amnistie n’a plus été utilisé depuis 2002. Est-il indispensable à l’unité du pays ? Il pourrait être utile, mais n’apaiserait pas les tensions d’un coup de baguette magique.
Les sénateurs socialistes estiment que cette proposition de loi aura au moins le mérite de mettre en exergue le fossé qui s’est creusé entre les Français et l’exécutif, ainsi que le besoin vital d’apaisement au sein de notre population.
Considérant que le texte fait peser quelques risques juridiques, que la navette parlementaire pourrait toutefois lever, nous nous dirigerons vers une abstention bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par nos collègues communistes soulève une question de fond : le législateur peut-il s’arroger le droit d’amnistier des délits commis dans le cadre de mouvements sociaux ?
Certes, le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève comme un droit fondamental, mais ce principe doit toujours être articulé avec d’autres principes généraux de notre droit, ceux qui garantissent, par exemple, l’ordre public, nécessaire pour assurer la quiétude de chacun.
Comme l’a si justement souligné notre rapporteur, Jean-Michel Arnaud, la définition des faits concernés par l’amnistie, telle qu’elle est formulée dans cette proposition de loi, semble beaucoup trop large et évasive, tandis que les exceptions prévues sont rendues quasiment inapplicables par la règle elle-même.
En outre, l’adoption de cette proposition de loi entraînerait des effets qui vont bien au-delà de ceux que voulaient originellement obtenir ses auteurs.
Commençons par évacuer tout malentendu. Si l’exercice du droit de grève, du droit syndical ou encore du droit de manifester a pu entraîner des poursuites abusives, des mesures disciplinaires excessives ou des licenciements injustifiés, ces derniers doivent évidemment être contestés devant les juridictions compétentes. Si nous considérons que ces voies de recours sont insuffisantes, voire défaillantes, envisageons de légiférer pour les améliorer. Toutefois, ces dérives, aussi condamnables soient-elles, ne peuvent en aucun cas justifier une énième loi d’amnistie. Celle-ci n’apporterait aucune solution : elle serait non seulement inutile, mais aussi inappropriée.
Comme le disait si justement l’honorable juge Diplock, on doit éviter d’user « d’un marteau-pilon pour casser une noix, si le casse-noix suffit ».
Loin de moi l’idée de remettre en cause le rang constitutionnel du droit de manifester, des droits syndicaux et du droit de grève, mais leur exercice doit s’équilibrer avec le respect de l’ordre public. De ces droits ne peut découler le chaos ou une contestation effrénée. L’étendue du champ de cette proposition de loi pourrait être perçue comme une offense à la plus grande majorité de nos concitoyens, qui sont tout à fait capables de manifester leur mécontentement sans débordements, heurts ou violences.
Ainsi, ni la manifestation ni la grève ne sont condamnables en soi ; en revanche, leurs excès le sont lorsqu’ils troublent l’ordre public.
Par ailleurs, si l’objectif de cette proposition de loi est de ramener le syndicalisme à son âge d’or, en le rendant plus attrayant par une promesse d’immunité – voire d’impunité –, je pense fondamentalement que l’on fait fausse route, car la réalité est tout autre.
Le contexte actuel que connaît notre pays appelle au contraire à un surcroît de responsabilisation de nos représentants syndicaux ou des porte-voix de mouvements revendicatifs. J’espère, pour ma part, que le monde syndical restera un acteur responsable, qui préférera toujours le dialogue à l’entêtement et au désordre.
D’un point de vue purement philosophique, l’amnistie est un geste de pardon, plus largement de reconstitution de la concorde sociale, voire de pacification des mémoires. Le pardon des pouvoirs publics, comme l’histoire sociale le montre, intervient généralement quand l’ordre public a failli. Or je ne crois pas que la France en soit arrivée à un tel point.
En tout état de cause, l’amnistie ne peut être associée à une autorisation accordée à la violence ou à des débordements de toutes sortes. Je pense très sincèrement que l’adoption de ce texte constituerait un bien mauvais signal adressé à l’ensemble de nos concitoyens : ils pourraient ainsi se demander pourquoi ils devraient respecter la loi si, dorénavant, nous cédons, ne serait-ce que de manière ponctuelle, à la tentation de l’amnistie.
L’amnistie, c’est aussi la négation même de la compétence du législateur. On nous demande en effet de voter un texte qui méconnaîtrait l’application de la législation déjà en vigueur.
C’est, en outre, la remise en cause du principe d’égalité des citoyens devant la loi. Pourquoi, en effet, respecter les principes fondamentaux de notre ordre public, si aucune conséquence légale n’y est associée ?
De plus, comme cela a été souligné, cette proposition de loi remet en question le rôle du juge, voire l’articulation des pouvoirs entre l’autorité judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Force est de constater que les lois d’amnistie perturbent la lisibilité de cet équilibre institutionnel.
Enfin, et pour conclure, la potentielle dérive autoritaire dénoncée par les auteurs de cette proposition de loi ne saurait avoir comme réponse une dérive judiciaire. Il s’agirait là d’une schizophrénie juridique, qui consisterait à condamner d’une main, en droit commun, des faits répréhensibles, et à amnistier de l’autre ces mêmes faits dans certaines circonstances, par le biais d’une loi d’exception. La Haute Assemblée, qui a toujours été au rendez-vous pour prendre ses propres responsabilités, ne peut accepter cela !
Ni les conditions de fond ni les conditions de forme ne sont donc réunies pour l’adoption d’un tel texte. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe Les Républicains sont par principe hostiles à toute loi d’amnistie de cette nature, et c’est la raison pour laquelle ils voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la grave détérioration des conditions de vie de nos compatriotes a fatalement conduit à une explosion de la contestation sociale.
La colère gronde jusque dans les classes moyennes, dont on a trop longtemps cru qu’elles étaient préservées. Dans notre société, les tensions s’aggravent et la stratégie de division du peuple français opérée par Emmanuel Macron accentue encore cette tendance.
Dernièrement, le recul de l’âge de départ à la retraite a été la cause légitime de grandes manifestations : des Français de tous horizons politiques et de toutes origines sociales ont défilé côte à côte. Malheureusement, des violences ont systématiquement été commises, non par des manifestants, mais par des personnes issues de mouvements radicaux ou anarchistes venues profiter de l’occasion. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi me paraît dangereuse : non seulement son adoption consacrerait le sentiment d’impunité, mais, pis encore, elle légitimerait les violences commises.
Mes chers collègues, les violences nuisent aux contestations sociales depuis dix ans. Elles ont nui notamment aux manifestations contre la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, aux revendications des « gilets jaunes » et au juste et indispensable combat contre la réforme des retraites. Plus généralement, elles ont desservi tous les combats légitimes.
Plus récemment, la mort de Nahel a tristement prouvé que tout événement, si douloureux et regrettable soit-il – je ne reviens pas sur les circonstances de cette affaire particulière –, peut toujours servir de prétexte à un déferlement de violence. J’en veux pour preuve le rapport rendu conjointement par l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale de la justice (IGJ), dans lequel sont analysés les « profils et motivations des délinquants interpellés à l’occasion de l’épisode de violences urbaines » : il montre que l’émotion causée par la mort de cet adolescent a joué un rôle très mineur dans les motivations des pillards.
Si cette proposition de loi était adoptée, il suffirait dès lors de se revendiquer d’une cause sociale pour pouvoir se livrer à des actes de violences et de vandalisme en toute impunité.
Il convient toutefois de ne pas oublier que, derrière les auteurs de tels actes, il y a surtout des victimes, dont le préjudice doit être reconnu et réparé.
Derrière le casseur qui se revendique opportunément de telle ou telle cause, il y a un ouvrier privé de sa voiture, un artisan privé de ses locaux, un commerçant privé de son outil de travail et de ses biens. Leur cause sera toujours plus forte et plus juste que celle du délinquant ou du vandale !
Oui, je vous l’accorde, la gestion de notre pays par Emmanuel Macron est aussi horripilante sur la forme que désespérante sur le fond, mais rien ne saurait légitimer que l’on commette des actes de violence et de pillage.
Mes chers collègues, je parle ici non pas uniquement en tant que membre de la représentation nationale, mais aussi au nom de tous ceux qui comme moi, fils d’ouvrier syndiqué, petit-fils et arrière-petit-fils de mineur, ne veulent plus voir des luttes sociales légitimes décrédibilisées et pourries par la violence minoritaire de ceux qui n’y voient qu’un prétexte pour semer le trouble.
S’il faut rappeler que le droit de manifester est constitutionnel, il ne faut pas en faire un droit à l’insurrection.
Il y a des profiteurs de crises financières comme il y a des profiteurs de crises sociales : de grâce, combattons-les tous !
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays a connu des mouvements de contestation majeurs au cours de l’année 2023. Heureusement, tous n’ont pas donné lieu à des débordements. Certains, en revanche, ont dégénéré en des actes de violence d’une rare intensité.
Nous avons récemment assisté à des scènes de chaos, qui ont profondément choqué nos concitoyens. Des drames ont été évités de justesse, grâce au professionnalisme des forces de l’ordre, auxquelles mon groupe veut rendre hommage.
Quoi de plus légitime que de manifester son opposition aux textes que nous votons ? Quoi de plus inacceptable que de le faire en s’affranchissant du cadre républicain ?
Des centaines de membres des forces de l’ordre ont été blessés lors de différentes manifestations où ont été commis des dégradations, des incendies volontaires, etc. : autant d’actes qui font peser un risque majeur sur la sécurité de nos concitoyens.
Les mêmes scènes de chaos se sont reproduites lors de la mise en place de retenues d’eau, les fameuses mégabassines. Là encore, il est légitime que les oppositions s’expriment. Il paraît néanmoins important de rappeler que ces projets ont été décidés par des instances démocratiques et qu’ils sont susceptibles de recours devant des tribunaux indépendants et impartiaux. Nous sommes en démocratie, ne l’oublions pas. Les manifestations que nous avons vues à ces occasions étaient, en revanche, d’une autre nature. Des individus fanatiques, armés de battes de baseball, de barres de fer, de boules de pétanque et de cocktails Molotov, étaient là pour casser, que ce soit de la bassine ou du flic : nous ne pouvons pas l’accepter.
Les sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky nous proposent d’exempter de condamnations tous ceux qui se sont rendus coupables de délits au cours de mouvements collectifs revendicatifs.
Au-delà de l’imprécision extrême du périmètre visé, comment accepter une telle négation du droit ? Comment imaginer que le déroulement de mouvements collectifs revendicatifs puisse constituer une circonstance de nature à exonérer les délinquants de toute poursuite et de toute condamnation ?
Si le droit de grève et son exercice doivent être protégés, ce droit ne s’étend pas à la commission d’infractions. Même si celles-ci se déroulent lors de mouvements revendicatifs, elles demeurent néfastes pour la société et nos concitoyens.
La circonstance de mouvements collectifs revendicatifs devrait être considérée comme aggravante plutôt que comme atténuante. En effet, la commission des infractions est facilitée lors d’attroupements et leurs conséquences peuvent être bien plus sérieuses qu’en d’autres occasions.
Il arrive par ailleurs que des manifestations constituent en elles-mêmes des infractions, si elles ont été interdites par l’autorité investie des pouvoirs de police qui a estimé qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public. La présence d’écharpes tricolores à certaines de ces manifestations nous a consternés : des élus ont encouragé nos concitoyens à ne pas respecter la loi. Ils ont été la caution paradoxale d’actes de violence antidémocratiques.
Celles et ceux qui encouragent la violation des lois n’ont pas leur place dans les chambres où ces lois sont votées.
Nous considérons que la défense des droits et des libertés des individus doit s’exercer dans les urnes, plutôt que dans la rue. La loi est faite par les représentants de la Nation, il est essentiel qu’elle s’applique à tous.
« Ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observance des formes », disait avec sagesse Benjamin Constant. La contestation dans notre pays ne peut pas s’affranchir des formes sans porter atteinte à la démocratie.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’oppose donc aux dispositions de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai fait mon droit dans une autre vie, sous la houlette de Jean-Jacques Dupeyroux, avec Maurice Cohen comme professeur du droit des comités d’entreprise.
J’ai aussi suivi de très près l’avancée, à l’Assemblée nationale, des lois Auroux, qui, rappelons-le, ont établi un peu d’équilibre dans le droit syndical à l’intérieur de l’entreprise. Je me souviens très bien, à l’époque, des syndicats jaunes, des chiens des vigiles que leurs maîtres laissaient aller sur les piquets de grève, de la tentative d’instaurer le vote plural aux prud’hommes, tentative qu’un jeune député de talent, Alain Richard, a d’ailleurs fait censurer par le Conseil constitutionnel – je rappelle que cette mesure « sympathique » permettait aux employeurs de voter plusieurs fois, quand les salariés ne pouvaient voter qu’une seule fois…
Autrement dit, je connais un peu le droit du travail et le droit syndical. Le doyen Badinter pointait que les notables vieillissants parlaient d’eux dans leurs discours. Voilà que cela m’arrive à moi aussi… (Sourires.)
Mes chers collègues, on imagine difficilement une société libre et ouverte dans laquelle le droit de manifester son mécontentement serait systématiquement entravé par des mesures coercitives. C’est dans cette faculté que réside la différence entre une démocratie et une dictature – je crois que nous pouvons tous nous accorder sur ce constat.
Le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève, mais non le droit à la violence. L’exercice du droit de grève et celui de manifester, qui l’accompagne, doit s’articuler avec les autres principes généraux du droit, qui garantissent le nécessaire ordre public, afin d’assurer la quiétude et la sécurité de chacun.
La proposition de loi qui nous est soumise pourra paraître séduisante à certains, si l’on pense aux faits qui ont pu accompagner la réforme des retraites et le mouvement des « gilets jaunes », il y a quelques années. Nous ferions ainsi table rase du passé et le Parlement accorderait une forme de pardon généralisé.
Or le pardon ne peut pas viser des agissements contraires à l’ordre républicain. Certaines infractions ne peuvent en aucun cas figurer dans une loi d’amnistie. Certes, le texte exclut de l’amnistie les violences commises contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, mais il reste muet sur les autres violences et sur les dégradations des biens, dont il faut d’ailleurs déplorer la très forte progression ces dernières années.
L’amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale et de pacification des mémoires. Elle ne saurait être une autorisation généralisée accordée aux débordements de toutes sortes.
De plus, je pense sincèrement que l’adoption de cette proposition de loi constituerait un signal de bien mauvais augure adressé à tous les manifestants. (M. le garde des sceaux acquiesce.)
Nul ne peut nier, en effet, que le principe même d’une loi d’amnistie créerait un appel d’air. Pourquoi respecter la loi si les contrevenants ne subissent aucune conséquence juridique de leurs actes ?
C’est pourquoi le principe d’égalité des citoyens devant la loi doit s’appliquer, de même que les principes fondamentaux relatifs au respect de l’ordre public.
En dépit du travail et des efforts des membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, aucun consensus ne se dégage au sein du Parlement sur une telle proposition de loi : ni les conditions de fond ni celles de forme ne sont en effet réunies pour son adoption, d’autant que certains événements ont fait des victimes et entraîné beaucoup de dégâts, sans parler des manques à gagner de petits commerçants, des voitures brûlées, etc.
Si l’on peut comprendre, voire partager, la colère sociale, son expression doit rester dans le cadre des lois de la République. Tel n’est pas le cas lorsque l’on commet des infractions passibles de dix ans d’emprisonnement.
Comme nous l’a rappelé notre rapporteur, Jean-Michel Arnaud, dont je tiens à saluer le travail, la commission des lois est défavorable à l’adoption de ce texte.
Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour des travaux du Sénat. L’examen de cette proposition de loi intervient en effet à un instant tout particulier pour notre démocratie.
Alors que le Gouvernement se montre toujours plus incapable de répondre aux crises, alors que les élus et les pouvoirs publics échouent à remplir leurs missions premières – protéger l’intérêt général, garantir à chacune et à chacun de manger à sa faim, de se loger, de vivre de son travail, de se reposer, d’avoir les mêmes droits que ses voisins, de ne pas craindre les discriminations, d’envisager un avenir commun sur une planète vivable –, ce sont bien souvent les manifestants, les syndicalistes, les militants, les mouvements sociaux qui sont attaqués. Ils le sont plus que les pollueurs, les évadés fiscaux, les exploiteurs, les racistes et les sexistes.
L’État a failli et ce sont ses enfants qui trinquent. Ils trinquent d’ailleurs deux fois : en payant le prix de ses mauvais choix politiques et en payant celui de les contester.
Évoquons tout d’abord le prix des mauvais choix politiques de l’État. Je pense, par exemple, aux questions climatiques. Selon les dernières données publiées le 3 octobre dernier, nous pouvons affirmer que la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre de la France nous conduira à violer nos propres engagements internationaux, européens et nationaux. Pendant ce temps, le Gouvernement s’entête à poursuivre un projet climaticide et injuste, vieux de trente ans, la réalisation de l’autoroute A69.
De même, malgré la promesse présidentielle de 2017, le Gouvernement ne demande plus l’interdiction du glyphosate à l’échelon européen. Je rappelle que ce produit est un herbicide « total », qui tue tous les végétaux, sans distinction, sauf ceux qui sont génétiquement modifiés pour lui résister, et que ses effets sur la santé humaine, mais aussi sur notre modèle agricole, ne sont plus à démontrer.
Dans le même temps, le Gouvernement est incapable de répondre à l’urgence sociale, encore accentuée par l’inflation. Un huitième de la population française ne mange pas à sa faim ; un tiers des étudiants sautent des repas. Alors que la France compte plus de 9 millions de pauvres, les 500 Françaises et Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 5 % l’année dernière.
Rien ne saurait justifier une telle aggravation des inégalités et rien ne peut étouffer la colère qu’elle nourrit.
C’est la raison pour laquelle les citoyennes et les citoyens se mobilisent et grossissent les rangs des mouvements sociaux – nous étions ainsi des millions dans la rue pour combattre la réforme des retraites. C’est pourquoi des militants passent leurs week-ends à essayer de protéger la nature, les arbres, l’eau, que ce soit à Sainte-Soline, dans le Tarn ou encore à Notre-Dame-des-Landes.
J’en viens maintenant au prix de la contestation, puisque tel est le sujet de notre discussion.
Au lieu d’être entendus, au minimum respectés, les mouvements sociaux sont criminalisés. Cette criminalisation a atteint son apogée au moment de la contestation massive contre la réforme des retraites : des passants, qui ne manifestaient même pas, se sont retrouvés au poste de police parce qu’ils sortaient d’un restaurant au mauvais moment.
Pour la première fois depuis un demi-siècle, un dirigeant syndical national, qui n’avait aucun lien direct avec les faits reprochés, a été convoqué par la gendarmerie. Dans trois semaines, trois syndicalistes comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Selon la CGT, quelque 600 travailleurs et travailleuses seraient ainsi ciblés par des procédures disciplinaires à la suite des mobilisations contre la réforme des retraites.
De manière similaire, des militants écologistes sont criminalisés, parce qu’ils s’opposent à cette aberration écologique que constituent les mégabassines. Ils se battent pour notre accès commun à l’eau, non pour se faire plaisir : nous aimerions, toutes et tous, passer des week-ends de détente entre amis et n’avoir jamais à choisir entre la décision de prendre le risque de se retrouver dans le coma et la perspective de voir nos biens communs confisqués.
Toutefois, le schéma et la doctrine de maintien de l’ordre en France, alors que la répression s’intensifie de manière constante et systémique, rendent l’action de manifester et de militer de plus en plus difficile. Ce n’est pas le fruit du hasard.
L’immense majorité des personnes arrêtées ne font d’ailleurs pas partie des individus violents, dont nous condamnons, bien sûr, les méthodes.
Cette situation est grave, non seulement parce que la cause des manifestants est juste, mais aussi parce que la démocratie meurt si elle cherche à criminaliser les opposants au pouvoir. C’est le propre d’un gouvernement démocratique, sa condition existentielle, sa définition même, que de permettre, et plus encore, d’organiser et de protéger la contestation, le débat, les luttes politiques, y compris contre lui. Il lui revient de garantir la liberté d’expression à celles et à ceux dont il déteste les idées.
C’est donc pour rétablir la confiance en la vitalité de notre démocratie que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient les objectifs de cette proposition de loi. Nous avons entendu, bien sûr, les remarques formulées par le garde des sceaux : le calibrage du dispositif est sans doute trop large. Nous faisons donc confiance au Gouvernement et à nos collègues de l’Assemblée nationale pour amender ce texte. En tout cas, le signal politique envoyé à nos concitoyens sera bien meilleur si cette proposition de loi est adoptée que si elle est rejetée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’évoquerai tout d’abord des faits qui se sont produits il y a plus de soixante-dix ans. Ils font partie de l’Histoire, de notre histoire : je pense à la grande grève des mineurs de 1948 à laquelle des milliers d’entre eux ont participé. Plusieurs centaines de syndicalistes, essentiellement issus du Nord et du Pas-de-Calais, ont alors été licenciés, condamnés à des amendes ou à des peines de prison, y compris ceux qui avaient été résistants à l’occupant nazi sept ans plus tôt. Voilà autant de vies brisées, d’hommes et de familles victimes d’une parodie de justice qui ne leur a laissé aucune chance de se défendre. Leur combat a duré plusieurs années. Ils ont finalement été réhabilités par Mme Taubira, lorsqu’elle était garde des sceaux. Parmi eux, je citerai Norbert Gilmez, syndicaliste de la CGT, qui a été victime d’une injustice profonde. Jusqu’à la fin de sa vie, il aura répété : « J’étais syndicaliste, pas délinquant. »
Mes chers collègues, voici résumée en une phrase notre proposition de loi : ils sont syndicalistes, pas délinquants.
Ils s’appellent Sébastien Menesplier et Mathieu Pineau de la fédération nationale des mines et de l’énergie de la CGT, Sophie Bournazel de l’entreprise People & Baby – je pourrais aussi citer trois autres salariés de cette entreprise –, Nicolas Constantin, délégué d’un entrepôt logistique du Pontet…
Ils sont syndicalistes chez VertBaudet : dans cette entreprise du Nord, quatre-vingts femmes payées au Smic ont décidé de se mettre en grève pour obtenir des augmentations. La direction a fait intervenir la force publique à de nombreuses reprises ; des salariées ont été blessées et certaines ont été envoyées à l’hôpital ; les plaintes en justice se sont succédé.
Des syndicalistes de la fédération du commerce, ayant donc pourtant toute légitimité pour intervenir dans ce conflit, ont été interpellés chez eux, au petit matin, devant leur famille. La répression s’est tellement généralisée qu’un syndicaliste, Mohammed, a été interpellé par de faux policiers, qui l’ont gazé, roué de coups, puis jeté d’une voiture en marche après lui avoir dérobé ses papiers. Dans le même temps, la direction continuait d’assigner ses salariées en justice : elle en a les moyens et le temps !
Je pourrais citer plusieurs centaines de syndicalistes victimes de procédures, de convocations, d’amendes, de mises en examen, de mesures disciplinaires.
Cette proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives vise à leur rendre justice, conformément à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
Or, aujourd’hui, nous assistons souvent à des actes relevant de l’acharnement, parfois individuel, à des arrestations arbitraires, qui conduisent à des procédures pénales.
Comme si la répression patronale ne suffisait plus à maintenir le système, le Gouvernement y ajoute, monsieur le garde des sceaux, la répression d’État en utilisant l’appareil judiciaire. La démocratie sociale et la liberté syndicale semblent un obstacle pour votre gouvernement.
Cette répression s’est d’ailleurs amplifiée avec la réforme des retraites où la violence des procédures arbitraires à l’encontre des syndicalistes a donné lieu à une tribune parue dans la presse au mois de juin dernier intitulée : « Pour les libertés syndicales contre toutes les entraves à l’engagement militant et citoyen ! » Celle-ci a été signée par plusieurs centaines de militants syndicaux, associatifs, de nombreux intellectuels, chercheurs, enseignants et universitaires.
Au-delà de la pression judiciaire opposée aux syndicalistes se pose aussi la question des entraves tout au long de la carrière : blocage de l’évolution professionnelle, perte de promotions et de revenus.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait l’amalgame entre les faits commis à l’occasion d’une mobilisation syndicale et les violences urbaines et les actes antisémites. Ce n’est pas acceptable ! Ces faits n’ont aucun rapport avec les manifestations syndicales ni avec ceux qui sont visés par notre proposition de loi – vous le savez d’ailleurs très bien. (M. le garde des sceaux s’exclame.) Il ne s’agit pas, pour nous, de ne pas sanctionner les casseurs, les Black Blocs, qui ont durement attaqué les syndicalistes dans les manifestations.
Comme vous l’avez rappelé en préambule, l’amnistie ne signifie pas l’absence de sanctions judiciaires. Ce texte vise uniquement à annuler les sanctions commises lors de mouvements sociaux. (M. le garde des sceaux proteste.)
Votre condamnation de l’idée d’amnistie est étonnante, alors que vous-même, le 17 mai 2020, avez répondu à un journaliste d’Europe 1 : « J’aurais souhaité que le Président de la République renoue avec la tradition régalienne de la grâce présidentielle ou de la loi d’amnistie. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre histoire a produit plusieurs lois d’amnistie, dès 1791, après mai 68, après la guerre d’Algérie, après les événements en Nouvelle-Calédonie. Il faut le répéter : celles-ci ont vocation à demeurer exceptionnelles.
Or la proposition de loi que nous examinons prévoit des dispositions particulièrement larges, en fonction des circonstances. Son adoption n’aurait pas pour conséquence, je le crains, de contribuer à l’apaisement social, mais elle pourrait être facilement interprétée comme l’instauration d’un droit à la violence et à la commission de délits dans toute manifestation sociale.
Devons-nous prendre ce risque ? Est-ce là un modèle que nous souhaitons promouvoir ?
Le champ de l’amnistie prévue par l’article 1er est lui aussi très large, puisque peuvent être amnistiées les personnes morales et physiques pour des infractions commises « avant la promulgation de la présente loi ».
J’ai le plus grand respect pour celles et pour ceux qui, par leur action syndicale, associative et politique, ont fait notre pays et continueront de défendre des acquis sociaux pour le bénéfice de tous.
À l’épreuve des faits, cette amnistie serait-elle pour autant juste en toutes circonstances ? Faut-il essentialiser tous les mouvements et acteurs sociaux ? Prenons le cas de l’un des derniers mouvements sociaux connus. Peut-on dire que seul l’intérêt général ait animé les émeutes des mois de juin et juillet derniers ? Si une émotion sincère a entraîné son déclenchement, après des soirs d’émeute, il en est finalement resté la destruction et la souffrance sociale dans des villes et quartiers sans écoles, transports, magasins, services publics.
Pourtant, cette loi d’amnistie pourrait s’appliquer à ces événements, dévoyant la nature même des opinions légitimement défendues, dévoyant sans doute aussi vos propres intentions originelles, mes chers collègues.
Je crains par ailleurs que certains ne se drapent a posteriori dans un intérêt général soudainement révélé pour échapper à leurs responsabilités dans une approche bien individualiste, ce qui serait un comble et deviendrait préjudiciable à l’ensemble des forces associatives et syndicales de notre pays.
Je note que la proposition de loi contient quelques restrictions opportunes, comme celles qui visent les élus. Je doute cependant que celles-ci puissent suffire.
Il me paraît important d’évoquer les victimes et la réparation des dégâts. Il est prévu que, même en cas d’amnistie, les victimes conservent le droit de faire reconnaître le préjudice subi et d’en obtenir réparation. Y a-t-il vraiment réparation si l’on sait que l’infraction ne pourra plus donner lieu à des poursuites ou, si une condamnation est déjà intervenue, qu’un terme sera immédiatement apporté à son exécution ? Nous sommes en droit de nous poser la question.
Mes chers collègues, nous avons plus que jamais besoin que chacun reprenne sa place, que les juges et avocats puissent agir en toute conscience, que les acteurs sociaux et associatifs puissent négocier et agir dans la concertation, manifester quand il le faut et que les actions délictuelles puissent être jugées séparément, avec le plus grand discernement possible.
Pour cette raison, mes chers collègues, je ne crois pas que l’amnistie constitue un outil approprié. Vous l’avez compris, le groupe RDSE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Claude Kern. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà rassemblés pour examiner la proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Cathy Apourceau-Poly et plusieurs membres du groupe CRCE-K, dont l’objet est de prévoir l’amnistie de faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.
Dans le contexte de « polycrise » que nous traversons, les Français sont en proie à de nombreuses inquiétudes, que celles-ci concernent l’emploi, le pouvoir d’achat, leur capacité d’accès aux soins ou encore, plus largement, leur avenir dans une société frappée par le réchauffement climatique. Les élus que nous sommes ne peuvent pas y être insensibles.
Ces inquiétudes ont pu s’exprimer encore récemment dans la rue, à l’occasion de mouvements sociaux et syndicaux.
Si ces mouvements constituent la mise en œuvre concrète de libertés et de droits qui nous sont chers et qui sont garantis par notre bloc de constitutionnalité, comme la liberté syndicale ou le droit de grève, ces mouvements ont aussi été l’occasion pour certains de commettre des actes violents, punis par la loi.
L’idée qui sous-tend ce texte est qu’il y aurait derrière la répression de ces actes une intention de restreindre l’exercice de ces libertés, ce qui constitue un risque pour notre État de droit. Il faudrait donc, pour protéger celles-ci, pardonner les auteurs de faits commis au nom d’un intérêt supérieur, dont l’appréciation est somme toute subjective – comme si la défense de l’intérêt général devait inévitablement conduire à commettre une infraction ou un délit.
Au groupe RDPI, nous tenons à réaffirmer notre attachement à la liberté syndicale et notre plus grand respect pour la mobilisation sociale.
Toutefois, si l’action collective constitue un rouage essentiel de la démocratie, nous considérons que la justice, l’ordre public et l’efficacité de la réponse pénale sont tout aussi importants pour le bon fonctionnement d’une démocratie.
La mise en œuvre par le législateur du pardon républicain, notamment à des fins de rétablissement de la concorde sociale, pourrait, ici, avoir un effet inverse et, au contraire, fracturer un peu plus notre société. Elle heurterait le principe d’égalité devant la loi, auquel les Français sont tout aussi attachés.
Par ailleurs, eu égard au caractère hautement sensible des conséquences qu’implique une telle loi, il est impératif que son champ d’application soit clairement déterminé et le plus restrictif possible. Or, comme cela a été mis en lumière lors de nos discussions en commission, le champ de l’amnistie prévue par ce texte est particulièrement large. En visant les délits survenus « à l’occasion » de conflits sociaux, de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, l’amnistie pourrait concerner des personnes ayant rejoint ces mouvements dans l’intention même de commettre des délits.
C’est absolument inacceptable à nos yeux.
La plus grande fermeté doit s’appliquer à l’encontre de ceux qui, délibérément, n’ont pas hésité à faire usage de la violence, quand bien même celle-ci ne serait dirigée que contre des biens. Il est du rôle, voire du devoir du législateur d’affirmer haut et fort que toute violence est contraire à l’ordre républicain.
Si un texte visant un objet similaire émanant du même groupe parlementaire a pu être adopté en 2013, il faut souligner que le texte présenté aujourd’hui est bien plus généreux. En effet sont visés les délits passibles de moins de dix ans d’emprisonnement, contre cinq ans dans le précédent texte. En outre, toutes les infractions entrant dans le cadre prévu et commises avant la promulgation de la loi seraient susceptibles d’être amnistiées, alors que le texte de 2013 délimitait précisément dans le temps les infractions entrant dans le champ de l’amnistie.
Plus largement, il faut reconnaître que l’acceptabilité de telles lois par l’opinion est aujourd’hui plutôt discutable. Elles pourraient en effet résonner chez nos concitoyens comme un encouragement aux formes les plus violentes de mobilisation, alors que c’est au renforcement du dialogue social et à la définition des bases d’un nouveau contrat social qu’il faudrait travailler.
En conclusion, si nous reconnaissons la nécessité de protéger les droits fondamentaux, nous estimons cependant que cette proposition, telle qu’elle est formulée, soulève des inquiétudes majeures de nature à porter préjudice à la cohésion nationale. Pour ces raisons, les membres du groupe RDPI se prononceront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je reprends la parole pour rectifier certains propos prononcés par Mme Apourceau-Poly.
Madame la sénatrice, j’ai lu votre tweet m’accusant de faire des amalgames. Non, ce n’est pas le cas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ma position exprime le droit, et c’est bien naturel.
J’ai parfaitement compris l’objet de cette proposition de loi, mais j’en dénonce les effets de bord, que vous n’avez, à mon sens, pas bien mesurés.
Je reprends votre texte, sous votre contrôle.
« L’amnistie prévue à la présente loi s’applique aux personnes physiques… » Voilà qui ne donne pas matière à contestation.
« Sont amnistiés de droit […] les délits passibles de moins de dix ans d’emprisonnement… » Permettez-moi de vous faire remarquer au passage que vous ne trouverez pas dans l’histoire d’amnisties aussi larges, mais peu importe. Cela n’est pas l’objet de notre débat.
« À l’occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux… » Ainsi, si, dans le cadre d’une manifestation, un manifestant brûle un véhicule, il sera amnistié. Voilà ce que, nécessairement, expressément, et non pas implicitement, cela signifie !
Je suis bien évidemment pour le droit de manifester, qui est consacré par la Constitution, mais certains tordus profiteront de votre texte pour commettre des exactions. Si, un samedi après-midi, je participe à une manifestation en exprimant un certain nombre de revendications et que je dévalise un magasin de prêt-à-porter, je bénéficierai de l’amnistie prévue par cette proposition de loi, parce qu’un tel délit est passible de moins de dix ans d’emprisonnement et qu’il est commis dans le cadre d’une manifestation. Telle est la réalité de votre texte et vous comprenez bien que je ne peux y être favorable.
Puisque vous parlez d’amalgame, je reviens à des déclarations que vous avez reprises et que j’ai faites lorsque j’étais avocat et pas encore ministre. De grâce, resituez ces propos dans le contexte de l’époque, qui était celui du covid-19. J’étais alors convaincu qu’il fallait éviter des contaminations dans le mode clos qu’est la prison en envisageant soit des grâces, soit des amnisties, pour des raisons de santé et de salubrité publiques. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Nicole Belloubet.
Pour ne rien vous cacher, sur la question de la surpopulation carcérale, j’ai moi-même défendu un texte, que le Sénat a voté, prévoyant des libérations sous contrainte pour que, lorsqu’il reste un reliquat de l’ordre de trois mois et que le détenu peut bénéficier d’un logement à l’extérieur, on puisse de droit envisager sa libération pour éviter une sortie sèche.
Je ne suis pas en contradiction avec moi-même, puisque les circonstances sont totalement différentes.
Je persiste à croire que Nicole Belloubet a eu raison d’agir comme elle l’a fait et de prendre ces mesures qui relevaient du domaine réglementaire, puisque prévalait alors l’état d’urgence sanitaire. Cependant, madame la sénatrice, ce que j’ai dit n’aurait en aucune façon permis à des voyous d’échapper à la répression et à l’opprobre social qui doivent s’ensuivre.
Je le répète, j’ai bien compris l’objet de votre texte, mais il est présenté de telle façon qu’il entraîne des effets de bord qui n’ont pas été mesurés. Aussi, comme beaucoup de ceux qui se sont exprimés à la tribune, je ne souhaite pas qu’il soit adopté.
Madame la sénatrice, je ne fais aucun amalgame. J’ai lu votre texte avec beaucoup d’attention et d’intérêt. Son vote serait un très mauvais signal, me semble-t-il, adressé à l’ensemble de nos compatriotes, plus particulièrement au petit commerçant qui a vu son magasin dévasté. Peut-il, lui, entendre que celui qui a fait cela, parce qu’il l’a fait dans le cadre d’une manifestation, doit être amnistié ? C’est invraisemblable !
M. Claude Kern. Invraisemblable !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sur cette question, comme sur certains autres sujets, je pense avoir l’esprit assez clair : s’il y a eu des amalgames aujourd’hui sur l’amnistie, madame la sénatrice, je vous le dis avec infiniment de respect, ils sont de votre fait.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives
Chapitre IER
Amnistie des délits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives
Article 1er
I. – L’amnistie prévue à la présente loi bénéficie aux personnes physiques et aux personnes morales.
Sont amnistiés de droit, lorsqu’ils ont été commis avant la promulgation de la présente loi, les délits passibles de moins de dix ans d’emprisonnement et les contraventions commis dans les circonstances suivantes :
1° À l’occasion de conflits du travail ou à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives de salariés, d’agents publics, de professions libérales ou d’exploitants agricoles, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics ;
2° À l’occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes liés à l’éducation, au logement, à la santé, à l’environnement et aux droits des migrants, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics.
II. – Sont exclus de l’amnistie prévue par la présente loi les délits de violences à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, mentionnés au 4° des articles 222-12 et 222-13 du code pénal, et ayant entraîné une incapacité de travail.
Sont enfin exclues de l’amnistie prévue par la présente loi les atteintes volontaires à l’intégrité physique ou psychique d’un mineur de quinze ans ou d’une personne particulièrement vulnérable mentionnées aux 1° et 2° des mêmes articles 222-12 et 222-13 et à l’article 222-14 du même code.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er n’est pas adopté.)
Article 2
Lorsqu’elle intervient après condamnation définitive, l’amnistie est constatée par le ministère public près la juridiction ayant prononcé la condamnation, agissant soit d’office, soit sur requête du condamné ou de ses ayants droit.
La décision du ministère public peut être contestée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 778 du code de procédure pénale.
En l’absence de condamnation définitive, les contestations sont soumises à la juridiction compétente pour statuer sur la poursuite.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Chapitre II
Amnistie des sanctions disciplinaires
Article 3
I. – Sont amnistiés les faits commis dans les circonstances mentionnées au I de l’article 1er, en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou qu’ils sont susceptibles d’être retenus comme motifs de sanctions prononcées par un employeur, par tout salarié ou agent public, à l’exception des faits mentionnés au second alinéa du II du même article 1er.
L’inspection du travail veille à ce qu’il ne puisse être fait état des faits amnistiés. À cet effet, elle s’assure du retrait des mentions relatives à ces sanctions dans les dossiers de toute nature concernant les travailleurs qui bénéficient de l’amnistie.
II. – Sont amnistiés les faits commis dans les circonstances mentionnées au I de l’article 1er, par les étudiants ou élèves des établissements universitaires ou scolaires, ayant donné lieu ou pouvant donner lieu à des sanctions disciplinaires.
L’amnistie implique le droit à réintégration dans l’établissement universitaire ou scolaire auquel le bénéficiaire de l’amnistie appartenait, à moins que la poursuite de ses études ne l’exige pas.
Toutefois, l’amnistie n’implique pas de droit à réintégration lorsque l’intéressé a été exclu de l’établissement à la suite de faits de violence.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
Chapitre III
Réintégration des salariés licenciés
Article 4
I. – Tout salarié ou agent public licencié pour une faute, autre qu’une faute lourde, commise à l’occasion de l’exercice de sa fonction de représentant élu du personnel, de représentant syndical au comité social et économique ou au comité d’entreprise, ou de délégué syndical et ayant fait l’objet d’une amnistie au titre de la présente loi, est, sauf cas de force majeure, réintégré dans le poste qu’il occupait avant son licenciement ou dans un poste équivalent.
La demande de réintégration est présentée à l’auteur du licenciement dans un délai d’un an à compter soit de la promulgation de la présente loi, soit du prononcé de la sanction.
En cas de changement d’employeur en application des articles L. 1224-1 ou L. 1224-3 du code du travail, la réintégration du salarié s’effectue chez l’employeur succédant.
En cas de défaut de réponse de l’employeur à la demande de réintégration, celle-ci est acquise dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande.
En cas de refus de l’employeur, le salarié ou l’agent peut saisir, en référé, la juridiction compétente, qui peut ordonner la réintégration sous astreinte.
Le salarié réintégré bénéficie pendant douze mois, à compter de sa réintégration effective, de la protection attachée au délégué syndical prévue aux articles L. 2411-1 à L. 2437-1 du même code.
II. – Les contestations relatives à l’amnistie des sanctions disciplinaires définitives sont portées devant l’autorité ou la juridiction qui a rendu la décision.
L’intéressé peut saisir cette autorité ou juridiction en vue de faire constater que le bénéfice de l’amnistie lui est effectivement acquis.
En l’absence de décision définitive, les contestations sont soumises à l’autorité ou à la juridiction saisie de la poursuite.
L’exécution de la sanction est suspendue jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande ; le recours contentieux contre la décision de rejet de la demande a également un caractère suspensif.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
Chapitre IV
Effets de l’amnistie et fichage des informations nominatives et des empreintes génétiques
Article 5
I. – L’amnistie prévue à la présente loi efface les condamnations prononcées ou éteint l’action publique en emportant les conséquences prévues aux articles 133-9 à 133-11 du code pénal et aux articles 6 et 769 du code de procédure pénale, sous réserve des dispositions du présent chapitre.
Elle entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise des peines et des mesures de police et de sûreté.
Elle fait obstacle au recouvrement du droit fixe de procédure mentionné à l’article 1018 A du code général des impôts.
Toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée sur le fondement de la présente loi est punie d’une amende de 5 000 euros.
Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction définie au quatrième alinéa du présent I. L’article 131-38 du code pénal s’applique aux peines encourues.
II. – En cas d’instance sur les intérêts civils, le dossier pénal est versé aux débats et mis à la disposition des parties.
Si la juridiction de jugement a été saisie de l’action publique avant la promulgation de la présente loi, cette juridiction reste compétente pour statuer, le cas échéant, sur les intérêts civils.
III. – L’amnistie entraîne la suppression des empreintes génétiques issues des traces biologiques recueillies dans les fichiers de police ainsi que l’ensemble des informations nominatives relatives aux infractions mentionnées à l’article 1er recueillies à l’occasion des procédures d’enquête et des procédures judiciaires dans les fichiers de police judiciaire.
L’infraction prévue au premier alinéa du II de l’article 706-56 du code de procédure pénale est amnistiée lorsqu’elle a été commise à l’occasion de faits amnistiés en application du I de l’article 1er de la présente loi.
M. le président. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 5, je vous informe que, comme les articles précédents n’ont pas été adoptés, si celui-ci ne l’était pas non plus, l’article 6, qui est relatif à la mise en application de la loi, deviendrait sans objet.
En conséquence, il n’y aurait dans ce cas plus lieu de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, tous les articles la constituant ayant été rejetés ou étant devenus sans objet. Aucune explication de vote sur l’ensemble ne sera possible.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Une grande partie du groupe GEST aurait aimé voir ce texte aboutir, non pas qu’il soit parfait, des limites ayant été pointées, notamment en ce qui concerne le champ d’application de l’article 1er, mais parce qu’il intervient dans un contexte assez particulier de contraction des libertés publiques, où toutes les formes de militantisme sont contraintes par un certain nombre de dispositions législatives ou des actions administratives ou policières qui ne laissent pas de nous inquiéter.
Dans notre pays, le schéma du maintien de l’ordre est à la dérive et provoque nombre de violences lors de certaines manifestations. Cela va dans les deux sens. Les dispositifs policiers sont parfois tellement disproportionnés qu’ils semblent sonner comme un appel à la confrontation. Ainsi, les dernières manifestations contre la réforme des retraites ont donné lieu à une multiplication des gardes à vue qui n’ont pas débouché sur grand-chose, des centaines de personnes ayant été libérées sans aucune charge. Voilà qui est révélateur d’un problème.
Nous avons aussi observé de nombreuses tentatives d’intimidation de responsables syndicaux, qui se font parfois réveiller à six heures du matin par la police, sans parler du déploiement massif d’outils de surveillance contre les militants écologistes.
Je le répète, nous sommes dans un moment assez particulier pour les libertés publiques, qui touche tant les militants écologistes que les responsables ou militants syndicaux. Ce texte était un signal bienvenu. Il aurait certainement pu être sensiblement amélioré par la navette parlementaire. Pour cela, il aurait fallu que le Sénat le vote. Tel était notre souhait.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Monsieur le garde des sceaux, aucun des arguments développés pour justifier le rejet de cette proposition de loi ne me paraît valable.
Vous avez déclaré que le vote de ce texte conduirait à amnistier des auteurs de propos racistes et antisémites. La présidente du groupe CRCE-K, Cécile Cukierman, vous a répondu.
Je rappelle d’ailleurs que ce sont les communistes qui, à l’Assemblée nationale, par la voix de Fabien Roussel, ont déposé une proposition de résolution visant à lutter contre la banalisation des discours de haine dans le débat public, dont l’objet est de rendre inéligibles les auteurs de propos racistes et antisémites. Or c’est vous, monsieur le garde des sceaux, qui vous êtes à l’époque opposé à son adoption. Je le regrette, car l’on voit en permanence, sur les plateaux de télévision et ailleurs, un individu plusieurs fois condamné pour des propos racistes et antisémites, ce qui ne l’empêche pas d’être candidat à toutes les élections.
Par ailleurs, vous avez déclaré tout à l’heure à la tribune que cette proposition de loi n’était pas opportune dans la mesure où, dans notre pays, le dialogue social était rétabli. Allez discuter avec des syndicalistes qui se battent tous les jours pour l’amélioration des conditions de travail et l’augmentation des salaires : ils sont loin de partager votre sentiment !
Enfin, vous avez répété que vous compreniez l’intention qui nous animait, mais que la rédaction du texte péchait. S’il en était véritablement ainsi, vous aviez tout loisir, comme l’a indiqué Cathy Apourceau-Poly, de proposer des amendements visant à l’améliorer.
Je le répète, nous considérons que cette proposition de loi est absolument nécessaire. Dans notre pays, le monde syndical et le mouvement social doivent avoir la possibilité de s’exprimer sans être criminalisés, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste– Kanaky, l’autre, du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 21 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 280 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 246 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 6
La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.
M. le président. Je rappelle que, les articles 1er à 5 n’ayant pas été adoptés, cet article est devenu sans objet.
Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés ou étant devenus sans objet, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire.
En conséquence, la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et représentatives n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Abrogation de l’article 40 de la Constitution
Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, de la proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l’article 40 de la Constitution, présentée par Mme Éliane Assassi, MM. Éric Bocquet, Pascal Savoldelli et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 732 [2022-2023], résultat des travaux de la commission n° 65, rapport n° 64).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je salue ma collègue et amie Éliane Assassi, qui nous regarde peut-être et qui était la première cosignataire de cette proposition de loi constitutionnelle.
Mme Nathalie Goulet. Moi aussi !
M. Pascal Savoldelli. Débattre d’une proposition de loi constitutionnelle portant abrogation de l’article 40, c’est d’abord s’inscrire dans une dynamique de réforme de la Constitution – une dynamique engagée et accélérée voilà quelques jours par le Président de la République, lui qui a relancé le débat.
La Constitution donne du sens à l’État de droit. Force est toutefois de constater qu’aujourd’hui la perte de sens est généralisée, tant notre démocratie semble vaciller et notre République paraît fragilisée, amoindrie.
D’année en année, de crise politique en crise politique, des « gilets jaunes » au mouvement contre la réforme des retraites, la question de l’intervention citoyenne a fait irruption dans le débat public. Au sortir de chacune de ces crises, la capacité de nos institutions à lui ouvrir un débouché a systématiquement été interrogée et souvent jugée insatisfaisante, voire insuffisante.
L’acuité de cet enjeu s’est révélée particulièrement vive ces derniers mois, durant le mouvement social contre la réforme des retraites. Une très grande majorité de Français ont en effet manifesté contre une réforme qu’ils estimaient injuste et brutale.
Le mouvement a ensuite pris un autre caractère : c’est contre la vie démocratique même de nos institutions que nos concitoyens se sont exprimés dans la rue. Ils l’ont fait contre l’article 49.3, bien sûr, mais aussi, et de manière plus inattendue, contre l’article 40 de notre Constitution.
C’est en effet cet article qui a été invoqué pour bloquer la proposition de loi du groupe Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) d’abrogation de la réforme des retraites portant l’âge légal de départ à 64 ans, puisqu’il rend irrecevable toute proposition dont l’adoption « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». En d’autres termes, le Gouvernement a le droit de défendre une telle mesure, mais pas la représentation nationale ! (M. le garde des sceaux acquiesce.)
Beaucoup de nos concitoyens ont alors découvert cet artifice. Son usage est apparu déraisonnable, injustifié et impropre au débat démocratique et à la cohésion sociale.
C’est l’article 40 qui a restreint le droit de proposition de la représentation nationale.
C’est l’article 40 qui a empêché – donc contrarié – l’expression de la démocratie sociale.
Cet article a été identifié comme un étau institutionnel et démocratique, dépossédant les individus de leur citoyenneté. Depuis, juristes, constitutionnalistes, citoyens, s’interrogent légitimement.
En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de saisir le moment opportun pour une réforme constitutionnelle, lorsque les institutions semblent en décalage avec la volonté du peuple souverain. C’est au regard de cette responsabilité que nous proposons l’abrogation de l’article 40.
Deux raisons nous y conduisent.
En premier lieu, il s’agit d’apporter un nouveau souffle à la démocratie.
« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Voilà ce qu’indique l’article 28 de la Constitution de 1793.
Le général de Gaulle lui-même affirmait en 1958 : « C’est donc pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu’a été établi le projet de Constitution. »
En 2023, nous traversons une crise profonde de la démocratie aussi bien que de la légitimité de nos institutions. Nous traversons aussi une crise de confiance dans le parlementarisme, pourtant garant de la représentation nationale.
Pourquoi évoquer cela ?
Aborder l’abrogation de l’article 40 de la Constitution, c’est d’abord interroger le pouvoir du Gouvernement, celui du Parlement, mais aussi celui des citoyens. C’est un débat sur la légitimité et sur la légalité.
Le Sénat est à la bonne place pour poser les jalons d’un tel cheminement, puisqu’il se distingue de l’Assemblée nationale, où les recours à l’article 49, alinéa 3, à l’article 40 et aux motions de censure se nourrissent et se répondent – « Acquiescement du ministre »… (M. le garde des sceaux rit.)
L’irruption des citoyens dans les choix politiques et budgétaires est aujourd’hui un fait. Ceux-ci s’interrogent sur les outils mis à leur disposition pour exercer leur citoyenneté, mais aussi leur droit d’intervention concernant le budget de la Nation.
Ce qui lie les citoyens au budget de la Nation, ce sont d’abord les services publics, ciment de la République dans tous les territoires. Mes chers collègues, comment les citoyens peuvent-ils s’approprier ces services publics s’ils n’en ont pas la maîtrise ?
Chaque fois que des habitants, des syndicalistes ou des élus locaux demandent les moyens de la sauvegarde ou du développement de leurs services publics, les amendements concernés sont frappés d’irrecevabilité : sauvegarder les lignes de bus RATP ? Irrecevable. Augmenter les bourses pour les étudiants ? Irrecevable. Service public de l’énergie ? Irrecevable. Je pourrais continuer cette liste. D’aucuns pourraient évoquer un tri dans les initiatives politiques…
L’article 40 rendant la démocratie sociale irrecevable, il est temps de l’abroger.
En second lieu, il est nécessaire de dépasser ce qui constitue un outil d’entrave au débat parlementaire.
Cette réflexion n’est pas nouvelle. Elle dépasse les clivages politiques et a été défendue par toutes les sensibilités politiques, et ce dans les deux chambres.
Elle a été exprimée par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit comité Balladur, chargé de la révision constitutionnelle lancée par Nicolas Sarkozy en 2008. Les présidents des commissions des finances à l’Assemblée nationale et au Sénat, respectivement Didier Migaud et Jean Arthuis, ont alors plaidé – en vain – pour la fin de ce qu’ils qualifiaient de « forme d’autocensure parlementaire ».
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. André Reichardt. Exact !
M. Pascal Savoldelli. Une forme d’autocensure, et aussi d’incohérence, puisque, dans le même temps, il est possible de créer une nouvelle dépense fiscale ou d’élargir une niche fiscale existante sans que l’article 40 puisse s’appliquer, alors même que l’État ou la sécurité sociale voient leurs recettes minorées.
M. André Reichardt. Encore exact !
M. Pascal Savoldelli. Malgré l’article 40, il est possible de reporter des crédits de dizaines de milliards d’euros.
Malgré l’article 40, la mise en réserve d’une partie des crédits budgétaires est possible.
N’assistons-nous pas à un « deux poids, deux mesures » ?
Plus largement, la question posée est celle de la définition du travail parlementaire et, in extenso, du droit d’amendement. Avec l’article 40, ce droit est-il assuré ou bien confisqué ?
Si la Ve République est le fait majoritaire, l’article 40 non seulement limite les capacités de proposition de l’opposition, par définition minoritaire, mais, surtout, restreint la capacité d’initiative des parlementaires de la majorité.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Pascal Savoldelli. Sous la Ve République, le Parlement se contenterait-il d’adhérer à un budget ou de s’y opposer ? Quoi qu’il en soit, son rôle d’élaboration est aujourd’hui indéniablement restreint. Finirait-on par parler d’un budget des cabinets ministériels accompagnés par l’expertise de cabinets privés plutôt que d’un budget de la Nation ?
Ces deux raisons exposées, permettez-moi de contrer l’argument qui nous a été opposé, selon lequel l’article 40 constitue un garde-fou. Non, son abrogation ne constituera pas un facteur d’aggravation de la dette et des déficits publics.
La commission des lois a majoritairement jugé « l’abrogation impossible et son assouplissement aventureux ». L’argument principal mis en avant est le risque d’accélération des déficits.
L’état de nos comptes publics nous indique pourtant bien que l’article 40 n’a jamais permis d’atténuer la dette ou les déficits publics. Pis, depuis la dernière révision constitutionnelle, notre dette publique s’est considérablement accrue. S’agit-il donc de restreindre les déficits ou le droit parlementaire ?
Si comparaison n’est pas raison, signalons, de même, qu’il existe dans la moitié des pays de l’OCDE un droit d’initiative parlementaire illimité. Ces pays présentent des niveaux de dettes différents, ce qui démontre qu’il n’y a pas de corrélation avec le niveau d’endettement, mais aussi que l’abrogation de l’article 40 n’est pas contraire aux engagements européens pris par la France.
Autre comparaison, les assemblées des collectivités territoriales votent des dépenses et des recettes tout au long de l’année. En théorie, elles ne peuvent enregistrer de déficit, puisque leur budget doit respecter le principe d’équilibre,…
M. André Reichardt. Exact !
M. Pascal Savoldelli. … théorie rarement démentie par les faits, tant les procédures de mise sous tutelle ont été rares ces dernières années.
Les collectivités peuvent toutefois emprunter librement, donc s’endetter – une dette saine, puisque, sans elle, nous n’aurions jamais pu construire une seule école ou un seul service public. Surtout, cette dette ne représente que 10 % du total de la dette publique, en baisse de 3,5 % en 2022.
C’est bien la démonstration de l’esprit de responsabilité des élus locaux. Pourquoi les parlementaires, dont beaucoup sont rodés à l’élaboration d’exercices budgétaires grâce à leurs expériences locales, ne seraient-ils pas, eux, empreints de cette responsabilité ?
Pour conclure cet exposé, je reviens sur les notions de légalité et de légitimité.
Celles-ci forment le cœur du sujet, dès lors que l’on s’interroge sur une réglementation qui n’est nécessaire qu’à une économie libérale et de compétition, qui vit sur la dette publique. Tout cela nous pose une question de fond : à qui sert l’article 40 ? De quel État est-il l’instrument de pouvoir ? Pour quoi ? Comment ?
Il s’agit là d’une contradiction inhérente à la Constitution de la Ve République, qui précise pourtant que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Son aboutissement demeure la démocratie sociale, laquelle est consacrée par l’expression de « République sociale ».
Le peuple français n’est pas « irresponsable ». La représentation nationale ne l’est pas non plus.
Responsabiliser, c’est légitimer.
Légitimer la démocratie parlementaire et la démocratie sociale, c’est apporter un nouveau souffle à la République. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – MM. Guy Benarroche et Patrice Joly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous ne connaissons que trop bien les contraintes enserrant notre droit fondamental d’amendement. Elles sont nombreuses : 49.3, vote bloqué, article 45… S’y ajoute le fameux principe de l’irrecevabilité financière des initiatives parlementaires inscrit à l’article 40 de notre loi fondamentale, cette contrainte n’étant pas des moindres.
La proposition de loi présentée par nos collègues communistes a le mérite de la simplicité et de la clarté, puisqu’elle abroge purement et simplement l’article 40 de la Constitution.
Certes, la critique de cet article n’est pas une idée neuve ; elle semble avoir suscité un regain d’attention médiatique et politique en raison d’une actualité récente, notamment à l’occasion de la réforme des retraites. J’en veux pour preuve la teneur même de l’exposé des motifs de la proposition de loi qui nous est soumise. Il démontre, s’il en était besoin, que ce texte a été pensé pour des raisons essentiellement conjoncturelles.
Aussi respectables et compréhensibles soient-elles, ces raisons doivent être appréciées en tenant compte de l’exigence de sérénité et avec le recul qui doit présider, en toute hypothèse, à une révision constitutionnelle.
Loin de moi l’idée de balayer d’un revers de main ce sujet important au regard des frustrations ou du mécontentement de nos collègues qui s’élèvent parfois, dès lors que certaines de leurs initiatives sont frappées d’irrecevabilité financière. Il s’agit de fait d’un débat pleinement légitime pour notre assemblée.
Deux questions essentielles doivent être posées.
Est-il envisageable de voter l’abrogation de l’article 40 de la Constitution proposée par nos collègues communistes ?
À défaut, pourrions-nous adopter une atténuation ou un assouplissement de sa lettre ?
En préambule, je rappelle que le principe d’irrecevabilité financière s’inscrit dans la logique de rationalisation du parlementarisme voulue par le constituant de 1958. Cette disposition est conforme à l’idée que le Parlement a vocation non pas à déterminer le budget de l’État, mais seulement à le discuter et à l’examiner, garantissant ainsi le respect de « l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques » énoncé à l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution.
Il me paraît d’ailleurs utile d’évoquer ici que l’article 40 de la Constitution fait partie de ces rares articles – une trentaine – qui n’ont jamais été modifiés depuis 1958. Il est en effet le produit d’une histoire constitutionnelle de plus de cent quarante ans et, en quelque sorte, comme le souligne Anne Levade, un point d’aboutissement de réflexions et de pratiques engagées à partir du XIXe siècle.
Une telle abrogation serait-elle donc devenue plus pertinente aujourd’hui ? Je ne le pense pas. Au contraire, elle serait moins opportune que jamais.
D’un point de vue budgétaire, d’abord, dans un contexte que nous connaissons tous, une telle abrogation paraîtrait particulièrement contradictoire avec les objectifs que la France se donne quant au sérieux de la gestion de ses deniers publics.
Il ne s’agit nullement ici de présenter les parlementaires comme irresponsables financièrement : le Gouvernement n’a pas eu besoin du Parlement pour présenter des budgets systématiquement déficitaires depuis 1974. En revanche, je ne déduis pas de cet état de fait qu’il n’y aurait aucun risque budgétaire à ouvrir plus largement aux parlementaires la possibilité de proposer des initiatives dépensières : l’accroissement des initiatives législatives créant ou aggravant les charges publiques se traduirait mécaniquement par une augmentation des dépenses publiques.
D’un point de vue institutionnel, ensuite, l’équilibre propre au débat budgétaire est connu de tous et il serait remis en cause. D’un côté, le Gouvernement sollicite une somme de crédits pour réaliser certaines opérations et mettre en œuvre la politique sur laquelle il s’est engagé et est responsable devant l’Assemblée nationale ; de l’autre, le Parlement accorde ou refuse tout ou partie de ces crédits, en allant, le cas échéant, jusqu’à renverser le Gouvernement.
D’un point de vue politique, enfin, cette abrogation paraîtrait particulièrement malvenue dans le contexte que traversent nos institutions, marqué par une majorité relative à l’Assemblée nationale. Pour le dire autrement, en période de majorité absolue, une réforme ou une abrogation de l’article 40 pourrait ne produire aucun effet majeur ; cependant, la logique même de la rationalisation du parlementarisme consiste à donner au pouvoir exécutif les moyens de faire face aux contraintes inhérentes à une majorité relative, qui ne signifie en aucun cas qu’il appartient aux oppositions de gouverner.
Dès lors, l’assouplissement de l’article 40 de la Constitution est-il envisageable ?
Faut-il par exemple supprimer les propositions de loi du champ des dispositions soumises à l’irrecevabilité financière ? Même si tel est l’usage dans les deux chambres, il serait paradoxal de l’inscrire dans la Constitution, sauf à sous-entendre que les propositions de loi n’ont guère de chance de prospérer sans l’aval de l’exécutif – celles-ci étant par conséquent sans danger pour les finances publiques, nous pouvons lâcher la bride au pouvoir législatif, ce qui serait en quelque sorte une façon de dévaloriser les propositions de loi.
Faut-il alors permettre la compensation de la création ou de l’aggravation des charges publiques ?
Cela présenterait certes l’avantage de garantir que la masse des charges elle-même n’augmente pas, mais cela permettrait de facto au pouvoir législatif de redessiner totalement le budget proposé par le Gouvernement comme il l’entend, du moins en dépenses. In fine, à quoi servirait encore l’article 40 ? Poussons le raisonnement jusqu’à la caricature : ne serait-ce pas une remise en cause du monopole du Gouvernement sur l’initiative des projets de loi de finances ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Faut-il ensuite qualifier plus précisément les ressources et les charges concernées ? Il me semble que c’est ici entrer dans une complexité qui ne peut être source que de nouvelles problématiques. Un parlementaire est-il toujours capable de chiffrer la portée financière de sa proposition ou de son amendement de manière certaine et sincère ?
Mme Nathalie Goulet. Ah non !
Mme Sophie Primas. Pas toujours, mais le Gouvernement non plus ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Faut-il enfin permettre la discussion d’amendements jugés irrecevables ? Quel en serait véritablement l’intérêt ?
Le calendrier, surtout en matière de projets de loi de finances ou de projets de loi de financement de la sécurité sociale, n’est-il pas assez contraint ? Les débats parlementaires ne sont-ils pas suffisamment lourds ? Aller au-delà de ce que la pratique permet d’ores et déjà – à savoir la prise de parole sur l’article concerné par l’amendement jugé irrecevable – ferait courir le risque d’une instrumentalisation à des fins d’obstruction, raison pour laquelle je n’y suis pas favorable.
Par ailleurs, dans le cadre des auditions, l’amélioration des procédures actuellement en vigueur a été évoquée, notamment sur deux points essentiels. Le premier point est le renforcement de la motivation des décisions d’irrecevabilité.
Mmes Nathalie Goulet et Sophie Primas. Oui !
M. André Reichardt. C’est important !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Cela peut être une piste à explorer. Néanmoins, mes chers collègues, je vous indique que la procédure actuelle permet déjà d’obtenir un complément de motivation.
M. André Reichardt. Oui, enfin…
M. Stéphane Le Rudulier. Le second point est la formalisation d’une voie de recours.
Sur le principe, l’idée semble séduisante. Encore faut-il la confronter au nombre d’amendements à objet financier – plusieurs dizaines de milliers par législature. Je vois mal comment un tel recours serait compatible avec les impératifs de bonne tenue et de délai raisonnable du débat parlementaire. Qui plus est, quel serait l’organe le plus pertinent pour mener à bien un tel contrôle ?
Je rappelle à toutes fins utiles que le réexamen d’une décision d’irrecevabilité rendue par le président de la commission des finances est d’ores et déjà possible directement auprès de ce dernier. Cela achève de convaincre qu’une telle réforme ne paraît pas souhaitable.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. De surcroît, ces pistes de réflexion relèvent davantage du règlement des assemblées que de la Constitution elle-même.
M. André Reichardt. D’accord.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. En conclusion, mes chers collègues, je vous propose de rejeter la présente proposition de loi, la réflexion collective ne me semblant pas tout à fait mûre sur ce sujet.
Je remercie néanmoins nos collègues communistes de la réflexion stimulante à laquelle ils nous engagent. Je remercie également tous les présidents de groupe ainsi que le président de la commission des finances de s’être rendus disponibles dans un délai si court pour me faire part de leurs observations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue également Mme Assassi, si elle nous regarde.
Mme Nathalie Goulet. Moi aussi ! (Sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Savoldelli, je vous remercie de nous contraindre à la réflexion : c’est un exercice toujours infiniment utile.
Inchangé depuis 1958, l’article 40 de la Constitution constitue une limite objective à l’initiative des parlementaires et au droit d’amendement. Il forme un modérateur contribuant à concilier le respect de l’initiative parlementaire avec les exigences d’équilibre des finances publiques et de qualité des débats parlementaires.
C’est vrai : l’article 40 a souvent été décrié, et ce dès 1958. Pourtant, force est de constater qu’il a résisté à toutes les tentatives de modification ou d’abrogation dont il a pu faire l’objet, et ce à maintes reprises. Toutefois, il a aussi compté des parlementaires pour le défendre. Il a d’ailleurs résisté à cette proposition de loi, puisque la commission des lois du Sénat ne l’a pas adoptée.
En réalité, l’article 40 de la Constitution s’inscrit pleinement dans l’équilibre institutionnel de la Ve République. À ce titre, il ne constitue en rien une limitation excessive de l’initiative parlementaire.
L’article 40 de la Constitution, d’abord, est l’une des clés de voûte de l’équilibre institutionnel de la Ve République.
Il est souvent affirmé que la Ve République s’est construite en opposition avec le régime de la IVe République. Cela est vrai sur bien des aspects ; pourtant, des éléments de continuité existent.
Comme la IVe République, la Ve République est un régime parlementaire dans lequel les pouvoirs sont partagés entre différents organes constitutionnels qui collaborent.
C’est un régime dans lequel le Gouvernement est politiquement responsable devant le Parlement, en contrepartie de quoi il lui est reconnu le pouvoir de déterminer et de conduire la politique de la Nation.
Par certains aspects, la Constitution du 4 octobre 1958 s’inscrit dans un mouvement de rationalisation du parlementarisme déjà engagé en 1946.
L’irrecevabilité financière de l’article 40 n’est ainsi pas une pure création du constituant de 1958.
Elle n’est d’ailleurs pas une spécificité française, des dispositions similaires existant dans la plupart des démocraties parlementaires – « Acquiescement du sénateur »… (Sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Non, non ! (Nouveaux sourires.)
M. Éric Bocquet. Réponse du berger à la bergère ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La règle de l’irrecevabilité financière trouve en effet ses origines sous la IIIe République : dans la résolution Berthelot votée le 16 mars 1900, puis dans l’instauration en 1920 d’une procédure d’irrecevabilité financière générale dans le règlement de la Chambre des députés.
Par la suite, cette règle fut constitutionnalisée par l’article 17 de la Constitution de la IVe République, qui disposait qu’« aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires ».
Enfin, reprenant la loi du 31 décembre 1948 portant fixation pour l’exercice 1949 des maxima des dépenses publiques et évaluation des voies et moyens, dite loi des maxima, le décret du 19 juin 1956 a imposé une compensation pour toute proposition affectant les finances publiques.
L’article 40 de la Constitution n’a fait que donner une pleine effectivité à la règle de l’irrecevabilité financière. En effet, contrairement aux Républiques précédentes, l’application de cette règle n’est plus laissée à l’unique appréciation des assemblées parlementaires : le Gouvernement peut invoquer l’article 40 en séance publique, et le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour assurer son respect. La règle de la recevabilité financière, inscrite à l’article 40 de la Constitution, n’est donc pas une innovation de la Ve République.
Hier comme aujourd’hui, la règle de la recevabilité financière constitue une nécessité qui n’a rien d’excessif.
Vous le savez, l’article 20 de la Constitution charge le Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation. En cela, il est responsable devant le Parlement.
Il est notamment responsable de l’équilibre du budget pour lequel il présente, chaque année, un projet de loi de finances.
C’est une quasi constante dans toutes les démocraties modernes : c’est au Gouvernement qu’il revient de préparer le budget, qu’il présente ensuite au Parlement pour être discuté.
Il n’est cependant pas concevable que des initiatives parlementaires, sans accord du Gouvernement, puissent altérer les équilibres budgétaires qu’il a définis, en assumant sa responsabilité devant le Parlement.
Cela reviendrait non seulement à saper les efforts fournis chaque année par le Gouvernement pour tendre vers l’équilibre de nos finances publiques, mais aussi à diluer la responsabilité qu’il tient de l’article 20 de la Constitution.
Par ailleurs, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf) a assoupli les conditions de recevabilité des amendements de crédits portant sur une loi de finances. En effet, son article 47 précise que « la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant aux crédits [de] la mission ».
Ainsi, si le Gouvernement reste le seul compétent pour créer une mission, les parlementaires peuvent modifier à la hausse ou à la baisse les crédits des programmes composant une mission ou créer un nouveau programme, à condition de ne pas augmenter les crédits de la mission.
Au-delà de la lettre de l’article 40, la pratique suivie par les assemblées et le Conseil constitutionnel laisse une grande marge d’appréciation au Parlement pour la mise en œuvre de l’irrecevabilité financière.
Ainsi, le Conseil constitutionnel ne se déclare compétent pour connaître d’une violation de l’article 40 que lorsque le Parlement s’est préalablement prononcé. Cette règle du « préalable parlementaire » souligne le rôle central exercé par le Parlement dans la procédure.
Les assemblées ont su s’approprier ce rôle, à tel point qu’une partie de la doctrine n’hésite pas à qualifier le Parlement de juridiction de premier degré, l’appel étant réservé au juge constitutionnel.
Ainsi, les rapports de recevabilité financière des amendements et des propositions de loi représentent des « bréviaire[s] indispensable[s] pour connaître et comprendre les subtilités de l’application de l’article 40 de la Constitution », comme le relevait le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand.
Le rapport d’information sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale de 2022 d’Éric Woerth et le rapport d’information sur la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat de 2014 de Philippe Marini détaillent avec précision la jurisprudence abondante et bien établie de la recevabilité financière par les présidents successifs de la commission des finances de chaque chambre.
Les présidents de la commission des finances visent de façon continue à concilier le respect des exigences organiques et constitutionnelles avec la volonté de favoriser l’initiative parlementaire.
Toute décision de recevabilité financière est motivée et peut faire l’objet d’une explication détaillée à la demande du parlementaire auteur de l’amendement par le président de la commission des finances.
Enfin, les statistiques ne permettent pas de conclure à une censure massive des amendements sur le fondement de l’article 40. Lors de la précédente législature, seulement 8,4 % des amendements déposés en séance publique ont été déclarés irrecevables, et seulement une proposition de loi.
Vous l’avez compris, le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de loi constitutionnelle.
Je ne suis pas certain que faire de l’article 40 de la Constitution le responsable de tous nos maux nous apporte une quelconque solution, car il n’est que l’un des instruments classiques du parlementarisme rationalisé.
D’ailleurs, en cohérence avec la position de la commission des lois, je note que, parmi les quarante propositions pour une révision de la Constitution utile à la France émises par le Sénat en 2018, aucune ne visait l’article 40.
En outre, une éventuelle réflexion sur l’irrecevabilité financière des propositions de loi et des amendements parlementaires devrait de toute évidence s’inscrire dans le cadre d’un débat beaucoup plus large sur la modernisation et l’équilibre de nos institutions.
Le Président de la République a annoncé des travaux transpartisans en ce sens et je sais d’ores et déjà que le Sénat y prendra toute sa part. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en préambule, permettez-moi d’adresser à mon tour un clin d’œil à notre ancienne collègue Éliane Assassi, en espérant qu’elle nous regarde.
Je pense pouvoir affirmer que nous sommes nombreux dans cet hémicycle à être passés, un jour ou l’autre, sous les fourches caudines de la commission des finances, après qu’un amendement auquel nous tenions a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Je suis d’ailleurs intervenu personnellement plusieurs fois en séance à ce sujet – moins toutefois que notre ancien collègue Jean-Pierre Sueur, qui avait à juste titre fait de cette question un leitmotiv (M. le garde des sceaux sourit.) – pour m’offusquer du sort qui avait été réservé à certains de mes amendements, lequel suscitait à tout le moins mon incompréhension.
À titre d’exemple, lors de l’examen du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante à la fin de l’année 2021, j’ai proposé un amendement visant à réintroduire le stage obligatoire de préparation à l’installation pour les futurs entrepreneurs. Ce stage, organisé par les chambres des métiers et de l’artisanat, était selon moi un gage de réussite pour les jeunes entreprises.
Par le passé, ce stage était intégralement autofinancé, car la ressource que constituaient les redevances de formation acquittées par les stagiaires couvrait les frais d’organisation. Cet amendement ne créait donc aucune charge ni pour les chambres des métiers ni pour l’État ! Pourtant, il a été déclaré irrecevable par la commission des finances au motif que « la dépense découlant de l’organisation de ces formations ne [pouvait] être compensée par la ressource que constitue la redevance acquittée par les stagiaires ».
Un autre amendement, que j’ai déposé en 2019, visait à donner la possibilité à la Collectivité européenne d’Alsace – vous connaissez mon attachement à cette région (Sourires.) –, mais également au conseil départemental de la Moselle de pouvoir présenter au Gouvernement des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions en vigueur ou en cours d’élaboration concernant le droit local alsacien-mosellan. Il m’a été rétorqué, ici même, que cette nouvelle disposition créerait une charge publique pour les collectivités concernées, alors que, je le répète, ces dernières auraient juste formulé des propositions.
Au demeurant, je rappelle à mon tour, comme l’a fait mon collègue Pascal Savoldelli avant moi, que les collectivités locales doivent bien entendu veiller à l’équilibre de leur budget et que, si elles décident d’exercer des compétences nouvelles et d’assumer des charges supplémentaires, elles doivent naturellement diminuer d’autres dépenses ou créer d’autres recettes.
Il est parfois difficile, mes chers collègues, de comprendre la logique des irrecevabilités prononcées, dont les motivations sont – j’ose le dire ! – lapidaires et non susceptibles de recours.
Faut-il pour autant abroger l’article 40, comme le suggèrent les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle dont nous sommes saisis ? La question se pose assurément, surtout si l’on se souvient que deux éminents présidents, respectivement de la commission des finances du Sénat et de celle de l’Assemblée nationale, Jean Arthuis et Didier Migaud – il ne s’agit pas de n’importe qui ! –, ont fait cette même proposition dès 2008.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. André Reichardt. Pour ma part, comme le rapporteur et les membres de la commission des lois, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi constitutionnelle. En revanche, je considère que des voies conduisant à un assouplissement de l’article 40 doivent être sérieusement recherchées, et ce pour plusieurs raisons.
Depuis près de treize ans que je siège dans cette maison, j’observe que l’interprétation de la commission des finances est devenue de plus en plus sévère et stricte. Sa jurisprudence s’enrichit régulièrement de nouvelles décisions, dont tous les auteurs des amendements déposés ultérieurement doivent ensuite tenir compte.
À titre d’exemple, avant 2019, on estimait que, lorsqu’elle pouvait être absorbée à moyens constants, une hausse de charge imposée à une institution pouvait être considérée comme une simple charge de gestion. Ce n’est plus le cas depuis lors, comme le montre l’un des cas que je viens d’évoquer.
Par ailleurs, il est clair que l’article 40 nuit à la qualité du débat budgétaire. En empêchant les parlementaires d’arbitrer entre les dépenses des différents ministères, il bride assurément le débat sur le volet relatif aux dépenses du projet de loi de finances. Surtout, il empêche quelquefois – je suis prêt à vous le prouver – de proposer des réformes de structure permettant pourtant d’améliorer l’efficacité de l’action publique. Dans ce dernier cas, le véritable sens de l’article 40 est perdu. L’article tue ainsi certainement quelques initiatives parlementaires qui permettraient pourtant d’atteindre l’objectif du constituant !
D’ailleurs, si l’article 40 empêchait la dérive de la dépense publique, cela se saurait ! Faut-il rappeler ici que notre endettement s’élève à plus de 3 000 milliards d’euros ?
M. Éric Bocquet. Une paille !
M. André Reichardt. Une paille, en effet !
Quant aux comparaisons internationales, elles montrent que l’article 40 est un verrou de trop grande ampleur. Comme l’a indiqué mon collègue Pascal Savoldelli, dans la majorité des pays de l’OCDE, le pouvoir d’amendement des parlementaires en matière financière n’est tout simplement pas encadré. (M. Pascal Savoldelli acquiesce.) Qui plus est, lorsque l’on compare notre dispositif à celui qui est en vigueur dans d’autres pays, force est de constater que notre encadrement est plus strict, voire absolu.
Enfin, et cet argument a été avancé par notre collège Roger Karoutchi il y a déjà quelques années, l’article 40 a été introduit en 1958 dans notre Constitution pour mettre fin aux errances budgétaires de la IVe République ! Tant que l’État présentait un budget à l’équilibre, la règle avait du sens. Elle en a beaucoup moins depuis quarante ans, alors qu’un budget en déséquilibre est voté chaque année. (« Eh oui ! » sur les travées du groupe CRCE-K.)
Que faire dans ces conditions ? Quels assouplissements apporter ?
Si d’aventure, monsieur le garde des sceaux, un projet de loi constitutionnelle de modernisation et de rééquilibrage de nos institutions venait à voir le jour, ce serait incontestablement une bonne occasion de revenir sur ce parlementarisme rationalisé à la française, qui limite trop significativement l’initiative parlementaire.
Dans l’attente d’une telle modification, très hypothétique bien sûr, pourquoi ne pas modifier le règlement des assemblées parlementaires ?
D’abord, il s’agirait d’harmoniser les pratiques entre le Sénat et l’Assemblée nationale, lesquelles sont à l’heure actuelle différentes. Je sais bien, et vous l’avez écrit, monsieur le rapporteur, que des améliorations ont été apportées, mais vous avez aussi eu l’honnêteté de relever les différences, de taille pour certaines, existant entre les deux assemblées.
Ensuite, nous pourrions favoriser le contact préalable avec les auteurs des amendements susceptibles de poser un problème financier, plutôt que de leur opposer une fin de non-recevoir qui coupe court à tout débat. La commission des finances pourrait même, le cas échéant, suggérer des modifications afin de rendre ces amendements recevables.
Il est précisé dans le rapport que des contacts sont pris à cette fin. Je dois dire que je ne suis pas parmi les heureux – les chanceux – qui ont pu bénéficier de tels conseils.
Enfin, vous avez également eu l’honnêteté de le souligner, monsieur le rapporteur, une réforme, une modification, une adaptation du règlement des assemblées, serait susceptible de renforcer la motivation des décisions d’irrecevabilité et de formaliser une voie de recours sérieuse.
À cet égard, on rappellera ici que c’est le président de la commission des finances qui examine la recevabilité financière des amendements. Il le fait certes à titre consultatif, à la demande du président de la commission saisie au fond, mais sa position est bien entendu toujours suivie. Je n’ai pas souvenir que la commission des lois, où je siège depuis tant d’années, ait jamais examiné un amendement ayant été déclaré irrecevable par le président de la commission des finances au titre de l’article 40.
Sur ces différents axes de travail, monsieur le rapporteur, j’ai bien noté, à la lecture de votre rapport, que vous estimiez que la procédure déjà en vigueur au Sénat « donn[ait] satisfaction ». Pour ma part, je n’en suis pas certain – et c’est un euphémisme.
Vous évoquez les courriers électroniques motivant les déclarations d’irrecevabilité qui nous sont adressés ; or ceux-ci sont lapidaires. J’en tiens à votre disposition, monsieur le rapporteur. Je l’ai dit, les réponses du président de la commission des finances aux demandes d’explications complémentaires interviennent souvent après la tenue de la réunion de la commission, voire de la séance publique, c’est-à-dire trop tard. Or cela n’apporte pas grand-chose d’avoir raison trop tard !
Mme Nathalie Goulet. Eh oui…
M. André Reichardt. Vous évoquez qu’il est déjà possible de saisir le président de la commission des finances d’un « recours gracieux ». Combien de recours gracieux de ce type ont été adressés aux présidents respectifs des commissions des finances ? Combien ont abouti ?
Bien entendu, pour apporter ces différents assouplissements dans un domaine juridiquement sensible et difficile, on le sait bien, une expertise préalable du Conseil constitutionnel serait tout à fait utile, voire nécessaire, à condition que le principe d’une réforme des règlements des assemblées parlementaires puisse être décidé et acté.
En tout état de cause, et je terminerai sur ce point, mes chers collègues, le statu quo n’est selon moi pas possible. En effet, d’une part, l’article 40 limite trop fortement l’initiative parlementaire, d’autre part, on doit légitimement s’interroger sur la cohérence d’un dispositif qui autorise des parlementaires à créer des dépenses fiscales de plusieurs milliards d’euros tout en interdisant une aggravation, même minime, d’une charge publique.
Telles sont les quelques observations, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, dont je souhaitais vous faire part.
Vous l’avez compris, je ne voterai pas cette proposition de loi constitutionnelle, mais je demande ardemment que, dans cette maison, dans les assemblées parlementaires, on envisage d’examiner ces questions et de leur donner une suite sérieuse. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault.
M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 40 de notre Constitution interdit aux parlementaires d’aggraver la dépense publique ou de réduire les impôts. Il leur est impossible de dégrader l’équilibre de nos finances publiques.
Le constat est sans appel : l’existence de cet article ne suffit pas à nous prémunir contre le fléau de la dette publique. Les intérêts de la dette nous ont coûté 50 milliards d’euros cette année et pourraient atteindre 70 milliards d’euros à l’avenir.
Nos collègues du groupe CRCE-K nous proposent aujourd’hui d’abroger l’article 40. Or cet article est l’un des rares qui n’aient pas été modifiés depuis 1958. Y toucher, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, c’est revenir sur l’esprit du parlementarisme rationalisé, dont cet article est l’un des principaux garants. Doit-on pour autant s’en indigner au point de souhaiter son abrogation ?
Le privilège de la dépense budgétaire appartient à l’exécutif. Est-ce un mal ? Nous ne le pensons pas, tant que ce privilège reste encadré. Il y va de l’équilibre de nos institutions. Bien sûr, nous ne sommes pas plus dépensiers que le Gouvernement, mais il suffirait que nous le soyons pour précipiter la France vers le naufrage.
Plutôt que de vouloir accaparer un pouvoir qui nous conduirait, sans aucun doute, à succomber aux tentations, à céder aux dérives en tous genres et aux propositions démagogiques et électoralistes, renforçons notre pouvoir de contrôle afin d’éviter toute gabegie.
Peut-être le problème n’est-il pas cette limitation qui peut donner à certains le sentiment d’être empêchés. Peut-être le véritable problème est-il dans la lecture que nous faisons de nos institutions. Oui, le Gouvernement dispose du privilège budgétaire, mais le Parlement a, lui, un pouvoir de contrôle. Dans ces conditions, pourquoi passons-nous trois mois à examiner le projet de loi de finances et seulement trois semaines à l’évaluer ?
Abroger l’article 40 reviendrait donc à repenser l’esprit de nos institutions. Si vous pensez que nos institutions ne fonctionnent pas bien et si vous souhaitez les déséquilibrer, nous sommes plutôt de ceux qui souhaitent changer la façon de les incarner.
En revanche, le Gouvernement jouit d’un privilège budgétaire, non plus constitutionnel, mais factuel et totalement inique : celui de pouvoir accaparer des ressources, bien trop souvent aux dépens des collectivités territoriales, et ce malgré l’article 72-2 de notre Constitution, censé protéger nos collectivités contre toute non-compensation financière.
Combien de décisions prises passent outre cet article 72-2, malgré une jurisprudence constitutionnelle très stricte ? Tant de dépenses sont imposées à nos collectivités, qui sont pourtant de bien meilleures gestionnaires que l’État !
Oui, nous souhaitons conserver l’esprit de notre Constitution, de toute la Constitution, et nous tenir du côté de ceux qui veulent réincarner nos institutions plutôt que les déséquilibrer. Il semblerait qu’il faille non pas abroger l’article 40, mais le compléter au profit des collectivités territoriales.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc contre cette proposition de loi constitutionnelle.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il est dommage qu’aucun membre de la commission des finances ne participe à notre débat – probablement parce que se tient en ce moment même une réunion sur le projet de loi de finances. Cela nous aurait permis d’avoir un débat contradictoire et de bénéficier d’explications bienvenues.
Nous en avons rêvé, le groupe CRCE-Kanaky l’a fait : proposer la suppression de l’article 40.
Monsieur le garde des sceaux, seuls 8 % des amendements sont déclarés irrecevables au titre de l’article 40 ; ce n’est pas beaucoup, dites-vous. Pourtant, quand ces amendements sont les vôtres, c’est cruel ! Voyez-vous, nos amendements sont un peu comme nos enfants : ce sont toujours les plus beaux. (Sourires.)
Jean Arthuis et Didier Migaud ont été cités à de nombreuses reprises.
Didier Migaud, en séance publique à l’Assemblée nationale, le 23 mai 2008, déclarait que, « pour soutenir l’abrogation de l’article 40, nous estimons que le droit d’amendement doit être exercé dans toute sa plénitude par l’ensemble des parlementaires ».
Il réitérait le 10 février 2010 : « Mes chers collègues, faute d’avoir su convaincre une majorité d’entre vous de supprimer l’article 40, comme nous l’avions proposé avec Jean Arthuis – une référence ! –, je m’efforce d’appliquer cette disposition avec le discernement et la souplesse qui s’imposent. Je travaille, du reste, sur des assouplissements possibles de cette règle, dans le souci de favoriser mieux encore l’initiative parlementaire. » Il est vrai que des assouplissements relèvent des règlements de nos assemblées.
Nous avons eu de nombreux débats sur cette question. Le groupe Union Centriste, dans son ensemble, n’est pas favorable à la suppression de l’article 40.
Nous avons assisté à des débats totalement ubuesques sur certains sujets, par exemple lorsqu’il s’est agi d’augmenter le salaire des secrétaires de mairie. Nous avons déposé un amendement en ce sens, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40, alors qu’une telle augmentation n’aurait pas créé de charge nouvelle, car elle se serait faite de manière bornée, non pas parce que nous sommes bornés, mais parce que le budget des collectivités est, lui, borné. Il ne peut pas être en déficit. Notre amendement n’aurait donc pas dû être déclaré irrecevable.
Notre proposition d’accorder la protection fonctionnelle aux conseillers municipaux n’ayant pas de délégation a elle aussi été déclarée irrecevable au titre de l’article 40, alors qu’une telle protection entre dans le cadre du budget de la collectivité, qui, je le répète, ne peut pas être en déficit.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Par ailleurs, pourquoi l’appréciation portée sur la recevabilité d’un amendement est-elle différente à l’Assemblée nationale et au Sénat ? Il faudrait pour le moins harmoniser les critères d’appréciation, les différences devenant totalement grotesques et inexplicables.
Cela fait seize ans que je siège dans cette maison, aucun des recours que j’ai déposés n’a abouti ! Peut-être que mes amendements sont très mauvais, mais j’ai plutôt tendance à penser que ce sont les recours qui ne fonctionnent pas…
Monsieur le garde des sceaux, l’article 40 nous est également opposé lorsque nous proposons de réaliser des économies, en luttant par exemple contre la fraude sociale.
Il faut savoir qu’un étranger vivant en France, par exemple un Américain, qui dispose d’un contrat de travail, d’une carte de séjour et d’une carte Vitale, continue de bénéficier de ses droits lorsque son titre de séjour expire et qu’il n’est plus en situation régulière. Aussi, alors qu’il n’y a pas de lien aujourd’hui entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale, nous proposons d’établir une connexion entre eux. Or cette proposition a été déclarée irrecevable – boum, article 40 ! –, alors qu’elle permettrait notamment de réaliser des économies.
Lorsque nous proposons des amendements, une évaluation devrait avoir lieu et, si elle montre que leur adoption n’entraînerait pas d’économies, l’article 40 pourrait être invoqué, puisqu’il sert justement à cela. Lorsque nos amendements sont déclarés irrecevables sans une telle évaluation, cela crée naturellement une certaine frustration.
Mes collègues l’ont dit, l’article 40 n’empêche pas les budgets en déficit. À cet égard, j’évoquerai quelques exemples frappants, notamment le développement du logiciel Louvois, qui a coûté pratiquement 465 millions d’euros. Le Parlement n’y est pour rien, le Gouvernement est capable de créer tout seul un déficit abyssal.
Je rappellerai également la construction de la centrale de Flamanville. (M. André Reichardt s’exclame.) Alors que son coût initial était évalué à 3 milliards d’euros, il est passé à 19,5 milliards d’euros. En pareil cas, il n’y a pas d’article 40. C’est un peu dommage.
J’en viens à un autre sujet important, les études d’impact. Celles-ci sont mal chiffrées, alors qu’elles induisent des votes. Or il n’existe aucun moyen d’attaquer une étude d’impact au motif que le financement d’un texte n’est pas assuré ou qu’elle n’est pas assez éclairante, l’étude d’impact n’étant pas un objet juridique. C’est donc assez déloyal à l’égard du Parlement. Deux recours ont néanmoins été formés devant le Conseil constitutionnel en raison des insuffisances de l’étude d’impact de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
Vous le voyez, la situation est donc relativement déséquilibrée entre le Parlement, qui est brimé par l’article 40, et le Gouvernement, qui ne donne pas forcément aux parlementaires les informations suffisantes pour lui permettre de juger de la qualité de tel ou tel élément.
Parce qu’il estime que les conditions ne sont pas réunies pour supprimer l’article 40, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi constitutionnelle. À titre personnel, par conviction et aussi par amitié pour Éliane Assassi, je voterai ce texte, car j’estime qu’il faut absolument faire évoluer cet article.
Il faut en effet davantage prendre en considération la nature des amendements qui sont proposés, notamment lorsqu’ils sont bornés et concernent les collectivités territoriales, le Sénat étant particulièrement impliqué sur ces sujets. Je ne reviendrai pas sur les amendements visant à augmenter le salaire des secrétaires de mairie ou à accorder la protection fonctionnelle aux conseillers municipaux n’ayant pas de délégation, qui sont des cas typiques. Il faudrait tout de même que l’on puisse discuter de ces questions avec la commission des finances avant l’examen du projet de loi de finances pour 2024, que nous entamerons dans quelques jours.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué les quarante propositions pour une révision de la Constitution utile à la France formulées par le Sénat et rappelé qu’aucune ne visait l’article 40. Je pense que, dans le cadre de ces travaux, le problème que pose cet article a été totalement oublié.
Les déclarations d’irrecevabilité suscitent de la frustration, alors qu’un certain nombre des amendements concernés sont totalement pertinents – je pense à ceux qui visent à réaliser des économies. C’est injuste pour les parlementaires. Il faut par ailleurs réfléchir au cas des amendements qui sont bornés et à une harmonisation avec l’Assemblée nationale.
Je remercie le groupe CRCE-Kanaky d’avoir inscrit cette proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour de nos travaux. (Mme Dominique Vérien applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe CRCE-K d’avoir déposé la proposition de loi constitutionnelle qui nous est aujourd’hui soumise et que nous soutenons, je le dis d’emblée.
Notre système politique place le vote du budget au cœur de la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Nous le savons – nous le voyons trop souvent avec le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution–, le pouvoir d’établir les dépenses appartient au Gouvernement et à sa majorité dans notre système politique et constitutionnel. Ce constat vise non pas à remettre en cause le privilège de l’exécutif en matière budgétaire, mais à contester sa suprématie presque absolue.
Le Gouvernement et sa majorité sont les seuls à pouvoir engager les dépenses de l’État. En miroir, l’initiative de création ou d’aggravation de charges publiques est proscrite en principe pour les parlementaires.
Si l’objectif de sérieux et de rigueur des comptes publics est partagé par tous, l’incapacité de créer de nouvelles dépenses, mais surtout l’interprétation de l’article 40 sont un réel problème pour le Parlement, car ils nuisent à sa capacité d’agir et de mettre en œuvre sa volonté. De plus, l’application stricte de cet article n’a en rien empêché la dégradation des comptes publics et l’accroissement de la dette, comme vient de le démontrer avec brio Nathalie Goulet.
De fait, l’article 40 peut concrètement être utilisé comme un outil politique de censure du Parlement, en particulier des groupes de l’opposition. Récemment, l’utilisation abusive de cet étau budgétaire lors du débat sur la réforme des retraites a profondément inquiété députés et sénateurs.
« En effet, l’exception d’irrecevabilité financière invoquée à l’endroit de propositions de loi a récemment donné lieu à de vifs débats politiques, dans un contexte marqué par une majorité devenue relative à l’Assemblée nationale. » Ainsi s’exprime Stéphane Le Rudulier dans son rapport.
L’interprétation subjective de ce qui constitue une charge publique provoque régulièrement la censure contestable de certains amendements, à l’instar de la déclaration d’irrecevabilité ayant frappé un amendement déposé par les sénateurs écologistes visant à instaurer le bio dans les cantines scolaires. Pourtant, loin d’induire une charge publique supplémentaire, cet amendement, s’il avait été adopté, aurait pu entraîner une baisse de la dépense publique.
J’ai personnellement été victime de l’article 40, un amendement que j’avais déposé visant à permettre la création d’une réserve pour les marins-pompiers de Marseille ayant été déclaré irrecevable. Ma proposition n’a pu être adoptée que parce que le Gouvernement a accepté de déposer un amendement à l’objet similaire au mien.
Oui, il est fait une interprétation stricte, trop stricte, de ce qui constitue une charge publique.
Certains d’entre nous, quelle que soit leur sensibilité politique, ont par le passé déposé des amendements visant, par exemple, à prévoir des consultations de prévention ou des prises en charge susceptibles de permettre à long terme de réaliser de nombreuses économies – consultations en addictologie ou consultations de vaccination contre les virus HPV. On ne prend pourtant jamais en compte les dépenses que de telles consultations permettraient d’éviter ni les économies qu’elles permettraient de réaliser dans le futur.
L’absence de discussion conduit à un appauvrissement du parlementarisme. Tel qu’il est appliqué, l’article 40 ne permet même pas aux auteurs des amendements ou des propositions de loi déclarés irrecevables de défendre leur travail et d’expliquer qu’il n’entraînerait pas une détérioration des finances publiques, voire qu’il pourrait au contraire les assainir.
Alors que nombre de ministres déplorent ce qu’ils appellent le dérapage des dépenses liées aux arrêts maladie, par exemple, pourquoi ne pas permettre la discussion d’amendements ou de propositions de loi tendant à explorer de nouvelles pistes susceptibles de permettre la mise en œuvre d’une médecine du travail plus efficace et valorisée ?
Par ailleurs, que faire quand l’exécutif fait des annonces sans les budgétiser ? Pourquoi interdire aux parlementaires de proposer des mesures permettant par exemple la purification de l’air dans nos hôpitaux ou le nécessaire accompagnement financier par l’État d’un réel développement des transports publics dans nos territoires ?
Le rapporteur a souligné les difficultés rencontrées lors de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) : « Alors même que ces textes impliquent souvent la discussion de la répartition des compétences entre collectivités territoriales, des amendements tendant à modifier celle-ci sont régulièrement considérés comme créant de nouvelles charges et, partant, sont déclarés irrecevables. » Monsieur le garde des sceaux, il devient kafkaïen, pour ne pas dire impossible, de débattre d’une répartition des compétences et d’une réorganisation territoriale, celles-ci impliquant forcément de nouvelles charges. De tels débats sont pourtant nécessaires.
Loin de responsabiliser les parlementaires en les rendant attentifs à la dépense publique, l’article 40 les tient en marge de leurs obligations.
Son application aux propositions de loi a plusieurs conséquences.
Tout d’abord, elle réduit la portée de l’initiative parlementaire. En effet, comment proposer sans dépenser ? L’exemple de l’instauration d’un revenu universel est à cet égard éclairant. Si des études montrent les bénéfices économiques d’une telle mesure, y compris pour le budget de l’État, comment expliquer qu’il ne soit possible d’en discuter que par des voies législatives non normatives – propositions de résolution, débats ou questions écrites ?
En outre, monsieur le garde des sceaux – nul doute que vous serez sensible à cet argument –, l’article 40 a un effet assez pervers. À titre d’exemple, en matière pénale, lorsqu’une adaptation du droit est nécessaire, les parlementaires semblent avoir tendance, parce qu’ils ne peuvent pas proposer de mesures d’accompagnement coûteuses, à se replier sur des sanctions, telles de nouvelles peines de prison ou la création de nouvelles incriminations, sans prendre en compte la charge de travail qui en résultera pour les tribunaux ou le système pénitentiaire. Pas d’irrecevabilité dans ce cas-là !
Nous regrettons, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, qu’aucune des pistes d’assouplissement évoquées n’ait paru souhaitable à la commission, ne serait-ce que l’exclusion des propositions de loi de l’article 40 pour éviter le jeu de dupes qu’a constitué par exemple l’étude de la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites portant l’âge légal de départ à 64 ans déposée par le groupe Liot à l’Assemblée nationale.
Le groupe GEST s’engage en faveur d’un parlementarisme raisonnable et affirmé et votera, je le rappelle, cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre Constitution, l’article 40 est un outil constitutionnel comparable à l’article 49, alinéa 3, dont la seconde salve s’abat sur l’Assemblée nationale. Tout comme lui, il s’apparente à une véritable tenaille, qui enserre la capacité des parlementaires – en l’espèce, à proposer une nouvelle dépense. L’article 49.3, c’est le couperet ; l’article 40, c’est la tenaille.
Souhaitant renforcer ici la démocratie parlementaire, nous demandons l’abrogation de cet article.
Mes chers collègues, la cohérence politique de notre groupe est incontestable, et nous avons pour nous la constance.
Le rapporteur de ce texte, notre collègue Stéphane Le Rudulier, a estimé que le paradoxe de finances publiques qui sombrent depuis les années 1970 alors même que les parlementaires étaient interdits de dépenser était un argument qui paraît « fallacieux ». Nous souscrivons !
Chers collègues de la majorité, vous vous apprêtez néanmoins à voter un cinquantième budget en déficit d’affilée. Mais, si l’endettement public était de 74 milliards d’euros en 1978, il atteint le montant faramineux de 3 046 milliards d’euros au second trimestre de cette année.
Si vous n’avez pas directement majoré les dépenses, vous ne vous êtes pas privés de rogner les recettes fiscales, en multipliant les réductions d’impôt, crédits d’impôt, niches fiscales et autres formes de démantèlement des recettes de l’État. Vous en avez le droit, car ce n’est pas stricto sensu une « dépense » : c’est bien, au sens de l’article 40 de la Constitution, une « diminution des ressources publiques », que vous gagez par une autre recette. Enfin, si c’est légistiquement vrai, c’est politiquement trompeur !
Si toutes les majorations du prix du tabac que vous avez demandées en créant ou prolongeant des niches fiscales avaient effectivement eu lieu, le paquet de cigarettes avoisinerait sans nul doute aujourd’hui les 1 000 euros ! Voilà le sérieux budgétaire prôné par les tenants de la rigueur…
Les membres du Gouvernement, notamment le ministre actuel de l’économie, M. Bruno Le Maire, se plaisent à fustiger des oppositions dépensières, alors qu’elles n’ont pas le droit de l’être par voie d’amendement.
Finalement, toute l’argumentation consiste à présumer l’irresponsabilité budgétaire des parlementaires, un comble quand les propositions de recettes nouvelles que notre groupe formule à hauteur de dizaines de milliards d’euros chaque année, à l’occasion de chaque loi de finances, sont rejetées au nom d’une « doctrine fiscale de la terre brûlée ».
Les parlementaires se font hara-kiri et, d’une certaine manière, entérinent leur soumission à l’exécutif, au seul motif qu’il « détermine et conduit la politique de la Nation », conformément à l’article 20 de la Constitution. Chers collègues, ne déposez plus d’amendements sur aucun texte, de sorte à vous appliquer vos propres préconisations !
Vous reconnaissez, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement est seul légitime à formuler certaines propositions. Vous reconnaissez que l’article 40 est un outil contre le progrès social et, enfin, qu’il vous empêche de vous confronter à vos paradoxes en matière budgétaire.
Nous allons examiner un budget avec 358 amendements choisis par le seul Gouvernement, dans le cadre du détestable 49.3, exonérant ainsi ces nouvelles dispositions d’étude d’impact, donc de chiffrage financier. L’irresponsabilité n’est pas toujours là où on le croit…
Vous balayez tour à tour toute proposition de réforme de l’article 40 de la Constitution, au profit d’une amélioration timide de l’explication des raisons pour lesquelles il s’abat sur les parlementaires. Ne feignez pas de vouloir nous expliquer ce que nous comprenons bien assez…
Cette modification à la marge, éventuellement, du règlement du Sénat revient à nier l’importance démocratique du sujet.
Notre rapporteur a comparé notre Parlement au Parlement britannique. C’est un mauvais exemple, tant celui-ci est lui-même particulièrement bâillonné et pris dans des dynamiques majoritaires… Le Parlement français est quant à lui singulier : il est particulièrement maltraité et dépossédé de prérogatives budgétaires.
Monsieur le rapporteur, vous ne voulez pas de l’abrogation. Vous considérez qu’il faut conserver un corset parlementaire. Au moins pouviez-vous considérer de le desserrer !
Vous l’avez fait lors de notre échange, lequel a été cordial, respectueux et apprécié de part et d’autre. Vous dénonciez, vous aussi, l’effet couperet.
Vous avez avancé des propositions fort intéressantes, qui auraient pu nous rassembler, comme l’exigence de l’évaluation du coût effectif d’un amendement ou l’exercice d’un droit d’appel. Vous avez déclaré dans votre intervention que l’on aurait pu imaginer un aménagement pour fixer le montant de l’impact budgétaire de tel ou tel amendement, pour décider finalement qu’un tel aménagement était aventureux et qu’il n’était pas de saison.
Ces propositions n’apparaissent pas dans le texte, et c’est bien dommage. Décidément, on ne peut pas toucher à la loi d’airain de l’article 40 !
Toutes ces pistes sont refusées aujourd’hui. Chacun semble se complaire dans l’impuissance budgétaire. Pour notre part, nous nous réjouissons d’assister à un vrai débat autour d’une vision commune du Parlement, plaidant légitimement pour donner aux parlementaires les moyens de donner les moyens à la Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Nathalie Goulet et Vincent Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai mon propos par une anecdote presque insignifiante dans la vie d’un parlementaire : voilà deux semaines, lors de l’examen de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, j’ai déposé mon premier amendement, lequel visait à élargir la protection fonctionnelle.
Je me suis heurté à la règle de l’article 40 de la Constitution, interdisant qu’un amendement conduise soit à une diminution des ressources publiques, soit à la création ou l’aggravation d’une charge publique. Rien de plus banal.
En conséquence de cette irrecevabilité, j’ai pris la parole dans l’hémicycle pour interpeller la ministre, et j’ai obtenu du Gouvernement l’engagement d’étudier le sujet et de déposer un amendement au cours de la navette.
D’où un étonnement légitime : n’aurait-il pas été plus simple que nous examinions directement l’amendement sénatorial, plutôt que d’être réduits à attendre et espérer sans certitude un amendement du Gouvernement ?
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Ahmed Laouedj. Il y avait de quoi sortir frustré d’un tel échange.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. Ahmed Laouedj. Bien entendu, la question de la recevabilité financière est celle de la maîtrise de la dépense publique. Cependant, sur ce point, nous faisons face à un premier paradoxe.
Comme chacun sait, le fondement de l’article 40 est de laisser au Gouvernement le privilège de la dépense publique, ce qui sous-entend que le Parlement n’aurait pas la pleine capacité de savoir ce qui est bon ou non pour notre budget.
Nous l’admettons. Ainsi, lors de l’examen des missions du projet de loi de finances, nous avons souvent du mal à évaluer le montant exact et réel des dépenses que nous proposons… Sauf qu’en laissant au Gouvernement ce privilège, la dette publique n’a jamais cessé de s’aggraver ! Les budgets présentés depuis des décennies n’ont jamais été réellement équilibrés.
Autrement dit, l’aggravation de la dépense publique que nous observons est produite uniquement par l’exécutif. Je crois qu’un tel constat doit nous amener à nous interroger sur la pertinence du critère financier comme argument dans la limitation du droit d’amendement.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. Ahmed Laouedj. Notre frustration est donc légitime, tout comme l’est l’examen d’une solution radicale. Je pense ici à celle que proposent les auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle : l’abrogation de l’article 40 de la Constitution.
Pour autant, je ne crois pas que ce soit la meilleure réponse à apporter.
Je veux rappeler les mots de Michel Debré lorsqu’il présentait la future Constitution de la Ve République : « Le projet de Constitution, rédigé à la lumière d’une longue et coûteuse expérience, comporte certains mécanismes très précis qui n’auraient pas leur place dans un texte de cette qualité si nous ne savions qu’ils sont nécessaires pour changer les mœurs. » Parmi ces mécanismes, nous pouvons compter ceux qui entourent le droit d’amendement, et plus particulièrement l’article 40.
En guise d’exemple, nous avons tous souffert, l’an dernier, de la manière dont s’est déroulé l’examen du projet de loi de finances. Qu’avons-nous constaté ? Une inflation significative du nombre d’amendements, conduisant à des débats bridés.
J’en tirerai deux conclusions : d’une part, malgré l’article 40, nous sommes bien capables d’amender ; d’autre part, en dépit de limitations peut-être excessives, nous sommes tout de même capables de trop amender.
Si chacun avait su montrer, au cours de ces dernières décennies, de la mesure et un usage raisonnable et sans excès de son droit, limitant au possible les amendements d’appel ou ceux dont le sort qui leur serait réservé était si évident qu’ils n’avaient que peu d’intérêt à être discutés, alors peut-être aurions-nous pu envisager une ouverture du droit d’amendement.
Rien ne l’indique, hélas ! Certes, le droit d’amendement est essentiel à notre Parlement. Ce droit doit être protégé et défendu. Nous le disons avec d’autant plus de conviction que le RDSE est un petit groupe, qui compte grandement sur ce droit pour s’exprimer.
Mais, de manière paradoxale, c’est aussi parce qu’il est limité et encadré qu’il trouve encore une forme d’intérêt et de légitimité.
Ces limites ordonnent notre discussion et nos échanges. Elles frustrent souvent, mais, sans elles, chacun sait combien nous risquerions de perdre du temps à discuter autour de dispositifs irréalisables et de débats sans contenu concret.
Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons majoritairement contre cette proposition de loi constitutionnelle.
Mme Nathalie Goulet. Je suis déçue !
M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est au moment même où l’équilibre budgétaire de l’État est le plus fragile, car la puissance publique a joué son rôle de protection pour nos concitoyens, qu’il nous est proposé de supprimer un dispositif qui vient, précisément, réguler la dépense publique. C’est un curieux paradoxe.
L’irrecevabilité financière des initiatives parlementaires est le fruit d’une rationalisation progressive et maîtrisée du parlementarisme.
Cette évolution est observable dans la plupart des démocraties parlementaires comparables à la nôtre, tout simplement parce qu’elle répond, partout, aux mêmes nécessités : celle de contenir l’extension croissante de la dépense publique, et celle qui consiste à partager la contrainte de l’équilibre budgétaire avec celle ou celui qui propose une dépense supplémentaire.
L’irrecevabilité financière prend racine en France sous la IIIe République, pourtant traditionnellement présentée comme étant l’âge d’or du parlementarisme dans notre pays. Dès 1920, on la retrouve dans le règlement de la Chambre des députés. Elle sera, par la suite, confirmée au niveau constitutionnel, par l’article 17 de la Constitution de 1946.
Il est donc inexact de relier ce mécanisme de régulation de la dépense publique au régime de la Ve République.
L’irrecevabilité financière des initiatives parlementaires est aujourd’hui prévue à l’article 40 de notre Constitution, que nos collègues communistes nous invitent à supprimer.
Jugé nécessaire par le constituant originaire durant les travaux préparatoires de la Constitution de la Ve République et jamais modifié depuis 1958, ce dispositif suscite immanquablement des frustrations, liées, finalement, à la confrontation entre volonté politique et principe de réalité.
De fait, l’envie de dépenses nouvelles est sans limites et, évidemment, tous les besoins sont bien loin d’être couverts. Mais celui qui propose la dépense nouvelle ne peut s’affranchir de la question de la recette. La contrainte concernant l’équilibre budgétaire doit être partagée.
Les décisions d’irrecevabilité fondées sur l’article 40 s’appuient sur une jurisprudence constitutionnelle et sur une pratique de nos assemblées exigeante. Cette procédure a d’ailleurs d’ores et déjà fait l’objet d’assouplissements dans le cadre d’un travail d’harmonisation entre les deux chambres, au bénéfice de l’initiative parlementaire.
Comme l’indique le rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, « l’application de l’article 40 de la Constitution n’a jamais été aussi uniforme […] entre l’Assemblée nationale et le Sénat, répondant à la critique traditionnellement adressée d’une appréciation “à géométrie variable” de l’irrecevabilité financière ».
Au-delà, sur le fond, le filtre de l’article 40 constitue, de notre point de vue, un rempart indispensable contre l’excès de dépenses publiques.
Le vrai sujet est bien là, mes chers collègues : est-ce vraiment le moment d’ouvrir les vannes de la dépense publique, alors même que la situation financière de l’État est déjà très préoccupante ?
Comme chacune et chacun le sait, la dette de notre pays s’élève aujourd’hui à plus de 3 000 milliards d’euros, soit 110 % du PIB. C’est le résultat de budgets votés en déséquilibre depuis 1974 par toutes les majorités successives.
Pour se convaincre de l’intérêt de l’article 40, il suffit d’observer le spectacle offert par certains de nos collègues à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen de chaque texte budgétaire.
Sur les 2 942 amendements déposés en commission sur la première partie du projet de loi de finances pour 2024 par les groupes d’opposition, 90 % tendaient à engager des dépenses supplémentaires.
Par exemple, le cumul des amendements du groupe LR avoisinait, selon les estimations du rapporteur général de la commission des finances, près de 100 milliards d’euros de charges publiques additionnelles pour le budget de l’État :…
Mme Nathalie Goulet. C’est cruel !
M. Olivier Bitz. … 6 milliards d’euros pour la réforme de la TVA sur les carburants ; 4 milliards d’euros pour la création d’un régime universel d’investissement locatif privé ; 3,7 milliards d’euros pour la TVA à 5,5 % pour les travaux de rénovation des logements pendant deux ans ; 3 milliards d’euros pour le crédit d’impôt visant à financer l’amortissement des emprunts contractés en vue de l’acquisition d’un logement neuf ; 2 milliards d’euros pour le rehaussement des plafonds du quotient familial…
Les groupes populistes sont ont également apporté leur contribution à cette velléité dépensière déraisonnable.
La Nupes a ainsi proposé, dans un véritable concours Lépine de l’amendement le plus incongru, d’augmenter le quotient familial des propriétaires d’animaux (Sourires sur plusieurs travées.), et de l’amendement financièrement insoutenable, d’instaurer une TVA réduite sur les produits de grande consommation.
Les députés RN ont quant à eux proposé d’exonérer tous nos concitoyens de moins de 30 ans de l’impôt sur le revenu…
Toutes ces mesures démagogiques se chiffrent en dizaines de milliards d’euros et ne proposent naturellement aucune compensation crédible.
À la lumière de ces exemples, je vous laisse imaginer, mes chers collègues, ce que représenterait une suppression pure et simple des irrecevabilités financières !
Les oppositions, parce qu’elles s’exonèrent bien souvent de la contrainte budgétaire, usent et abusent du droit d’amendement, pour promouvoir, à grand renfort de communication, des positionnements politiques à destination de cibles électorales – chacun le sait ici.
Historiquement, le Sénat peut s’enorgueillir d’avoir toujours privilégié une approche plus responsable et constructive. Ainsi, plutôt que de supprimer l’article 40, le groupe RDPI suggère de poursuivre la réflexion sur les conditions de son application.
Par exemple, il pourrait être utile de soumettre l’application de l’article 40 au principe du contradictoire. À cet égard, notre groupe regarde avec bienveillance la proposition de résolution déposée par notre ancien collègue Jean-Pierre Sueur et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain au début de cette année, laquelle visait à donner à l’auteur d’un amendement susceptible d’être déclaré irrecevable la possibilité d’adresser des observations écrites ou orales. Une telle évolution nous semble opportune.
Parmi les autres pistes méritant d’être explorées figure la mise en place d’un mécanisme de recours interne devant le bureau du Sénat ou un groupe créé à cet effet.
Si ces propositions comportent bien évidemment le risque d’alourdir davantage la procédure législative, elles ont au moins le mérite, contrairement à cette proposition de loi constitutionnelle, de préserver des garde-fous contre le basculement vers une gestion intenable de nos finances publiques. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la procédure parlementaire peut donner lieu à des batailles politiques, et la politique à des batailles de procédure.
En témoignent la discussion parlementaire relative à la réforme des retraites, puis celle sur la proposition de loi du groupe Liot, à l’Assemblée nationale, qui visait à son abrogation.
Cette proposition de loi était, selon certains, irrecevable au titre de l’article 40, dont il est ici question, et aurait donc été inconstitutionnelle. Et pourtant, il y avait matière à débat parlementaire…
Faut-il abroger ou non l’article 40 de la Constitution ?
Comme l’ont affirmé plusieurs de mes collègues, les parlementaires seraient-ils, par nature, irresponsables, voire incompétents, sur le plan budgétaire ?
Sans l’article 40, l’exécutif serait-il démuni de tous les outils constitutionnels dont il dispose pour contrôler le Parlement, outils dont il se sert pourtant régulièrement, de plus en plus et, selon certains, de façon légèrement excessive ?
Les articles 49.3, 44.3 ou encore diverses règles des assemblées elles-mêmes ne suffisent-ils pas à contraindre le pouvoir législatif ?
N’est-il pas temps, en réalité, de libérer les parlementaires, et, comme le suggéraient Didier Migaud et Jean Arthuis, de les responsabiliser et de rééquilibrer notre édifice institutionnel pour redonner de la force à notre démocratie ?
Notre réponse est « oui », car notre volonté est de « reparlementariser » le régime.
Si la Constitution de 1958 institue, en théorie, un régime parlementaire doté d’un exécutif fort, la pratique qu’en ont eu le général de Gaulle et ses successeurs fait que nous vivons, hors périodes de cohabitation, au sein d’un système présidentialiste.
Malgré les diverses évolutions qu’elle a connues, notamment avec la réforme de 2008, notre pratique de la norme juridique suprême maintient le Parlement sous la domination de l’exécutif, par l’instauration de mécanismes de parlementarisme rationalisé. Et la pratique de l’exécutif actuel, malgré sa majorité relative, est à l’apogée de ce phénomène de domination, confinant parfois à l’abus.
Comme le précisa le commissaire du gouvernement Janot en 1958, la disposition de l’article 40 constitutionnalisait la loi dite des maxima, prévue par l’article 14 de la Constitution de 1946.
Pourtant, contrairement à cette loi, qui autorisait le Parlement à compenser une augmentation de charge publique par une diminution des dépenses à due concurrence, la Constitution du 4 octobre 1958 a ôté aux parlementaires l’initiative de la dépense, en leur retirant toute possibilité de compensation.
Le champ de l’article 40, qui était déjà très étendu, a, de plus, été élargi par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a elle-même poussé à une convergence, encore imparfaite, entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Ainsi, les charges publiques visées concernent l’ensemble des administrations publiques entrant dans le calcul des déficits et de la dette publique, donc également les collectivités territoriales.
La révision de 2008, qui visait le rééquilibrage des pouvoirs, a néanmoins conservé le mécanisme des irrecevabilités législatives.
Dans un rapport de l’OCDE datant de 2014, on observe que, parmi les 38 pays qui composent l’organisation, 52 % disposent d’un pouvoir législatif détenant un pouvoir d’amendement illimité, quand 24 % peuvent modifier le budget dans le cadre de limites posées par l’exécutif. Si l’on résume, les trois quarts des pays de l’OCDE peuvent totalement ou partiellement intervenir en matière budgétaire !
Pour le quart restant, certains sont uniquement autorisés à réduire les postes existants – le Chili et le Royaume-Uni –, d’autres à approuver ou à rejeter le budget – la Grèce et l’Irlande –, ou encore à intervenir selon d’autres règles.
Ainsi, en Australie, le corps législatif n’a qu’un pouvoir d’amendement sur les nouvelles politiques. Au Canada et en Corée du Sud, le corps législatif est autorisé à modifier le budget sous réserve de l’approbation de l’exécutif.
Ce que nous retenons, c’est que la France se distingue, parmi tous les autres pays qui lui sont comparables, en ce que le pouvoir législatif ne peut que réaffecter les ressources à l’intérieur du budget total ; il ne peut ni diminuer les ressources ni aggraver l’équilibre.
Pour ses promoteurs, l’objectif principal assigné à l’article 40 était d’assurer une gestion sérieuse des finances publiques. Force est de constater que l’objectif est loin d’être atteint.
Le président Paul Reynaud avait livré, au moment des travaux préparatoires de la Ve République, la prophétie suivante : « Les parlementaires vont devenir des économes devant un gouvernement dépensier. »
Comme le soulignaient Didier Migaud et Jean Arthuis en 2008, les parlementaires sont devenus des « sages budgétaires » : à l’Assemblée nationale comme au Sénat, entre 4 % et 8 % seulement des amendements parlementaires sont déclarés irrecevables au titre de l’article 40.
Pourtant, la dette publique était de 1 200 milliards d’euros en 2008 et se situait, à la fin de l’année 2022, autour de 2 950 milliards d’euros, avec une augmentation sans précédent sous la présidence d’Emmanuel Macron.
Les effets pervers de l’article 40 s’observent dans de multiples techniques de contournement, par la formulation de propositions de rapport ou par le mécanisme du célèbre « gage tabac », autant de techniques qui nuisent à la sincérité du débat parlementaire, voire affranchissent les parlementaires de l’estimation du coût réel des mesures proposées. Contrairement aux apparences, le mécanisme du gage produit, en réalité, de la déresponsabilisation.
Ces effets pervers s’observent également lors de l’examen du projet de loi de finances. L’article 47 de la loi organique relative aux lois de finances permet aux parlementaires d’amender exclusivement au sein de la même mission, aboutissant à des situations invraisemblables. Peut-on encore considérer que le vote du budget par le Parlement relève d’un acte démocratique lorsque l’on connaît la marge de manœuvre dont il dispose ?
Le comité Balladur avait proposé d’assouplir le régime de l’irrecevabilité financière de sorte que les amendements et les propositions des parlementaires ne soient irrecevables que lorsqu’ils entraînent une aggravation des charges publiques, et non d’une seule charge publique.
Comme l’a rappelé en commission mon collègue Éric Kerrouche, dont je salue ici le travail qu’il mène sur ces sujets, Jean Arthuis et Didier Migaud avaient avancé qu’une telle réforme aurait vidé l’article 40 de son contenu. Alors qu’ils présidaient respectivement les commissions des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale, ils avaient affirmé que seule la suppression de cet article permettrait un réel renforcement des pouvoirs du Parlement et une responsabilisation des élus.
Par ailleurs, la suppression de l’article 40 de la Constitution constituerait un gage efficace contre l’hyperprésidentialisation de la Ve République et permettrait de rétablir un équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ce dernier bénéficiant toujours d’autres armes dans l’arsenal procédural et, la plupart du temps – même si ce n’est pas toujours –, du fait majoritaire.
La suppression de l’article 40 de la Constitution n’exclut pas, bien au contraire, le maintien d’un contrôle interne au Parlement, donc une révision du règlement des assemblées allant dans le sens du renforcement de la fonction de contrôle et d’évaluation, ce qui nécessite, bien sûr, davantage de moyens humains et financiers.
Par exemple, les textes d’initiative parlementaire pourraient être soumis au contrôle d’une commission restreinte, composée de représentants de la majorité et de l’opposition, qui seraient contraints de motiver leurs avis, favorables comme défavorables.
Mes chers collègues, nous ne considérons pas que la suppression de l’article 40 encouragerait les parlementaires à la gabegie. Elle est, au contraire, l’occasion de responsabiliser les élus et ouvre de nouvelles perspectives d’initiative législative.
Si cette mesure ne se suffit pas par elle-même, elle va dans le sens du renforcement du poids de l’institution parlementaire et participerait, si elle était votée, à la vitalité démocratique de notre pays.
C’est pourquoi mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle du groupe CRCE-K, à l’exception, bien sûr, de notre collègue Claude Raynal, qui, en tant que président de la commission des finances, ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l’article 40 de la constitution
Article unique
L’article 40 de la Constitution est abrogé.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par M. V. Louault, Mmes L. Darcos et Bourcier, MM. Brault et Malhuret, Mme Lermytte, M. A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Chevalier, Wattebled, Capus et L. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La Constitution est ainsi modifiée :
1° L’article 47 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit de présenter ou d’adopter une loi de finances dont la section de fonctionnement est en déficit. »
2° L’article 47-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit de présenter ou d’adopter une loi de financement de la sécurité sociale dont l’ensemble des charges dépasse l’ensemble des recettes. »
La parole est à M. Vincent Louault.
M. Vincent Louault. Il s’agit d’un amendement d’appel – un appel au secours –, que je retirerai.
La charge de la dette s’élève, nous l’avons tous dit, à quelque 50 milliards d’euros. Je suis né en 1972 : 50 ans, 50 milliards d’euros. Je ne souhaite pas qu’à mes 70 ans, cette somme ait atteint 70 milliards…
Nous devons donc lancer une réflexion sur la modernisation de nos institutions. Je remercie d’ailleurs le groupe CRCE-K d’avoir lancé ce débat d’importance, car les anciens du Sénat m’ont tous prévenu de la dureté de l’application de cette disposition, destinée à empêcher le débat parlementaire.
Je reviens à mon amendement. Il y va de l’avenir de notre pays : même si on ne rembourse pas les dettes, le poids des intérêts commence à être difficilement admissible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je comprends parfaitement cet amendement d’appel, j’en partage même l’intention.
Néanmoins, je formulerai trois remarques à son propos.
En premier lieu, l’objet de cet amendement est très éloigné du texte que nous examinons, qui porte sur l’article 40 de la Constitution. L’idée est en effet de s’inspirer, par un effet de miroir, de la règle d’or et même de la double règle d’or qui s’applique aux collectivités territoriales : l’exigence d’un équilibre au sein de la section de fonctionnement et au sein de la section d’investissement, mais également l’interdiction d’emprunter pour financer les dépenses de fonctionnement. Cela peut certes prêter à débat, mais de manière totalement indépendante.
En second lieu, l’un des arguments opposés à nos collègues communistes concernant l’abrogation ou la modification de l’article 40 consiste en la volonté de ne pas alourdir la procédure législative en matière de finances publiques. Or amender l’article 47-1 de la Constitution dans le sens proposé alourdirait justement cette procédure.
En troisième lieu, enfin – on pourrait toutefois en débattre –, si le déficit avait été totalement interdit lors d’une crise comme celle de la covid-19, nous aurions été confrontés à certaines complications lors de l’exécution budgétaire et de l’élaboration du budget.
Toutefois, je le répète, sur le principe, je suis d’accord pour discuter de cette disposition.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n’ai rien à ajouter aux propos du rapporteur, tout a été clairement dit et l’exemple convoqué était pertinent.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Cette règle d’or, nous avons essayé, dans cette maison, lors de la révision constitutionnelle de 2008, de l’instaurer au travers d’un amendement du célèbre Alain Lambert – ancien sénateur de l’Orne –, mais sans succès. Lors de la prochaine révision constitutionnelle, nous pourrons peut-être réétudier cette éventualité.
En attendant, nous ne voterons pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. J’ai pris connaissance de votre amendement, mon cher collègue ; il est, disons, étonnant…
Vous dites que vous n’allez pas le maintenir, soit ; mais ce n’est pas un appel au secours, c’est un amendement bâillon ! (Sourires sur diverses travées.)
Tout d’abord, le Conseil constitutionnel, garant de la Constitution, censurerait assurément votre règle d’or ; pourtant, alors que vous le savez pertinemment, vous déposez tout de même votre amendement.
Ensuite, deuxième motif d’étonnement, votre groupe, Les Indépendants – République et Territoires, vient justement de déposer une proposition de loi visant à créer un énième produit d’épargne sans intérêt et qui creuserait le déficit public en privant l’État de recettes fiscales – et vous allez jusqu’à proposer d’exonérer ce produit de droits de mutation à titre gratuit !
M. Éric Bocquet. C’est vrai !
M. Pascal Savoldelli. Franchement, quelle est la sincérité de votre appel au secours ? On peut toujours essayer, mais le geste est un peu populiste…
En outre, je ne veux pas défendre le Gouvernement, mais chacun sait que l’État, comme les collectivités territoriales, doit pouvoir s’endetter pour mener ses politiques publiques. On ne peut pas faire d’investissement public, y compris dans les collectivités territoriales, sans s’endetter.
En deuxième lieu, je vous entends souvent dire – je pense notamment à votre collègue Malhuret – qu’il faut gérer les finances publiques comme les finances des ménages ou des entreprises, mais allez donc discuter avec des chefs d’entreprise, demandez-leur s’ils n’ont pas besoin de s’endetter pour assumer des investissements, ils vous répondront ! Demandez à un boulanger s’il achète son four à pain au comptant ou à crédit ! Demandez-vous aussi combien de familles ont les moyens d’acheter leur voiture au comptant !
Bref, cet amendement bâillon n’est pas dans l’esprit de notre proposition de loi constitutionnelle et il est d’un niveau démagogique sans comparaison par rapport aux contributions que nous avons entendues au sein de cet hémicycle. Vous avez indiqué avoir l’intention de le retirer ; si vous le faites, vous ferez preuve de responsabilité.
M. le président. Monsieur Louault, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Vincent Louault. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je veux ajouter quelques touches à ce débat.
Au préalable, je tiens à remercier l’ensemble des collègues de tous les groupes de leurs interventions et de l’intérêt qu’ils ont porté à notre proposition d’abrogation de l’article 40 de la Constitution.
Ensuite, notre collègue André Reichardt, au nom du groupe Les Républicains et de la majorité sénatoriale, a demandé « ardemment » que soit donnée une « suite sérieuse » à ce débat. Eh bien, chers collègues de la majorité sénatoriale, la balle est donc dans votre camp ! Allez-y, donnez « ardemment » une suite sérieuse à ce débat !
Par ailleurs, je vous ai trouvé un point commun, parmi de nombreux autres, monsieur le rapporteur et monsieur le garde des sceaux. M. Le Rudulier nous indique d’abord que cette proposition de loi constitutionnelle est conjoncturelle, l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, où il n’y a qu’une majorité relative, justifiant le parlementarisme rationalisé. Le Gouvernement, par le truchement du garde des sceaux, vous rejoint, monsieur le rapporteur, et vous nous donnez, main dans la main, la même explication : cet article serait « la clé de voûte de la Ve République » et s’inscrirait même dans le prolongement de la IVe République ; rien que cela…
À l’appui de son argumentation, M. Dupond-Moretti se réfère à l’article 20 de la Constitution. Sans doute, monsieur le garde des sceaux, aux termes de cet article, « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », mais n’oubliez-vous pas quelque chose ? Le quinquennat et l’inversion du calendrier ! Le Président de la République est élu avant les députés ! Il est là, le problème de l’utilisation des articles 49.3, 40, etc. ! Les élections législatives sont maintenant déterminées par le choix du Président de la République, même si c’est parfois avec des résultats un peu douloureux. Tout le monde l’a bien compris !
Je conclus en revenant sur les éventuelles suites à donner. Si l’on peut apporter des modifications en ce sens dans le règlement intérieur de chacune des deux chambres, même si celui de l’Assemblée nationale n’est pas de notre ressort, il faut le faire : toute avancée sera bonne à prendre. Cela dit, j’y insiste, si nous constatons tous que les choses ne vont pas, si nous dressons tous le diagnostic d’un déficit d’initiative parlementaire, il y a un caractère d’urgence. L’idéal serait donc d’adopter le principe de l’abrogation de l’article 40, car cela enclencherait une dynamique en faveur de la révision constitutionnelle.
M. le président. Plus personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l’article 40 de la Constitution.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 243 |
Le Sénat n’a pas adopté.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 6 novembre 2023 :
À seize heures et le soir :
Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (procédure accélérée ; texte de la commission n° 434 rectifié, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER