M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « un viol psychique » : voilà les termes utilisés par de nombreux spécialistes pour qualifier les conséquences de l’exposition de nos plus jeunes à des contenus pornographiques.
Qu’est-ce qu’un viol psychique ? C’est un enfant traumatisé, dont chaque moment est accompagné d’images qui reviennent inlassablement lui voler son innocence.
Le numérique est un progrès, mes chers collègues. C’est indéniable. Mais, collectivement, nous n’avons pas su protéger les plus fragiles de la violence de certains contenus diffusés sans garde-fous.
Ce cyberespace offre aujourd’hui un accès illimité et sans contrôle réel à des contenus préjudiciables. Il favorise le développement de toutes les formes de criminalité, sans oublier la diffusion d’informations fausses.
Nous pouvons encore réagir. Nous devons dorénavant véritablement agir pour protéger nos mineurs, en les éduquant aux dangers de cet espace de libertés, parfois délétère, mais pas seulement : en sensibilisant les parents, en leur rappelant leur responsabilité, sans jamais pour autant nier celle de l’État quant à la régulation des contenus.
C’est une chaîne collective, solidaire que nous devons bâtir afin que chaque contenu inapproprié au jeune public ne soit plus accessible, afin que les réseaux sociaux ne soient plus complices d’un déferlement de haine.
Le cyberharcèlement fauche en plein vol de nombreux adolescents et adultes. Ramification devenue inévitable du harcèlement à l’école ou encore au travail, cette pression numérique fait trop de victimes.
Les marches blanches ne suffisent plus. Les tweets d’émotion, loin de réconforter, révoltent désormais, et les annonces ne semblent jamais se transformer en engagements.
Même si ce n’est pas assez, je veux profiter de cette prise de parole pour rappeler que, sur ce sujet, qui fait consensus au Parlement et au Gouvernement, des avancées ont été permises. La régulation de l’espace numérique est au cœur des travaux du Sénat, et les textes examinés ces derniers mois démontrent l’objectif commun de mettre fin à cette anarchie.
Coauteure du rapport d’information sur les dérives de l’industrie pornographique, puis rapporteure sur la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, j’ai pu constater les obstacles pratiques qui s’imposent au législateur, mais j’ai surtout été confortée dans l’idée que ce combat doit se poursuivre jusqu’à parvenir à un dispositif qui protège enfin nos enfants.
À cet effet, je salue les dispositions du Gouvernement qui reprennent les propositions émanant de notre Haute Assemblée, rappelant ainsi la nécessité de mener cette bataille ensemble.
Au reste, ce ne sont pas uniquement les parlementaires et le Gouvernement qui doivent se mobiliser : c’est aussi toute la chaîne du numérique. C’est la raison pour laquelle, avec mes collègues Annick Billon et Catherine Morin-Desailly, nous souhaitons associer à cet effort les boutiques d’applications logicielles, elles aussi responsables de la diffusion de contenus inadaptés aux mineurs.
Au regard des avancées permises par les rapporteurs Patrick Chaize et Loïc Hervé, je tenais à souligner la qualité de leur travail et leur détermination à améliorer toute mesure visant à mieux protéger nos concitoyens.
À ce titre, je veux saluer les apports de notre commission spéciale, présidée par Catherine Morin-Desailly. Elle a renforcé la solidité juridique du dispositif en créant une procédure unique de mise en demeure et de sanction vis-à-vis de l’éditeur de site pornographique.
Je salue également les avancées faisant du bannissement une sanction réellement efficace, notamment concernant les violences contre les élus, mais aussi les menaces et les intimidations à l’encontre de tout dépositaire de l’autorité publique.
Ces dispositifs viendront, je l’espère, apporter une réponse forte à ceux qui utilisent l’internet pour répandre des discours haineux, humiliants et offensants.
Avant de conclure, je veux aborder l’ampleur du phénomène du deepfake, qui touche, dans 99 % des cas, des femmes. Il faut, à mon sens, envoyer un signal fort aux auteurs de cette technique, qui consiste à créer de toutes pièces, grâce à l’intelligence artificielle, des images ou des vidéos à caractère sexuel, sans le consentement de la victime, bien sûr, et à les publier dans le seul but de nuire.
Cette technologie, proche du réel, fait l’objet d’un amendement du Gouvernement, qu’il convient de renforcer afin d’accroître la protection des victimes. J’aurai l’occasion d’y revenir durant l’examen du texte.
Enfin, ce projet de loi permettra également de soutenir l’innovation, afin de positionner nos entreprises comme acteurs des nouveaux marchés, tout en limitant les risques qu’elles encourent.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe Les Républicains soutiennent pleinement l’objectif de ce texte. Nous resterons particulièrement attentifs à sa bonne application. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, internet et les réseaux sociaux bouleversent nos sociétés, nos repères, nos démocraties. Chacun d’entre nous les utilise pour s’informer, se divertir, communiquer.
Cette affirmation est encore plus vraie en ce qui concerne les jeunes. Le temps qu’ils passent sur leurs téléphones ne cesse d’augmenter. Les réseaux sociaux deviennent, pour un certain nombre, l’unique fenêtre sur le monde extérieur.
Par leur modèle économique fondé sur des contenus choquants, Twitter, TikTok, Snapchat et consorts ont radicalisé les courants de pensée. Ils ont contribué à l’aggravation des fractures au sein des États.
Internet et les réseaux sociaux posent la question des limites de la liberté d’expression. Sur ce plan, il faut faire la part des choses. Parfois, ils permettent le meilleur, comme lorsque, en septembre dernier, ils ont informé et ont contribué à mobiliser les soutiens à la liberté des femmes iraniennes. Mais, bien souvent, ils permettent de mettre en avant et de répandre de fausses informations ou servent de vecteurs à des campagnes mensongères. Nous avons d’ailleurs pu les voir à l’œuvre dans l’engrenage des violences inacceptables de ces derniers jours.
Cela justifie qu’ait été créée une commission d’enquête sénatoriale sur l’action de TikTok.
L’omniprésence d’internet et des réseaux sociaux pose une question fondamentale : un État souverain, dans l’Union européenne, peut-il leur imposer un cadre ? Quel est notre poids face aux Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – ? Quelle est notre capacité à agir et à obtenir des résultats concrets ? C’est tout l’enjeu du texte dont nous débattons.
L’adoption du règlement européen DSA permettra de donner corps à la formule du commissaire européen Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit hors ligne doit l’être en ligne. »
L’Union européenne a récemment pris des mesures afin d’interdire, sur son territoire, les canaux de désinformation de certains États, qui sont devenus spécialistes en la matière. Plusieurs dispositions du texte prévoient une réaction plus rapide, et c’est tant mieux.
La publication de contenus illicites n’est pas anodine. Une infraction n’est pas moins grave lorsqu’elle est commise sur internet. Le harcèlement en ligne n’est pas moins violent que le harcèlement dans une cour d’école. Il est parfois pire, avec des conséquences plus graves. Nous avons tous à l’esprit les drames récents. Le rapport d’information de notre collègue Colette Mélot a mis en lumière l’ampleur et la gravité de ces phénomènes. Il est urgent d’agir pour que ces violences cessent.
La peine complémentaire de suspension de compte est plus que pertinente, à condition toutefois que la plateforme s’engage à ce que la personne condamnée ne puisse contourner cette suspension par l’ouverture d’autres comptes, avec différents pseudonymes. La commission spéciale a été particulièrement attentive à ce sujet.
De même, il y a longtemps que l’interdiction de la pornographie aux moins de 18 ans aurait dû être appliquée. Les conséquences négatives de celle-ci sur la santé mentale des plus jeunes ne sont plus à démontrer. Le projet de loi contient plusieurs dispositions en ce sens.
Encore plus que lutter contre les contenus illicites, nous devons faire respecter les règles d’une concurrence saine et loyale entre les acteurs. Sur ce sujet, comme sur le précédent, les Gafam ne doivent pas nous dicter leur loi.
Le DMA entrera bientôt en vigueur. Il doit permettre aux entreprises européennes de se développer sans subir les abus de position dominante et les pratiques anticoncurrentielles des grands acteurs. Le projet de loi procède aux adaptations qui s’imposent.
Enfin, l’entrée en vigueur prochaine du Data Governance Act (DGA) doit être saluée. La captation, la gestion et la protection des données à caractère personnel doivent être renforcées. C’est un sujet majeur. En effet, nous devons rattraper notre retard et, dans le même temps, nous donner les moyens d’accompagner les entrepreneurs, les start-up, les licornes qui seront les leaders de demain.
Il est nécessaire de procéder à des adaptations de notre droit pour assurer l’application directe des règlements européens qui vont dans le bon sens. Néanmoins, soyons vigilants sur un sujet, même s’il ne figure pas exactement dans le texte que nous étudions : il s’agit du transfert qui vise à confier l’ensemble des contentieux de tous les pays européens au régulateur irlandais. Le nombre de dossiers à traiter fait courir un risque d’embouteillage, donc d’allongement des délais et, disons-le, un risque d’influence des Gafam sur les décisions, puisque l’ensemble de leurs sièges sociaux sont situés en Irlande.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient les mesures portées par ce texte et votera en faveur de son adoption.
Internet ne doit plus et ne peut plus être un espace d’impunité. Nous sommes sur le bon chemin. Il y a encore du travail. Notre responsabilité est de le poursuivre ensemble.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans nos vies d’aujourd’hui, l’espace virtuel et la réalité matérielle sont intriqués.
Ces derniers jours en ont été une démonstration à la fois éclairante et effrayante. La propagation fulgurante du sentiment d’injustice lié à la mort du jeune Nahel et la flambée d’émeutes, de violences et de pillages inacceptables sur tout le territoire sont en grande partie le fait du partage instantané et démultiplié sur les multiples plateformes qui nous connectent, qui connectent les communautés.
Les grandes plateformes ont aujourd’hui capté l’attention et les données de la majorité d’entre nous et font commerce de la polarisation grandissante de nos sociétés.
Notre société est aujourd’hui confrontée au défi majeur d’une économie basée sur la disruption, le dépassement des normes et le contournement des régulations, qui percute son contrat social.
Le présent texte est, à cet égard, d’une importance majeure. « Sécuriser et réguler l’espace numérique » : tel est son intitulé. Tel est notre défi aujourd’hui.
Les algorithmes trient et organisent notre espace informationnel. Nos données personnelles deviennent la proie de toutes les convoitises du capitalisme de surveillance.
Comme elle a su le faire avec le RGPD, l’Union européenne, qui constitue le premier marché mondial, a travaillé pour construire des règlements solides et adaptatifs. Les règlements européens DMA, pour lutter contre les aspects anticoncurrentiels des géants du net, ou DSA, pour lutter notamment contre la haine en ligne et la désinformation, sont les plus connus.
Le texte que nous examinons aujourd’hui vise en partie à transposer ces textes, mais il va plus loin et se veut plus global.
Son objectif est donc de sécuriser et de réguler.
Sa première ambition est de sécuriser, et, tout d’abord, de sécuriser certains publics vulnérables en ligne.
Ainsi, les premiers articles entendent protéger les mineurs de l’accès aux sites pornographiques en instaurant un âge légal effectif. L’intention est évidemment louable, mais nous allons buter sur une question quasi aussi vieille qu’internet. Comme je l’ai dit dans cet hémicycle il y a quelques jours, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, à l’heure actuelle, en France comme partout dans le monde, personne ne dispose de solution technique qui soit à la fois satisfaisante du point de vue de l’efficacité et protectrice des libertés individuelles.
Je reste donc extrêmement réservé sur le caractère opérationnel du référentiel que nous demandons à l’Arcom de concevoir. Voilà plusieurs années que l’Arcom et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) se penchent sur le sujet et, il faut dire les choses comme elles sont, la solution technique n’existe pas à l’heure actuelle. L’équation à résoudre entre contrôle d’âge, protection de la vie privée et sécurité des données paraît, pour l’instant, difficile à résoudre. Nous proposerons plusieurs amendements pour tenter de mieux cerner les contours de ce référentiel.
Le projet de loi vise également à sécuriser le public face aux cyberviolences. À cet égard, le texte comporte plusieurs mesures intéressantes, notamment sur la peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux ou la lutte renforcée contre la pédopornographie.
Nous en faisons tous les jours le constat : les femmes sont particulièrement prises pour cible sur les réseaux sociaux. Un phénomène de meute se développe et des situations de harcèlement inacceptables surviennent au vu et au su de tous.
Il est temps d’en finir. C’est pourquoi nous vous proposerons d’enrichir encore les mesures du texte en la matière, avec une amende forfaitaire délictuelle pour les outrages sexistes en ligne, un renforcement des missions de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), l’interopérabilité des messageries des réseaux sociaux ou encore la suspension du compte comme mesure de contrôle judiciaire. La peur doit changer de camp, y compris en ligne.
La seconde ambition de ce texte est de réguler.
Il régule le business des clouds, pour une plus grande protection des consommateurs.
Il régule le milieu de la location de biens meublés, répondant ainsi à une demande très forte des collectivités. Nous nous réjouissons de la présence de cet article, particulièrement bienvenu, dans le texte.
Il régule, enfin, les jeux dits « à objets numériques monétisables », mais, sur ce sujet, nous sommes plus que circonspects.
La rédaction initiale du texte prévoyait de donner au Gouvernement une autorisation de légiférer par ordonnance, sans plus de précision. Cette rédaction a été réduite, en commission spéciale, à une simple expérimentation, ce qui est mieux, mais toujours pas satisfaisant. En effet, ces objets – pour être plus précis, ces jetons non fongibles, fondés sur l’expérience de gains et échangeables en ligne – se situent à la limite entre le jeu vidéo à vocation spéculative et le jeu d’argent pur et simple. Nous considérons que les enjeux, notamment en termes d’addiction et de mise en danger financière, sont trop importants et mériteraient un texte dédié, qui pourrait également traiter la question des cryptoactifs.
Enfin, pour réguler, il faut des régulateurs. Le texte de loi ne les a pas oubliés. Arcom, Arcep, Cnil : les trois agences se voient confier de très nombreuses missions dans l’espace numérique. Reste une inconnue : celle des moyens qui leur seront confiés pour remplir ces nouvelles missions. Sur ce point, le prochain projet de loi de finances devra prendre sérieusement acte du présent projet de loi ; nous y veillerons.
Pour conclure, j’aborde la discussion de ce projet de loi avec un esprit constructif. Hormis les réserves que j’ai pu émettre lors de la discussion générale et quelques autres, que je vous présenterai par voie d’amendement, je prends acte d’un certain équilibre dans les mesures du texte. C’est cette recherche d’équilibre qui doit nous animer lorsque l’on traite du numérique.
Nous avons à cœur de préserver à la fois la liberté, l’anonymat et le foisonnement créatif que seuls permettent les espaces libres sur internet, tout en préservant la dignité des personnes qui le font vivre.
Ni surveillance généralisée ni Far West, mais contrôle des données et transparence et régulation des plateformes : voilà notre ligne directrice.
À la lecture de ce texte, j’ai l’impression que c’est aussi celle de nos rapporteurs et de notre ministre, ce dont je me réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen d’un texte technique et particulièrement attendu, résultant de négociations internationales menées de longue date par notre gouvernement.
Ce texte a pour objectif principal de protéger nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises et notre démocratie, dans sa globalité.
Il s’appuie sur l’axiome suivant : « Ce qui est interdit dans le monde réel doit aussi l’être en ligne. »
Vous le savez, mes chers collègues, la transition numérique est double. Elle est une formidable opportunité d’ouverture et de croissance, comme l’Histoire en a peu connu, mais elle constitue également un risque majeur pour nos sociétés démocratiques, en ce qu’elle accélère et facilite les opérations de manipulation et la divulgation de fausses informations, et en ce qu’elle permet la naissance de nouvelles formes de harcèlement, de violence et de délinquance. Nous en avons malheureusement eu un exemple concret ces derniers jours.
Le titre Ier de ce texte de loi porte sur la protection des mineurs en ligne. Sur ce sujet, je salue le travail mené par le Gouvernement et mes collègues Xavier Iacovelli et Julien Bargeton, qui se matérialise ici par des mesures concrètes et opérationnelles pour protéger nos enfants. De fait, aujourd’hui, la pornographie est encore trop facilement accessible en quelques clics.
Je souhaite également m’attarder sur les dispositions du projet de loi concourant à la constitution d’un marché unique du numérique européen, qui prévoient les mesures nécessaires à l’adaptation du droit national et à la mise en œuvre de trois règlements européens, que la présidente de notre commission spéciale, Catherine Morin-Desailly, connaît parfaitement bien : le règlement DMA sur les services et marchés numériques ; le règlement DSA, relatif à un marché unique des services numériques ; le règlement DGA, portant sur la gouvernance européenne des données.
Nous le savons, le numérique ne peut être traité simplement à l’échelle nationale, d’autant plus que la situation d’oligopole que connaissent la plupart des marchés liés au numérique rend l’échelle communautaire européenne bien plus pertinente.
Par ailleurs, le temps législatif est particulièrement déconnecté du temps de développement du numérique, qu’il s’agisse de ses structures ou de ses pratiques. La régulation du secteur numérique est donc aussi nécessaire que complexe.
À ce titre, je tiens à saluer le travail du ministère chargé de la transition numérique et des télécommunications. En effet, préserver la formidable opportunité de développement économique du secteur, tout en régulant ses excès, relève parfois de l’orfèvrerie.
Pour favoriser le développement de l’économie du numérique en France, il est essentiel que le cadre réglementaire mis en place protège rigoureusement nos concitoyens, tout en préservant une part de souplesse, afin de s’adapter à mesure des évolutions technologiques et d’usages. Le filtre numérique, tel qu’il est proposé ici, en est un parfait exemple.
Il devra se coupler à un travail de police et de traque des filières internationales qui se sont constituées. Irrémédiablement, le monde entier sera amené à coopérer pour les démanteler, car nul ne sera épargné. Les pays les plus laxistes aujourd’hui ne le seront jamais : ce n’est qu’une question de temps.
Il m’apparaît également fondamental d’aborder le sujet de l’inclusion numérique, qui, finalement, relève moins de la loi, mais en assure la meilleure application possible.
Nos collectivités territoriales attendent aujourd’hui également un message clair et une organisation structurée dans l’accompagnement numérique qu’elles demandent.
En 2018, le Gouvernement annonçait une stratégie nationale pour un numérique inclusif, qui a permis la structuration de hubs territoriaux dans les régions, le déploiement de passes numériques pour les usagers les plus en difficulté et le lancement du dispositif Aidants Connect, réduisant ainsi de manière significative la fracture numérique.
En avril dernier, vous présentiez, monsieur le ministre, la feuille de route du Gouvernement sur l’inclusion numérique, comportant, parmi ses mesures phares, l’engagement de l’État à structurer un fonds d’ingénierie dédié à cette inclusion et à accompagner les acteurs locaux pour mieux territorialiser la politique en la matière. La bonne exécution de cette feuille de route est une des conditions de la bonne application des mesures de protection de nos concitoyens, de nos élus et de notre démocratie que porte ce projet de loi. La meilleure sécurité en ligne nécessite l’acculturation de la population aux outils numériques, à leur bon usage et aux risques qu’ils portent.
Enfin, permettez-moi de saluer le large spectre d’action du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui, lequel offre des outils et un cadre de protection renforcé tant aux mineurs qu’aux adultes, tant aux amateurs qu’aux professionnels.
Cet espace numérique est le nôtre. Il est devenu un bien commun et, comme toute ressource, il doit être protégé et régulé.
L’écran n’arrête pas la loi. C’est le message que je retiendrai de ce projet de loi, utile et salutaire pour notre pays.
Ce texte est un pilier d’un espace numérique sécurisé et n’obère nullement les opportunités économiques qu’offre le numérique. C’est pourquoi notre groupe le soutiendra et le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur l’article 1er de ce projet de loi, et particulièrement sur la question du référentiel.
Je veux d’abord saluer l’intention du Gouvernement de faire un pas en avant dans la lutte contre la toxicité de l’industrie pornographique.
Mais je veux tout de même partager avec vous mon sentiment que, dans cette affaire, on se laisse encore un peu embrouiller par le lobby du porno.
Ce lobby est puissant, insidieux, infiltré. Le nombre de connexions uniques en France – 19 millions par mois – donne une idée de sa présence…
Faisons une petite comparaison. Imaginons, par exemple, qu’un buraliste prétende ne pas appliquer l’interdiction de vente de tabac aux mineurs au motif qu’il ne sait pas comment identifier l’âge des consommateurs, et que ces derniers affirment refuser de présenter une pièce d’identité au motif que cela porterait atteinte à leur vie privée. Tout le monde trouverait alors que la ficelle est grosse…
Or c’est exactement ce que fait l’industrie pornographique depuis trois ans – depuis la loi du 30 juillet 2020. Elle affirme qu’elle ne peut appliquer la loi.
Je crains que le référentiel ne valide a posteriori leur raisonnement et leur refus d’appliquer la loi. En effet, en conditionnant l’application de la loi à un futur référentiel, nous inversons, d’une certaine manière, la charge de la preuve : ce ne sera pas aux diffuseurs des contenus pornographiques de prouver qu’ils ont tout fait pour interdire l’accès aux mineurs ; le mistigri passera dans les mains de l’Arcom, qui devra apporter aux sites les outils nécessaires à l’application de la loi.
Nous devrons bien préciser, dans le débat parlementaire, que les sites auront l’obligation non seulement de se conformer au référentiel, mais aussi de bloquer l’accès des mineurs par tout moyen, en l’état de l’art, c’est-à-dire compte tenu de l’ensemble des évolutions technologiques qui ne manqueront pas de se produire entre l’examen du projet de loi et l’adoption du référentiel, dont rien ne nous dit qu’il sera adopté dans le délai prévu de six mois, vu qu’il n’y a pas de sanction…
Le montage que nous faisons est extraordinaire. Pourquoi n’avons-nous pas choisi, par exemple, celui qui fonctionne assez bien pour l’accès des mineurs aux sites de jeux d’argent en ligne ?
C’est à cet instant que surgit le fameux secret de la vie privée, brandi par les consommateurs de porno pour se protéger. Cet argument est une mystification. Tout d’abord, le secret de la vie privée concerne non pas le recueil de données, qui sont confiées en toute liberté par leur titulaire, mais la diffusion de ces données.
Beaucoup d’entre nous confient des données assez sensibles à Doctolib : personne ne sollicite un tiers de confiance parce que personne ne pense que Doctolib va vendre ces données ! D’ailleurs, dans le cas contraire, des sanctions pourraient s’appliquer.
En revanche, nous considérons que les sites pornos pourraient diffuser les données et, pour nous en prémunir, nous passons par un système qui leur facilite grandement la vie.
Cette affaire de vie privée érigée en valeur constitutionnelle absolue pose un autre problème, et je pense que Mme la secrétaire d’État Charlotte Caubel y sera sensible. Il nous faut concilier deux principes constitutionnels : le respect de la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant.
Quand deux millions de mineurs sont biberonnés aux vidéos pornos, je considère, pour ma part, que c’est le secret de la vie privée qui doit s’adapter au devoir de protection des enfants, et non l’inverse. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Toine Bourrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cet hémicycle et les magistrats qui le surplombent ont vu passer des textes qui, comme celui que nous examinons aujourd’hui, se sont trouvés chargés d’une valeur sociale et morale, d’une dimension historique assez considérable.
Traiter du numérique et de son influence sur la sécurité de notre jeunesse, c’est s’engager consciemment à relever un lourd défi d’avenir.
Aucun d’entre nous ne remet en cause le progrès, la technologie, le rétrécissement du monde, devenu plus accessible et dynamique.
Mais nous sommes les garants de l’ordre public et d’un intérêt général bouleversé par la violence numérique.
Ce qui est proscrit dans la vie réelle, dans les rapports physiques, sensibles et je dirais « charnels », doit l’être aussi sur internet. C’est parce que la toile est devenue l’extension de tous les aspects de la vie que le sursaut doit advenir.
S’assurer que les libertés individuelles n’empiètent pas sur les droits d’autrui, c’est la mission du Parlement, et ce doit être la nôtre aujourd’hui, pour sécuriser un environnement numérique où tout se peut, sans contrôle, sans règle ferme et donc sans responsabilité.
Mes chers collègues, nous faisons face, depuis une vingtaine d’années, à ce bouleversement civilisationnel, à ce choc techno-scientifique qui a fait entrer tous les dangers de la vie d’adulte au sein même de l’enfance, ou plutôt qui, par la connexion continue et l’intrusion sans limites, empêche les mineurs de s’extraire des dangers du monde, face auquel ils ne sont pas encore armés.
Dès lors que ce constat est posé, nous convenons tous ici que notre énergie doit se porter sur les plus fragiles : les mineurs. Car ce sont eux qui, dans la fleur de l’âge, où tout se forme et se construit, à cette étape charnière où l’on apprend la vie en société sans se connaître encore soi-même, essuient tous les impacts de la cybermalveillance.
Ce texte est, certes, une avancée louable et saluée, par la transposition qu’il opère des règlements européens tant annoncés depuis 2020. Cependant, nous sommes en droit d’attendre plus de lui.
Le bât blesse principalement sur la réactivité dans le traitement des signalements.
Aujourd’hui, en raison d’un délai d’instruction et de vérification de la réalité des contenus haineux ou inappropriés signalés, il faut plusieurs semaines, voire des mois avant que ces contenus, à l’origine de lourds traumatismes, parfois irréversibles, sur la santé psychique des jeunes mineurs, ne fassent l’objet d’un retrait.
Je vous proposerai donc un amendement visant à garantir un traitement spécifique lorsqu’un signalement est opéré par un mineur numérique faisant lui-même l’objet d’une publication cybermalveillante signalée.
Mais ne nous leurrons pas, mes chers collègues ! Quelles que soient les contraintes légales que nous imposerons aux plateformes, elles ne produiront d’effets que si ces dernières se dotent des moyens humains nécessaires au traitement immédiat des signalements et au retrait en temps réel des contenus haineux.
Quelles que soient les contraintes légales que nous imposerons aux plateformes, elles ne produiront d’effets, comme l’a si justement souligné Frances Haugen ici même, qu’à la condition que soit mis en place un traitement localisé, par des équipes formées dans le pays et maîtrisant ainsi la langue dans laquelle est produit le contenu haineux.