Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Christian Klinger, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022, qui est aux comptes sociaux ce que la loi de règlement est aux comptes de l’État. Suivant une tendance récente, ce projet de loi a été rejeté par l’Assemblée nationale. La commission des finances, saisie pour avis, a émis sur ce texte un avis défavorable. Je vais brièvement en exposer les raisons.
Le tableau présenté à l’article 1er, qui concerne les comptes de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV, fait apparaître un déficit de 19,6 milliards d’euros, dont un déficit de 21 milliards d’euros pour les cinq branches de la sécurité sociale et un léger excédent de 1,3 milliard d’euros pour le FSV.
La situation de la branche maladie, toujours en rémission après la crise sanitaire, est particulièrement préoccupante : elle concentre à elle seule un déficit aussi important que celui de l’ensemble de la sécurité sociale, de 21 milliards d’euros. Les dépenses sont en effet plus élevées que les recettes.
Je commence par les recettes. Les ressources de la sécurité sociale et du FSV ont dépassé les prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale de 2022 : elles s’établissent à 572 milliards d’euros. Cette progression rapide résulte essentiellement d’une conjoncture favorable, et non d’un quelconque effort en recettes du Gouvernement. La croissance de la masse salariale du secteur privé, sur laquelle sont assises les cotisations sociales, a ainsi crû de 8,7 % en 2022, mais il s’agit là d’une situation exceptionnelle, qui a toutes les chances de ne pas se reproduire. La progression des recettes est donc vouée à ralentir.
J’en viens aux dépenses. Les charges nettes de la sécurité sociale et du FSV se sont élevées en 2022 à 591,6 milliards d’euros, en augmentation de 24,3 milliards d’euros par rapport à 2021 et, surtout, de 21 milliards d’euros par rapport aux prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale de 2022. La situation sanitaire dégradée du fait de la vague Omicron, les 12,7 milliards d’euros consacrés au Ségur de la santé et les revalorisations des prestations de 1,8 % au 1er avril, puis de 4 % au 1er juillet 2022, en sont responsables.
Les dépenses de la branche maladie, singulièrement de l’Ondam, se distinguent par leur dynamisme : l’Ondam connaît ainsi un dépassement de 4,4 %.
La situation des autres branches est contrastée. Celle de la branche vieillesse est préoccupante : elle connaît un déficit de 3,8 milliards d’euros en 2022, principalement du fait des revalorisations des prestations. Ce déficit devrait se dégrader à l’avenir, notamment en raison du déficit croissant de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Les branches famille et autonomie, si elles conservent des excédents, respectivement de 1,9 milliard et 0,2 milliard d’euros, les voient d’ores et déjà se réduire, car la progression de leurs dépenses est plus rapide que celles de leurs recettes. Seule la branche accidents du travail-maladies professionnelles bénéficie d’excédents solides.
Les comptes de la sécurité sociale sont donc déficitaires, mais certains sont aussi de plus en plus insincères. En effet, l’exercice 2022 a été marqué par le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche maladie et de la Cnaf. Un quart des montants versés au titre de la prime d’activité sont ainsi affectés d’erreurs non corrigées neuf mois après leur paiement. La nécessité de mieux lutter contre les abus et contre la fraude sociale, que le Sénat a maintes fois défendue, s’en trouve réaffirmée. En tout état de cause, nous ne pouvons pas donner quitus au Gouvernement de sa gestion dans ces conditions.
Je dirai un mot, pour terminer, sur l’endettement social. En 2022, la dette sociale a atteint un pic inédit de 161,1 milliards d’euros. Or la diminution programmée des ressources de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), la remontée des taux d’intérêt vers des hauteurs vertigineuses et la probabilité grandissante que de nouveaux passifs soient transférés à la Cades, compte tenu de la dégradation prévisible des comptes sociaux, font craindre un nouveau report de l’horizon d’extinction de la dette sociale, au-delà de 2033.
Le tableau que je vous peins est sombre : des recettes dont la dynamique ne manquera pas de s’épuiser, des dépenses mal maîtrisées en constante augmentation, un solde qui demeure fermement négatif et un endettement social inédit. Dans ces conditions, mes chers collègues, la commission des finances vous invite à rejeter ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, les objectifs de ce premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale sont non seulement d’approuver les comptes de la sécurité sociale, mais également de tirer les enseignements de l’exécution de l’année achevée avant d’examiner à l’automne le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Loin d’être une simple compilation de données comptables, le projet de loi apparaît, jusqu’à ses annexes, très politique. Nous en ferons donc également une lecture politique.
Tout d’abord, la dynamique des comptes reste préoccupante, car, si le solde des administrations de sécurité sociale est comparable à celui d’avant la crise sanitaire, la sécurité sociale, sans intégrer les autres administrations, est très déficitaire, en particulier la branche maladie, qui est toujours en attente du tournant préventif, mais aussi, comme cela est précisé dans les annexes, du fait de l’assèchement du financement de la protection sociale par des dispositifs alternatifs aux salaires, non soumis à cotisations, de moins en moins compensées, que vous n’avez de cesse de renforcer.
Ainsi, les composantes des rémunérations les plus dynamiques contribuent aujourd’hui le moins au financement de la sécurité sociale. En 2022, les exonérations ciblées non compensées sont en hausse de 11 %.
Le coût total des exonérations, allègements et exemptions d’assiette augmente fortement et atteint près de 80 milliards d’euros dans le champ des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.
Le coût net des exemptions d’assiette dépasse 10 milliards d’euros, soit une hausse de 6 %. Alors même que, selon les annexes, il reste très difficile d’évaluer la perte de cotisations de sécurité sociale résultant de l’ensemble des dispositifs d’exemptions d’assiette.
La politique que vous menez et que vous accélérez a pour effet d’inciter les employeurs à contourner les augmentations pérennes de salaires.
Vous produisez ainsi, pièce par pièce, loi après loi – hier la loi pour la protection du pouvoir d’achat, demain le projet de loi relatif au partage de la valeur –, le déficit de la sécurité sociale, méthodiquement.
Pour éclairer la reconduction ou non de ces niches sociales, la loi organique de mars 2022 a prévu une évaluation de leur efficacité pour un tiers d’entre elles chaque année, afin que chaque mesure fasse l’objet d’une évaluation tous les trois ans. La loi prévoit non pas une évaluation des niches sociales tous les trois ans, monsieur le ministre, mais une évaluation d’un tiers des niches chaque année.
Il est temps, compte tenu des pertes de recettes que ces niches représentent pour la sécurité sociale quand elles ne sont pas compensées ou de leur coût pour le budget de l’État, de produire cette annexe, afin d’éclairer le Parlement.
D’autres annexes se révèlent non conformes aux obligations d’information, tant du Parlement que des citoyens : notons, comme la commission, l’absence de l’indicateur sur la création de places en crèches en 2021 et en 2022 alors que l’objectif était d’en créer 30 000 nettes de 2018 à 2022. Il est vrai que l’on est loin du compte, et ce alors que le nouveau plan quinquennal en promet désormais 100 000. Dès lors, comment en juger ?
Le dépassement de l’Ondam était inévitable et semble programmé pour les exercices à venir. La Cour des comptes le note, « la progression moyenne annuelle sur la période 2023-2026 serait de 2,9 %, soit à peine plus que l’inflation », alors que nous savons que l’évolution mécanique due au vieillissement démographique, à l’innovation médicale et aux maladies chroniques est de plusieurs points en volume.
Où est la sincérité des prévisions, messieurs les ministres, comme le sens des dépassements ? Le seuil d’alerte est dépourvu d’intérêt et n’entraîne pas de lois rectificatives, celles-ci étant réservées, semble-t-il, aux réformes de structure impopulaires.
Les excédents des branches famille, autonomie et AT-MP traduisent aussi l’insuffisance des politiques ou de leur mise en œuvre. Je ne reviens pas sur le plan en faveur des crèches. Les résultats de la branche famille en matière de lutte contre la pauvreté, qui concerne un enfant sur cinq, et de la branche AT-MP en matière d’accidents et de maladies professionnelles ne sont pas satisfaisants. Enfin, nous sommes toujours dans l’attente d’une loi en faveur du grand âge pour la branche autonomie. Il est ainsi des excédents non vertueux !
Nous n’insisterons pas sur le refus partiel de la Cour des comptes de certifier les comptes. Nous constatons simplement que, loin de permettre un chaînage vertueux de ce projet de loi et du futur projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce texte suscite plus de questions qu’il ne livre d’informations. Cette photo des comptes est non seulement floue, mais également en partie incomplète. Elle ne nous permet pas d’espérer une inflexion des politiques budgétaires à l’automne.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons cet après-midi est la première loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, qui consacre la mise en place d’un cycle budgétaire complet de vote, de contrôle et d’évaluation des finances sociales.
En effet, la dernière révision du cadre des lois organiques des lois de financement de la sécurité sociale, qui a été adoptée au mois de mars 2022, a créé une nouvelle catégorie de lois, sur le modèle du triptyque des lois de finances.
La loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, déposée avant le 1er juin de chaque année, permet ainsi de constater et d’analyser les moyens financiers effectivement mis en œuvre l’année précédente et d’évaluer les politiques de sécurité sociale. Elle renforce le contrôle parlementaire de la gestion des administrations de sécurité sociale et de ses régimes obligatoires de base.
Ce texte permet donc de constater et d’analyser l’exercice clos de manière particulière, alors que cet examen était auparavant rapidement évacué lors de l’examen de la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les débats se concentraient alors principalement sur les mesures pour les années à venir.
Ce projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale est donc avant tout un exercice formel, puisqu’il constate et approuve les comptes de l’année précédente.
Comme l’a mentionné le ministre chargé des comptes publics lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat, ce texte est une « photographie » des comptes exécutés, dont le vote ne peut engager le contenu du texte, qui appartient au passé.
Nous pouvons donc faire la comparaison entre ce texte et les comptes administratifs des communes, qui sont le plus souvent votés, même par l’opposition, a contrario du budget présenté par l’équipe municipale, dont l’impact politique est beaucoup plus important:
Après ces considérations de forme, entrons dans le fond du sujet.
La situation financière des comptes de la sécurité sociale doit être replacée dans le contexte des difficultés économiques auxquelles nous faisons face avec la sortie de la crise sanitaire et les surcoûts de l’énergie. Nous sommes aujourd’hui en sortie de crise, mais le contexte inflationniste continue de peser lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages.
Ainsi, l’année 2022 a été marquée par une amélioration globale de la situation des finances de la sécurité sociale par rapport à l’année 2021, alors que la situation a été moins favorable que ne l’a prévu la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Le déficit des régimes de base et du Fonds de solidarité vieillesse a diminué de 4,6 milliards d’euros en 2022 par rapport à 2021, pour atteindre 19,6 milliards d’euros. Les raisons principales sont l’inflation, la bonne tenue de l’emploi, la surexécution des dépenses liées à la crise sanitaire et la revalorisation des prestations sociales.
L’analyse de nos comptes sociaux démontre que trois branches sur cinq – autonomie, famille et accidents du travail-maladies professionnelles – sont excédentaires et que les deux autres – vieillesse et maladie – demeurent déficitaires. Nous devons donc agir en responsabilité et maintenir nos efforts pour rétablir l’équilibre de ces branches.
À cet égard, nous pouvons nous féliciter de voir la situation du marché de l’emploi s’améliorer, ce qui nous permet de mieux financer notre modèle social grâce à l’augmentation des cotisations. En effet, pour la septième année consécutive, le chômage diminue en France, s’établissant à 7,3 % en moyenne annuelle en 2022. Au total, 337 000 emplois ont été créés en 2022, ce qui représente l’équivalent de 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour la sécurité sociale.
Ces chiffres encourageants mettent en exergue l’importance du travail dans l’amélioration des comptes de la sécurité sociale : plus de travail, mais également une meilleure redistribution.
Par ailleurs, la Cour des comptes, dans son rapport d’application des lois de financement de la sécurité sociale prévu au moment du dépôt de la loi d’approbation des comptes, a estimé que le coût de la fraude aux prestations sociales serait compris entre 6 milliards d’euros et 8 milliards d’euros.
À cet égard, le Gouvernement a récemment annoncé plusieurs mesures pour lutter contre la fraude sociale.
Parmi celles-ci, certaines concernent la lutte contre le travail non déclaré, la fraude aux prestations de santé et aux prestations sociales. La mise en place d’un véritable conseil d’évaluation de la fraude constituera également une réelle avancée, à laquelle nous souscrivons.
Ces annonces, très attendues de la part de nos concitoyens, permettront d’instaurer une plus grande confiance dans notre pacte social.
Pour toutes ces raisons, et en responsabilité, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est la première fois que nous examinons un projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale. C’est un progrès dans la procédure parlementaire de délibération des comptes sociaux, même si ce progrès reste bien mince, ainsi que nous l’avons souligné lors de l’adoption de la loi organique l’instituant.
Il est bien mince, car le renforcement du rôle et du contrôle du Parlement devrait impliquer en amont de l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale un parcours qui débuterait par un débat avant l’été sur le cadrage politique et les objectifs de nos politiques sociales et de santé. Il ne saurait être limité à un allongement des délais avant l’examen du texte. Sans un tel débat, les allocations de moyens et les arbitrages qui en découlent échappent largement aux parlementaires, mais aussi, et c’est une grande faiblesse de notre démocratie sociale, aux acteurs concernés.
Ces acteurs ne comprennent pas la décorrélation entre les plans, qui sont multiples, les stratégies nationales, tout aussi multiples, les annonces gouvernementales et la réalité des financements. L’adoption du budget social et santé de la Nation devrait être le temps d’établir ce lien. Or tel n’est pas le cas.
Nous n’en sommes donc pas encore à la mise en œuvre de cette procédure, que nous appelons de nos vœux. Nous nous contenterons donc de clore le cycle annuel des finances sociales et de constater les montants financiers effectivement mis en œuvre l’année précédente, mais également d’évaluer les politiques de sécurité sociale.
Si nous devions limiter notre rôle, comme l’a suggéré le ministre délégué chargé des comptes publics, à une forme de ratification administrative, les motifs de rejet seraient déjà patents, ainsi que l’a très justement souligné la rapporteure générale.
Les erreurs dans les comptes, difficiles à admettre alors qu’elles avaient déjà été relevées et qu’elles ne sont pas corrigées, mais aussi, et surtout, le refus de la Cour des comptes de certifier ceux de la branche famille, amèneront inéluctablement tout législateur rigoureux à ne pas voter ce texte.
La Cour des comptes a par ailleurs relevé que les hypothèses du Gouvernement relatives aux comptes sociaux sont « très optimistes » et la prévision de l’évolution des dépenses de santé, « particulièrement ambitieuse ». La sincérité est donc à tout le moins questionnée.
Le Gouvernement souhaite inscrire l’Ondam dans une progression quasiment égale à l’inflation. En raison de l’évolution des caractéristiques de notre population, cela correspond en fait à une régression des moyens alloués. Vous tracez ainsi le même sillon, monsieur le ministre : celui d’une contrainte financière forte, alors que les besoins de financement sont importants. Si au moins cette approche financière amenait nos comptes sociaux à l’équilibre… Mais non ! Vos projections sont celles d’un maintien de déficits à l’infini.
Une fois encore, une fois de plus, je veux redire qu’il s’agit d’un choix politique : le maintien d’une sécurité sociale en déficit envoie le message d’un système social trop coûteux, d’une charge pour la Nation, qu’il convient donc de réduire.
C’est la ligne politique de ceux qui considèrent que les cotisations sociales ne sont que des charges à diminuer et que la politique de soutien aux entreprises doit être supportée par notre système social. C’est vous qui opposez de fait soutien aux entreprises et système de protection sociale, en refusant de procéder à une révision complète de l’efficience des multiples exonérations accordées ces dernières années.
Il est pourtant possible d’équilibrer les comptes. Entre 2014 et 2018 – car tout n’a pas commencé en 2017, quoi qu’en dise le Gouvernement –, le recul du passif net a été constant, appuyé sur la réduction du déficit des régimes de base et du FSV, tandis que les résultats de la Cades et du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) conduisaient à dégager un résultat consolidé positif.
Oui, les multiples impacts bénéfiques, y compris sur la cohésion du pays, de notre système de sécurité sociale peuvent se conjuguer avec son équilibre financier.
Mais vous n’y arriverez pas, car vous faites un refus d’obstacle sur la question des recettes, pour laquelle vous ne tenez compte que des effets bienvenus, mais insuffisants, du taux d’emploi et de l’évolution spontanée des salaires. Vous n’y arriverez pas, parce que votre approche des dépenses est comptable. Elle repose toujours sur les mêmes illusions d’économies. « Ah, les arrêts de travail ! », « Les indemnités journalières ! »... : toujours les vieilles lunes de la maîtrise des comptes…
J’ai regardé sur ce point le rapport de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Il en ressort que, au cours de la dernière décennie, le montant des indemnités journalières a augmenté de 80 %, ce qui s’explique par l’augmentation du nombre d’actifs, la hausse des salaires, en particulier de Smic, par des épisodes épidémiques particulièrement importants et par un départ à la retraite plus tardif. À cet égard, la situation ne risque pas de s’arranger.
En résumé, il ne s’agit pas d’une dérive de ces inconscients de médecins traitants. Les propos du ministre délégué chargé des comptes publics sur les arrêts du vendredi ou du lundi relèvent de l’anecdote et ne sont pas à la hauteur. Vos services ont lancé une chasse qui est vaine.
Et que dire de la situation de l’hôpital, qui symbolise l’écart entre la satisfaction du Gouvernement et la réalité ?
Pour notre part, nous appelons le Gouvernement à revoir fondamentalement son approche du budget de la santé, principale source actuelle de déficit.
Le rapport de la Cour des comptes dit que l’enjeu principal, c’est de « mettre en œuvre, au niveau local, une stratégie territorialisée, qui associe l’hôpital public, les cliniques privées à but lucratif ou non, la médecine libérale et les collectivités territoriales ».
Monsieur le ministre, le pilotage actuel a démontré ses limites. Il faut en changer. Or vous persistez. Votre gouvernement gère mal la sécurité sociale, si l’on met en regard l’ampleur du déficit et l’état du système de santé.
Mon groupe souhaite que ce projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022 soit débattu jusqu’au bout. Il ne votera pas la motion procédurale et demande l’examen complet du texte, pour exprimer son opposition sur le fond à la ligne politique que celui-ci incarne. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022 a été inauguré en bonne et due forme par un rejet de l’Assemblée nationale, par 134 voix contre 115, et le dépôt d’une motion de la majorité sénatoriale nous laisse présager un avenir tout aussi funeste au Sénat.
Nous nous en réjouissons par avance, d’autant que nous avions dénoncé, lors de l’adoption de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, dite loi Mesnier, qui prévoyait la création de la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, la volonté de rapprocher la présentation des comptes de la sécurité sociale de celle des projets de loi de finances, au mépris de l’autonomie budgétaire de la sécurité sociale, et ce dans le seul objectif de renforcer l’étatisation et la fiscalisation de notre système de sécurité sociale.
Ce projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, présenté comme une innovation et un progrès pour le contrôle parlementaire, n’est en fait qu’une compilation de certaines annexes du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En réalité, ce texte ne vise qu’une seule chose : imposer de nouvelles restrictions des dépenses sociales.
En séance publique à l’Assemblée nationale, M. le ministre délégué chargé des comptes publics, qui n’est plus avec nous ce soir, a rendu un hommage appuyé aux 120 000 agents des caisses de sécurité sociale, et il vient de réitérer ces compliments devant le Sénat. Mais le 22 juin dernier, Le Canard enchaîné révélait que le Gouvernement avait l’intention de supprimer 1 720 postes à la sécurité sociale d’ici à 2027 : drôle de façon de remercier ces agentes et ces agents !
Ces suppressions d’emplois s’ajoutent à celles des précédentes conventions d’objectif et de gestion, qui ont supprimé plus de 800 CDI entre 2018 et 2022 dans les CAF. Il ne faut pas s’étonner si la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche famille en raison d’une augmentation importante des paiements erronés, puisque les moyens humains ne sont pas suffisants pour faire face aux demandes et aux réformes décidées par le Gouvernement.
En 2022, la progression de l’Ondam était de 2,2 % alors que les besoins étaient doubles, puisque la progression tendancielle des dépenses de soins est estimée à 4 %.
Entre-temps, l’impact de l’inflation sur les dépenses de fonctionnement a été estimé à 1,1 milliard d’euros supplémentaires, et la Fédération hospitalière de France a réclamé 2 milliards d’euros pour financer l’augmentation du point d’indice.
L’austérité imposée à la branche maladie en 2022 a conduit à la fermeture la nuit – je le rappelle – de 80 services d’urgences ; 131 établissements ont été concernés par des fermetures de lits et 30 % des patients atteints de maladies chroniques ont été contraints de reporter leurs soins. Des milliers de soignantes et soignants ont démissionné de l’hôpital.
Cette photographie des comptes de la sécurité sociale en 2022 illustre les conséquences de l’obstination du Gouvernement à assécher le budget de la santé.
Le rapport du mois de mars 2023 de l’Igas et de l’IGF a fait le point sur les mesures de réduction et d’exonérations de cotisations ou de contributions de sécurité sociale. Il a recensé 150 dispositifs pour les entreprises en 2022, soit un montant total de 67,5 milliards d’euros, contre 59,6 milliards d’euros en 2021. Pour 2023, ce montant atteindra 70,8 milliards d’euros.
Vous allez m’objecter que ces mesures ciblées ont été compensées par l’État. Certes, monsieur le ministre, mais à hauteur de 91 %, ce qui laisse une ardoise de 2,5 milliards d’euros à la sécurité sociale. Et je ne parlerai pas de ces 91 % de compensation, qui pourraient servir à développer les services publics !
Ce texte illustre également les conséquences du refus par le Gouvernement de prendre en charge les coûts de la pandémie de covid-19 et le transfert de l’addition à la sécurité sociale.
Sur la lutte contre la fraude sociale, le rapport de la Cour des comptes offre un éclairage intéressant, puisque la majorité de la fraude correspond à celle des employeurs au travail dissimulé, pour un montant estimé de 8 milliards d’euros. Viennent ensuite celle des professionnels de santé, pour 4 milliards d’euros et, enfin, la fraude des assurés sociaux, qui arrive en dernier, avec 2,5 milliards d’euros pour l’ensemble des prestations familiales. Nous sommes donc loin des discours véhiculés par certains pour stigmatiser les plus précaires et les étrangers.
Une fois de plus, ce texte illustre les choix du Gouvernement, qui s’obstine à refuser de dégager de nouvelles recettes en mettant à contribution les entreprises et les revenus financiers, comme notre groupe ne cesse de le proposer.
Vous préférez, monsieur le ministre, utiliser l’argent des assurés sociaux et des citoyens prélevé par l’impôt, la contribution sociale généralisée (CSG) et la TVA, pour financer les mesures d’exonération des cotisations patronales.
Pour toutes ces raisons, et par cohérence avec le fait que nous n’avons pas voté la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)