M. le président. L’amendement n° 25 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 129, présenté par M. P. Laurent, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 9, après la troisième phrase
Insérer deux phrases ainsi rédigées :
La France agira tout particulièrement pour l’application de l’article 6 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Elle rejoindra comme membre observateur le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Cet amendement vise à l’application de l’article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), entré en vigueur en 1970. Il tend également à faire en sorte que la France rejoigne comme membre observateur le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian). Les deux questions sont liées.
En effet, l’article VI du TNP engage toutes les parties « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. »
Le TNP est également clair au regard des obligations de la France comme des autres pays. En effet, selon l’alinéa 8 du préambule, les États parties déclarent « leur intention de parvenir au plus tôt à la cessation de la course aux armements nucléaires et de prendre des mesures efficaces dans la voie du désarmement nucléaire ».
Ces dispositions sont encore plus pertinentes à l’heure où les tensions internationales sont croissantes. La dégradation de la situation appelle à réévaluer notre politique de dissuasion en lien avec le respect de nos engagements internationaux, dont l’article VI du TNP, visant au désarmement nucléaire multilatéral.
Adopter cet amendement serait également se mettre en cohérence avec l’engagement pris lors du dernier G7 par les États membres d’approfondir les efforts de désarmement et de non-prolifération visant à atteindre « l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ».
En cohérence avec ces objectifs, le Tian complète utilement le régime juridique international interdisant les armes de destruction massive, ouvrant ainsi la voie à l’élimination totale de ces armes dans le monde entier.
À l’ONU, la volonté de voir appliquer l’article VI du TNP a mené en 2016 à des discussions en vue de négocier un instrument juridiquement contraignant d’interdiction des armes nucléaires, afin de conduire à leur élimination totale. Cette volonté a été partagée par la majorité des pays membres, mais a rencontré une résistance résolue de tous ceux qui possèdent l’arme nucléaire, dont la France, membre permanent.
M. le président. L’amendement n° 196, présenté par MM. Gontard, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 9, après la troisième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
En raison de la complémentarité du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et du traité d’interdiction des armes nucléaires, la France participe comme État observateur aux réunions des États parties du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement rejoint celui qui vient d’être présenté.
Depuis les progrès considérables des années 1970 et 1980, le désarmement nucléaire multilatéral a connu un coup d’arrêt. La fin de la guerre froide et l’éloignement du risque de guerre atomique expliquent sans doute une telle apathie. Alors que le spectre de l’apocalypse nucléaire pèse de nouveau sur l’humanité et sur le vivant, il est plus que jamais temps de reprendre ce combat.
En 2017, le Tian a été voté à l’Assemblée générale des Nations unies à 122 voix sur 192. Toutes les puissances nucléaires ont boycotté ce vote, mais l’ampleur de la demande internationale en la matière interdit de l’ignorer royalement comme nous le faisons pourtant depuis six ans.
Pour éviter toute confusion et tout élément de langage abusif, je rappelle que les écologistes jugent impossible de procéder à un désarmement unilatéral de notre pays. C’est pourquoi nous ne demandons pas à la France de ratifier le Tian : nous lui demandons de reprendre le flambeau de la négociation internationale pour le désarmement mondial.
Pour ce faire, nous voulons que notre pays rejoigne le Tian en tant que membre observateur pour pouvoir participer aux discussions des États membres qui souhaitent l’abolition des armes nucléaires. Cela nous permettrait d’obtenir des informations de première main sur les discussions et les développements relatifs à ce traité, notamment en suivant les progrès réalisés dans l’interdiction des armes nucléaires et en étant informés des positions et des préoccupations des États parties.
En tant qu’observateur, nous pourrions partager notre position tout en renforçant nos liens avec les États participants ainsi qu’avec des organisations internationales et avec des acteurs de la société civile impliqués sur ces enjeux.
À l’heure actuelle, le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est essentiellement symbolique. Nous devons donc prendre d’autres initiatives vers le désarmement atomique. Si la France veut réaliser son rêve d’être une puissance d’équilibre, œuvrer pour ce désarmement est une mission diplomatique de première importance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Ces deux amendements visent à faire accéder la France au statut de membre observateur du traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Ils ont déjà été déposés en commission et débattus. Nous en avions demandé le retrait au bénéfice d’une discussion en séance publique avec le Gouvernement.
Je le rappelle, la France n’a pas ratifié le Tian, qu’elle considère comme contraire à sa position, notamment au regard des efforts particuliers et intenses qu’elle produit pour l’application de l’article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Notre pays s’en tient, on le sait, à la stricte suffisance de son arsenal. De plus, le programme d’essais nucléaires a été arrêté au profit d’un programme de simulation. Par ailleurs, nous avons mis fin à la production de matières fissiles nécessaires à la construction de têtes nucléaires.
Le Gouvernement pourra compléter ma réponse. En attendant, je sollicite le retrait de ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. M. le rapporteur a tout dit.
La France est engagée dans le TNP. D’ailleurs, vos collègues de l’Assemblée nationale ont introduit, pour la première fois dans une loi de programmation militaire, une référence très claire à ce traité, à la demande des groupes écologiste et communiste.
Pour le coup, nous avons un agenda diplomatique offensif sur la prolifération ; il faut le tenir. Le mot « Iran » n’a pas été beaucoup prononcé, mais nous voyons bien que la menace est à nos portes. Je pourrais également évoquer la Corée du Nord. Les enjeux sont très importants.
Le Gouvernement considère que toute référence au Tian viendrait affaiblir ce qui est fait en matière de lutte contre la prolifération. Par définition, le statut d’observateur me semble non compatible avec notre doctrine de dissuasion nucléaire.
Je sais que nous ne sommes pas d’accord là-dessus. Pourtant, la présente loi de programmation militaire contient désormais – cela n’avait jamais été le cas auparavant – des références au TNP, ce qui permet d’avancer. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Ce débat est très important.
Certes, nous ne pouvons évidemment que nous féliciter du fait que la référence au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ait été introduite dans le texte. Au demeurant – inutile de vous faire un dessin –, la situation internationale devrait nous inciter à multiplier les initiatives.
Quand on voit ce qui s’est passé en Russie voilà quelques jours, penser que des gens comme les dirigeants de Wagner pourraient un jour accéder à la possession d’armes d’une telle puissance fait froid dans le dos. Et cela ne vaut pas que pour la seule Russie. Ce que nous avons vu lors d’élections américaines, notamment avec l’assaut contre le Capitole, fait tout autant frémir.
Nous vivons dans un monde où la question de la détention d’armes nucléaires devrait beaucoup plus nous préoccuper.
Et l’opposition systématique au Tian de la part de notre pays et de toutes les puissances nucléaires, parce qu’aucune d’entre elles – France, Russie, Chine, États-Unis et d’autres – ne veut signer le traité, me semble aller totalement dans le mauvais sens.
Posons-nous les bonnes questions. Quel message adressons-nous aux plus de 100 États qui ont signé le Tian ? Quel type de dialogue engageons-nous avec ces pays pour les mettre à nos côtés dans le combat contre la prolifération nucléaire ?
Nous proposons non pas de signer le traité – certes, on pourrait en discuter –, mais d’être membre observateur de la conférence du Tian, c’est-à-dire d’entrer en dialogue positif avec tous les États qui s’engagent dans cette démarche et qui ne demandent absolument pas à accéder à l’arme nucléaire. De fait, ces États ne recherchent pas la prolifération : ils ne veulent plus d’une telle arme, parce qu’ils savent qu’ils ne l’auront jamais, et demandent un processus multilatéral plus actif que le seul TNP.
Or la France, encore récemment par votre voix, monsieur le ministre, dit à ces pays qu’ils agissent de manière contraire au traité.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pierre Laurent. C’est l’inverse ! Ces pays affirment précisément que le TNP ne va pas assez loin et qu’il faut prendre plus d’initiatives. Ce n’est pas raisonnable de refuser de dialoguer !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que nous avions débattu de ces amendements en commission, alors que nous n’avons précisément pas pu en discuter. Nous avions d’ailleurs signalé que nous échangerions dès lors nos points de vue dans l’hémicycle. Il est important de le faire : prenons ce temps, que nous n’avons pas pris en commission.
Monsieur le ministre, vous nous affirmez que l’inscription du TNP dans la loi de programmation militaire est une avancée. C’est vrai. Moi-même, je la salue.
J’écoute vos arguments. Vous évoquez l’Iran est les tensions sur le nucléaire. Je pense, contrairement à vous, que la situation actuelle nous oblige à avancer : la France, en tant que pays disposant de la dissuasion nucléaire, peut vraiment montrer la voie d’une dénucléarisation.
Encore une fois, être membre observateur du Tian permet simplement d’ouvrir le dialogue. C’est tout ce que nous demandons.
À vous écouter, je ne comprends pas les raisons du blocage effectué par l’ensemble des pays qui disposent l’arme nucléaire. Il y a de quoi s’interroger… Je regrette que notre pays ne soit pas moteur en matière de dénucléarisation.
M. le président. L’amendement n° 130, présenté par M. P. Laurent, Mmes Gréaume, Apourceau-Poly et Assassi, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay, Lahellec, Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Pour répondre à nos engagements internationaux, œuvrer pour la paix et faire face aux évolutions techniques probables et à leurs conséquences possibles sur la dissuasion nucléaire, le Gouvernement procède à la création d’un commissariat à la dissuasion de demain, chargé notamment d’explorer et concevoir les modalités d’une action dissuasive crédible, alternative à la dissuasion nucléaire.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Nous proposons la création d’un commissariat à la dissuasion de demain pour concevoir une alternative à l’arme nucléaire. Tout cela peut paraître utopique à certains d’entre vous, mais nous considérons que le moment est venu de se mettre au travail pour anticiper, si possible, un autre type de dissuasion.
À défaut, des scénarios peuvent germer dans des cerveaux moins bien intentionnés que les nôtres. Je sais qu’Elon Musk est devenu une star française, mais il est prêt à gouverner le monde tout seul, par ses multiples inventions. Laisserons-nous des cerveaux de ce type concevoir les grands systèmes du futur, y compris en matière de défense et de dissuasion ?
Il va y avoir de nombreuses inventions les prochaines décennies. Ne restons pas enfermés dans les schémas actuels, qui sont par ailleurs extrêmement dangereux.
Notre proposition peut donc paraître un peu utopique, mais elle nous permettrait de mobiliser les intelligences pour peut-être concevoir des scénarios que personne n’a imaginés jusqu’à présent. Nous connaissons les énormes capacités de l’intelligence humaine et des innovations technologiques en ce XXIe siècle. L’initiative serait donc positive et probablement utile pour l’avenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Mes chers collègues, la commission respecte tout à fait les positions de vos groupes d’appartenance, et elle débat sur les sujets qui viennent d’être évoqués.
De fait, la toute dernière audition à avoir été organisée en son sein a été celle de M. Salvetti, directeur des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui nous a fourni beaucoup d’informations sur l’organisation de la dissuasion nucléaire dans notre pays, à tel point que j’en ai été moi-même surpris.
Nous avons demandé en commission le retrait de l’amendement n° 130 au bénéfice d’un débat en séance publique avec le Gouvernement. Je rappelle simplement que, depuis 1960, la dissuasion nucléaire est consubstantielle à la stratégie française d’épaulement réciproque entre composantes nucléaire et conventionnelle de nos forces. Ce n’est pas au moment où les discours menaçants se multiplient de la part de plusieurs puissances nucléaires, comme la Russie ou la Corée du Nord, qu’il faut se détourner de l’enjeu principal : la crédibilité de la dissuasion nucléaire française.
Je vous propose de retirer cet amendement après les informations que donnera M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne livrerai pas tant d’informations que je poursuivrai la réflexion à voix haute. Des amendements similaires ont été déposés par La France insoumise à l’Assemblée nationale ; nous en avions longuement débattu. Pour faire une synthèse, j’avais été amené à tirer le fil des amendements jusqu’au bout.
En premier lieu, nous ne pouvons évidemment pas nous permettre, ce que vos collègues députés communistes avaient d’ailleurs complètement intégré, de sous-entendre que la dissuasion ne produirait plus d’effet, aujourd’hui comme dans l’avenir. En effet, le concept même de dissuasion implique justement de ne pas mettre en doute son efficacité à dissuader.
Cela relève de la rhétorique. Au-delà de la création d’un commissariat, qui ne pose pas tant la question d’être en faveur ou non de la direction des applications militaires (DAM), vous soulevez une réflexion autour du concept même de dissuasion. Pour dissuader, il faut y croire et avoir les moyens d’y croire. Cet argument mériterait à mon avis que nous nous penchions dessus collectivement en y consacrant plus de temps.
En second lieu, vous écrivez clairement dans l’amendement que vous proposez une « alternative » à la dissuasion nucléaire. La formulation est d’ailleurs plus explicite que celle des amendements qui ont été examinés à l’Assemblée nationale. J’avais alors ouvert le débat à l’occasion d’une réflexion collective. Pourquoi la dissuasion nucléaire dissuade-t-elle ? Parce qu’elle est fondamentalement terrifiante. Je crois qu’il n’y a pas de doute ; l’équilibre repose précisément sur ce sentiment.
Au fond, et les députés de La France insoumise m’en avaient d’ailleurs donné acte, réfléchir à quelque « alternative » à la dissuasion nucléaire inspirant un sentiment tout aussi terrifiant entraînerait forcément de la prolifération.
En effet, votre raisonnement revient à se demander comment dissuader autant qu’avec une arme nucléaire. Ce n’est pas ce que vous proposez, mais c’est la conclusion à laquelle l’on parvient si l’on tire sur le fil de votre raisonnement…
Certains de vos collègues parlementaires de La France insoumise avaient souligné que la dissuasion serait peut-être à l’avenir spatiale, cyber ou autre.
Ne nous payons pas de mots. Quand bien même la dissuasion ne serait pas nucléaire, elle devrait toujours être d’une puissance équivalente. Si le débat est intéressant sur le terrain rhétorique, il nous amène de fait à une réflexion lourde de conséquences pour une démocratie, me semble-t-il.
D’une part, votre amendement revient à introduire l’idée que la dissuasion ne suffirait plus à l’avenir. Il s’agit d’un autre débat à part entière. La LPM me semble être le moment propice pour prendre le temps d’échanger sur le sujet.
D’autre part, il conduit à réfléchir à autre chose pour dissuader l’autre de s’en prendre à nos intérêts vitaux. C’est aller vers des choses aussi terribles. Je crois que c’est le ressort même d’une dissuasion.
Cette question avait été examinée à l’Assemblée ; il était assez nouveau de la poser en ces termes dans des échanges publics. Moi qui suis un militant de la dissuasion nucléaire, quand je mène le débat jusqu’au bout – il avait duré trois ou quatre heures à l’Assemblée nationale –, il apparaît à la fin des fins que la dissuasion fonctionne, c’est-à-dire dissuade.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Ces amendements permettent d’avoir le débat qu’appelait d’ailleurs de ses vœux M. le ministre des armées. Il est vrai que la discussion est importante. Aussi est-il dommage de l’avoir en ces termes et si tardivement. Il y a des visions différentes. Il me paraît bon que la représentation nationale s’interroge.
Il n’en demeure pas moins que ma famille politique reste extrêmement attachée à la dissuasion nucléaire, qui – je le rappelle, et je pense que c’est assez simple à démontrer – nous a permis de vivre relativement en paix. Certes, cette arme est terrible, mais son aspect terrifiant est justement ce qui assure depuis près de cinquante ans notre sécurité, notamment nos relations pacifiées avec les nations dotées.
Cela n’empêche pas d’autres débats. D’une part, il existe des risques vis-à-vis desquels la France, comme d’autres pays, ne répondrait pas par la dissuasion, ce qui est au demeurant une bonne chose. D’autre part, il existe une volonté – il faut l’entendre – de réguler et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de prolifération.
Le système est donc assez complexe. En tout cas, la dissuasion est importante pour ma famille politique. D’autres groupes citent souvent de Gaulle ; je peux citer à mon tour les propos de François Mitterrand, que j’ai mis en avant hier au cours de la discussion générale. Ce dernier considérait que la dissuasion relevait de la volonté d’un homme, « le Chef de l’État […]. Le reste, ce sont des matériaux inertes ». Je réaffirme ce discours.
Il est important – je le répète – que nous puissions en débattre régulièrement et que la France puisse continuer à financer sa dissuasion nucléaire, à la moderniser et à réduire les risques, puisqu’ils existent, afin que nous puissions porter un discours de par le monde sur la question de la non-prolifération. Cela me semble sain.
Nous ne voterons pas pour cet amendement : une fois encore, nous considérons la dissuasion comme la clé de voûte de notre système de défense.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, ne me demandez pas de confirmer ou non l’existence d’une dissuasion alternative. Nous proposons précisément de créer un lieu de réflexion à cette fin, un lieu qui permette de se poser cette question. Il faut nécessairement se la poser plusieurs décennies avant de mettre en œuvre d’éventuelles conclusions, parce que ce n’est pas en huit jours qu’on amende ce genre de choses. Il faut par conséquent réfléchir à de multiples scénarios, qui nous paraissent peut-être pour l’heure improbables. Je pense que cela en vaut la peine.
Si j’écoute votre discours jusqu’au bout, en somme, la dissuasion nucléaire marquerait la fin de l’histoire,…
M. Pierre Laurent. … c’est-à-dire qu’il ne s’inventera jamais rien d’autre : la dissuasion nucléaire actuelle est nécessaire, et il en sera toujours ainsi.
Quand nous vous parlons de désarmement, vous répondez que nous sommes si loin de l’élimination des armes nucléaires que ce n’est même pas la peine d’y faire allusion.
Quand nous vous demandons de faire attention car, au niveau mondial, nous mettons le doigt sur la militarisation généralisée de l’espace et des fonds sous-marins, vous semblez croire qu’il n’y aura aucune conséquence. Nous devrions pourtant mobiliser toutes les énergies humaines pour consacrer l’espace et les fonds sous-marins à la transition climatique. Or nous nous apprêtons à les militariser.
Qui plus est, ce sont des entreprises privées, comme celle d’Elon Musk, qui le font. C’est extrêmement rassurant ! Personnellement, je pense qu’il faut envisager d’autres scénarios, essayer d’imaginer d’autres pistes et se projeter dans un autre monde que le nôtre. Ce ne sera pas pour demain matin – je vous passe d’autres nuances à apporter –, mais l’idée que nous vous soumettons ne me semble pas si farfelue qu’il n’y paraît.
Je retire l’amendement, car le vrai sujet n’est pas tant de voter ou non cet amendement. Mais il faut mettre l’idée dans le débat.
M. le président. L’amendement n° 130 est retiré.
L’amendement n° 268, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
En cas de recours à une offre commerciale, les données sensibles intéressant la défense, relevant de secrets protégés par la loi ou nécessaires à l’accomplissement des missions essentielles du ministère des armées, seront hébergées sur des serveurs respectant la qualification « SecNumCloud » ou une qualification européenne garantissant un niveau de sécurité au moins équivalent.
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Paul, vice-président de la commission des affaires étrangères. Avis favorable.
La commission avait adopté un amendement visant à encourager la constitution d’un environnement de confiance pour le stockage de données. Le Gouvernement entend en préciser le contenu en indiquant que les serveurs concernés intéressant la défense respecteraient les qualifications européennes garantissant leur niveau de sécurité.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 269, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 11, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cet amendement est défendu.
Je me suis déjà engagé devant la commission à mener une réflexion sur l’avenir de Sentinelle une fois les jeux Olympiques passés.
Ce n’est pas au rapport annexé de fixer les missions que l’on assigne aux armées. Là aussi, si nous défendons le modèle qui est le nôtre depuis le général de Gaulle jusqu’à François Mitterrand, en passant par Emmanuel Macron, il est évident que le rôle de chacun doit être respecté.
Surtout, et, si j’ose dire, malheureusement, l’état de la menace doit commander le degré de projection des forces sur le territoire national au travers de l’opération Sentinelle ; nous en savons tous quelque chose à l’épreuve des faits.
Je tiens à indiquer que les engagements que j’ai pu prendre en commission sont toujours d’actualité. Nous avons vu récemment le rôle de nos armées à Annecy, où un détachement de Sentinelle est intervenu rapidement pour sécuriser les lieux.
J’invite donc le Parlement à la plus grande prudence sur la question de l’opération Sentinelle.
M. le président. L’amendement n° 78, présenté par MM. Temal et Kanner, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Todeschini, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 11, dernière phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Par ailleurs, la mission Sentinelle fait l’objet d’une communication annuelle auprès du Parlement afin d’évaluer la nécessité ou non de faire évoluer ce dispositif.
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Lancée en 2015 face à la menace terroriste, l’opération Sentinelle a été pérennisée sur notre territoire. Nul ne remettrait en cause la pertinence de ce dispositif. Toutefois, il me semble nécessaire qu’une communication soit adressée au Parlement pour déterminer comment adapter l’opération ou, du moins, bénéficier d’une perception nette de la pertinence de Sentinelle sur notre territoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Sur l’amendement n° 269, la commission a estimé qu’il n’y avait pas d’urgence à supprimer Sentinelle. Les débats en commission ont mis en lumière le fait qu’une telle suppression ne pouvait pas intervenir avant les jeux Olympiques de Paris, même si nous partageons avec la Cour des comptes l’analyse selon laquelle les missions de cette opération doivent revenir rapidement aux forces intérieures et non plus aux militaires, qui, pendant ce temps, ne peuvent pas s’entraîner à la haute intensité. Avis défavorable.
Avis défavorable également sur l’amendement n° 78. Nous avons recommandé que les militaires ne soient plus déployés dans le cadre de Sentinelle tout en restant mobilisables, évidemment, en cas de menace grave.
Nous émettrons un avis favorable sur l’amendement n° 18 rectifié, qui va dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vois l’amendement n° 78 comme un amendement d’appel. En effet, aux termes de l’article 4, une communication est due chaque année au Parlement sur les Opex et les missions intérieures (Missint). Sentinelle est de loin une des missions intérieures les plus importantes.
Comme je vous l’avais indiqué en commission, si pour quelque raison que ce soit, notamment éviter certains fantasmes ou propos qui ne seraient pas exacts sur Sentinelle, vous estimez qu’en plus de cette communication, il faut dédier ne serait-ce qu’une demi-heure à une audition du ministre ou du chef d’état-major des armées, j’y suis favorable, comme à tout ce qui permet de clarifier les choses.
Il y a ce que dit la Cour des comptes, mais il y a aussi l’opération Sentinelle à l’épreuve des faits, et il est toujours intéressant d’éclairer le Parlement à cet égard.