M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a de cela pratiquement quatre ans, le 18 juillet 2019, lors de l’examen de la loi relative à l’énergie et au climat, le Sénat osait déjà parler du bilan carbone. Il l’avait fait contre l’avis du Gouvernement, qui considérait que c’était trop ambitieux et que cela pourrait pénaliser notre économie. Que de chemin parcouru !
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est sûr !
M. Daniel Gremillet. Le débat d’aujourd’hui porte sur l’industrie verte. Une fois de plus, il est traité en urgence, de manière décousue et au travers des multiples points que nous devons traiter pour exprimer notre ambition partagée de réindustrialisation de notre pays.
Par ailleurs, la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN au cœur des territoires n’a pas encore été votée par l’Assemblée nationale. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n’est pas non plus encore à l’ordre du jour, alors que, pour produire et réindustrialiser, il faut de l’énergie ; elle sera peut-être examinée au second semestre de cette année.
Nous devons donc examiner le présent texte en urgence, ce qui conduit à une situation absolument incroyable. En effet, messieurs les ministres, résumer l’industrie verte aux énergies renouvelables, cela revient à s’en tenir à une ambition tout de même trop légère par rapport aux capacités industrielles de notre pays. Quelle est la vraie ambition de la France en matière de réindustrialisation ? Quels sont ses objectifs en matière de décarbonation de l’ensemble de notre économie ?
J’insiste de nouveau sur ce point : si nous nous donnons pour ambition de reconquérir notre autonomie industrielle dans les territoires, il faudra aller plus vite. Là encore, le Sénat a été au rendez-vous, en proposant une fourniture d’énergie décarbonée en quantité suffisante pour satisfaire les besoins de l’industrie.
Un autre sujet a été mis sur la table à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative au ZAN. Nous avons évalué entre 20 000 et 30 000 hectares la quantité de foncier nécessaire pour réindustrialiser la France ; or, sur l’autre plateau de la balance, on constate qu’il y a 150 000 hectares de friches dans les territoires. Le problème est, là encore, l’urgence avec laquelle vous voulez que nous transposions dans ce texte cette ambition d’industrie verte, monsieur le ministre Lescure : c’est le problème du temps ! Vous vous êtes satisfait, à juste titre d’ailleurs – étant originaire de cette région, je connais bien le dossier auquel vous avez fait allusion –, de la disponibilité de certaines surfaces ; il n’en reste pas moins qu’il faudra des moyens considérables et beaucoup de temps pour dépolluer les 150 000 hectares de friches industrielles disponibles.
On constate donc un décalage entre la nécessaire ambition de réindustrialisation de la France, que nous partageons, et la gestion financière de l’accompagnement des collectivités vis-à-vis de ces friches parfois orphelines. C’est un vrai sujet d’accessibilité territoriale : il faut que l’ensemble de nos collectivités soient en mesure d’accueillir, à un moment donné, de nouvelles entreprises dans le cadre de la réindustrialisation de la France.
Je voudrais également évoquer l’article 4 de ce texte. Monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous quand vous déclarez que le sujet absolument essentiel, aujourd’hui, est ce qui donne à un produit la qualification de « déchet ». La bataille est devenue européenne, voire mondiale, autour de la détention des déchets, parce que derrière cette notion se trouve de l’innovation, de la création de valeur. Nous aurons assurément des débats assez passionnés sur cette question, mais il faut placer le curseur là où il faut, parce que l’enjeu est éminemment stratégique, notamment au vu de la rareté de certains matériaux.
Désormais, en matière industrielle, je ne parlerais plus de déchets, mais de coproduits. Il faut, comme nous l’avons fait lors de l’examen de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, déterminer comment sortir de la qualification de « déchet » pour favoriser l’innovation.
En conclusion, je veux faire remarquer que l’intitulé de ce projet de loi, « relatif à l’industrie verte », est quelque peu trompeur. En effet, comme je l’ai expliqué, cette notion ne se limite pas aux énergies renouvelables, mais doit englober l’ensemble des activités industrielles de notre pays, en accord avec l’ambition de la France d’accéder à une industrie décarbonée et d’accompagner celle-ci, parce que c’est l’enjeu économique de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 2020, nos défaillances en matière industrielle, qui ne datent pas d’hier, sautent aux yeux. Notre pays est fortement désindustrialisé – les ministres l’ont rappelé – et, en tant qu’élue de l’Aube, je mesure ce que cela signifie.
Ce triste constat se traduit par des conséquences sur l’emploi, sur les niveaux de rémunération, sur la balance commerciale et même sur notre trajectoire pour atteindre l’objectif de Lisbonne.
Mais une dynamique a heureusement été réenclenchée. L’espoir existe et, messieurs les ministres, vous ouvrez des usines là où vos prédécesseurs en fermaient…
Ce projet de loi tendant à accélérer nos efforts en faveur d’une industrie décarbonée est une traduction de cet espoir.
En juin dernier, la mission d’information sénatoriale, dont le thème était « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », et qui avait été créée sur l’initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires, avait formulé de nombreuses propositions dans le rapport qu’elle a remis. J’en reprends d’ailleurs quelques-unes dans mes amendements.
Les constats que nous avons dressés ont été jugés pertinents.
Le premier constat est que la désindustrialisation n’est pas une fatalité. La France forme des personnes qui font autorité dans le secteur de l’innovation et de la recherche. La formation, dimension absente de ce projet de loi, constitue le terreau de la recomposition de notre industrie et de sa décarbonation, objectif prioritaire de ce texte.
Le second constat est qu’il faut absolument libérer les énergies et faire sauter les verrous que nous avons nous-mêmes créés. Il importe donc de lutter contre la bureaucratie, avec autant de vigueur que nous devons en déployer pour parvenir à la décarbonation.
L’administration est au service des citoyens, et non l’inverse. Nos procédures ne doivent pas prendre le caractère d’un parcours du combattant administratif. Cela vaut particulièrement pour les implantations d’installations industrielles. Il importe de réduire les délais.
À cet égard, le projet de loi comporte des avancées notables, notamment sur les procédures relatives aux autorisations environnementales, à la cessation d’activité ou à la réhabilitation des sites.
Encore faut-il, toutefois, que, en aval, les homologations de produits ou les autorisations de mise sur le marché (AMM) puissent être obtenues en un temps raccourci, de manière fluide et à des coûts soutenables pour nos entreprises, notamment pour nos entreprises innovantes. Les procédures fast track instaurées par l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, combinées à la garantie d’un prix bas de l’énergie sur le long terme, constituent un véritable aspirateur pour nos start-up innovantes. Nous devons en avoir conscience.
Je salue les travaux pour parvenir à un équilibre qui ont été réalisés par les commissions saisies au fond et pour avis. Nous verrons ce qui ressort de nos prochains échanges. Je sais que chacun tient à ce que la transformation écologique de la France soit une réussite.
Réindustrialiser notre pays constitue le meilleur vecteur pour décarboner des pans entiers de nos productions, grâce à la mise en œuvre de technologies bénéfiques au développement durable.
J’alerte toutefois sur deux points.
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que les solutions se trouvent dans nos territoires : leurs capacités d’innovation et de création sont impressionnantes. Nos territoires abritent nos TPE et nos PME. Raisonner en termes « giga », c’est bien, mais si l’on veut décarboner, il convient aussi d’adopter une approche « micro ».
Ma seconde préoccupation, qui est très largement partagée, concerne l’articulation entre la réindustrialisation et la mise en œuvre du ZAN : je trouve intéressant, à cet égard, l’amendement du Gouvernement tendant à proposer une nouvelle rédaction de l’article 9 bis. Nous devrons suivre avec attention la discussion qui s’ouvrira demain à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette. Il importe de faire preuve de logique et de pragmatisme sur ce sujet.
Enfin, réindustrialiser suppose aussi de libérer les énergies fiscales et l’investissement. Le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz est clair : la transition écologique implique la mobilisation de financements massifs. Toutefois, ses auteurs n’ont pas trouvé d’autre solution que l’impôt. Or, dans un pays où la part des prélèvements obligatoires par rapport au PIB est une des plus élevées dans le monde et où les émissions de gaz à effet de serre par rapport au PIB sont parmi les plus faibles, cette piste n’a guère de sens. En suivant cette voie, on risque de passer à côté de l’enjeu majeur pour notre pays : accélérer sa transition écologique grâce à la réindustrialisation de son économie. J’y insiste, la meilleure façon de décarboner l’économie, c’est de produire en France !
Le projet de loi ouvre un autre chemin pour financer cette transition : la mobilisation des capitaux privés. Dès février 2021, j’ai proposé un dispositif de mobilisation de cette épargne pour financer les projets industriels dans nos territoires.
Épargne privée, assurance vie, plan d’épargne retraite, capital-risque, capital investissement, etc. : les leviers sont nombreux qui peuvent contribuer à l’effort de financement. Cette approche non coercitive présente deux avantages : d’une part, elle permet de ne pas imposer davantage les Français ; d’autre part, elle stimule l’innovation dans la transition en contribuant à « dérisquer » les investissements les plus essentiels.
Là est la clé : si nous voulons développer de nouvelles solutions industrielles et technologiques pour répondre aux défis soulevés par le dérèglement climatique, il est nécessaire d’encourager le déploiement d’investissements dont l’horizon et le niveau de rentabilité attendu ne s’inscrivent pas dans une logique court-termiste. C’est le meilleur rôle que l’État puisse jouer, notamment par le biais de la commande publique. Il y va de notre intérêt collectif, car le coût de l’inaction est tout simplement inabordable. Il est grand temps, en ce XXIe siècle, d’entrer dans l’âge du faire. C’est pourquoi nous soutiendrons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que ce texte devait, selon les propres termes de l’exposé des motifs, s’inscrire dans « une nouvelle étape de réindustrialisation du pays, afin de faire de la France la championne de l’industrie verte en Europe », il est clairement loin de l’objectif affiché ! Des sujets cruciaux, comme la formation, la recherche, l’emploi ou certaines mesures financières et fiscales, sont renvoyés à la prochaine loi de finances. Le périmètre du texte est donc particulièrement restreint, et l’application de l’article 45 de la Constitution – un corset ! – nous empêche d’avoir une vision d’ensemble des problèmes.
Tandis que certains n’ont eu de cesse de pousser à une mondialisation ultralibérale de l’économie, les écologistes appellent, depuis de nombreuses années, à rétablir notre souveraineté industrielle et à engager une relocalisation de notre industrie, en particulier pour les productions stratégiques essentielles pour l’environnement, la santé, notre sécurité et notre indépendance.
Si nous voulons atteindre nos objectifs environnementaux et climatiques, une transition vers des modes de production plus durables est indispensable.
Toutefois, on ne peut sérieusement qualifier de « verte » une réindustrialisation qui viserait à répondre à une demande de consommation insoutenable dans son ampleur pour notre planète, et dont la visée environnementale se limiterait à la seule décarbonation.
N’oublions pas que l’industrie a de nombreux effets sur l’environnement et la santé humaine : pollution de l’air, des sols, de l’eau, consommation de ressources, artificialisation des sols, etc. Il est impossible de vouloir réindustrialiser sans prendre en compte l’ensemble de ces impacts.
Ce texte, dans son ensemble, n’est clairement pas à la hauteur des enjeux. Il ne contient pas de réelles mesures permettant de parvenir à une réindustrialisation décarbonée et résiliente, qui s’inscrirait dans une logique de sobriété et qui occasionnerait la création d’emplois verts dans les territoires.
La décarbonation, qui est tant mise en avant, est de plus quasi absente du texte. Les voies et les moyens pour l’atteindre ne sont pas définis ou sont renvoyés au domaine réglementaire.
Ce texte repose également sur une vision très mondialisée et archaïque de l’activité économique : celle-ci est pensée dans une logique de compétitivité internationale plus que sous l’angle de la satisfaction de nos besoins essentiels. Notre tissu industriel, qui doit pourtant être au cœur de la dynamique, est ignoré. À côté des projets de gigafactories, nous devons accompagner dans leurs transformations nos PME et nos TPE, car celles-ci sont ancrées dans des écosystèmes locaux.
Réindustrialiser, c’est d’abord préserver, adapter et régénérer ces tissus industriels territoriaux.
Je pense par exemple à Photowatt, entreprise victime du dumping chinois : en refusant de l’inclure dans un projet global et de lui donner un avenir par le biais d’investissements qui lui permettraient de réaliser un saut technologique, l’État l’abandonne.
Si ce texte est donc insuffisant par rapport aux ambitions affichées, en revanche, le Gouvernement ne lésine pas sur les mesures régressives concernant les règles environnementales et sur l’affaiblissement du processus de consultation démocratique, sous couvert bien sûr d’accélération des procédures…
Il aurait fallu commencer par définir ce qu’est une industrie « verte ». S’agit-il seulement de certaines activités industrielles indispensables à la transition énergétique ou bien d’une nouvelle manière de penser l’industrie, cette dernière étant conçue comme économe en ressources et respectueuse de son environnement ? L’absence d’une telle définition met à mal l’ensemble du dispositif.
L’économie circulaire, malgré les effets d’affichage, reste largement absente.
Nous saluons tout de même une avancée intervenue en commission, grâce à l’adoption de notre amendement visant à créer des projets territoriaux d’industrie circulaire, à l’image des projets alimentaires territoriaux (PAT).
La commande publique doit, quant à elle, être plus exemplaire en matière de responsabilité environnementale. Nous ferons des propositions pour renforcer l’ambition du texte en ce sens.
Fort heureusement, le drame de la réindustrialisation à marche forcée contre les collectivités est évité. La tentative de recentralisation, contraire au principe de libre administration des collectivités, a avorté, car la commission a modifié l’article 9. Celui-ci visait, dans sa rédaction initiale, à donner aux préfets la mainmise sur la mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Une telle disposition entrait en contradiction avec la volonté de planification territoriale à l’échelle régionale !
La redynamisation des territoires industriels dépend en grande partie de l’implication des citoyens. Le dialogue est indispensable. S’il est bâclé, les tensions dans les territoires augmenteront, de même que les risques de contentieux.
En ce qui concerne l’artificialisation, nous déplorons fortement l’instauration de dérogations aux objectifs ZAN, et ce alors même que la navette parlementaire sur la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires n’est pas terminée. Une telle démarche n’est pas acceptable.
Les enjeux relatifs à l’autonomie alimentaire, à la biodiversité et à la capacité de stockage du carbone sont tout aussi primordiaux que ceux qui ont trait à l’emploi, au pouvoir d’achat et à la souveraineté.
Pour conclure, c’est à regret que nous constatons que nos lignes rouges demeurent. Ce projet de loi est, pour l’instant, clairement plus orienté vers l’industrie que du côté « vert »…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Heureusement !
M. Daniel Salmon. Il oublie les fondamentaux de la transition écologique.
C’est pourquoi nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous devons rattraper quarante années de désindustrialisation et d’appauvrissement de régions entières, dont la richesse et l’organisation de la vie en société s’articulaient autour de l’industrie – cet idéal de production qui alimente le progrès technique et le développement de toute l’économie nationale.
Le Gouvernement a pris, dès 2017, le sujet à bras-le-corps, en investissant massivement dans l’innovation et en menant une politique de l’offre ambitieuse, qui a indubitablement attiré les investisseurs puisque, depuis quatre ans, la France est le pays européen qui reçoit le plus d’investissements étrangers.
Depuis six ans, le nombre des ouvertures d’usine dépasse celui des fermetures, et l’industrie crée plus d’emplois qu’elle n’en détruit. La réindustrialisation est en marche, c’est une réalité.
Il ne s’agit pas pour moi, mes chers collègues, de délivrer un satisfecit naïf au Gouvernement, car les défis restent nombreux. Nous ne sommes qu’au début de l’aventure : relâcher maintenant l’effort aboutirait à ruiner tout ce que nos entreprises ont pu accomplir avec le soutien des collectivités locales et de l’État. Toutefois, lorsqu’une situation s’améliore, nous avons le droit de le signaler ouvertement.
Cependant, la réindustrialisation ne peut se faire selon la seule logique du rendement et de la satisfaction de la consommation de masse aveugle. Elle doit tenir compte des enjeux propres à notre époque : la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation à ses conséquences.
C’est pourquoi le texte que nous allons examiner est une composante fondamentale d’une politique industrielle ambitieuse, orientée vers l’objectif de décarbonation et visant à faire de la France un pays leader en matière de transition énergétique. Notre pays bénéficiait déjà d’une énergie fortement décarbonée. Celle-ci le sera encore plus demain.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont fustigé ce texte : il serait d’une trop grande technicité, la montagne accoucherait d’une souris, etc. Mais la politique industrielle ne se réduit pas à un simple projet de loi !
Ce texte comporte des mesures visant à faciliter l’implantation d’industries, à financer l’industrie verte et à favoriser les entreprises vertueuses.
Plus largement, d’autres mesures figureront dans le projet de loi de finances pour 2024 : c’est notamment le cas du crédit d’impôt pour les investissements dans les industries vertes.
À cela s’ajouteront des mesures réglementaires, telles que l’introduction d’un label d’excellence environnementale européenne pour soutenir les entreprises les plus vertueuses, ou encore le conditionnement du bonus écologique à l’empreinte environnementale des véhicules électriques.
Par ailleurs, des investissements substantiels ont été déployés depuis 2017, dans le cadre notamment des plans France Relance et France 2030. Des sommes considérables ont ainsi été mobilisées pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés – plus de 12 milliards d’euros rien que pour France 2030 !
En commission, mes chers collègues, nombre d’entre vous ont remarqué que le texte comportait beaucoup de mesures visant à accélérer les procédures d’implantation industrielle. Ces dispositions sont indispensables à notre réindustrialisation. À cet égard, l’accès au foncier est une condition nécessaire, bien qu’insuffisante.
Pour pouvoir répondre à l’Inflation Reduction Act, il est essentiel, dans un contexte de concurrence mondiale féroce, que nous puissions offrir des délais raisonnables pour les implantations d’industrie, sans renoncer à notre ambition en matière de réglementation environnementale. Ces délais varient presque du simple au double entre la France et ses voisins européens. Cette situation n’est pas satisfaisante.
En favorisant la mise en œuvre de procédures plus efficaces, dans des conditions attractives, ce projet de loi nous permettra d’accélérer les décisions d’investissement et de renforcer notre base industrielle.
Il convient de ne pas répéter les erreurs du passé, notamment celles qui ont été commises vis-à-vis du secteur des panneaux photovoltaïques. Notre pays doit construire un cadre permettant aux entreprises françaises de devenir les champions des secteurs d’avenir.
Mon groupe défendra plusieurs amendements, dont deux, plus particulièrement, sur l’article 9.
D’une part, nous souhaitons que l’accord de la commune ou, le cas échéant, de l’EPCI concerné par l’implantation du projet industriel d’intérêt national majeur soit recueilli préalablement à l’engagement de la procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Ce dispositif nous apparaît plus opérationnel : il permettra d’éviter des déconvenues de dernière minute et que d’éventuels porteurs de projet ne soient découragés.
D’autre part, nous souhaitons supprimer le dispositif de qualification de projet d’intérêt national majeur sur l’initiative des régions, introduit par la commission. Ce dispositif semble complexifier la procédure d’un point de vue opérationnel. Surtout, d’un point de vue intellectuel, l’adoption de cette mesure reviendrait à considérer que les régions peuvent déterminer l’intérêt national. Or il s’agit de la prérogative du Parlement et de l’État ; les régions n’ont pas reçu de mandat sur ce point.
À l’article 11, qui a pour objet de favoriser la mixité fonctionnelle des zones d’activité économique en facilitant les implantations, notamment industrielles, nous présenterons un amendement visant à améliorer le cadre de déploiement des grandes opérations d’urbanisme.
Ce projet de loi incarne une ambition, celle de refaire de la France un leader européen de l’industrie, en bâtissant un appareil industriel performant dans les technologies vertes et les secteurs d’avenir. Voter ce texte, c’est voter pour le renouveau de l’industrie française, pour la création de filières industrielles, avec leurs emplois directs et indirects associés. Ce mouvement ira de pair avec la transition écologique. C’est pourquoi le groupe RDPI soutient ce texte et le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme il l’a fait avec la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et avec le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, le Gouvernement nous soumet, une nouvelle fois, un texte très technique, procédural, dont le contenu est très réducteur au regard des enjeux de société qui le sous-tendent.
Loin des débats stériles sur la décroissance ou le productivisme, nous devrions d’abord, en nous fondant sur les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), nous interroger ici, sur l’initiative du Gouvernement et en lien avec nos concitoyens, sur les caractéristiques de l’économie dont nous avons besoin.
L’économie qui se dessine sera non plus une économie des choses, mais une économie des usages et des expériences. Nous allons passer d’une économie de la possession à une économie de l’accès, d’un monde manufacturier à un monde de services, ou « serviciel ».
Cette économie sera, à n’en point douter, plus industrielle encore que celle d’aujourd’hui : en réalité, elle sera « hyperindustrielle », et son empreinte écologique devra être sensiblement moins importante.
Il s’agira d’une économie qui donne toute sa place aux territoires français, dans la diversité de leurs potentiels et de leurs initiatives, parce que les territoires seront déterminants dans la réussite nationale.
Ce changement, qui relève plus d’une bifurcation que d’une transition, ne pourra pas advenir s’il procède uniquement de la dynamique des green tech. Des politiques de grande ampleur, des investissements massifs et une planification seront nécessaires. Il faudra aussi mettre en place certains dispositifs financiers, comme le suggère Jean Pisani-Ferry, et instaurer une fiscalité climatique spécifique.
Dans ce contexte, je reprends à mon compte les propos du professeur Pierre Veltz, qui appelle, « dans une perspective positive, à construire le récit d’une économie désirable ».
Ce grand récit positif, nécessaire pour entraîner la Nation, c’est au Gouvernement qu’il appartient de commencer à l’écrire, avec le Parlement, le peuple français et les territoires. Il revient au Président de la République de le porter.
Or ce dernier semble distiller par bribes, au cours de ses déplacements et de ses rencontres, une vision : la sienne ! Pis encore, on a même l’impression que, en fait, il n’en a pas vraiment et qu’il compte sur le marché pour surmonter les contraintes et cheminer sans boussole.
Que devons-nous produire ? Quels secteurs, quelles activités et quels types d’emplois doit-on développer ? Telles sont les questions que nous devrions nous poser pour faire les bons choix de politiques publiques.
J’espère, messieurs les ministres, que vous nous préciserez le contenu de l’action publique que vous entendez mener. Peut-être cela constituera-t-il l’esquisse du grand récit mobilisateur dont notre nation a besoin !
La réindustrialisation verte consiste avant tout à faire face aux contraintes écologiques et sociales. Il est nécessaire d’investir massivement dans l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur, de même que dans la recherche et l’innovation, en procédant notamment à une réforme radicale du crédit d’impôt recherche. Il convient de faire de la protection de l’environnement un vecteur de la transition de notre industrie et de l’amélioration du bien-être de nos concitoyens.
Or nous ne voyons rien de tel dans ce projet de loi.
Mon groupe fera des propositions pour définir ce que devrait être le périmètre de ce projet de loi au regard des enjeux de transformation de l’économie que je viens d’évoquer. Commençons par définir exactement ce qu’est l’industrie verte !
Nous chercherons ensuite à donner à ce texte la dimension territoriale qui doit être la sienne : je pense notamment à l’articulation avec le programme Territoires d’industrie ou à la prise en compte des activités de sous-traitance dans les « grands sites industriels ».
Nous proposerons de préserver les prérogatives des présidents de conseil régional, des maires et des présidents d’EPCI en matière de planification stratégique et d’évolution des documents d’urbanisme.
Enfin, nous demanderons au Gouvernement de clarifier sa position sur la prise en compte du ZAN dans le cadre de la loi Climat et résilience et des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous estimons que la pertinence et la réussite des politiques publiques nécessaires à la réorientation de notre modèle de développement sont conditionnées à plusieurs points fondamentaux.
La question majeure est de savoir de quelle économie nous avons besoin pour demain et de quelles politiques publiques nous devons nous doter pour l’établir. Il convient de veiller à ce que le plus grand nombre possible de nos concitoyens participent à cette réflexion.
La position finale du groupe SER dépendra de la réponse à ces questions. Pour l’heure, nous considérons que ce texte, utile à certains égards, est avant tout technique – ce n’est pas la première fois ! C’est dommage, voilà encore une occasion manquée – mais il n’est jamais trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)