Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on compte cinquante jours de grèves depuis le début de l’année, plus de trois mille vols annulés par anticipation à Orly, six cents vols annulés « à chaud » et 470 000 passagers empêchés de voyager au premier trimestre 2023. Sur l’aéroport de Nice, ce sont près de 100 000 passagers qui n’ont pas pu prendre leur avion entre le 1er janvier 2023 et la fin du mois de mai. Ces chiffres, dévoilés notamment par Bruno Belin et Stéphane Demilly en commission, sont édifiants.
Face à ce constat implacable, la proposition de loi de notre collègue Vincent Capo-Canellas est plus que nécessaire.
Aujourd’hui, la DGAC ne connaît pas à l’avance le nombre de contrôleurs participant à une grève, car ces derniers sont exemptés de se déclarer grévistes avant la grève elle-même. Le système de prévention et d’information actuellement en place a largement démontré sa totale inadaptation à la réalité des opérations.
Comment expliquer qu’aujourd’hui, en France, les contrôleurs aériens n’aient aucune obligation de prévenir leur direction de leur participation à une grève en amont de celle-ci, alors qu’ils doivent assurer un service minimum comme celui prévu pour le transport terrestre de voyageurs ou pour d’autres métiers du secteur aérien ?
Comment expliquer que, faute de prévisibilité, la DGAC annule préventivement des vols ou procède à des annulations de dernière minute, laissant les clients sans solution ?
Cette initiative vient donc corriger une étrangeté, alors l’exaspération des passagers, des compagnies et des personnels d’aéroport est légitime face au comportement de certains agents – je dis bien « certains » – qui confondent tour de contrôle et tour d’ivoire !
Oui, le métier de contrôleur – comme d’autres métiers, d’ailleurs – est un métier à haute responsabilité ; ceux qui l’exercent doivent gérer une multitude d’informations pour assurer la sécurité des passagers.
L’objectif de cette proposition de loi est triple : éviter que les passagers soient mis en difficulté et se retrouvent sans solution et sans la moindre information ; anticiper, dialoguer, préserver l’ordre public et assurer un service minimum ; adapter les demandes de réduction de programme à la réalité du suivi du mouvement et donc éviter des annulations inutiles ou des attentes interminables.
Des contrôleurs aériens se sont mis en grève à répétition ces derniers mois, retardant de très nombreux vols. Je note qu’ils l’ont fait dans un silence médiatique quasi général, comme si l’avion était le plus emblématique fossoyeur climatique de notre temps et que le sort des passagers ne méritait pas même qu’on s’y penche !
Le service minimum et le respect des voyageurs ont la même valeur pour tous, que ce soit en train, en bus ou en avion. Il faut atterrir, mes chers collègues ! Le service minimum, ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Il ne s’agit certainement pas de solder de vieilles querelles.
Dans notre pays, le droit de grève est un droit constitutionnel et cette proposition de loi ne le remet nullement en cause, pas plus que celle de Bruno Retailleau adoptée par le Sénat en février 2020 ou que celle que je viens de déposer, avec plus de quarante-cinq collègues, pour limiter les désorganisations liées aux grèves à la carte qui ont été en partie responsables de plusieurs fiascos.
Monsieur le ministre, ne restez pas sourd à ces propositions ! Comme cela a été fait pour les transports en commun, il s’agit de trouver pour le secteur aérien un point d’équilibre utile, qui fasse toute leur place à d’autres droits tout aussi légitimes que le droit de grève, notamment la liberté d’aller et venir.
Je souhaite que le Sénat et le Gouvernement restent mobilisés sur le sujet, car de nombreux défis doivent encore être relevés pour sortir du mythe actuel et organiser enfin un véritable service minimum.
Je regrette que cette proposition de loi ne s’attaque pas aux préavis de grèves dormants, dont tout un chacun peut se réclamer, alors qu’ils datent parfois de plusieurs années. Je déplore également que l’on ne puisse pas aller plus loin, en allongeant le délai de déclaration individuelle de grève, pour avoir encore plus de lisibilité.
Toutefois, cette proposition de loi constituant un début de réponse non négligeable à une situation devenue intolérable, le groupe Les Républicains la votera sans réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui n’a jamais subi un retard d’avion, été bloqué une fois embarqué ou appris à son arrivée à l’aéroport que son vol était annulé, avec toutes les conséquences que ces situations provoquent ?
Je pense aux urgences professionnelles manquées et aux voyages d’une vie remis en cause.
Je pense également aux conséquences économiques pour nos aéroports et nos entreprises, qui ont perdu des marchés au profit de la concurrence, car des clients étrangers n’ont pas pu se rendre dans notre pays.
Je pense encore à la réputation de la France, tristement championne d’Europe des vols retardés ou annulés.
Je pense enfin aux émissions supplémentaires de CO2 nécessaires pour pallier les incertitudes du ciel français.
Le groupe Les Indépendants s’investit sur ce sujet depuis plusieurs années, notamment au travers de la proposition de loi relative à l’obligation de déclaration d’un préavis de grève des contrôleurs aériens déposée par notre collègue Joël Guerriau en 2018 et en formulant des alertes récurrentes.
Notre ligne est claire : préserver le droit de grève, constitutionnel, tout en garantissant la continuité du service public aérien, qui est essentiel à la vie économique et sociale de la Nation. L’attractivité et la fiabilité des aéroports français sont directement concernées.
Nous avons travaillé pour trouver un équilibre entre l’ampleur du mouvement social et la baisse du trafic. Cela passe par une meilleure anticipation et plus de prévisibilité, tout en préservant le droit de grève.
Je salue le travail effectué en commission par notre collègue rapporteure Évelyne Perrot. L’objectif démocratique de cette proposition de loi étant largement partagé dans cet hémicycle, faisons évoluer cet outil pour le rendre plus efficace, à la fois pour les contrôleurs aériens et pour les usagers. À cet égard, monsieur le ministre, vous nous avez d’ores et déjà rassurés dans votre propos liminaire.
L’obligation de prévenir de son intention de faire grève ou de renoncer à faire grève en est le point central. En effet, le déclenchement du service minimum par précaution n’est pas une situation satisfaisante pour les différents acteurs en présence. Disposer d’une vision sur le contingent réel des contrôleurs aériens grévistes afin d’organiser le trafic aérien national et international relève du bon sens. Or seule l’anticipation le permet.
Penchons-nous, comme beaucoup l’ont déjà fait, sur la question du décret d’application qui organise le service minimum de la navigation aérienne.
Je suis sénateur de l’Hérault et l’aéroport de Montpellier ne figure pas dans la liste des aéroports où les services essentiels de la navigation aérienne doivent être assurés. Je demande donc au Gouvernement, une fois cette proposition de loi votée, de modifier le décret afin d’intégrer à cette liste l’aéroport de Montpellier. Il s’agit d’une nécessité pour notre département, où le rail n’est pas une option naturelle de substitution aux déplacements et aux correspondances.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, le groupe Les Indépendants est attaché au droit de grève et à son exercice par les contrôleurs aériens, dès lors que les répercussions sont proportionnées. Les contrôleurs aériens ne peuvent pas être plus longtemps exonérés des règles qui régissent le droit de grève.
Si les usagers ne méconnaissent pas le rôle essentiel des contrôleurs aériens dans l’organisation et la sécurité du trafic, ils estiment que, dans une société moderne comme la nôtre, ils doivent pouvoir s’organiser en amont, lorsque la profession fait valoir son droit de grève.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte et sera attentif aux prochaines étapes réglementaires. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe est éminemment sensible, dans la mesure où il touche à des libertés aussi essentielles que celles de se déplacer ou de faire grève.
En tant que fonctionnaires, les contrôleurs aériens ne peuvent participer à une grève que s’ils sont couverts par un préavis de cinq jours francs. À la différence des travailleurs du transport terrestre régulier de voyageurs, par exemple les salariés de la SNCF et de la RATP – depuis la loi du 21 août 2007 – et des autres travailleurs du secteur aérien privé – depuis la loi du 19 mars 2012 –, un contrôleur aérien n’est pas contraint, s’il veut participer à l’action sociale collective que constitue une grève, d’en informer personnellement ses supérieurs hiérarchiques, dans une sorte d’individualisation limitante d’un droit par essence collectif.
En revanche, les contrôleurs aériens doivent assurer un service minimum depuis la loi de 1984 et son décret d’application avec un taux de réquisition variable. Il leur est ainsi imposé d’assurer une capacité pour les survols égale à la moitié de celle normalement prévue pour respecter nos engagements internationaux, ce qui est nécessaire à la défense et aux besoins vitaux de notre pays.
La DGAC ne pouvant pas connaître le nombre exact de grévistes, elle est conduite à annuler préventivement des vols, sans savoir s’ils auraient pu être assurés, ou à procéder à des annulations de dernière minute. Voilà ce à quoi veulent remédier les auteurs de cette proposition de loi, qui est, d’une certaine façon – disons-le ! –, une réaction aux perturbations qu’a provoquées en février et mars derniers l’exceptionnelle et puissante mobilisation populaire contre la retraite à 64 ans.
En effet, nous avons connu un 11 février sans service minimum, puis un mois et demi avec un service minimum quasi permanent, mais souvent disproportionné, aux dépens des voyageurs.
Pour autant – disons-le aussi ! –, l’essentiel des retards et des annulations ne résulte pas de l’exercice de ce droit de grève. Nos quatre mille contrôleurs aériens sont sous pression, la faute à des effectifs insuffisants et à des conditions techniques et matérielles perfectibles. Monsieur le ministre, vous l’avez dit, il s’agit d’un service public essentiel et nous devons le renforcer.
Au service minimum, cette proposition de loi adjoint un affaiblissement important du droit de grève : la déclaration préalable. Or ce qui ne fonctionne pas bien actuellement, c’est l’application de ce service minimum. Ce dernier est régi par un décret si vieux et obsolète qu’il s’applique, par exemple, à l’aéroport de Deauville, mais pas à celui de Montpellier… Les modalités de sa mise en œuvre sont lourdes, difficiles et inadaptées.
C’est par là qu’il convient de commencer ! Monsieur le ministre, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras : que le Gouvernement travaille sur l’efficacité de ce service minimum et qu’il révise ce décret, voilà le préalable nécessaire ! J’ai entendu votre engagement, la balle est désormais dans le camp du pouvoir réglementaire – à vous de jouer !
Cette proposition de loi est, d’une certaine façon, inopportune, en cela qu’elle créerait un déséquilibre. Or c’est au contraire d’équilibre que nous avons besoin, et on ne le trouvera que par le dialogue social.
Voilà pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en somme, l’auteur de la proposition de loi, Vincent Capo-Canellas – que je salue –, nous soumet, face à une disproportion, un texte proportionné.
Il constate, lors des journées de grève dans l’aviation civile, une disproportion entre le nombre effectif de grévistes et les perturbations provoquées. Pour y répondre, il a élaboré un texte proportionné, en cela qu’il respecte les grands équilibres juridiques et constitutionnels, à la fois sur la continuité du service public et sur le respect du droit de grève. Voilà ce qui, à nos yeux, rend ce texte extrêmement intéressant.
En effet, il nous faut résoudre un paradoxe : parfois, un mouvement de grève étant annoncé, de nombreux vols sont annulés, alors que, au bout du compte, le nombre de grévistes se révèle faible sur le terrain. Les perturbations engendrées par le mouvement social sont ainsi sans commune mesure avec l’ampleur de celui-ci.
Surtout, lorsque les annulations préventives sont mal ciblées, d’autres annulations se surajoutent au dernier moment là où le personnel fait défaut, ce qui perturbe l’ensemble du trafic aérien : les couloirs sont engorgés et les conséquences sur les aéroports pénalisent fortement les usagers.
Je ne décrirai pas le nouveau dispositif qui nous est proposé, les orateurs précédents l’ayant très bien fait, notamment Mme la rapporteure. Il revient à étendre les dispositions de la loi Diard aux personnels des services de navigation aérienne qui assurent les fonctions de contrôle, d’information de vol et d’alerte, lorsque leur absence est de nature à empêcher des vols.
Ce dispositif me paraît clair, ciblé, bien conçu, et ne procède en aucun cas d’une conception idéologique. Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants le votera, car il respecte le droit de grève et assure une bonne information à toute la chaîne de commandement, des services administratifs aux usagers. Cette transmission d’une information fiable permettra une meilleure organisation et une adaptation plus fine et plus précise. Il s’agit d’une question de justice pour nos concitoyens, qui sont affectés par les conséquences du manque d’informations.
Le texte nous semble donc acceptable et nous suivrons l’avis de Mme la rapporteure sur les amendements qui ont été déposés.
Pour conclure, Paris, dont je suis sénateur, et sa région sont redevenus la première destination touristique mondiale. Il est indispensable que les Franciliens, mais aussi l’ensemble de nos concitoyens, puissent se déplacer à partir des grands aéroports parisiens.
Évidemment, nous souhaitons tous que le transport aérien devienne plus écologique et soit décarboné.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire. Bien sûr !
M. Julien Bargeton. C’est précisément le sens des investissements massifs qui sont réalisés pour inventer l’avion de demain. Il nous faut trouver le meilleur équilibre entre l’attractivité du territoire, notamment francilien, et le respect de la transition écologique.
Dans cette optique constructive, nous devons travailler sur des textes équilibrés. En l’occurrence, nous examinons un texte effectivement équilibré. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat n’est pas de savoir si nous sommes pour ou contre l’avion.
Le secteur aérien participe de l’avenir de la mobilité durable. À l’avenir, nous aurons besoin d’une intermodalité opérationnelle : des gares comme Charles-de-Gaulle 2, à Roissy, ou Saint-Exupéry, à Lyon, doivent s’étoffer et revenir au cœur de l’intermodalité. Autrement dit, il faut que le secteur de l’aviation fonctionne bien.
Soit dit en passant, je me suis toujours interrogé, monsieur le ministre, quant à l’impact sur la biodiversité des kilomètres de routes et de rail, par rapport à un couloir aérien…
Revenons au texte : il comporte un article unique qui impose aux contrôleurs aériens, en cas de grève, de déclarer individuellement leur participation au mouvement de grève au plus tard à midi l’avant-veille de la journée de grève.
Nous ne sommes pas en désaccord avec l’intention de cette proposition de loi. Je remercie donc à mon tour Vincent Capo-Canellas d’avoir essayé de répondre à un problème qui s’est effectivement posé au début de l’année.
Pour autant, je poserai les choses autrement. Les graves perturbations du trafic aérien ces derniers mois, avec quarante jours de grève entre la mi-février et la fin mars, marqueront l’année 2023. La journée mémorable du 11 février – la DGAC en avait connaissance –, durant laquelle le trafic aérien européen a été fortement perturbé en raison d’une gestion catastrophique d’un mouvement social national, montre que des améliorations substantielles peuvent être apportées pour éviter aux usagers de tels désagréments.
Comme cela a été rappelé précédemment, les contrôleurs aériens étant des fonctionnaires, le service minimum s’applique pour assurer la continuité du service public. Les contraintes et astreintes ainsi imposées aux contrôleurs aériens en matière de réquisition auraient dû permettre d’éviter une telle situation le 11 février.
L’absence de nombreux contrôleurs grévistes a provoqué, ce jour-là, un énorme chaos et des annulations massives de vols. Cela résulte-t-il d’une mauvaise gestion ou d’une erreur d’appréciation de la direction ? Convient-il d’incriminer les personnels et syndicats grévistes ? Permettez-moi, monsieur le ministre, de m’interroger sur la façon dont la DGAC a géré la situation.
En l’état, il est clair que l’application du service minimum avec réquisition de contrôleurs aériens n’a pas permis de gérer la situation de manière optimale. Le dispositif aurait-il été plus efficace si une déclaration préalable avait dû être déposée individuellement par les grévistes quarante-huit heures avant la journée de grève ? Je n’en suis pas sûr…
En effet, la définition du service minimum qui, il faut le souligner, constitue une restriction du droit de grève est jugée obsolète par toutes les organisations syndicales. Sa définition date d’un décret de 1985… Avant de modifier le droit de grève des contrôleurs par une proposition de loi, un dialogue social doit s’engager avec toutes les parties prenantes – DGAC, organisations syndicales et Gouvernement. Il est indispensable de rediscuter et de réactualiser les obligations du service minimum afin de le rendre plus efficace.
Actuellement, l’application du service minimum est à géométrie variable. L’opacité est totale sur la manière dont sont opérés les « abattages » de vol. Si le décret d’application précise la liste des aéroports où ce service minimum peut être appliqué et les missions de continuité à assurer, certains territoires se voient réquisitionner à des niveaux disproportionnés, sans rapport avec la réalité du terrain.
C’est pourquoi je m’interroge sur la nécessité de légiférer avant qu’une refonte du service minimum n’ait été engagée. En effet, est-il plus judicieux de renforcer les obligations de cette catégorie professionnelle spécifique que sont les contrôleurs aériens ou de réformer le service minimum ?
Pour ma part, j’estime qu’il est urgent de renouer le dialogue social et de retrouver la confiance entre les agents et la direction, car l’année 2023 a fortement altéré la démocratie sociale au sein de la profession.
Les contrôleurs aériens sont des fonctionnaires qui assurent des missions hautement stratégiques, avec une responsabilité de tous les instants. Ils ne méritent pas qu’on leur inflige la double peine d’une restriction de leur droit de grève et d’une réquisition reposant sur un décret obsolète. Il est temps que le Gouvernement agisse !
Si nous adoptons ce texte, deux types d’obligations et de contraintes pèseront sur les contrôleurs aériens, sans pour autant avoir réformé le service minimum. Les agents favorables à la proposition de loi souhaitent que cette nouvelle obligation de déclaration préalable individuelle de grève soit conditionnée à une diminution des obligations de service minimum.
À mon sens, adopter ce texte reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs. Aussi, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en application de la loi du 13 août 2004, il m’a échu d’avoir à assurer la pérennité des activités civiles de cinq aéroports entre mars 2007 et septembre 2020. Ces treize années, en toute modestie, m’ont permis de vivre un petit échantillonnage des turbulences économiques et sociales qui secouent le monde du transport aérien.
Il serait trop long d’en faire ici un exposé exhaustif, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les nombreux problèmes qui perdurent ne sont pas imputables aux conditions d’exercice du droit de grève, que personne, nous dit-on, ne remet en cause dans cet hémicycle – merci de l’avoir rappelé !
On me rétorquera peut-être que je n’ai eu à connaître que de la réalité de petits et moyens aéroports de province…
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. Mais quelle province ! (Sourires.)
M. Gérard Lahellec. Pourtant, ces petits et moyens aéroports concentrent, dans toute leur réalité et toute leur complexité, l’ensemble des questions auquel fait face le secteur des transports et des mobilités.
Si l’on considère que ces petits aéroports ne constituent pas une référence, alors j’évoquerai le radar de Loperhet. Je m’excuse par avance, mes chers collègues, car je sais que, à Paris, on connaît mieux l’opéra que Loperhet, petite commune située à la pointe du Finistère. (Sourires.) Celle-ci abrite un radar qui couvre 400 000 kilomètres carrés, soit 40 % de l’espace aérien délégué à la France métropolitaine.
S’y côtoient des activités civiles et militaires. Sur les 525 agents civils qui y travaillent, 300 sont contrôleurs aériens. Ces personnels ont le plus souvent suivi le parcours classique avant leur affectation : Maths Sup, Maths Spé, puis concours de l’École nationale de l’aviation civile (Enac) de Toulouse.
Le site de Loperhet mobilise en réalité dix-sept radars pour surveiller le ciel, dont trois sont en Espagne et deux en Irlande. Ce qui frappe le plus en entrant dans la salle de contrôle, c’est le silence, la solennité et l’attention toute particulière dont font preuve les agents. Il me semble que nous pouvons raisonnablement nous honorer d’avoir, en France, une catégorie professionnelle faisant montre d’une telle maturité.
Je précise donc, à toutes fins utiles, que ces personnels ne sont pas des petits sauvageons irresponsables. Ils assurent brillamment leur mission de service public, c’est-à-dire notre sécurité.
Si je cite cet exemple, c’est pour illustrer le fait que la catégorie professionnelle dont il est question s’occupe aussi d’autre chose que du décollage ou de l’atterrissage des avions sur un aéroport donné !
Je ne conteste pas, loin de là, le fait qu’il y a eu des problèmes le 11 février.
M. André Reichardt. Il y en a souvent !
M. Gérard Lahellec. Pour autant, devons-nous adopter une loi à chaque fois qu’un événement se produit ? J’ai bien conscience que des problèmes existent, mais le fait de se déclarer gréviste à l’avance ne les réglera d’aucune façon. Pire, je crains que cela n’édulcore les nécessaires négociations.
Ces professions représentent un ensemble complexe et il ne faudrait pas que la remise en cause d’une façon d’exercer un droit social soit un avant-goût de décisions qui seraient prises dans d’autres secteurs. Je remercie mes collègues de l’avoir compris en commission et de ne pas avoir retenu un amendement qui pouvait remettre en cause l’exercice du droit de grève dans la fonction publique.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Philippe Tabarot applaudit également.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, sur l’initiative bienvenue de Vincent Capo-Canellas, une proposition de loi très attendue par les acteurs du transport aérien, mais aussi et surtout par les usagers.
Ces derniers mois ont été particulièrement difficiles pour le secteur aérien. Comme l’a très justement rappelé la rapporteure, Évelyne Perrot, le déroulement des grèves consécutives à la réforme des retraites au sein de la direction générale de l’aviation civile a montré de façon très claire les limites du système actuel.
Il n’y a aucune prévisibilité du trafic : la DGAC doit naviguer – ou plutôt piloter – à vue pour déterminer la proportion de vols à annuler, car elle ne dispose d’aucun outil pour connaître suffisamment tôt le nombre de contrôleurs aériens qui participeront à un mouvement de grève. Quelques grévistes peuvent conduire à des abattements massifs de vols et engendrer de fortes perturbations, en totale disproportion avec l’ampleur réelle du mouvement.
Le double objectif de cette proposition de loi est donc tout à fait louable : améliorer la prévisibilité des grèves et l’adéquation entre l’ampleur de celles-ci et la réduction du trafic.
De même, le moyen prévu pour le réaliser, la déclaration individuelle préalable, présente un double avantage.
D’une part, il est très efficace. En effet, la création de cette déclaration assurerait la prévisibilité du trafic. La DGAC disposerait ainsi d’un ciel dégagé pour anticiper l’ampleur réelle de la grève. Des dispositifs analogues existent déjà pour tous les autres professionnels du secteur aérien, ainsi que dans le secteur ferroviaire, et ils ont fait la preuve de leur efficacité. On a bien vu la différence le 6 juin dernier : 30 % des vols avaient été annulés à l’aéroport de Paris-Orly, alors que presque aucun train n’avait été annulé par la SNCF.
D’autre part, ce moyen est très peu contraignant. La déclaration individuelle n’empêche aucunement de participer à la grève ; elle exige simplement des grévistes qu’ils se signalent l’avant-veille de la grève. Elle n’empêche pas non plus que le trafic soit perturbé en cas de grève de forte ampleur ; elle met simplement un terme à une aberration : le fait que des grèves très peu suivies, souvent déclenchées pour des motifs complètement extérieurs au transport aérien, perturbent fortement le trafic.
Ce texte équilibré permettra au système actuel d’atterrir en douceur, en répondant à de nombreuses difficultés que rencontrent les contrôleurs aériens dans leur vie professionnelle. Ces derniers ont tout à gagner à ce qu’il soit adopté, afin que le service minimum soit organisé avec plus de sérénité et, surtout, que l’on y recoure moins fréquemment. Le dialogue social en sortira très renforcé.
À cet égard, j’espère que le Gouvernement effectuera le plus rapidement possible la mise à jour, attendue par tous, du cadre réglementaire obsolète du service minimum.
Avec la crise sanitaire, le secteur aérien a subi l’une des plus grandes crises de son histoire. Il ne s’en est pas encore remis : en février dernier, le trafic aérien français n’atteignait que 94 % environ de son niveau de 2019 ; en mars dernier, il est tombé à moins de 87 %.
Les compagnies françaises sont les plus touchées par les conséquences des grèves du contrôle aérien. La proportion de vols qu’elles ont assurés en mars dernier par rapport à mars 2019 n’est que de 85 %, contre 88 % pour les compagnies étrangères. De plus, elles doivent faire face à de très nombreux défis pour mener à bien la transition écologique et elles font preuve d’un engagement intense pour décarboner leur activité.
Dans ce ciel incertain, il est nécessaire de limiter au maximum les turbulences que rencontre le secteur, afin qu’il retrouve sa vitesse de croisière le plus rapidement possible. Je soutiens donc pleinement l’excellente initiative de Vincent Capo-Canellas, qui a su mener un exercice de haute voltige : écrire un texte qui soit acceptable pour tous et qui résolve, avec le moins de contraintes possible, un maximum de situations problématiques.
Je l’en remercie, ainsi que la rapporteure, Évelyne Perrot, qui s’est pleinement investie sur ce sujet aussi complexe qu’essentiel pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)