M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann. (Mme Viviane Artigalas applaudit.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteure, mes chers collègues, il s’agit là d’un sujet extrêmement important, qui soulève deux problèmes, sur le fond – les dépenses de logement des Français – et sur la forme – le respect des institutions démocratiques.
Sur ce point, Mme Dominique Estrosi Sassone l’a dit, nous ressentons, particulièrement au sein de cette assemblée, un mépris profond à l’encontre du Parlement. Le sentiment de l’impréparation des politiques publiques ne manque pas non plus de nous alarmer : nous aurions escompté qu’un tel débat portant sur l’IRL soit préparé en amont.
Le mépris du Parlement semble désormais chronique, comme en témoigne le non-vote du projet de loi sur les retraites à l’Assemblée nationale, qui en est le dernier avatar.
Sur le fond, les dépenses de logement des Français ont décroché depuis nombre d’années au regard de l’évolution de leurs revenus. C’est un élément déterminant de la chute de leur pouvoir d’achat, en plus de la question du niveau des rémunérations et des salaires. Ce décrochage est d’ailleurs plus fort en France que dans la plupart des autres pays de l’Union européenne.
Nous avons déjà souligné l’an dernier qu’un taux d’IRL à 3,5 % ne réduirait pas l’augmentation continue de la part des dépenses de logement des Français, qui est désormais confirmée.
Premièrement, la plupart des salaires n’ont pas augmenté de 3,5 %. Même si l’évolution s’en rapproche en moyenne, un ensemble de catégories n’est pas concerné.
Deuxièmement, dans la plupart des agglomérations, le taux des rotations de logement – la hausse du loyer est très forte dès que l’on change de logement – entraîne une augmentation des loyers de 7 % à 8 %.
Troisièmement, la quittance comprend non seulement le loyer, mais également les charges locatives, qui pèsent lourdement. Or le bouclier n’a pas supprimé les hausses de charges, qui empirent cette année, en raison de la suppression du tarif réglementé pour le gaz et de celle du bouclier tarifaire.
C’est pourquoi notre groupe plaide pour un gel des loyers durant quelques années. Cette stratégie ne peut être pérenne, je l’entends. Mais, selon nous, la plupart des propriétaires peuvent l’absorber, car les hausses de loyers ont décroché au regard de l’évolution générale des revenus. De plus, c’est pour le logement social qu’il y a besoin de mesures compensatoires.
En effet, les propriétaires de logements privés ont souscrit, pour les acquérir ou pour les rénover, des prêts dont les taux d’intérêt étaient fixes et bas, alors que ceux qui ont été souscrits par les bailleurs sociaux sont indexés au livret A. Aussi, la hausse des taux de ce livret plombe lourdement leurs comptes. Ils ne peuvent pas absorber une baisse de la rémunération des loyers et une hausse du taux du livret A : il leur faut une compensation !
Par ailleurs, nous considérons que le sujet du prix du logement est essentiel. Sur ce point, je ne comprends pas la position de la majorité relative présidentielle…
D’un côté, M. le député Descrozaille explique que, puisque l’on ne peut pas baisser fortement le prix de l’alimentation – au regard de la rémunération de nos agriculteurs, cela se comprend aisément –, il faut jouer sur la baisse des dépenses de logement.
D’un autre, vous ne prenez aucune mesure visant à baisser les dépenses de logement, ni dans ce texte sur l’IRL ni dans aucune des décisions annoncées hier lors du CNR logement, monsieur le ministre.
Il n’y a en effet ni mesures de régulation des prix du foncier, ni extension de la régulation des loyers – au passage, les loyers des communes où s’appliquent les règles relatives à l’encadrement des loyers ont très faiblement augmenté –, ni mesures d’aides à la pierre ou au logement ! L’actualisation des APL, fût-elle de 3,5 %, ne prend pas en compte l’augmentation des coûts de charge.
Mme Dominique Estrosi Sassone a montré à juste titre que l’on ne pouvait prétendre qu’un taux de 3,5 % est suffisant pour les APL, alors que le forfait de charges n’est pas fortement revalorisé.
En réalité, votre politique aura pour effet d’accroître les dépenses de logement de Français, de plomber leur pouvoir d’achat et de durcir des conditions sociales souvent insupportables.
Le Président de la République dit qu’il veut être attentif aux classes populaires, qui ne bénéficieraient pas d’aides sociales comme les autres. Eh bien, je lui réponds que ces populations seront percutées par l’absence de prise en compte de la hausse des dépenses de logement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mme le rapporteure et Mme Lienemann ont parfaitement planté le décor, en rappelant le contexte dans lequel nous nous trouvons – au demeurant, presque tous les groupes l’avaient évoqué lors des questions d’actualité au Gouvernement, qui ont permis d’éclairer la réalité à laquelle nous sommes confrontés.
Or, monsieur le ministre, vous nous demandez au même moment de nous prononcer sur une disposition résultant d’une initiative parlementaire totalement déconnectée de la vision globale défendue par le Gouvernement pour traverser la crise dans laquelle nous nous enlisons et qui ne fait que s’amorcer ! Cela suscite nécessairement certaines interrogations.
La situation du logement est sans précédent : quelque 2,4 millions de demandeurs de logement ne trouvent pas de solution ou n’ont pas accès à un logement social ; le parcours résidentiel ne cesse de se compliquer – il est obéré de façon inquiétante –, d’autant que, dans certains pans du territoire, on peine à offrir des solutions d’accession à la propriété pourtant susceptibles de libérer des places en logement locatif.
Le logement est au cœur du quotidien des Français, comme l’a démontré Mme Marie-Noëlle Lienemann, en raison de la part des dépenses de logement dans le pouvoir d’achat des Français. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux à traverser des situations de fragilité et ainsi à solliciter un logement social, car leur pouvoir d’achat diminue, et ils n’ont plus d’autre choix.
Il y a donc de plus en plus de demandeurs, qui se trouvent dans des situations financières de plus en plus inquiétantes.
Certes, monsieur le ministre, nous devons réfléchir à la maîtrise de l’évolution des loyers, mais prenez garde au jour où les bailleurs, publics comme privés, ne pourront plus mener ni rénovation ni construction. Il ne sera alors plus question des loyers : on se demandera quel toit on pourra bien mettre au-dessus de la tête des gens ! (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.)
C’est pourquoi une telle déconnexion des sujets nous interroge. Comme Mme le rapporteur l’a souligné, il n’y a eu ni recul, ni consultation des acteurs du secteur, ni étude d’impact, ni vision, ni perspective… Comment peut-on dire les choses aussi brutalement et prendre le risque de mettre en péril soit le secteur, soit les locataires ?
Personne ici ne souhaite que les loyers pèsent sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Mais nous devrions nous assurer que le plafonnement des loyers des ménages modestes et des classes intermédiaires soit compensé. Et la solution, c’est l’aide personnalisée au logement, qui permettrait aux bailleurs de continuer à agir.
On demande aux petits propriétaires bailleurs privés de réaliser la rénovation thermique de leurs logements – comment ne pas être pour ? – et, dans le même temps, on plafonne les loyers… Comment feront-ils ? Comment vont-ils s’en sortir ?
Notre rapporteur a remarquablement bien exposé la mécanique, donc je ne la rappellerai pas. Vos propositions ne sont pas vraiment protectrices pour les locataires et elles sont punitives pour les propriétaires, d’autant que la fiscalité est confiscatoire pour ceux qui font l’effort d’investir dans la pierre.
Parlons des plus riches, monsieur le ministre : pas plus tard qu’hier, j’ai lu que les 75 personnes les plus riches de France s’acquittaient de 26 % d’impôt sur leurs revenus, contre 46 % pour les 38 000 suivantes. Les premières sont imposées sur leurs actions, les suivantes sur leurs biens immobiliers… Il y a donc les bons et les mauvais riches.
Ce qui est fou, c’est que, au moment où l’on a besoin de s’engager dans la production de logements pour nos concitoyens, notre fiscalité rédhibitoire envoie le signal qu’il ne faut pas investir dans la pierre ! (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.) Comment faire ensuite ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Létard. J’ajouterai une dernière chose à propos du taux du livret A. Une augmentation de 1 % cette année représentera purement et simplement, pour les bailleurs sociaux, une réduction de loyer de solidarité supplémentaire, soit 3,75 milliards d’euros supplémentaires. (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.) Comment faire ? Ce n’est pas possible !
Voilà pourquoi nous rejetons cette demande déconnectée du reste de la politique du logement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cœur de l’été 2022, le Gouvernement avait mis à l’ordre du jour des débats parlementaires un projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Cette démarche était opportune et très attendue par les Français, qui étaient confrontés à une inflation généralisée.
Le texte a été largement discuté et amendé, et le RDSE a voté pour, malgré un sentiment d’inachevé, compte tenu de l’ampleur des besoins de la population.
L’article 14 de la loi prévoit un dispositif de plafonnement de la variation annuelle de l’indice des loyers des petits commerces, issu, entre autres, d’un amendement de mon groupe. L’article 12 prévoit, quant à lui, le plafonnement de l’indice de référence des loyers au profit des ménages.
Concrètement, la revalorisation n’a pu excéder 3,5 %, pour protéger les locataires, ainsi que les petits propriétaires, qui subissent également une hausse de leurs charges.
Naturellement, le gel des loyers commerciaux et locatifs aurait sans doute été préférable – le loyer représentant le plus gros poste de dépenses des ménages, aux alentours de 34 %. C’est beaucoup, surtout après la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires, qui est évaluée entre 15 % et 20 % sur un an.
Le constat des acteurs du logement est sans appel : 4,1 millions de personnes sont sans logement ou mal logées ; 12,1 millions de Français sont fragilisés par la crise du logement ; 12 millions de nos compatriotes souffrent de précarité énergétique ; 2,3 millions de ménages sont en attente d’un logement social. Il est donc difficile de séparer cette proposition de loi du contexte de véritable crise du logement.
Ce lundi 5 juin 2023, nous avons enfin assisté à la restitution des travaux du Conseil national de la refondation (CNR) Logement pour répondre à cette crise.
Le Gouvernement a classé ses différentes mesures selon cinq axes : favoriser l’accession à la propriété ; favoriser l’accès à la location ; soutenir la production et la rénovation des logements sociaux ; relancer la production de logements ; enfin, amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé.
Ces pistes sont ambitieuses et salutaires, mais elles doivent être suivies d’effet, pour endiguer la forte baisse de la production de logements privés et sociaux.
Notre groupe s’interroge sur certains points, comme la volonté de « lever les freins juridiques à la production de logements compatibles avec nos objectifs de sobriété foncière » : le célèbre « en même temps » !
Pour le dire avec un peu d’humour, s’agit-il d’une prochaine simplification de l’application de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) fixé par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience ?…
Voilà des années que les acteurs du secteur nous alertent sur leurs difficultés croissantes. Résoudre la crise du logement, c’est notamment redonner des marges de manœuvre sur le terrain, ainsi que du pouvoir d’achat aux Français.
Toutefois, nous avons la responsabilité d’agir avec raison, et non à la va-vite. C’est pourquoi nous sommes nombreux à dénoncer la méthode et l’approche retenues pour cette proposition de loi. Déposé il y a seulement deux semaines, voté à l’Assemblée nationale la semaine dernière et transmis au Sénat dans la foulée, ce texte a un goût de frustration. Pis, il donne un sentiment de panique à bord.
Comment légiférer sans poser les enjeux, sans réunion des parties prenantes, sans véritable analyse des impacts ? L’approche apparaît trop restrictive.
À défaut d’une politique plus ambitieuse, la majorité présidentielle se contente de reconduire, dans l’urgence, un dispositif théoriquement temporaire.
Comme lors de l’examen en commission hier matin, le RDSE s’opposera à la motion tendant à opposer la question préalable, présentée par Mme la rapporteure, même s’il partage nombre de ses arguments. C’est une ligne constante de notre groupe : nous avons des responsabilités face à la crise actuelle de l’immobilier et à l’inflation.
Vous l’avez compris, comme beaucoup, nous aurions préféré un véritable examen législatif. Ce qui, pour le moment, n’est absolument pas le cas. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trop, c’est trop ! À la tribune ce soir, je veux pousser un véritable « coup de gueule » – pardon, monsieur le président, pour cette expression –, en réaction au mépris du Gouvernement pour le Sénat, pour le secteur du logement et pour le pouvoir d’achat des Français.
Oui, les conditions d’examen de cette proposition de loi manifestent un mépris du Parlement en général et du Sénat en particulier.
L’urgence décrétée pour examiner ce texte en deux semaines ne s’explique que par l’impréparation du Gouvernement. Mais peut-être est-elle le fruit de désaccords plus profonds entre ministères – le poison du « en même temps » ?
Nous connaissions tous les dates de fin des dispositifs votés l’année dernière. Il n’y avait donc aucune raison d’examiner dans la précipitation un texte que le Gouvernement aurait dû déposer en janvier. Le Gouvernement prend le Sénat pour une chambre d’enregistrement.
Où est l’étude d’impact ? Nulle part.
Où est l’évaluation des mesures prises l’été dernier ? Nulle part.
De combien les loyers et les valeurs locatives commerciales ont-ils effectivement augmenté ? Mystère.
Quels sont les coûts et les conséquences pour les propriétaires privés et pour les bailleurs sociaux ? Aucune idée.
Mes chers collègues, on nous demande aujourd’hui de voter non seulement à la sauvette, mais aussi à l’aveuglette !
Ce texte manifeste également une forme de mépris à l’égard du secteur du logement et de tous ses acteurs. Il n’a fait l’objet d’aucune concertation, et la plupart des acteurs ont été mis devant le fait accompli. Mais après tout, quoi de surprenant, puisque réunir plusieurs centaines d’acteurs du secteur, pendant plusieurs mois, au sein du Conseil national de la refondation, n’aura finalement servi à rien, ou à si peu de choses ! Pas même à les informer de cette proposition de loi en forme de faux-nez…
Prolonger le plafonnement des indices locatifs en urgence ne fait pas une politique du logement construite et cohérente de long terme.
Le discours de la Première ministre lundi soir a montré que le Gouvernement prenait la crise du logement à la légère ; je le dis avec gravité.
Quelque 18 % ! Tel est, monsieur le ministre, le taux d’augmentation du nombre de demandeurs de logements sociaux depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Voilà le résultat de la politique du logement conduite depuis 2017.
Le CNR Logement est un véritable rendez-vous manqué. De l’avis général, ses conclusions témoignent d’une incompréhension totale des investisseurs, publics ou privés, petits et grands, trop taxés, sans visibilité, sans stabilité, sans respect des engagements ; des entreprises, qui s’inquiètent à juste titre du devenir d’Action Logement pour leurs salariés ; des élus locaux, auxquels on ne donne plus les moyens d’accueillir les nouveaux habitants ; des territoires, qui font face à des injonctions contradictoires, dont une politique intégriste et sans aucune vision prospective du ZAN.
Le logement est le premier poste de dépenses des Français et leur premier sujet de préoccupation, mais c’est aussi le premier poste d’économies budgétaires et la dernière des priorités pour le Gouvernement. Voilà la réalité.
Pourtant, des mesures structurelles pour relancer la construction et débloquer le parcours résidentiel étaient possibles.
Je pense par exemple au soutien aux maires bâtisseurs. Depuis la suppression de la taxe d’habitation, les maires n’ont plus de recettes fiscales dynamiques et pérennes leur garantissant une augmentation de leurs ressources, en lien avec la croissance de la population et les constructions nouvelles. Et vous vous étonnez qu’ils soient plus frileux à construire !
Il est nécessaire d’aller bien au-delà d’une prime au permis ou d’une compensation partielle et temporaire de l’exonération de taxe foncière dont bénéficient les logements sociaux, arrachée de haute lutte au Premier ministre Jean Castex, au Sénat.
Surtout, nous devons leur rendre le pouvoir d’attribution des logements sociaux, car nos maires n’en peuvent plus de devoir construire sous contrainte et de ne pas pouvoir donner satisfaction à leurs propres administrés !
Autre piste que vous auriez pu explorer : la suppression de tout ou partie de la réduction de loyer de solidarité, qui pèse 1,3 milliard d’euros par an sur les capacités d’investissement des bailleurs sociaux, alors que vous leur demandez de construire, de rénover, de mettre en œuvre les politiques publiques et d’accompagner les populations en difficulté. Monsieur le ministre, on en fait des choses avec 1,3 milliard d’euros !
Vous auriez également pu soutenir l’investissement locatif. Le Gouvernement annonce la fin du dispositif Pinel ? Très bien. Mais il ne le remplace par rien. Depuis de nombreuses années, un statut du bailleur privé est pourtant proposé et attendu par de nombreux acteurs, afin de reconnaître l’utilité sociale d’investisseurs qui ne sont ni des rentiers ni des Thénardier.
Enfin, vous auriez pu débloquer le parcours résidentiel, plus particulièrement l’accès à la propriété, ce fameux « rêve français », qui n’est peut-être pas le vôtre, mais qui est légitime pour des milliers de nos compatriotes. Leur dénier ce droit revient à les condamner à une forme de déclassement.
Quant au pouvoir d’achat, ainsi que l’a dit Mme le rapporteur, à la différence du texte voté l’année dernière, vous n’offrez aucune garantie pour les plus modestes. Quelle sera l’augmentation des APL dans le prochain projet de loi de finances (PLF) ? Quelle sera l’augmentation du forfait pour charges ? Mystère.
En rejetant ce texte et en soutenant la question préalable déposée par la commission, le groupe Les Républicains ne souhaite pas s’opposer à une solution pour nos concitoyens et nos PME, solution qui sera vraisemblablement adoptée à l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, nous souhaitons crier notre colère avec force et conviction et dire notre totale opposition à l’ensemble de la politique du logement méticuleusement déconstruite depuis 2017.
Ce texte est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Bien sûr, nous comprenons le souhait d’autres groupes politiques de débattre, donc de ne pas voter cette question préalable ; leur position est tout à fait respectable.
Toutefois, pour le groupe Les Républicains, il s’agit ce soir de renverser la table. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu moins d’un an, le 29 juillet dernier, dans cet hémicycle, nous adoptions le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.
Il s’agissait de protéger les Français, ménages et professionnels, face au choc inflationniste qui frappait notre pays. Parmi les différentes mesures adoptées, l’une d’entre elles consistait à plafonner à 3,5 % la revalorisation annuelle des indices locatifs, dits « IRL » pour les particuliers et « ILC » pour les commerçants.
Pourquoi avoir attendu le début du mois de juin pour proposer la prorogation d’un dispositif qui arrivera à son terme à la fin du mois ? On peut tout de même se poser la question, même si, je l’admets, ce n’est pas vraiment ce qui doit nous préoccuper cet après-midi.
Ce qui doit nous préoccuper, c’est l’objet de cette proposition de loi, qui vise à prolonger d’une année, soit jusqu’au premier trimestre 2024, le dispositif de plafonnement à 3,5 % des indices locatifs dans l’Hexagone et à 2,5 % outre-mer. Rappelons que, sans ce dispositif, cette revalorisation serait aujourd’hui de plus de 6 %.
J’ai bien entendu certains collègues, d’un côté de l’hémicycle, critiquer cette proposition de loi, en considérant qu’elle ne va pas assez loin. Ils diront que, même plafonnée à 3,5 %, une hausse de l’IRL qui s’ajoute à celle des prix au supermarché, à la pompe à essence ou à celle de l’énergie reste difficilement surmontable pour les ménages les plus fragiles.
Ils diront aussi que certains petits commerçants et artisans ne pourront faire face à une hausse de leur loyer qui viendra se conjuguer à celle de l’énergie, des matières premières et à la baisse des commandes. En cela, ils auront raison : beaucoup sont de fait déjà pris à la gorge, avant même toute éventuelle revalorisation du montant de leur loyer.
Faudrait-il ne rien faire et laisser les loyers exploser pour noyer complètement ceux qui parvenaient tout juste à maintenir la tête hors de l’eau ? Bien sûr que non !
Geler totalement les loyers et pénaliser l’intégralité des propriétaires ? Non plus, car, parmi les propriétaires, il y a aussi la femme retraitée, veuve, qui perçoit une petite pension et pour laquelle le loyer est un complément de revenus essentiel. Et parmi les locataires, il y a aussi le jeune couple qui ne veut pas, ou ne peut pas, contracter un prêt immobilier.
Il faut le dire, sans provocation : tous les locataires ne sont pas à plaindre et tous les propriétaires ne sont pas à envier. Évitons les caricatures qui opposent le locataire pauvre au propriétaire nanti, car, dans chacune de ces deux catégories, certains éprouvent exactement les mêmes difficultés à régler leurs charges à la fin du mois, voire bien plus tôt.
Certains propriétaires, comme certains locataires ou certains commerçants, font face à une augmentation des charges de copropriété, de la taxe foncière et des travaux de rénovation énergétique dont beaucoup devront s’acquitter et que les aides de l’État ne couvrent pas intégralement.
Cette proposition de loi nous semble ainsi être une mesure d’équilibre, d’effort réparti : elle protège les ménages et les commerçants d’une hausse brutale de leur loyer, sans pénaliser lourdement les propriétaires.
Souvenons-nous que ce dispositif de plafonnement des indices locatifs est issu d’une loi intitulée « mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat ».
S’il peut représenter une solution de court terme, voire de moyen terme en l’espèce, visant à contenir la spirale inflationniste et à préserver le pouvoir d’achat des Français, il n’a pas vocation à perdurer au-delà de 2024, au risque de pénaliser gravement les propriétaires et les bailleurs dans un pays qui connaît déjà une crise du logement – contre laquelle ce dispositif ne permettra pas d’ailleurs de lutter.
La France connaît des problèmes structurels de logement, sur lesquels l’ensemble des acteurs, constructeurs, promoteurs, bailleurs et collectivités locales alertent depuis des années. Il faudrait construire entre 400 000 et 500 000 logements par an. Force est de constater que le compte n’y est pas.
Le Gouvernement partage ce constat : il a dévoilé ce lundi un plan contre la crise du logement. Les difficultés se sont nettement aggravées depuis la hausse des coûts des matériaux et celles des taux d’intérêt, qui rendent de plus en plus difficile l’accès au crédit immobilier pour nombre de Français.
Dans sa très grande majorité, conformément à son ADN, notre groupe votera contre la question préalable et pour cette proposition de loi de transition. (M. Jean-Louis Lagourgue applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour discuter d’une disposition législative essentielle pour la protection des locataires et que le Gouvernement avait néanmoins oubliée, alors même que l’échéance de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat était connue depuis sa promulgation.
Le dépôt précipité de cette proposition de loi et l’urgence de son examen escamotent complètement le débat démocratique.
À l’heure où le logement représente une part majeure des dépenses des ménages, les mesures proposées dans le cadre de ce bouclier de loyer ne doivent pas être prises à la légère. Dans un contexte d’inflation généralisée, n’ajoutons surtout pas la pression de l’augmentation du loyer aux difficultés que les locataires rencontrent d’ores et déjà avec la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie. Le plafonnement de la hausse des indices locatifs à 3,5 % ne répond pas aux enjeux.
Une étude récente de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) nous apprend qu’une fois les dépenses essentielles réglées, 31 % des Français se retrouvent avec moins de 100 euros sur leur compte dès le 10 du mois. De plus, de nombreux locataires ne parviennent plus à payer leur loyer dans les temps : selon l’Union sociale pour l’habitat (USH), les retards de paiement de plus de trois mois ont augmenté de 10 % en 2022. Payer son loyer est pour les ménages un défi de taille, parfois insurmontable.
Pour un loyer moyen de 723 euros, le plafonnement à 3,5 % limiterait la hausse à 25 euros par mois. Cela représente néanmoins une somme non négligeable, notamment pour les ménages les plus précaires.
Bien sûr, ce plafond a le mérite d’exister face aux 6 %, 8 % ou 10 % de hausse que l’on nous prédit si ce texte n’était pas adopté. Mais le problème ne vient pas uniquement de l’inflation : il est bien plus profond.
On notait, à la fin de 2022, une hausse de plus de 7 % des demandeurs de logements sociaux, alors même que leur production a atteint un nouveau record à la baisse de 95 000 constructions en 2022, le niveau le plus bas depuis quinze ans.
Les chiffres sont catastrophiques : entre mai 2022 et avril 2023, quelque 431 800 autorisations de construction de logements ont été délivrées, soit 14,3 % de moins que sur les douze mois précédents.
Malheureusement, les moyens financiers des bailleurs sociaux n’ont cessé de baisser ces dernières années – diminution des APL, hausse de la TVA applicable à la production neuve, ponction annuelle sur leur budget –, touchant de fait la construction de logements.
À titre d’exemple, le bailleur social Néotoa, présent en Bretagne, a perdu près de 22 millions d’euros sur un budget de 120 millions d’euros, pour les raisons évoquées plus tôt.
Alors que nous demandons des efforts importants, notamment en matière de rénovation énergétique, s’attaquer aux dépenses d’investissement, c’est mettre à mal toute la politique du logement pour les années à venir.
Face à ces problèmes de construction et d’aggravation de la précarité des ménages, il est de notre devoir d’aider au mieux les locataires, en abaissant le plafonnement de la hausse des indices locatifs.
Alors que les locataires ont déjà subi une hausse de 3,5 % l’an dernier, ils pourraient connaître une nouvelle hausse équivalente si ce dispositif était adopté.
C’est pourquoi nous proposons de fixer le plafonnement à 1 %, ce qui permettrait de protéger les locataires en compensant quelque peu l’inflation pour les propriétaires, sachant que l’augmentation des charges locatives pèse totalement sur les locataires.
Encore une fois, ce bouclier de loyer ne résoudra pas la crise, qui, bien qu’elle soit aggravée par le contexte actuel, est profondément structurelle.
Il y a tout d’abord un véritable problème dans la méthode de calcul des indices locatifs. L’indice de référence des loyers est obsolète. Comment peut-on calculer le montant d’un loyer en 2023 en se fondant sur un indice dont la dernière mise à jour date de 2008 et qui ne tient pas compte de la disparité géographique ? Une révision de l’IRL est primordiale pour améliorer la situation financière des locataires.
Enfin, malgré les annonces du Gouvernement à la suite du CNR Logement, sans trop de surprises, la montagne a encore accouché d’une souris. On ne résoudra jamais cette crise avec des mesurettes et en poursuivant ce désengagement de l’État que vous essayez de faire passer pour un big-bang en faveur du logement.
Les mesures ne sont pas là. Les moyens encore moins. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)