M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme Michelle Gréaume. Voilà plus de soixante jours que des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, sont en grève. Pour rappel, les employés de cette usine sont majoritairement des femmes.
L’entreprise Vertbaudet est l’une des cinquante-neuf entités détenues par le fonds d’investissement européen Equistone. L’examen du bilan financier de l’entreprise est édifiant : entre 2018 et 2021, sa marge nette est passée de –0,7 % à +3,6 % et sa valeur ajoutée de 49,7 millions d’euros à 56,6 millions ; sur la même période, la part des salaires sur le chiffre d’affaires est passée de 15,6 % à 12,1 %.
L’unique revendication de ces employés est une augmentation de salaire de 150 euros et tous les chiffres montrent que cette revendication est légitime. Ces travailleurs sont rattrapés par l’inflation et leurs fins de mois sont difficiles.
Depuis deux mois, aucun dialogue ne se tient avec la direction, des propos sexistes sont proférés et les salariés subissent interventions des forces de police, intimidations, menaces de licenciement… Tout y passe !
Ils sont déterminés et leur lutte devient emblématique. Les salaires dans l’entreprise varient de 1 300 euros à 1500 euros mensuels, quelle que soit l’ancienneté, alors que le dirigeant perçoit une rémunération de 60 000 euros par mois.
Cette grève met en lumière une question centrale : comment faire ses choix de vie sans un salaire digne ? Comment être véritablement libre sans indépendance économique ?
La solidarité et le soutien de l’ensemble du monde du travail s’expriment, y compris financièrement, et cette lutte est en quelque sorte devenue, par procuration, celle de tous les salariés du pays.
Le Gouvernement prétend appeler au partage de la valeur ; le cas de Vertbaudet n’offre-t-il pas une belle occasion de mettre ce principe en application ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Madame la sénatrice Gréaume, vous évoquez le conflit social qui a lieu en ce moment au sein de l’entreprise Vertbaudet, en particulier dans l’établissement situé dans votre département.
Ce conflit est bien connu des services de mon ministère et de mon cabinet. Il a été ouvert autour du 20 mars et un accord majoritaire, sur lequel vous êtes libre de porter une appréciation, a été signé par deux organisations syndicales, Force ouvrière (FO) et la CFE-CGC, qui ont recueilli 63 % des suffrages exprimés dans l’entreprise lors des dernières élections professionnelles.
La CGT n’a pas souhaité signer cet accord, a laissé le mouvement se poursuivre et a même encouragé sa poursuite.
M. Fabien Gay. Elle a raison !
M. Olivier Dussopt, ministre. Dès le 9 avril, les services de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités ont engagé une médiation, qui s’est traduite par une première décision de l’entreprise, en l’occurrence le recrutement de trente personnes en intérim, dont la mission a été transformée en contrat de travail à durée indéterminée le 1er mai dernier.
M. Éric Bocquet. Et les salaires ?
M. Olivier Dussopt, ministre. L’accord qui a été conclu à la fin du mois de mars prévoit une augmentation de la rémunération, non par une voie salariale, c’est vrai, mais par la mise en œuvre de primes et d’autres modalités de rémunération.
M. Pascal Savoldelli. Et ils vont travailler jusqu’à 64 ans !
M. Olivier Dussopt, ministre. Depuis, un certain nombre de contacts ont été pris. Mon cabinet a notamment rendu possibles un échange et un rapprochement entre le cabinet de la secrétaire générale de la CGT, Mme Binet, et la direction générale de l’entreprise. Une réunion s’est de nouveau tenue lundi dernier – il y a donc deux jours – avec des propositions nouvelles de la direction que la CGT a de nouveau refusées.
À l’heure où nous parlons, environ soixante-dix salariés sur les trois cent quarante que compte le site sont toujours en grève. D’autres réunions sont prévues. Je souhaite évidemment que le dialogue social permette qu’elles aboutissent, dans le respect tant des prérogatives de chacun que de l’accord majoritaire qui a été signé voilà maintenant quelques semaines.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué l’intervention de la police pour retirer les piquets de grève. Celle-ci, qui a eu lieu à la demande du préfet de région, a été décidée en application d’une ordonnance rendue par le tribunal saisi par l’entreprise plusieurs semaines auparavant. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Éliane Assassi s’exclame.)
fret ferroviaire
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Michel Dagbert. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports, et porte sur le fret ferroviaire. Comme quoi, dans cet hémicycle, on peut poser deux fois la même question, mais sous un prisme différent… (Exclamations amusées sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
Subissant la forte concurrence de la route, la part du rail dans le transport de marchandises n’a cessé de diminuer au cours des dernières décennies. Elle a ainsi été divisée par deux entre 2006 et 2019, pour passer de 20 % à 10 %. C’est un fait !
Les avantages du fret ferroviaire sont pourtant indéniables, faisant de celui-ci un formidable outil de décarbonation des activités économiques. Ainsi, un train de marchandises équivaut à quarante camions, il réalise près de dix fois moins d’émissions de CO2 et consomme six fois moins d’énergie à la tonne transportée que le mode routier. Là aussi, c’est un fait.
Le Conseil d’orientation des infrastructures, dans ses différents rapports, a d’ailleurs souligné l’importance qu’il y avait à le développer.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Gouvernement a affiché à plusieurs reprises sa volonté de soutenir le transport de marchandises par le rail. L’objectif d’un doublement de la part modale du fret d’ici à 2030 a été inscrit dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. De plus, une stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire comportant soixante-douze mesures a été présentée et 170 millions d’euros d’aides supplémentaires par an ont été alloués. Ce soutien additionnel sera prolongé jusqu’en 2027.
Dans ce contexte, les difficultés rencontrées par la filiale fret de la SNCF inquiètent. En effet, la Commission européenne a ouvert au mois de janvier dernier une procédure.
Monsieur le ministre, je sais l’investissement qui est le vôtre. Pouvez-vous nous rappeler les mesures que vous avez annoncées hier… (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Jean-François Husson. Ah oui ?
M. Michel Dagbert. … et nous indiquer le calendrier de mise en œuvre du dispositif visant à faire perdurer Fret SNCF et à rassurer ses salariés ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le sénateur Dagbert, je le redis : nous vivons une situation difficile au regard de la procédure engagée par la Commission européenne. De la même façon, je le réaffirme, parce que le sujet est d’une grande gravité : je ne ferai pas le choix de la facilité qui consisterait à passer le dossier au ministre suivant et à verser dans quelques mois ou années des larmes de crocodile sur cette entreprise que l’on aurait laissé mourir par démagogie. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Je réglerai donc cette situation aujourd’hui – d’ici à la fin de l’année, pour répondre très précisément à votre question. Je le ferai par un accord exigeant, avec des lignes rouges très précises : la préservation intégrale de l’emploi – évidemment, aucun licenciement – et la préservation dans un opérateur public ferroviaire, dont l’avenir sera viable, de plus de 90 % des effectifs actuels.
Il va de soi qu’il faut un capital public au sein d’un groupe ferroviaire, la SNCF. En d’autres termes, aucune privatisation, mais aucun report modal non plus, car, monsieur le sénateur, vous avez rappelé les avantages du fret ferroviaire et nous en sommes convaincus : un train de fret, c’est l’équivalent de quarante camions, soit dix fois moins d’émissions de gaz à effet de serre.
C’est ce gouvernement qui a redressé la part du fret ferroviaire en France. Nous continuerons dans cette voie.
Je ne propose pas une solution du moindre mal ou un avenir au rabais. Je propose au contraire un avenir sérieux et positif pour le fret ferroviaire public et privé en France. Nous aurons en effet besoin de beaucoup d’opérateurs pour développer ce mode de transport.
C’est la raison pour laquelle, sous l’autorité de la Première ministre, nous avons décidé d’amplifier et d’accélérer le plan pour le fret que nous avions annoncé. Ainsi, 200 millions d’euros seront alloués dès la fin de l’année prochaine pour les aides au wagon isolé et à l’exploitation destinées aux opérateurs de fret ferroviaire, notamment l’opérateur public. Il s’agit là d’une visibilité donnée jusqu’en 2030 pour garantir les investissements et le redressement de la part du fret ferroviaire en France.
Dans les contrats de plan État-région, 2 milliards d’euros seront mobilisés pour l’investissement dans nos gares de triage et lignes de fret, soit quatre fois plus que dans les précédents contrats de plan. Un tel effort n’a jamais été accompli dans notre pays et nous le prolongerons de 2 milliards d’euros supplémentaires jusqu’au début de la prochaine décennie.
Il s’agit donc d’un effort dans la durée, d’un effort sérieux. Je ne veux pas que l’on vive dans l’incertitude. Je veux que l’on prépare l’avenir avec les salariés du fret ferroviaire public français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
partage de la valeur : situation de l’usine vertbaudet
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul. Je souhaite à mon tour rendre hommage aux trois policiers de Roubaix décédés dans l’exercice de leurs fonctions. J’ai une pensée pour leurs familles, leurs proches, à laquelle, je le sais, s’associe l’ensemble de cet hémicycle.
Depuis deux mois, soixante-douze salariés de l’usine Vertbaudet demandent à vivre dignement du fruit de leur travail. Pour beaucoup, ce sont des femmes en grève pour la première fois de leur vie. (Mme Michelle Gréaume acquiesce.)
Face au refus catégorique de la direction d’augmenter les salaires, un compromis dans la douleur a été trouvé : 0 % d’augmentation salariale, mais des primes désocialisées. Le délégué CFTC le dit très clairement : « C’était cela ou rien. Le 0 %, on l’a très mal vécu. »
Gréviste ou non, personne ne trouve normal qu’après « 20 ans de boîte » les salaires plafonnent au Smic au moment où tout augmente. Je partage l’inquiétude de ces femmes salariées, grandes perdantes de la réforme des retraites (Mme la Première ministre exprime son désaccord.), de ne pas voir leurs pensions abondées par ces primes.
Face à un blocage d’ordre social, la réponse ne peut pas être l’intimidation et la violence. Toutefois, Vertbaudet n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Monsieur le ministre, durant la période du covid-19, vous nous expliquiez la main sur le cœur qu’il y aurait un avant et un après pour les travailleurs de première ligne. Allez-vous continuer à adresser des vœux pieux au patronat à coup de « demandes » ou bien allez-vous enfin endosser le rôle d’un État qui met réellement en pratique le partage juste de la valeur en se plaçant aux côtés des travailleurs ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Madame la sénatrice Filleul, je compléterai les propos que j’ai tenus lors de ma réponse à la question de Mme la sénatrice Gréaume, en évoquant deux points.
Premier point, vous avez parlé d’intimidation et de violence. Je suppose que vous faites référence à l’agression qu’a subie l’un des délégués CGT de l’entreprise en question. Ce délégué a été reçu par les représentants de la préfecture et, comme vous l’imaginez, il lui a été vivement conseillé de déposer plainte. À l’heure où je m’exprime devant vous et à ma connaissance, cela n’a pas été fait. Les responsables de la préfecture se sont même heurtés à un refus de dépôt de plainte.
Second point, madame la sénatrice, vous avez évoqué l’accord intervenu à la fin du mois de mars dernier. Je vous confirme, mais vous en connaissez la teneur, que cet accord prévoit une prime à hauteur de 650 euros – de mémoire –, ainsi qu’un certain nombre de dispositions relatives à la rémunération, sans que soit prévue d’évolution salariale particulière.
Vous dites que l’État doit jouer son rôle. Nous le faisons, dans le respect des prérogatives des acteurs du dialogue social, par le biais d’une médiation. Comme je l’ai indiqué en réponse à Mme Gréaume, la réunion qui s’est tenue avant-hier dans le cadre de cette médiation n’a pas débouché sur un accord.
À l’heure où nous parlons, soixante-douze des presque trois cent cinquante salariés de Vertbaudet maintiennent leur mouvement de grève. Une réunion doit se tenir en toute fin de semaine. Je pense qu’un certain nombre de propositions seront formulées ; j’espère qu’elles seront de nature à avancer vers la résolution de ce conflit.
Alors que nous sommes face à une situation particulière, et je crois que vous entendrez cet argument, vous nous demandez d’intervenir pour décider à la place de celles et de ceux qui sont chargés du dialogue social, à savoir l’employeur et les organisations syndicales. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Une décision a été prise. Vous pouvez porter une appréciation négative sur l’accord intervenu à la fin du mois de mars. Reste que cet accord est, à juste titre, considéré comme majoritaire, puisqu’il a été signé par des organisations syndicales représentant 63 % des salariés concernés (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse qui ne me satisfait que partiellement.
Au-delà de l’exemple de Vertbaudet, la question qui se pose est d’envergure nationale : c’est celle de la politique salariale. Les Français veulent pouvoir vivre dignement de leur travail et je regrette que votre gouvernement ne soit pas au rendez-vous de leur attente. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
situation de l’immigration
M. le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. Madame la Première ministre, en 2022, près de 500 000 migrants légaux sont entrés en France, établissant un record absolu. À cela, il faut ajouter les immigrés illégaux : plus de 300 000 selon les estimations de Frontex. L’échec du Gouvernement à contrôler l’immigration est patent.
Le coût économique de cette immigration est un sujet que l’on ne peut plus éluder : l’aide médicale de l’État continue de progresser cette année – +12 % ! – pour atteindre 1,2 milliard d’euros. (Mme Monique Lubin s’exclame.) L’accueil des immigrés pèse de plus en plus sur nos finances publiques.
Le coût social de l’immigration est de moins en moins acceptable : la loi n’est pas respectée, les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne sont pas exécutées, le communautarisme et la violence gangrènent notre société, touchant bien souvent les Français les plus modestes.
Des solutions existent pour reprendre le contrôle de l’immigration. Certains pays, comme le Danemark, nous démontrent qu’il n’y a pas de fatalité. Encore faut-il en avoir la volonté !
L’excellent rapport d’information de notre collègue François-Noël Buffet sur la question migratoire nous montre d’ailleurs la voie en la matière. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
Des propositions concrètes ont été avancées par Les Républicains et deux propositions de loi, dont une proposition de loi constitutionnelle, offrent de nouvelles perspectives.
Madame la Première ministre, la France va mal et vous regardez ailleurs. Vous préférez temporiser en adoptant une approche du « en même temps » chère au Président de la République.
Madame la Première ministre, ma question est simple : quand allez-vous ouvrir les yeux sur le drame qui se joue devant vous et vous emparer sérieusement de ce sujet ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Mickaël Vallet. Pas un mot sur les centaines de morts en Méditerranée !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur Leroy, comme vous, nous sommes évidemment préoccupés par les questions migratoires, qui se posent partout en Europe. Ainsi, le nombre des demandeurs d’asile a augmenté de près de 60 % en Europe en 2022. Vous le savez bien, tous les pays, quels que soient le régime politique et les choix qu’ils ont faits en matière migratoire, rencontrent les mêmes difficultés.
Même si ce n’était pas votre question, je vous fais remarquer que, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins européens, il y a moins de demandes d’asile aujourd’hui qu’il n’y en a eu durant les trois dernières années. Par ailleurs, nous avons augmenté l’exécution des OQTF et des laissez-passer consulaires de plus de 20 % depuis le 1er janvier.
Monsieur le sénateur, vous évoquez des propositions. Nous serons évidemment heureux de les entendre.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est déjà pas mal !
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous n’avons pas encore vu les deux textes proposés par le groupe Les Républicains, mais nous avons compris qu’ils ne faisaient pas totalement consensus au sein de la majorité sénatoriale, puisque les membres du groupe Union Centriste s’apprêtent eux-mêmes à déposer des textes. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
Nous sommes tout à fait prêts à discuter avec l’ensemble de l’échiquier politique, singulièrement avec la majorité sénatoriale, et je vous rappelle que nous avons déposé un texte que vous avez déjà étudié en commission.
Certaines des propositions émanant du groupe Les Républicains que nous avons lues ce week-end dans la presse sont tout à fait concordantes avec les nôtres. Je pense au rétablissement de la double peine pour les étrangers délinquants, à l’intégration obligatoire par l’apprentissage du français ou encore à la simplification du droit – c’était l’un des points abordés dans le rapport d’information de François-Noël Buffet.
Nous avons donc beaucoup de convergences. Reste qu’il existe également des divergences, y compris des divergences de principe, dont il nous faudra sans doute débattre.
Ainsi, vous proposez, pour certaines dispositions, de sortir de la Convention de Genève de 1951, de sortir des traités de l’Union européenne, de sortir du Conseil de l’Europe, de sortir de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
M. Bruno Retailleau. C’est faux !
M. Jean-François Husson. Oui, c’est faux !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est tout à fait vrai !
Un tel Frexit migratoire est évidemment une question importante. Il faut que nous puissions discuter des propositions constitutionnelles, mais vous reconnaîtrez que nous examinerons ici un projet de loi ordinaire.
J’en profite pour dire que, à la demande de la Première ministre, j’ai entrepris des discussions avec le groupe Les Républicains du Sénat et avec le groupe Union Centriste – je le ferai bien évidemment avec tous les autres groupes qui le souhaiteront – pour être à même de discuter de ce texte à l’automne prochain, arrêter d’en parler et commencer d’être concret, comme vous l’a proposé le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour la réplique.
M. Henri Leroy. Monsieur le ministre de l’intérieur, nous savons que vous êtes un homme d’écoute et que vous nous entendrez, mais ma question s’adressait à Mme la Première ministre… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sept Français sur dix dénoncent le trop-plein d’immigrés en France. Ces Français rencontrent des difficultés pour se soigner, pour s’alimenter, pour vivre décemment, alors qu’un climat d’insécurité s’est installé et que la violence devient quotidienne.
M. David Assouline. Quel est le rapport ?
M. Henri Leroy. Madame la Première ministre, donnez-leur un peu d’espoir et agissez ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. David Assouline s’exclame.)
financement de la transition écologique
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. « Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. » Voilà ce que prophétisait le penseur Bernard Charbonneau il y a quarante ans.
Une augmentation de 4 degrés Celsius, c’est la catastrophe assurée, sans aucune adaptation possible : tout le littoral français sous l’eau, des vagues de chaleur bien supérieure aux 40 degrés Celsius auxquelles tout le monde ne pourra pas survivre, des sécheresses sévères, des pénuries d’eau, des pertes de récoltes.
Notre modèle est en cause. Le perpétuer, alors qu’il se heurte à ses limites, relève d’un déni impardonnable. Notre lutte contre la crise climatique doit s’intensifier, car elle va entraîner des dommages colossaux. Qui n’en est pas conscient ?
Votre mantra « pas d’impôt, pas de taxe » nous mène dans l’impasse.
Nous devons « faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans », indique dans son rapport Jean Pisani-Ferry, qui n’est pourtant pas un dangereux éco-terroriste (Sourires.) et qui propose, entre autres solutions, de lever un impôt sur les 10 % les plus aisés pour financer la transition écologique. À vrai dire, il n’y a rien d’extravagant à imaginer que ceux-ci contribuent à cet effort à hauteur de leurs moyens.
En effet, changer sa chaudière et acquérir une voiture électrique n’est pas à la portée de tous les Français. Pourtant, la réduction subséquente en gaz à effet de serre, donc l’habitabilité de la planète, profitera à tous.
Une répartition équitable non seulement est la moindre des choses, mais relève d’une justice sociale absolument indispensable pour emporter l’adhésion et l’acceptation de tous. Nous n’avons cessé depuis 2017 de vous proposer des mesures fortes, comme l’instauration d’un impôt climatique de solidarité sur la fortune – en pure perte.
Comment envisagez-vous les financements nécessaires au changement radical qui s’impose à nous ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Préville, le rapport Pisani-Ferry, commandé par le Gouvernement, aborde de nombreux sujets. Sur les cent cinquante-six pages qu’il compte, je note que vous vous concentrez sur les trois qui concernent la fiscalité. Vous auriez pu souligner qu’il insiste sur la cohérence de la stratégie de planification défendue par la Première ministre.
M. Jérôme Durain. Sans moyens !
M. Christophe Béchu, ministre. La phrase du rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz soulignant qu’il nous fallait faire en dix ans ce que nous n’avions pas fait en trente ans est en fait une citation d’Élisabeth Borne qui date du mois d’octobre dernier au moment du lancement du Conseil national de la refondation (CNR) sur le climat et la biodiversité. (M. François Patriat applaudit. – Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. David Assouline. Quel bon élève ! (Sourires.)
M. Christophe Béchu, ministre. Je tiens à rappeler une ou deux choses simples.
Dans ce domaine, chacun serait bien inspiré d’insister sur la hauteur de la marche et sur le chemin qu’il nous reste à parcourir, plutôt que de donner le sentiment que certains avaient la solution. En effet, depuis qu’il n’y a plus d’écologistes au gouvernement, le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre a doublé. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Une partie de ceux qui, par le passé, étaient les plus activistes et les plus radicaux et qui nous incitaient à l’époque à sortir du nucléaire,…
M. Stéphane Piednoir. Le président Macron !
M. Christophe Béchu, ministre. … seraient, si les gouvernements successifs les avaient écoutés, responsables d’une hausse des émissions qui nous aurait considérablement éloignés de là où nous en sommes aujourd’hui en termes d’empreinte.
Dans ce domaine, il y a à la fois un plan et une double stratégie : l’atténuation – nous avons évoqué cette question lundi – et l’adaptation.
M. Jean-François Husson. Cela fait dix ans qu’on le dit !
M. Christophe Béchu, ministre. L’adaptation est nécessaire, ce n’est ni un déni ni un renoncement, mais une manière de constater ensemble que la trajectoire n’est pas à la bonne maille.
La question du financement ne peut pas être taboue et M. Pisani-Ferry l’aborde de telle sorte que plusieurs pistes sont possibles.
Il faut d’abord faire en sorte de réorienter les dépenses. Nous sommes parmi les champions du monde en termes de prélèvements obligatoires. L’écologie ne doit pas être le prétexte pour augmenter les impôts. (M. Michel Dagbert applaudit. – M. Jérôme Durain s’exclame.)
Il faut ensuite réorienter la fiscalité, mais en aucun cas se servir de ce prétexte pour tendre vers une forme d’écologie qui écarterait une partie de nos concitoyens, alors que, compte tenu de l’ampleur du défi, on a besoin de tout le monde pour réussir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)