M. Michel Canévet. L’article 14 vise à solliciter un rapport sur les mesures d’encadrement des pratiques agricoles. Il me semblerait utile de regarder aussi, dans ce cadre, la situation de l’aquaculture lacustre et de rivière. Ce secteur est au point mort dans notre pays depuis de nombreuses années, il est donc important de faire le point sur les freins à son développement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sophie Primas, rapporteur. Cet amendement de plusieurs sénateurs centristes me semble satisfait, mais je partage pleinement l’intention de ses auteurs de donner un coup de projecteur sur l’aquaculture, comme nous en avons donné un tout à l’heure sur l’agriculture ultramarine.
La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, son avis sera défavorable.
Mme le président. L’amendement n° 117, présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Ce rapport évalue également les coûts des externalités négatives des pratiques agricoles pour la collectivité, notamment les coûts sanitaires et environnementaux des pollutions liées à l’usage des produits phytosanitaires et des engrais de synthèse, des pollutions liées aux nitrates, ainsi que la part des dépenses publiques qui contribue à réduire ces coûts. D’autre part, il évalue les gains liés aux externalités positives des pratiques agroécologiques et notamment de l’agriculture biologique et la part des dépenses publiques orientée vers ces pratiques.
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement tend à compléter le rapport d’évaluation des mesures d’encadrement des pratiques agricoles et de leur impact financier.
En effet, si l’information demandée peut être intéressante, le périmètre est trop réduit. Nous proposons de chiffrer aussi les impacts environnementaux et sanitaires des pratiques agricoles. Les pratiques agricoles conventionnelles génèrent de nombreuses externalités négatives : les coûts liés aux pollutions de l’eau et de l’air comme ceux en lien avec la santé, la biodiversité ou les pollinisateurs doivent aussi être pris en compte par les politiques publiques.
Nous proposons aussi de chiffrer la part des dépenses publiques qui financent ces pratiques néfastes. Une étude des financements publics liés à l’utilisation agricole des pesticides en France a été publiée en 2021 par la Fondation Nicolas Hulot et le bureau Basic : elle montre que moins de 1 % des dépenses publiques contribue réellement à la réduction de l’usage des pesticides. Ces données sont intéressantes pour orienter notre politique agricole.
Nous proposons enfin de chiffrer l’ensemble des externalités positives, qu’on appelle aménités, dont nous bénéficions du fait des pratiques alternatives agroécologiques. L’agriculture biologique, notamment, protège l’eau, les sols, la qualité de l’air, la biodiversité, les pollinisateurs. Ces données sont elles aussi à prendre en compte, quand on parle d’évaluation des politiques publiques.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sophie Primas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, car l’évaluation des dispositions législatives fait partie des missions du Parlement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’article 14, modifié.
(L’article 14 est adopté.)
Article 15
Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° L’article L. 211-1 est ainsi modifié :
a) Au 5° bis du I, après les mots : « stockage de l’eau », sont insérés les mots : « , qui présente un intérêt général majeur » ;
b) Au 3° du II, après le mot : « agriculture », sont insérés les mots : « , pour laquelle les ouvrages ayant vocation à stocker l’eau présentent un caractère d’intérêt général majeur dans le respect du 5° bis du II du présent article, » ;
2° Après le même article L. 211-1, il est inséré un article L. 211-1-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 211-1-1 A. – Les plans d’eau, permanents ou non, comme les prélèvements nécessaires à leur remplissage, à usage agricole, sont réputés répondre à un intérêt général majeur s’ils s’inscrivent dans le respect du 5° bis du II de l’article L. 211-1. Dans le respect d’une gestion équilibrée de la ressource en eau et d’une production agricole suffisante et durable, dès que possible, ces installations et activités tiennent compte d’un usage partagé et raisonné de l’eau. »
Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 14 est présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.
L’amendement n° 41 rectifié est présenté par MM. Tissot et Montaugé, Mme Bonnefoy, M. Devinaz, Mmes Préville et S. Robert, M. Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Michau, Redon-Sarrazy, J. Bigot, Stanzione, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 64 est présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 72 est présenté par Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis, Lemoyne et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Salmon, pour présenter l’amendement n° 14.
M. Daniel Salmon. Alors que les infrastructures de stockage d’eau à des fins agricoles suscitent débats, critiques et contentieux et que les sécheresses se multiplient, l’article 15 prévoit de déclarer automatiquement d’intérêt général majeur les ouvrages de stockage d’eau.
Les écologistes ne s’opposent ni à l’irrigation ni au stockage de l’eau – je le rappelle, parce qu’il est facile de caricaturer –, mais nous estimons que ces solutions doivent intervenir en dernier recours, une fois que tous les leviers de sobriété ont été mis en œuvre, notamment les pratiques agronomiques permettant de retenir l’eau dans les sols. Je rappelle que 93 % de notre agriculture est une agriculture pluviale, qui n’a donc pas besoin d’irrigation.
Déclarer ces projets d’intérêt général majeur sans aucun encadrement ni garde-fou ne nous semble pas la solution. Certes, l’article a été modifié en commission pour tenter d’atténuer la mesure, en l’articulant avec le principe de l’usage partagé et les hiérarchies des usages de l’eau, mais cette précision est insuffisante.
Si l’irrigation est nécessaire dans certains cas, elle doit être conditionnée à des pratiques agroécologiques et au soutien à la souveraineté alimentaire, et non être déclarée comme présumée d’intérêt général majeur. L’objectif est de placer l’usage agricole de l’eau au même niveau que l’eau potable et l’usage sanitaire, ainsi que le bon fonctionnement des milieux aquatiques déjà largement mis à mal.
Des alternatives à l’actuelle généralisation de l’irrigation existent : produire sur des sols vivants et avec des principes d’agroécologie. La priorité, face à la raréfaction de la ressource en eau, doit être de discuter des changements à opérer. La répartition des volumes d’eau d’irrigation entre les filières et le rôle de ces dernières au sein de stratégies territoriales doivent retenir toute notre attention.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 41 rectifié.
M. Jean-Claude Tissot. Nous abordons avec cet article un sujet très difficile, souvent clivant, qui mériterait une loi à part entière : la question du stockage de l’eau à usage agricole.
Sur la forme, les sénateurs de mon groupe considèrent dans leur très grande majorité qu’il serait très difficile de traiter ce sujet au détour de cette proposition de loi, sans étude d’impact ni concertation.
Sur le fond, nous regrettons le parti pris beaucoup trop marqué de cet article 15, qui propose de reconnaître dans la loi, par principe, le stockage de l’eau en agriculture comme d’intérêt général majeur.
Au vu du contexte sociétal et politique extrêmement tendu sur cette question, il ne nous semble pas judicieux d’inscrire un tel principe dans la loi au détour de l’examen d’un texte qui, nous le rappelons, n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact.
La question des retenues d’eau en agriculture est complexe. Seule une solution équilibrée et durable pourra apaiser les tensions et répondre aux attentes des différents acteurs concernés par ce type de décision.
Le groupe socialiste du Sénat mène actuellement un travail de fond sur la question des usages de l’eau, dans le cadre de son droit de tirage annuel. Nous rendrons nos conclusions à l’été 2023. C’est seulement à partir de ce travail sérieux, fruit de six mois d’auditions, de concertations et de réflexion, que des solutions équilibrées et sociétalement acceptables pourront émerger.
Dans cette attente, il nous semble totalement imprudent d’inscrire dans la loi des positions aussi définitives. Nous vous proposons donc de supprimer cet article.
Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 64.
M. Fabien Gay. Cet article mérite que nous lui consacrions un peu de temps, madame la présidente. Je pense que nous devons avoir un débat sérieux sur la gestion de l’eau.
L’été dernier, en France, cent villages n’ont pas eu accès à l’eau potable pendant plusieurs jours. Puis, il y a eu les méga-feux et des inondations. Vous me direz que c’est déjà arrivé dans le passé. Oui, mais cela s’accélère et s’intensifie : il faut vraiment que nous soyons sérieux sur cette question.
Face à une telle situation, il y a des biens que nous devons exclure du marché : appelons-les des biens communs de l’humanité, si vous voulez. Et nous devons faire en sorte qu’il n’y ait plus de conflits d’usage entre la biodiversité, l’agriculture, nos centrales nucléaires, etc.
Je ne confonds pas les mégabassines de retenue et celles qui pompent dans les nappes phréatiques.
M. Laurent Duplomb. Elles n’ont rien à voir !
M. Fabien Gay. Il faut faire du cas par cas. Proposer de globaliser et de tout rendre par principe d’intérêt général majeur, cela ne me paraît pas au niveau du débat que nous devons avoir.
Nous demandons donc la suppression de cet article. Pour autant, nous devons nous mettre sérieusement au travail sur ces questions. Si les mégabassines pompent dans les nappes phréatiques, il n’y aura bientôt plus rien à pomper : il n’y aura plus ni nappes phréatiques, ni mégabassines, ni par conséquent d’agriculture !
M. Daniel Salmon. C’est déjà le cas en Espagne…
Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour présenter l’amendement n° 72.
Mme Patricia Schillinger. La question de la gestion de l’eau est redevenue une problématique structurante du débat public, alors que nous nous étions habitués à une certaine abondance et à une relative facilité.
L’agriculture est en première ligne, puisque environ 10 % de l’ensemble des volumes d’eau douce prélevés en France lui sont destinés et qu’elle représente 45 % de la consommation d’eau.
Le Président de la République a annoncé, dans le cadre du plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, une territorialisation de la politique de l’eau. Il a réaffirmé l’importance du respect de l’équilibre entre prélèvements et ressources et annoncé l’accompagnement de la création d’un fonds hydraulique doté de 30 millions d’euros par an.
Dans ce contexte, nous comprenons qu’il faille reconnaître la priorité à donner à l’agriculture, ce qui conduit à proposer de déclarer d’intérêt général majeur les ouvrages de prélèvement et de stockage de l’eau à des fins agricoles. Mais nous sommes favorables à ce que la gestion de l’eau et des milieux aquatiques soit définie au sein de chaque territoire à la suite d’une concertation locale, projet par projet.
Nous demandons donc la suppression de cet article.
Il nous semble également important que, lorsque la construction d’un ouvrage a été décidée localement et collectivement, elle puisse se faire rapidement. Il sera nécessaire, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, d’aborder ce sujet, en tenant compte de la multiplication des actions en justice et de la capacité qu’ont certains acteurs, qui ne sont pas toujours implantés localement, d’alourdir les procédures et d’allonger les délais de mise en œuvre. Ces acteurs alimentent l’agribashing et estiment parfois être mieux placés pour décider des stratégies locales de gestion de l’eau que les citoyens et les élus.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sophie Primas, rapporteur. L’équilibre trouvé en commission est de nature à sécuriser les agriculteurs, souvent très inquiets, et à prendre en compte les autres enjeux de la gestion de l’eau qui ont été évoqués et qui sont aussi très importants.
La commission a mis en cohérence les dispositions de l’article 15 avec l’article L. 211-1 du code de l’environnement, qui est relatif aux objectifs de la politique de l’eau et prend en considération l’ensemble des usages de l’eau de manière hiérarchisée. Cet article mentionne d’ores et déjà, dans le 5 bis du paragraphe I, la « promotion d’une politique active de stockage de l’eau pour un usage partagé de l’eau permettant de garantir l’irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l’étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales. »
La plupart des ouvrages de stockage d’eau à vocation agricole font l’objet d’une procédure de déclaration ou d’autorisation. Nous avons donc pris toutes les précautions qui permettent de répondre aux objections qui viennent d’être faites.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements de suppression.
Vous avez raison, monsieur Gay, c’est un débat qui est largement devant nous. Cela dit, la conflictualité des usages, c’est vieux comme le monde : il y en aura toujours, en particulier quand l’eau vient à manquer !
Essayons de lever le nez du guidon, de ne pas commenter la météo mois par mois, mais de regarder la trajectoire.
D’ailleurs, ce que dit le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur les arythmies à prévoir et les difficultés que rencontrera chaque territoire est très clair : la quantité d’eau qui tombera sur le sol français sera à peu près la même, mais l’évapotranspiration et les disparités territoriales vont créer du stress hydrique.
Du coup, certains territoires qui n’avaient pas besoin d’irrigation jusque-là pourront en avoir besoin. Il faudra l’assumer et la voie pour y parvenir passe notamment par la sobriété à l’hectare.
Vous évoquiez, monsieur Gay, la question des prélèvements dans les nappes. Mais il n’y a pas qu’une seule nappe en France ! Il y en a plusieurs et leurs caractéristiques sont différentes. Nous devrions d’ailleurs nous inspirer de l’exemple vendéen, je le dis sous le contrôle de M. Retailleau.
M. Bruno Retailleau. J’en parlerai !
M. Marc Fesneau, ministre. Le travail de répartition de la ressource réalisé en Vendée est même salué par les associations environnementales.
Vous parlez d’or, monsieur Salmon, quand vous réclamez la réduction de la consommation par une évolution des pratiques. Je vais vous en donner un exemple : à Sainte-Soline, la réduction de la consommation sera de 30 %, des haies seront plantées, les assolements vont évoluer et la consommation de produits phytosanitaires diminuera. (M. Daniel Salmon le dément.) C’est ce qui est prévu dans le protocole.
M. Daniel Salmon. Ce n’est pas ce qui est appliqué !
M. Marc Fesneau, ministre. Voulez-vous dire que les agriculteurs ne respectent pas leur parole ? Si, ils respectent leur parole et ils respectent la loi – et j’aimerais que tout le monde le fasse, y compris à Sainte-Soline. (Marques d’approbation à droite.) Que je sache, on ne prend jamais les agriculteurs en défaut sur ce point ; d’ailleurs, s’ils ne respectent pas le protocole, ils n’ont pas accès au pompage. En France, on n’ouvre pas le robinet comme on veut : il y a des compteurs, des évaluations, des contrôles, ce n’est pas open bar !
Certains projets sont vertueux, il faut être capable de le reconnaître. Je pense à ce qui a été fait en Vendée, au projet de Sainte-Soline ou à ceux qui sont développés en Poitou-Charentes, notamment autour de Poitiers. Sinon, que serait un projet vertueux ? Un projet où l’on ne prélève plus d’eau ?
Nous avons besoin d’assurer la transition nécessaire de l’agriculture et, pour cela, nous avons besoin d’ouvrages. Vous avez parlé de mégabassine pour Sainte-Soline : comment nommer alors ce qui a été fait dans le Sud-Est, par exemple Serre-Ponçon ?
M. Daniel Salmon. Cela n’a rien à voir !
M. Marc Fesneau, ministre. Une bassine occupe 12 hectares ; Serre-Ponçon en fait 4 000… Je suis sûr qu’aujourd’hui vous remettriez en cause Serre-Ponçon ! Ce barrage permet pourtant de lutter contre les incendies, d’alimenter la population en eau potable, de faire de l’irrigation de manière vertueuse, y compris pour les étiages des cours d’eau. À mon avis, le multi-usage est souvent une piste intelligente – et il comprend l’usage agricole.
Je soutiens donc les amendements de suppression de cet article, parce qu’on ne peut pas faire une telle généralité. Mais je m’inscris en faux contre l’idée qu’on n’aurait pas besoin d’ouvrages. Nous ne pourrons pas avancer si, à chaque fois qu’on essaie de faire un ouvrage, on trouve tous les motifs de faire échouer le projet.
Je pense qu’il faut territorialiser les choses et faire évoluer les pratiques. Nous devons aussi faire en sorte de raccourcir les procédures. Le Président de la République l’a dit pour l’industrie, nous ne pouvons pas avoir des procédures qui durent dix ans… Sinon, c’est l’impasse. Allons vers des procédures concomitantes et suffisamment courtes pour crédibiliser les démarches !
Le Gouvernement souhaite donc la suppression de cet article 15, mais nous devons ouvrir le débat sur ce sujet de manière plus sereine et moins caricaturale que ce qu’on entend. Et nous devons encourager les agriculteurs à mener les transitions, en leur permettant d’accéder à ce qui est essentiel pour eux, c’est-à-dire l’eau.
Mme le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Je me pose une question basique, à laquelle quelqu’un aura peut-être la réponse.
On connaît les projets d’intérêt général – ils sont définis dans le code de l’urbanisme –, les projets d’intérêt majeur, les raisons impératives d’intérêt public majeur – elles sont aussi juridiquement définies.
Mais nulle part je n’ai trouvé de référence à des projets « d’intérêt général majeur ». Quelle est la définition juridique de cette notion qui me semble hybride ? Quelles en sont les conséquences ?
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Ce qu’a dit M. le ministre m’oblige à réagir.
Il faut quand même veiller à ne pas mélanger les choses, en l’espèce les différents types de retenue d’eau. Il existe des retenues qui sont situées sur un cours d’eau – vous avez évoqué le lac de Serre-Ponçon –, des bassines qui pompent dans les nappes phréatiques, des retenues collinaires, etc. Toutes ces retenues ne sont pas à mettre dans le même panier, il faut notamment prendre en compte l’hydrologie.
Vous parlez de légalité : nous pourrions parler des cinq bassines illégales qui sont pourtant remplies…
Aller vers une forme de privatisation de l’eau pose aussi question. Où est le partage de l’eau dans une telle situation ?
Vous parlez de Sainte-Soline comme d’un exemple à suivre, où tout serait parfait. J’y suis allé et j’ai constaté que tous les champs sont drainés par des canaux pour évacuer l’eau le plus vite possible. (M. Laurent Duplomb ironise.) Et l’on fait des retenues pour essayer de retenir l’eau ! Il faudra qu’on m’explique la logique de tout cela.
Nous devons revenir à un principe simple, le respect des cours d’eau et des zones humides, pour avoir moins besoin de stocker dans l’avenir.
Mme le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je ne peux pas laisser le ministre parler de la Vendée de façon solitaire… (Sourires.)
Je ne partage pas son avis sur les amendements. Depuis des mois, j’ai entendu beaucoup de prises de position idéologique sur ce que vous appelez les bassines, et que nous appelons les réserves de substitution.
M. Franck Menonville. Des réserves d’eau, tout simplement !
M. Bruno Retailleau. En Vendée, nous avons commencé il y a plus de vingt ans de telles expérimentations, que j’ai suivies personnellement au titre tant de la région que du département. Nous pouvons désormais établir des constats, loin de toute idéologie.
Nous sommes partis d’une situation dramatique, avec des conflits d’usage. Aujourd’hui, nous savons que nous allons vers de telles situations, car, avec le réchauffement climatique, s’il ne tombera pas moins d’eau, celle-ci tombera de manière plus concentrée et sans doute de façon plus violente. Si nous voulons une agriculture productive, si nous voulons assurer l’avenir des agriculteurs, le stockage de l’eau et notre adaptation à la transition écologique sont essentiels.
Nous pouvons constater des résultats et ils sont vérifiables. Je sais qu’une mission d’information du Sénat travaille sur la question et j’invite ses membres à venir voir ce qu’il en est en Vendée. Dans le marais poitevin, une grande zone humide fragile que nous cherchons à préserver, le décrochage des niveaux a reculé de vingt à quarante jours, soit plus d’un mois de gain, et nous avons également observé des gains de 20 à 40 centimètres sur les niveaux d’eau et jusqu’à trois mètres pour la nappe phréatique. Ces chiffres ont été corroborés en 2022, une année particulièrement sèche, ce qui a confirmé l’efficacité du dispositif.
En ce qui concerne l’agriculture, nous avons constaté une baisse de la culture du maïs, une augmentation des cultures biologiques et la préservation de l’élevage dans le marais poitevin. Ces observations concrètes démontrent les aspects positifs du dispositif que nous avons mis en place. Il est important de se détacher de l’idéologie pour revenir à l’observation concrète.
Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Il s’agit d’une modification fondamentale de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, qui consacre la gestion équilibrée de la ressource sans interdire le stockage.
Le paragraphe 7 de l’article 4 de la directive-cadre sur l’eau de 2000 permet de déroger au principe de non-détérioration de l’état d’une masse d’eau ou de ne pas atteindre les objectifs de bon état dans le cadre d’un projet d’intérêt général majeur, mais cela n’est pas permis de manière systématique dès lors qu’il s’agit d’un projet de stockage d’eau à des fins agricoles.
Or cet article 15 pose un principe général, alors qu’on ne peut pas faire l’amalgame entre barrages, retenues, lacs et mégabassines. C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article.
Mme le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Pour ma part, je voterai l’article 15. Sainte-Soline est dans mon département, j’ai suivi l’élaboration du protocole et toutes les études préliminaires et je voudrais rappeler qu’au moment de la signature du protocole d’engagement avec le monde agricole, presque toutes les associations environnementales ont donné leur accord. (Mme le rapporteur le confirme.) La députée Delphine Batho l’a signé.
Je ne sais pas si c’est de l’idéologie, mais c’est seulement à l’approche de l’élection présidentielle que tout a dévissé…
M. Laurent Duplomb. Absolument !
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je souhaite m’exprimer sur ce sujet. Tout d’abord, je soutiens ces amendements supprimant l’article 15, car il n’est pas possible de déclarer un projet d’intérêt général majeur par principe.
Le ministre a parlé des barrages, notamment de celui de Serre-Ponçon. Je ne sais pas si des projets de cette nature verraient le jour aujourd’hui – c’est une véritable interrogation –, mais il y a une particularité importante : Serre-Ponçon, c’est un village en moins ! Ces barrages ont des répercussions sur les populations et la biodiversité et ne sont donc pas des projets anodins.
Ce qui distingue un projet comme Serre-Ponçon ou les grands barrages des bassines dont nous parlons par ailleurs, c’est le travail important de réflexion sur les différents usages de l’eau – l’irrigation, le tourisme, l’eau potable… Avec ces projets, nous prenons en main le bien commun, l’eau, et nous faisons appel à la puissance publique pour gérer cette problématique. C’est comme cela que les choses doivent fonctionner et que nous pouvons avoir confiance en une gestion équitable des ressources.
Les écologistes n’ont jamais été opposés au stockage de l’eau, à l’adaptation et à la résolution des problèmes liés à l’eau, mais je tiens à rappeler que 95 % de la surface agricole utile n’est pas irriguée, ce qui signifie que nous avons encore beaucoup de travail devant nous, si nous devions suivre votre direction…
Au fond, pourquoi les projets que vous défendez ne sont-ils pas acceptés ? Parce qu’ils représentent une privatisation de l’eau. (M. le ministre le dément.) Si nous considérions l’eau comme un bien commun et que nous mettions en place de véritables projets publics et partagés, je pense que les choses se dérouleraient différemment.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14, 41 rectifié, 64 et 72.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 98, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le 5° bis du I de l’article L. 211-1 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« 5° bis La promotion d’une politique de sobriété d’usage de l’eau en agriculture, notamment via le développement de pratiques agronomiques, et l’encadrement des ouvrages ayant vocation à stocker l’eau pour l’irrigation, garantissant qu’ils contribuent, dans le cadre d’un projet de territoire, à un usage transparent, partagé et sobre de la ressource en eau, et à la mise en œuvre de pratiques agroécologiques. »
La parole est à M. Daniel Salmon.