Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la présidente, mesdames, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, tous les orateurs l’ont dit, l’agression russe en Ukraine a des conséquences terribles, épouvantables, sur les enfants. Leurs droits sont massivement violés et leur avenir risque d’être brisé.
La Russie a sciemment bombardé des lieux dans lesquels nul ne peut ignorer que se trouvaient des enfants : des hôpitaux, des maternités, des écoles. Elle est responsable de meurtres, de blessures, de déportations, de violences sexuelles contre des enfants.
Permettez-moi, tout d’abord, de vous assurer que nous œuvrons sans relâche pour que les enfants ukrainiens déportés par la Russie retrouvent sans délai leur foyer et les proches auxquels ils ont été arrachés avant d’être confiés à des inconnus.
Monsieur le sénateur Guiol, vous avez raison, la Russie a recours à une propagande cynique au travers de l’affichage public de ces transferts forcés et de fausses explications. Plus récemment, la Russie a déversé ses mensonges lors de sa présidence, le mois dernier, du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le Gouvernement s’est emparé très tôt de ce sujet, que la ministre de l’Europe et des affaires étrangères a abordé publiquement, bien sûr, mais aussi en privé, notamment aux Nations unies un an après le début de l’agression russe en Ukraine, et au Conseil des droits de l’homme, à Genève.
Comme vous l’avez souligné, le premier enjeu est la documentation des déportations d’enfants en Ukraine. Dès le 4 mars 2022, la France a soutenu la création par le Conseil des droits de l’homme d’une commission d’enquête internationale indépendante pour faire toute la lumière sur les violations graves des droits de l’homme, dont ceux des enfants.
Les conclusions de cette commission sont claires. Des enfants ukrainiens ont été transférés de force vers les territoires temporairement occupés, ou déportés vers la Russie et placés dans des familles russes.
Vous l’avez dit, monsieur le vice-président Laurent, madame la sénatrice Mélot, monsieur le sénateur Buis, ces faits sont des crimes de guerre. Quarante-cinq États participants de l’OSCE, dont la France, ont donné mandat, via le mécanisme de Moscou de l’OSCE, à une mission d’experts indépendants pour établir un rapport sur les transferts forcés d’enfants, qui sera présenté aujourd’hui au Conseil permanent de l’OSCE.
Vous avez été nombreux à le dire, cette documentation est nécessaire à la justice et, à ce stade, les différents mécanismes d’enquête n’ont pas permis d’estimer avec précision l’ampleur de ce phénomène, car la Russie empêche l’accès des experts indépendants.
C’est pourquoi, monsieur le sénateur Le Nay, un registre des dommages fait actuellement l’objet d’un travail au sein du Conseil de l’Europe, que nous soutenons. Et la semaine dernière, nous avons organisé en lien avec l’Ukraine et nos partenaires une réunion ouverte du Conseil de sécurité des Nations unies sur les enlèvements et déplacements forcés d’enfants lors de conflits armés pour continuer, toujours et sans relâche, d’alerter sur les violations de leurs droits, notamment en Ukraine. Nous ne devons jamais faire baisser la pression sur la Russie !
Nombre d’entre vous, et notamment M. le sénateur Leconte et Mme la vice-présidente Gruny, ont également souligné que les crimes commis contre les enfants ne devaient pas rester impunis.
La lutte contre l’impunité des auteurs des crimes commis en Ukraine, en particulier ceux dont sont victimes les enfants, est notre priorité.
En mars dernier, la Cour pénale internationale, estimant qu’il existait suffisamment d’éléments pour établir leur implication dans la déportation et le transfert d’enfants ukrainiens, a émis des mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, qui a le titre de commissaire russe pour les droits de l’enfant – un titre « ironique », comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur Leconte. Il s’agit d’un signal très fort.
Les faits commis contre les enfants, que nos partenaires et nous-mêmes dénonçons, sont d’une extrême gravité. Nul ne peut échapper à la justice ou se soustraire à ses responsabilités. C’est pourquoi nous continuerons d’apporter tout notre soutien à la CPI pour qu’elle puisse mener à bien son enquête et pour que justice soit rendue aux victimes de ces atrocités, comme l’a rappelé la ministre Catherine Colonna au président et au procureur de la CPI le 12 avril dernier, à La Haye.
Je vous rappelle que nous avons en Ukraine des magistrats, un laboratoire d’ADN, des policiers dont la mission est de documenter tous les crimes et exactions commis par la Russie dans ce pays. Nous continuerons d’apporter notre appui au travail des juridictions ukrainiennes, lesquelles bénéficient donc de l’expertise criminalistique, logistique et technologique française.
J’en viens à la protection des droits des enfants.
Nous avons augmenté en 2023 notre soutien financier à l’Unicef, avec qui nous avons engagé une campagne internationale pour l’universalisation des Principes et engagements de Paris relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, une campagne désormais soutenue par cent quatorze États.
Messieurs Buis et Leconte, madame Gruny, je puis vous dire que nous œuvrons pour que l’Unicef puisse agir dans cet univers d’agression épouvantable.
Madame Gruny, vous avez évoqué le sujet d’une conférence multilatérale. Nous travaillons avec la Commission européenne en vue d’organiser une conférence sur le rapatriement des enfants ukrainiens déportés, comme l’a annoncé le 23 mars dernier Ursula von der Leyen, présidente de la Commission.
J’ai bien entendu la demande que vous avez formulée, ainsi que plusieurs de vos collègues, de participation à un haut niveau ; je crois que c’est effectivement essentiel.
Pour ce qui concerne le sujet du nucléaire, monsieur le sénateur Gontard, la France veille au strict respect de l’ensemble des sanctions européennes adoptées contre la Russie. À ce stade, l’Union européenne n’a pas adopté de sanctions visant le nucléaire, mais nous dialoguons avec nos partenaires européens et avec les autorités ukrainiennes en vue de prévoir des sanctions ciblées dans ce domaine.
En conclusion, je vous remercie personnellement, monsieur le sénateur Gattolin, de votre engagement important, et même crucial, sur ce sujet. Nous ne devons jamais oublier cette question. Nous devons sans cesse la rappeler afin qu’elle soit toujours d’actualité.
Je me réjouis que la proposition de résolution européenne que vous avez déposée ait été adoptée. (Applaudissements.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. André Gattolin, pour le groupe auteur de la demande.
M. André Gattolin, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. À mon tour, je tiens tous à vous remercier, car ce travail est devenu collectif. Face à cette situation aberrante, absurde et violente, nous avons un sentiment d’impuissance. En même temps, que de chemin parcouru !
Quand j’ai été interpellé pour la première fois sur cette question, à la fin de l’année dernière, par un collectif de cent trente chercheurs et universitaires qui s’appelle Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! – certains de ses membres sont présents dans nos tribunes –, personne n’y croyait. Quand ils ont déposé leur excellent mémorandum, rédigé avec l’aide de grands juristes français et internationaux spécialistes du sujet, dont Me Emmanuel Daoud, tout le monde était dubitatif sur la mobilisation de la CPI. On nous disait qu’il fallait créer un tribunal spécial, que jamais les instances existantes ne bougeraient… Or elles ont bougé.
Quand j’ai déposé la première version de ma proposition de résolution, le 10 février dernier, je demandais à la CPI de faire quelque chose… Entre-temps, début mars, le procureur s’est déplacé, a pris des décisions. Puis deux mandats d’arrêt internationaux ont été émis, contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova. C’est un début !
Surtout, le sujet est désormais sur la place publique internationale, et je crois que c’est important. D’aucuns disent qu’il s’agit de name and shame, expression que je traduis par « nommer et mettre au ban ». Mettre au ban, cela veut dire bannir, mais aussi, demain, traduire devant la justice… Car c’est ce que nous devons faire, en réunissant les preuves, en aidant nos amis ukrainiens, ces familles qui souffrent, à documenter les faits. Il faut le faire vite, il est urgent d’aller plus avant : une partie des preuves a déjà été éliminée !
Contrairement à ce que je croyais savoir, la première chambre parlementaire à avoir adopté une proposition de résolution est non pas le Sénat – chez nous, le processus est un peu plus long –, mais le parlement polonais, dont le texte adopté le 30 mars dernier est extrêmement dur, et même violent, puisqu’il évoque des crimes de trafic humain concernant les enfants ukrainiens.
Je suis ravi que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) ait voté à l’unanimité la semaine dernière une proposition de résolution.
En janvier dernier, lorsque je suis intervenu devant Mme Oleksandra Matviïtchouk, directrice du Centre pour les libertés civiles ukrainien, ce sujet n’était pas encore d’actualité.
Aujourd’hui, il se passe quelque chose dans l’opinion.
Quand j’apprends que les gouvernants d’Afrique du Sud, comme l’a rappelé Jean-Yves Leconte, mettent la pression sur Vladimir Poutine pour qu’il ne se rende pas à la prochaine réunion des Brics, à laquelle il est logiquement invité, parce qu’ils savent qu’ils seront dans l’obligation de l’arrêter, je me dis que la répercussion de notre action est forte.
J’entends aussi le président Zelensky interpeller le président Xi Jinping et le pape François en tant qu’autorités internationales et morales afin qu’ils fassent quelque chose pour les enfants ukrainiens, en leur disant que c’est à leur tour d’agir. Si nos pays européens et les pays occidentaux prennent leur part de ce problème, c’est peut-être parce que nous formons un seul et même peuple. Mais tout le monde doit s’investir !
Ce qui a été engagé est extrêmement important. Je voudrais tous vous remercier, mais ce serait trop long…
Je remercie, en particulier, Pascale Gruny, pour cette très belle citation d’Alexandre Soljenitsyne, qui lie la violence comme moyen d’action au mensonge comme règle. Il est terrible de constater, alors que le XXIe siècle est déjà bien avancé, que nous sommes toujours confrontés à des méthodes qui nous inquiètent et nous font peur.
Madame la secrétaire d’État, plus que d’autres pays peut-être, la France a beaucoup à dire et à faire sur ce sujet.
Pour ce qui concerne l’Unicef, qui a été très critiquée, les autorités ukrainiennes m’ont dit qu’elle était très présente sur le terrain pour soulager les grandes souffrances psychologiques des enfants qui subissent, sur le territoire ukrainien, la guerre et les bombardements.
Si l’Unicef ne s’estime pas en mesure d’agir sur le territoire de la Fédération de Russie, ses moyens d’intervention sur le territoire ukrainien devraient pour le moins être doublés.
Il faut « sauver les corps », disait Albert Camus. Sauvons les corps, les âmes et le devenir de ces enfants ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Comment rendre possible le retour en Ukraine des enfants déportés en Fédération de Russie ? »
Nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-deux, est reprise à onze heures cinquante-quatre.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Couples confrontés à une fausse couche
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une fausse couche (proposition n° 417, texte de la commission n° 520, rapport n° 519).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, chaque année, 200 000 femmes font face à une fausse couche. C’est autant de destins bouleversés, de traits tirés sur des plans de bonheur, de femmes et d’hommes meurtris par l’arrêt brutal d’une grossesse.
Le texte que vous examinez aujourd’hui est une lueur d’espoir. L’expression « fausse couche » ravive souvent des blessures anciennes, récentes, ou bien l’angoisse d’un avenir meurtri. C’est à force de politiques publiques ambitieuses que nous aiderons les femmes à traverser cette épreuve.
Avec la Première ministre Élisabeth Borne et mon collègue François Braun, nous avons fait de la santé des femmes l’une des priorités du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027.
Nous avons souhaité briser les tabous qui, trop souvent, pénalisent les femmes dans leur vie quotidienne, professionnelle et personnelle : le tabou des règles, par exemple, mais également celui des fausses couches. La proposition de loi que vous vous apprêtez à examiner aujourd’hui s’inscrit, j’en suis convaincue, dans le droit fil de tous ces progrès. Je salue le travail de la députée Sandrine Josso, qui a permis d’aboutir aux articles ambitieux de ce texte.
Parce que nous avons conscience du caractère urgent de ces avancées, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte le 6 mars dernier.
Comme un symbole, cette proposition de loi a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale dans la nuit du 8 mars. Ce vote transpartisan a été exemplaire. Une nouvelle fois, il a prouvé que nous étions capables de nous unir pour les droits et la santé des femmes.
Cette proposition de loi contient trois articles destinés à renforcer l’accompagnement et l’information de celles et ceux qui sont confrontés à l’épreuve d’une fausse couche, et à mieux former et sensibiliser les professionnels de santé à ces enjeux. Elle porte avec force la nécessité d’améliorer l’accompagnement pluridisciplinaire des femmes victimes de fausse couche.
D’ici au 1er septembre 2024, un « parcours interruption spontanée de grossesse » sera mis en place par chaque agence régionale de santé (ARS). Ces parcours associeront les médecins, les sages-femmes et les psychologues. Il s’agira, à la fois, de renforcer l’accompagnement psychologique et médical des patientes et de leurs partenaires afin d’alléger au maximum les souffrances psychologiques liées à cette épreuve, et de mieux comprendre et traiter les éventuelles causes médicales des fausses couches.
Nous renforcerons également la formation des professionnels de santé impliqués dans ces parcours.
Les patientes – et leurs partenaires si elles sont en couple – seront ainsi mieux informées et écoutées ; elles pourront exprimer librement leur souffrance et se voir proposer des solutions adaptées.
Cette proposition de loi met également en œuvre plusieurs mesures prévues dans le plan Toutes et tous égaux, que j’ai présenté le 8 mars dernier en conseil des ministres et qui engage l’action du Gouvernement en matière d’égalité entre les femmes et les hommes jusqu’en 2027.
Le Gouvernement a amendé cette proposition de loi à l’Assemblée nationale et supprimé le délai de carence en cas d’arrêt maladie lié à une fausse couche. Il s’agit là d’une avancée majeure, qui permettra aux femmes de ne plus être pénalisées financièrement après une fausse couche tout en préservant, vis-à-vis de leur employeur, une pleine confidentialité – c’est très important.
Vous avez proposé en commission, monsieur le rapporteur Lévrier, un amendement tout à fait bienvenu visant à étendre cette disposition aux indépendantes et à leur conjoint. Le Gouvernement proposera en séance un amendement prévoyant la même extension aux non-salariées agricoles.
Les sages-femmes pourront également proposer à leurs patientes d’être prises en charge par un psychologue conventionné dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy. Ce sera aussi le cas pour les partenaires de celles qui subissent une fausse couche.
Cette prise en charge psychologique est essentielle, car les traumatismes liés à ces drames se réveillent parfois tard. Ils nécessitent donc une prise en charge sur le long terme.
Il s’agit aussi, et je tiens à le souligner, d’une véritable reconnaissance du travail effectué quotidiennement par les sages-femmes, sujet auquel je sais que les parlementaires des deux chambres sont attachés. Je peux, moi aussi, témoigner du travail qu’elles effectuent au quotidien dans l’ensemble des territoires.
Ces mesures, qu’il s’agisse des amendements gouvernementaux ou des avancées adoptées en commission des affaires sociales, sont un symbole fort de la manière dont le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif travaillent ensemble sur nos grands enjeux de société.
Ce sont des progrès comme celui-ci qui font de nous le pays des grandes avancées sociales, mais aussi le pays des droits de l’homme, comme celui des droits des femmes.
Vous l’aurez compris, vous tenez entre vos mains un objet législatif essentiel à la vie de nombreuses femmes, qui, je l’espère, sera adopté le plus largement sur ces travées.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, 200 000 Françaises sont confrontées à l’interruption spontanée de leur grossesse avant la vingt-deuxième semaine d’aménorrhée. Si, pour les femmes concernées et leur partenaire éventuel, il existe autant de vécus possibles que de fausses couches, une interruption spontanée de grossesse produit de l’anxiété ou des symptômes dépressifs chez plus du tiers des personnes qui la subissent.
Après une fausse couche, les couples n’ont donc pas tous besoin d’une assistance spécifique – insistons sur ce point –, mais pour ceux pour qui un accompagnement complémentaire est nécessaire – et qui sont visés par cette proposition de loi –, les dispositifs de soutien apparaissent insuffisamment nombreux et opérants, faute, parfois, d’information adéquate.
Cela témoigne du tabou qui entoure la fausse couche, encore souvent perçue comme un non-événement, arrivant majoritairement dans un premier trimestre silencieux, à un stade où la grossesse n’est en général pas dévoilée.
Combien parmi nous sauraient précisément définir une fausse couche et en exposer les causes principales ? La méconnaissance de ce phénomène transparaît jusque dans le vocabulaire employé pour le qualifier : l’expression « faire une fausse couche », qui semble rendre la femme enceinte actrice, voire responsable, de la perte de sa grossesse, apparaît à cet égard particulièrement malheureuse alors même que la plupart des fausses couches sont d’origine naturelle et découlent d’anomalies génétiques de l’embryon qui le rendent non viable. D’autres termes pourraient lui être préférés, j’y reviendrai.
La proposition de loi que nous examinons ce matin a été déposée par la députée Sandrine Josso, dont je salue la présence parmi nous, et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.
Les trois articles qu’elle contient entendent renforcer l’accompagnement et l’information des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
L’article 1er A prévoit la mise en place, par les ARS et d’ici au 1er septembre 2024, d’un parcours spécifique de prise en charge des interruptions spontanées de grossesse associant médecins, sages-femmes et psychologues. Celui-ci doit permettre d’améliorer l’information et le suivi, médical comme psychologique, des patientes et de leur partenaire éventuel, ainsi que de renforcer la formation des professionnels de santé impliqués.
La commission a soutenu ces dispositions, susceptibles de favoriser une meilleure organisation des professionnels médicaux dans chaque territoire et de mieux tenir compte du besoin d’accompagnement psychologique de certains couples victimes d’une interruption spontanée de grossesse.
Elle a toutefois adopté deux amendements.
Le premier renforce les objectifs d’information des parcours, en précisant que ceux-ci devront viser à systématiser l’information des patientes et de leur partenaire sur le phénomène d’interruption spontanée de grossesse, les possibilités de traitement ou d’intervention et les dispositifs de suivi et d’accompagnement disponibles.
Le second a renommé les parcours, pour préférer à l’expression « fausse couche », jugée stigmatisante et négative par les associations, celle d’« interruption spontanée de grossesse », plus neutre et plus juste médicalement. La commission a apporté la même modification à l’intitulé de la proposition de loi.
L’article 1er B, ajouté par amendement gouvernemental en séance à l’Assemblée nationale, supprime le délai de carence applicable à l’indemnisation des congés maladie pris consécutivement à une interruption spontanée de grossesse.
Aujourd’hui, une assurée du régime général confrontée à une fausse couche et dont l’état de santé nécessite un arrêt de travail n’est indemnisée par la sécurité sociale qu’à compter du quatrième jour. Lorsque l’arrêt maladie se fait au prix du renoncement à 10 % de son salaire mensuel, il devient un luxe que toutes ne peuvent pas se permettre.
Pour celles qui ne peuvent s’accorder un tel arrêt et qui sont, en outre, exposées à des situations professionnelles parfois embarrassantes, dérangeantes ou stressantes, les perspectives de reconstruction saine peuvent être grevées.
En permettant, comme à la suite d’une mort fœtale in utero, une indemnisation dès le premier jour d’arrêt, le dispositif desserre les contraintes financières s’opposant au recours à l’arrêt de travail, tout en ne nécessitant pas d’information de l’employeur quant à ses motifs. Contrairement à un congé pour événement familial ad hoc, il n’expose donc les bénéficiaires à aucun risque de discrimination.
Pour atteindre pleinement son objectif, le dispositif, plébiscité lors de l’ensemble des auditions que j’ai conduites, doit être universalisé. Initialement restreint aux fonctionnaires et aux assurées des régimes général, spéciaux et assimilées, son bénéfice a été élargi en commission aux indépendantes, sur mon initiative. Faute de recevabilité financière, je n’ai pas pu faire de même pour les non-salariées agricoles, dernier régime à ne pas être couvert. Il est clair que ce progrès doit concerner de manière équitable l’ensemble des assurées ; je vous ai donc appelée, madame la ministre, à amender le texte en ce sens – nous y reviendrons tout à l’heure.
L’article 1er vise à permettre aux sages-femmes d’adresser leurs patientes à un psychologue conventionné, dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy, et, dans les cas d’interruption spontanée de grossesse, leur partenaire.
La commission a souscrit à l’objectif de ces dispositions, qui permettront aux couples concernés de bénéficier plus largement qu’aujourd’hui de séances de suivi psychologique, prises en charge par l’assurance maladie.
Toutefois, elle a observé que le dispositif MonParcoursPsy, lancé en avril 2022, peine encore à se déployer et ne permettra pas, dans ces conditions, de répondre aux besoins constatés. Moins de 10 % des psychologues concernés, libéraux ou salariés d’un centre de santé, participent aujourd’hui au dispositif et moins de 80 000 patients en ont bénéficié en 2022. La tarification et la durée, limitées, des séances prises en charge sont mises en avant par les psychologues comme des facteurs explicatifs.
C’est pourquoi il apparaît indispensable qu’une évaluation du dispositif soit rapidement conduite, afin d’identifier les moyens d’encourager la participation des psychologues et de faire bénéficier du dispositif les patients en ayant le plus besoin. Nous savons que vous vous attelez à cette tâche, madame la ministre.
Les articles 1er bis et 1er ter, adoptés en séance à l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement et de la commission, ont été supprimés sur mon initiative.
Le premier faisait obligation aux professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des interruptions spontanées de grossesse d’informer leurs patientes des possibilités de traitement et de leurs implications, et de leur proposer un nouvel examen médical quatre semaines après le premier. Parce qu’elles sont déjà largement satisfaites par le droit à l’information des malades, consacré depuis 2002, et contraignent inutilement l’exercice des professionnels de santé, d’ores et déjà encadré par des règles déontologiques et les recommandations des sociétés savantes, ces dispositions sont apparues inopportunes à la commission.
Le second article prévoyait la remise d’un rapport sur l’extension de l’assurance maternité dès les premières semaines d’aménorrhée, ce qui aurait engendré une complexité opérationnelle considérable pour la sécurité sociale, tout en présentant un caractère dispendieux.
Enfin, je vous proposerai, au nom de la commission, de mieux protéger les femmes victimes d’une interruption spontanée de grossesse contre le risque de discrimination professionnelle en adoptant une interdiction de licenciement de dix semaines à l’égard des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse dite « tardive », après la quatorzième semaine d’aménorrhée. Dans ces cas, qui concernent moins de 1 % des grossesses et concentrent les risques de discrimination, les salariées concernées ne bénéficient d’aucune protection contre le licenciement. La différence de traitement avec les femmes qui perdent leur grossesse après la vingt-deuxième semaine, qui disposent d’une protection contre le licenciement de vingt-six semaines minimum, apparaît à cet égard disproportionnée : il nous appartient de corriger cela.
Mes chers collègues, cette proposition de loi, améliorée par les travaux de la commission et complétée des dispositions que nous vous proposerons d’adopter, constituera une véritable avancée pour les femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse et pour leur partenaire.
En associant davantage professionnels de santé et psychologues dans le cadre d’un accompagnement pluridisciplinaire, en garantissant une meilleure prise en charge des interruptions de travail et des séances de suivi psychologique, elle permettra de mieux tenir compte des conséquences psychologiques potentielles des interruptions spontanées de grossesse.
Beaucoup restera à faire par la suite, dans des domaines qui ne relevaient pas de ce texte. Ainsi, je souhaite que le Gouvernement puisse prendre les mesures qui s’imposent pour renforcer la formation initiale et continue des professionnels de santé à la prise en charge et à l’accompagnement, notamment psychologique, des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse. À cet égard, je sais, madame la ministre, pouvoir compter sur votre engagement.
Je crois également qu’il serait utile que les élèves, au cours de leur parcours scolaire, soient davantage sensibilisés aux causes biologiques des interruptions spontanées de grossesse, à leurs conséquences physiques et psychiques.
Enfin, chaque patiente concernée devrait recevoir un support écrit récapitulant les informations essentielles dont elle a besoin.
C’est à ces conditions que nous parviendrons à briser l’isolement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse. Cette proposition de loi y contribue, c’est pourquoi je vous invite à lui accorder la vaste majorité qu’elle mérite. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)