M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « qui veut atteindre la perfection veut marcher sur l’horizon », écrivait Paul Carvel dans Jets d’encre. En effet, l’horizon est la ligne que nous devons garder en mire, sans pour autant négliger les petits pas qui y mènent. Il est fixé par la trajectoire pluriannuelle présentée par le Gouvernement dans ce programme de stabilité 2023-2027, qui suit la ligne de l’an dernier et traduit deux priorités essentielles.
La première reflète la nécessité de soutenir les objectifs de politique économique du Gouvernement, à savoir protéger les Français face à la hausse des prix de l’énergie tout en menant des réformes d’ampleur. Il s’agit de soutenir la croissance, d’atteindre le plein emploi, d’accélérer la transition écologique et numérique, de garantir la souveraineté économique de la France et de réarmer le régalien.
La seconde découle de la nécessité de résorber les déficits et de retrouver une trajectoire de finances publiques normalisée. Ce déficit public doit revenir sous le seuil de 3 % à l’horizon 2027, grâce à un redressement du solde structurel de 1,3 point de PIB par an. Le poids de la dette publique commencerait également à décroître à compter de 2026.
Ce programme détaille les objectifs présentés à l’automne dans la loi de programmation des finances publiques. En 2022, le niveau de dette publique s’est établi à 111,6 % du PIB, contre 112,5 % en 2021, après l’explosion de 2020. En 2023, le ratio d’endettement continuerait sa décrue jusqu’à 109,6 % du PIB.
Comme vous le savez, l’environnement économique international s’est dégradé à partir de fin février 2022, l’invasion russe en Ukraine ayant entraîné une forte hausse des prix des matières premières, un rebond des tensions d’approvisionnement et une augmentation de l’incertitude sur les marchés.
En dépit de ce contexte, l’évolution spontanée annuelle des dépenses publiques devrait s’établir à moins de 0,6 %. L’effort annoncé cette année, à 1,6 %, est ainsi beaucoup plus ambitieux que ceux des précédents quinquennats – 1,4 % sous Nicolas Sarkozy et 1 % sous François Hollande.
Les plans tels que France Relance et France 2030 permettront également de soutenir l’activité et le potentiel de croissance, en préservant notre souveraineté. Comme le disait notre ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, durant la discussion de la loi de programmation des finances publiques en novembre dernier, « la France résiste mieux que ses voisins, avec le taux d’inflation le plus faible de la zone euro, à près de 6 % ». Ainsi, le Gouvernement s’engage à ne pas augmenter les impôts.
L’agence Fitch a certes récemment fait passer la note française à AA–, mais soyons clairs : d’une part, Moody’s nous a maintenus à Aa2 et Standard & Poor’s à AA ; d’autre part, la France est notée moins bien que l’Allemagne et l’Autriche, qui bénéficient d’un AAA, mais mieux que l’Espagne et le Portugal. Nous sommes dans la moyenne supérieure parmi nos voisins.
Certains critiqueront la dégradation de la note de la France. Mais n’oublions pas que, pendant la crise de la covid-19, le Gouvernement a soutenu les entreprises et les ménages. Cette dégradation financière n’est pas le fruit d’une externalité subie, mais bien d’une volonté politique.
Bien sûr, il est possible que ces mesures ne soient pas entièrement suffisantes pour soutenir une croissance économique robuste dans le contexte actuel. On peut critiquer les limites technologiques du modèle macroéconomique Mésange 2017 (pour « modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie ») ; pour autant, les trajectoires sont fiables.
Ces réformes structurelles seront également permises par deux nouveaux cadres : d’une part, le cadre organique français des finances publiques, entré pleinement en vigueur cette année ; d’autre part, le cadre européen.
Il faut notamment rappeler deux avancées majeures : le renforcement de la pluriannualité et le pilotage pluriannuel par la dépense et non plus seulement par le solde. On peut également noter la meilleure articulation avec les textes financiers annuels : loi de finances, loi de financement de la sécurité sociale et leurs textes rectificatifs. Le Haut Conseil des finances publiques peut désormais examiner la cohérence des textes financiers annuels et sectoriels au regard des objectifs de dépense prévus en loi de programmation des finances publiques.
Il faut souligner le renforcement de notre rôle en tant que parlementaires, puisque l’on nous présente désormais une trajectoire triennale au niveau du programme dans les projets annuels de performance (PAP).
Côté Union européenne, rappelons qu’une procédure a été mise en place pour la gouvernance nationale des finances publiques, qui est désormais pleinement intégrée. Depuis l’entrée en vigueur du règlement two-pack, la Commission européenne émet chaque année, à l’automne, un avis sur les projets de plans budgétaires des États membres. Ces derniers sont ensuite discutés par le conseil affaires économiques et financières (Ecofin). Par ailleurs, ce programme sera également transmis à la Commission européenne. La conformité de la France aux recommandations du Conseil sera évaluée en accord avec les dispositions du Pacte de stabilité et de croissance.
Pour faire face ensemble à ce même horizon, la BCE a maintenu des taux d’intérêt bas pour stimuler l’investissement et la consommation. De plus, l’Union européenne a mis en place un plan de relance de 750 milliards d’euros.
Le groupe RDPI salue la trajectoire ambitieuse présentée par le Gouvernement dans ce programme de stabilité et se félicite des mesures prises pour conforter le dynamisme économique en ces temps de crises multiples.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du programme de stabilité budgétaire, qui a déjà été adressé à la Commission européenne. Cette situation devient récurrente et ne peut être interprétée que comme un manque de respect pour l’institution parlementaire, comme cela a déjà été souligné ce soir.
D’un point de vue budgétaire, il s’agit de montrer comment la France répond aux contraintes des règles européennes visant à maintenir le déficit en deçà des 3 % du PIB. D’un point de vue politique, c’est un document annuel, dans lequel le Gouvernement surjoue l’orthodoxie libérale qui l’inspire auprès de la Commission européenne, en arguant de sa volonté de réduction des dettes publiques.
Ainsi le ministre Le Maire martèle-t-il son souhait « d’accélérer le désendettement de la France » pour ramener le déficit public de 4,7 % à 2,7 % du PIB et la dette publique de 111,6 % à 108,3 % en 2027.
Monsieur le ministre, vous agitez le chiffon rouge de l’augmentation de la charge de la dette de manière volontairement trompeuse en brandissant des chiffres en valeur absolue. Certes, la charge de la dette, qui était de 35 milliards d’euros en 2021, est passée à 50 milliards d’euros en 2022. Vous anticipez même qu’elle atteindra 70 milliards en 2027 – surtout si vous continuez à faire des réformes qui ne convainquent pas même les agences de notation que vous cherchez à rassurer, voire à séduire…
Brandir la dette comme vous le faites, c’est choisir la stratégie du choc, mise en évidence par l’universitaire canadienne Naomi Klein : faire peur, déstabiliser, sidérer, pour avancer vers ses objectifs. Or, si vous précisez que cela représente 1,5 % du PIB – ou 2,3 % des dépenses publiques en 2021 –, 1,9 % du PIB en 2022 ou 2 % du PIB en 2027, cela fait, à juste titre, beaucoup moins peur.
D’ailleurs, la hausse de 15 milliards d’euros de la charge d’intérêt en 2022 a été principalement le fait de l’émission croissante de titres de dette indexés sur l’inflation, que rien ne justifie économiquement, mais qui permet de protéger les revenus financiers des détenteurs de la dette d’État.
Comme, de plus, vous répétez toujours la même antienne – baisser les recettes fiscales et les cotisations sociales – au nom de la compétitivité, tout cela ne peut conduire qu’à une réduction drastique des dépenses publiques, tout particulièrement des dépenses sociales et des services publics.
Vous envisagez ainsi de réduite les dépenses publiques de 0,8 % en moyenne en volume par an, dont 0,5 % pour les collectivités locales. Nous avons là tous les ingrédients d’une austérité qui va enfoncer notre pays dans une impasse, rendant au passage les objectifs économiques, sociaux et écologiques inatteignables. France Stratégie disait déjà l’an dernier qu’il faudrait, à l’échéance de 2030, mettre sur la table entre 22 et 100 milliards d’euros pour assurer la transition environnementale.
Encore faudrait-il rappeler que le poids important de la dépense publique française s’explique d’abord par notre modèle social et fiscal, qui prend en charge des dépenses essentielles en matière de santé, de retraite et d’éducation, que d’autres pays laissent relever du secteur privé. Ce poids s’explique aussi par une démographie plus dynamique et par l’importance du budget de la défense, dont vous avez encore annoncé l’augmentation.
Alors, monsieur le ministre, au nom de la réduction de la dépense publique, doit-on abandonner notre système de protection sociale et de service public ? Les Français y sont très attachés, parce qu’il constitue le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Nos services publics sont-ils en si bon état qu’il faille réduire les moyens qui leur sont alloués ? Êtes-vous sourd à la détresse sanitaire de nombreux territoires ? Doit-on se plaindre d’avoir une démographie plus dynamique ? Souhaitez-vous revenir sur le budget de la défense ?
Réduire massivement le poids de la dépense publique ne peut se faire sans modifier la qualité de vie des ménages et la capacité des collectivités locales à agir. Il y a de quoi s’inquiéter, a fortiori quand on sait que la Première ministre Élisabeth Borne a adressé à tous ses ministres une lettre de cadrage leur demandant d’identifier de manière indifférenciée 5 % de marges de manœuvre sur leur budget.
Le nouveau monde promis en 2017 ne consisterait-il pas en fait à appliquer les vieilles recettes thatchériennes ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Celles de François Hollande !
M. Patrice Joly. Cela nous ferait revenir quarante ans en arrière, alors même qu’investir dans les transitions est de nature à renforcer la stabilité et la solidité financière de la France.
Monsieur le ministre, si votre obsession est vraiment la dette, augmentez les impôts des plus riches et supprimez un certain nombre d’allègements fiscaux, dont le montant global, en dix ans, aura atteint 364 milliards d’euros, soit plus d’un an de budget national.
Comment cautionner que le taux effectif d’impôt sur le revenu des 370 ménages aux revenus les plus élevés de France soit de l’ordre de 2,5 % ? Ce taux avoisine même 0,26 % pour les 37 familles les plus riches, si l’on en croit l’économiste Gabriel Zucman, qui vient tout juste d’être récompensé par la prestigieuse médaille John-Bates-Clark.
Sans surprise, ce sont encore les classes moyennes et populaires qui continueront de faire les frais du libéralisme économique que vous mettez en place depuis 2017, avec les risques démocratiques qu’il comporte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une remarque de méthode. La question n’est plus de faire le procès de tel ou tel gouvernement : nous n’avons plus le temps. Nous n’avons plus les moyens de tergiverser, faute de marges de manœuvre.
Vous avez compris qu’il fallait très vite recaler le discours et la pratique, monsieur le ministre. Vous avez commencé avec le discours, il vous reste la pratique. Pour autant, la question de savoir si ce que fait le Gouvernement est suffisant est pleinement légitime ; elle est même salutaire, puisque nous subissons cette fois la pression des taux et des marchés. Ce n’est pas tant que les marchés délaissent notre dette, mais plutôt qu’ils craignent que les annonces faites aujourd’hui ne soient pas suivies d’effet demain.
Ce débat sur le programme de stabilité est l’occasion de rappeler l’attachement de notre groupe à la maîtrise des comptes publics. Le cap fixé par le Gouvernement aurait dû être plus volontariste. Nous saluons la volonté de rétablissement des finances publiques annoncée dans ce programme. En revanche, nous regrettons le manque de précisions quant au modus operandi.
La dépense publique n’est pas mauvaise en soi, lorsqu’elle est utilisée à bon escient – les récentes crises nous l’ont montré. L’argent magique n’existe pas et les fonds déployés devront être remboursés. La condition de notre souveraineté tient en deux mots : sérieux budgétaire.
Force est de constater que certains points d’alarme se manifestent, comme l’a rappelé le Haut Conseil des finances publiques.
Les prévisions de croissance optimistes pour 2023 et le relèvement de la prévision de croissance effective, reposant sur une hausse de la consommation des ménages nettement supérieure à celle enregistrée avant la crise de la covid-19, posent quelques questions.
Vous avez décidé de fonder vos prévisions sur des hypothèses avantageuses, notamment une croissance potentielle de 1,35 % par an jusqu’en 2027, alors même que le scénario de la Commission européenne envisagé dans le cadre de la réforme de la gouvernance européenne des finances publiques est beaucoup moins favorable.
L’incertitude autour de votre scénario demeure donc élevée, dans un contexte international plus mouvant que jamais. L’évolution des cours internationaux des matières premières et de l’énergie, le niveau des taux d’intérêt et la fragilité des marchés financiers constituent des aléas majeurs.
Comme l’a dit notre collègue Bernard Delcros, la volonté de contenir les dépenses ne doit pas conduire à des coups de rabot uniformes. Ce serait injuste et inefficace. La France doit se doter d’une vraie stratégie d’évaluation et de hiérarchisation des dépenses, à laquelle le Parlement doit être pleinement associé, comme l’ont bien rappelé le président de la commission des finances et son rapporteur général.
D’un côté, vous assurez tout mettre en œuvre pour maîtriser le budget ; de l’autre, les crédits des ministères augmentent de 24 milliards d’euros et la charge de la dette tutoie les 60 milliards d’euros en 2023. Une fois neutralisée la baisse des dépenses exceptionnelles engagées en réponse aux crises, il est bien prévu que la dépense publique augmente en volume.
Les objectifs annoncés dans le programme de stabilité ne sauraient se substituer à une loi de programmation, qui fait actuellement défaut. Cette loi doit être adoptée au plus tôt, ce qui sera rassurant pour tout le monde. Elle devra afficher une trajectoire crédible de réduction de la dette publique, reposant sur des hypothèses macroéconomiques réalistes et une stratégie claire et documentée de maîtrise de la dépense publique.
Il n’en reste pas moins que des points de satisfaction existent aux yeux du groupe Union Centriste. Le Gouvernement a enfin pris la mesure de l’urgence pour la France de se désendetter en révisant ses objectifs à l’horizon 2027. La signature de notre pays sur les marchés doit demeurer crédible. Cette crédibilité n’est pas indéfectible. L’abaissement d’un cran de la note de la France par l’agence Fitch est un premier signal d’alerte. Afin de préserver notre crédibilité, nous devons intensifier nos efforts, et vite. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Guené. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapporteur général a très bien souligné l’optimisme du Gouvernement, à rebours des analyses extérieures, quant au calcul des divers indicateurs. L’abaissement de la note de la France par l’agence Fitch nous pousse encore un peu plus à mener une véritable politique d’assainissement des comptes publics. Désormais, en sus des Français, nous allons devoir convaincre le reste de la planète que nous pouvons suivre la trajectoire proposée.
Notre groupe rappelle depuis des années, dans cet hémicycle, la nécessité pour l’État de s’engager dans une démarche sincère de rétablissement des comptes publics. Ce processus doit impérativement devenir une réalité.
Nous avions alerté le Gouvernement sur les risques que représentait une politique fondée sur la dette. Avec les nouveaux taux, la charge de notre dette ne cessera de croître jusqu’à quasiment doubler d’ici à 2027. Nous sommes par conséquent très sceptiques quant au réalisme de la trajectoire envisagée.
Au vu de votre recours à une prévision de croissance et à un déflateur jugés unanimement excessifs, nous craignons que vous ne soyez obligés d’agir sur des variables d’ajustement.
Dans ce contexte particulier, je voudrais évoquer le traitement des collectivités locales – je le souhaite d’autant plus qu’elles devront entrer dans le processus de la transition énergétique. Vous prévoyez une amélioration de leur solde à la faveur de la poursuite des efforts de maîtrise de la dépense de fonctionnement et tablez sur une baisse en matière d’investissement, en fin de période, grâce au cycle électoral. La trajectoire proposée est, là aussi, optimiste.
Dans votre analyse, vous comptez sur l’inflation pour réguler les hausses en volume, sachant que la plupart des recettes sont aux mains de l’État depuis le passage à une fiscalité nationale. Vous escomptez donc un effet d’étau – en un seul mot – entre l’inflation et la fiscalité régulée. Pour compléter le dispositif, vous envisagez d’associer les administrations publiques locales (Apul) à l’effort de modération de la dépense publique, en concertation avec les différents acteurs.
Exit l’article 23 de la programmation précédente et les contrats de Cahors. On constate qu’un effort moindre de ralentissement de la dépense publique est demandé aux collectivités : 0,5 %, contre 0,8 % assumés par l’État. Dont acte.
Cependant, nous nous interrogeons sur les mécanismes de concertation auxquels il sera fait recours. En effet, ainsi que nous l’avons maintes fois évoqué dans cet hémicycle, les conditions d’une concertation ne sont pas réunies.
Le passage à une fiscalité nationale entièrement ordonnancée par le Gouvernement et la persistance d’une fiscalité locale et d’un système de financement obsolètes laissent la conduite de la négociation totalement entre les mains de l’État, qui peut procéder à sa guise, au coup par coup. Or, sans plaider pour un retour chimérique à l’autonomie fiscale, il nous semble primordial qu’un nouveau processus permette aux collectivités de retrouver une libre administration.
Cela passera par une réforme réelle de la fiscalité et des dotations, conçue sur des bases cohérentes et contemporaines, tenant compte à la fois des charges et besoins des territoires et des dynamiques locales.
Cette réforme est urgente. Pour la faire vivre, une double articulation sera nécessaire : sur le plan national, entre l’État et les autres secteurs et, au niveau interne, entre les collectivités elles-mêmes. Cette réforme doit introduire une nouvelle gouvernance du système, qui formera l’espace de dialogue et de concertation attendu réunissant l’État, le Parlement, et les collectivités. C’est seulement à ce prix que nous réintroduirons la libre administration propre à une démocratie moderne. À défaut, le programme de stabilité demeurera à nos yeux un pacte léonin.
Pour nous faire changer d’avis, il conviendrait de nous fournir, à brève échéance, une loi de programmation intégrant au moins l’ébauche d’un tel dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme de stabilité, objet du présent débat, confirme la tendance du Gouvernement à creuser son sillon néolibéral. Il s’inscrit en effet dans la droite ligne du projet de loi de programmation des finances publiques que le Parlement a refusé d’adopter en novembre 2022.
Le président du Haut Conseil des finances publiques n’a d’ailleurs pas manqué de s’émouvoir, dès janvier 2023, du fait que la France demeure dépourvue de ce texte crucial prévu par la Constitution. En effet, comment concevoir des politiques publiques sans anticiper un plafond global de dépenses de l’État sur le périmètre de la norme de dépense et des plafonds de dépenses par mission ?
Saisi par le Gouvernement du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) portant réforme des retraites, le Haut Conseil a d’ailleurs relevé que l’absence d’adoption du projet de loi de programmation des finances publiques ne lui permettait pas de vérifier la cohérence des prévisions des finances publiques des textes financiers avec la loi de programmation.
Cette loi de programmation, rejetée par les assemblées, s’inscrivait elle-même, comme il se doit, dans la droite ligne du programme de stabilité soumis par l’exécutif en avril 2022 aux institutions européennes qui, rappelons-le, ne tiennent pas le stylo du Gouvernement.
Or que trouvait-on dans le programme de stabilité d’avril 2022 ? Un projet de réforme des retraites avancé par l’exécutif français pour répondre à des objectifs macroéconomiques. Selon le scénario retenu, le recul de l’âge de départ à la retraite devait d’abord accroître le taux d’emploi des Français en favorisant l’emploi des seniors. Il n’y était donc pas question de sauver le système de retraite !
Nous avons amplement démontré, lors des débats sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, l’absurdité de cette démarche, qui conduira à déporter les dépenses vers d’autres branches de la sécurité sociale.
Elle conduira le Gouvernement à l’échec concernant le deuxième objectif affiché : la réduction du déficit de l’État. Celle-ci n’est pas poursuivie sérieusement, comme en témoignent les baisses d’impôts consenties aux plus riches et aux grandes entreprises. Au cours de la dernière décennie, l’exécutif a ainsi organisé la perte annoncée de 372 milliards d’euros de recettes, soit une moyenne annuelle de 37 milliards d’euros par an. Ces chiffres sont à rapprocher de l’hypothétique déficit de 13,5 milliards d’euros du système de retraite annoncé en 2030 que le Gouvernement prétend chercher à prévenir.
Dans le même temps, les économies découlant du report de l’âge légal de la retraite à 64 ans sont espérées à 8 milliards d’euros en 2027, soit le strict montant du cadeau fiscal que constitue la suppression de la CVAE. Pour mémoire, le Fonds monétaire international (FMI) a lui-même signalé en octobre 2022 à la France que ces baisses d’impôts n’étaient pas opportunes.
Néanmoins, le Gouvernement s’entête, agissant ainsi en cohérence avec une ligne politique identifiable depuis longtemps, notamment au travers de la stratégie retenue pour gérer la dette liée à la crise du covid-19. Le Gouvernement n’a-t-il pas fait endosser celle-ci à la protection sociale par le biais de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), alors même que le « quoi qu’il en coûte » n’a pas été une politique sociale, mais bien une politique économique ?
À Sciences Po Paris, le mois dernier, d’éminents spécialistes ont déploré l’inscription de la réforme des retraites dans le cadre d’une politique macroéconomique. Il a été redit à cette occasion qu’une réforme des retraites reflétait un projet de société et ne pouvait donc constituer une variable d’ajustement de la réduction des déficits.
Ne nous y trompons pas : un arbitrage a été effectué par le Gouvernement, qui a décidé de sacrifier deux ans de la vie des Français les plus vulnérables en faveur de la baisse de la dépense publique, plutôt que d’agir pour préserver et accroître la ressource.
Les collectivités sont d’ailleurs également concernées par ce refroidissement annoncé de la dépense publique ainsi que par la menace d’un retour de la contractualisation. Mais il s’agit là d’un autre sujet…
Le Gouvernement paie aujourd’hui ses choix dans la rue, mais les Français les paient encore davantage et de bien des manières : par une crise démocratique dangereuse pour la Nation, par une crise sociale, ainsi que par la dégradation de la note de la France pour l’emprunt sur les marchés financiers.
Monsieur le ministre, quand tirerez-vous les conclusions de la crise dans laquelle nous a plongés votre gouvernement ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le ministre, le 27 avril dernier, vous avez présenté la nouvelle ligne budgétaire de la France jusqu’en 2027. Nous commentons donc ce soir, en quelque sorte, une orientation déjà transmise.
Pour réduire la dette, vous comptez notamment vous appuyer sur des économies de dépenses, sans vraiment les documenter, alors même que le « quoi qu’il en coûte » persiste. Nous pouvons nous interroger sur la crédibilité de ce dispositif, conçu avant que la revue des dépenses ne soit engagée et qu’un cap clair ne soit défini.
Cette présentation allait-elle rassurer les agences de notation qui réexaminent le cas français et la Commission européenne qui promet un retour à des règles budgétaires plus contraignantes – quoique potentiellement différenciées – l’an prochain ? Il n’en est visiblement rien : l’agence Fitch, qui a été la première à se prononcer, vient de dégrader la note de la France. Notre situation financière, marquée par des déficits budgétaire et commercial de 160 milliards d’euros chacun, inquiète tous les Européens.
La réforme des retraites, qui prévoit une économie comprise entre 7 et 10 milliards d’euros, constituait à cet égard un premier gage, déjà démenti par le Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Rexecode). Le présent exercice en constitue un second. Tout cela est-il vraiment crédible ?
Ce n’est pas vraiment gagné. De nouveaux objectifs budgétaires plus ambitieux sur le quinquennat sont déjà indispensables. Encore faut-il qu’ils soient réels. Une nouvelle trajectoire d’accélération du désendettement, qui manque encore cruellement de concrétude, est nécessaire.
En dévoilant les grandes lignes du programme de stabilité – document envoyé tous les ans à Bruxelles, qui grave dans le marbre les prévisions budgétaires de la France pour cinq ans – et malgré l’absence d’une loi de programmation de nos finances publiques que vous nous annoncez à présent pour cet été, vous reconnaissez enfin que nous sommes arrivés à un point de bascule : celui de la fin de l’argent gratuit. Il faut reprendre le contrôle de notre dette pour garder le contrôle de nos choix et poser ainsi le cadre indépassable de l’action publique. Il était temps.
Dans le détail, vous promettez désormais de ramener le déficit à 2,7 % du PIB en 2027, alors qu’il s’élevait encore à 4,7 % du PIB à la fin de l’année 2022 et qu’il est attendu à 4,9 % fin 2023. Il s’agit d’une légère amélioration par rapport aux précédentes prévisions, qui tablaient sur un déficit de 2,9 % du PIB en 2027. Ce que la commission des finances du Sénat réclamait dès 2022 est enfin retenu.
C’est sur la dette que le Gouvernement se veut le plus offensif. Celle-ci doit être ramenée à 108,3 % du PIB en 2027, affirmez-vous. C’est vraiment un minimum.
À l’automne dernier, l’objectif était fixé à 110,9 %. Certes meilleur, le nouvel objectif est encore bien timide ; il est surtout insoutenable. J’ai d’ailleurs trouvé un peu osées vos comparaisons européennes, alors même que notre niveau d’endettement est 1,8 fois supérieur à celui de l’Allemagne.
Les taux d’emprunt remontent à grande vitesse depuis quelques mois et promettent d’alourdir le coût de la dette, tendance qui sera encore accélérée par l’abaissement de notre notation. Nous dénonçons cette situation depuis au moins deux ans. La charge de la dette devrait atteindre plus de 71 milliards d’euros en 2027 et représenter à cet horizon le premier poste de dépense de l’État. Ce constat est posé depuis longtemps ; le déni ne peut plus durer.
Notre politique budgétaire ne peut passer par des hausses d’impôts, susceptibles de casser la faible croissance du pays. Voilà un point d’accord. Bien au contraire, il s’agira ensuite, après avoir diminué la dépense, d’amorcer une baisse de nos prélèvements obligatoires. En effet, notre dépense publique est non seulement exorbitante, mais surtout inefficace.
Il suffit, par exemple, de voir la situation de nos services publics en milieu rural pour comprendre la grogne et l’incompréhension de nos concitoyens. « Où va notre argent ? » : voilà la formule lapidaire la plus répandue dans les échanges que nous avons avec eux.
Récemment, la Cour des comptes, comme d’autres, a évoqué un « scénario économique optimiste » pour qualifier vos hypothèses de croissance potentielle d’ici à 2027. Le Haut Conseil des finances publiques est sur la même ligne.
Quant à l’effort d’économies, il serait demandé à l’État de réduire ses dépenses de 0,8 % par an en moyenne, hors inflation, et ce dès l’an prochain. Cependant, où ces économies seront-elles réalisées et comment ? Quid de la réduction de la dépense fiscale ? Ne nous dites pas que cela se fera sur le dos des collectivités territoriales : elles ont déjà beaucoup donné et ne sont en rien responsables de la situation budgétaire de notre pays. Au contraire, elles assurent l’essentiel de l’investissement réalisé, pendant que l’État emprunte toujours davantage pour continuer à fonctionner. Toutefois, il semblerait bien que ce sera grâce à elles que vous parviendrez, selon vos prévisions, à un déficit public contenu à 3 % du PIB en 2027.
Vous l’aurez compris, ce programme ne nous convainc pas. Nous craignons même que vous ne continuiez à jouer avec des allumettes, alors que nous sommes assis sur un volcan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)