M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, vous proposez au travers de ces amendements de créer deux mécanismes de suspension de plein droit de la titularité de l’autorité parentale ou de son exercice, ainsi que des droits de visite et d’hébergement.
Le premier mécanisme, en cas de poursuite ou de condamnation du parent pour un crime commis sur l’autre parent ou pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur l’enfant, s’appliquerait jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, la décision de non-lieu du juge d’instruction ou la décision du juge pénal.
Le second mécanisme, en cas de condamnation du parent pour violences entraînant une ITT supérieure à huit jours commises sur l’autre parent, alors que l’enfant a assisté aux faits, s’appliquerait jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales saisi dans un délai de six mois à compter de la décision pénale.
Je vous rejoins évidemment sur la nécessité de prévoir que le mécanisme de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale ainsi que des droits de visite et d’hébergement s’applique aux crimes et aux agressions sexuelles incestueuses dont un enfant peut être victime. En revanche, il me paraît excessif de suspendre automatiquement – les adverbes ont beaucoup d’intérêt ! – la titularité même de l’autorité parentale alors qu’aucun juge n’a examiné la situation.
Je suis donc défavorable aux amendements nos 22 et 25, ainsi qu’aux amendements identiques nos 44 rectifié bis et 45 rectifié ter.
Sur les amendements identiques nos 3 et 27 visant à rétablir la rédaction de l’article 1er dans sa version issue de l’Assemblée nationale, j’avais indiqué que celle-ci me semblait équilibrée.
Pour des raisons constitutionnelles, il nous faut être prudents. Il est impératif de limiter le mécanisme de suspension de l’exercice de l’autorité parentale aux infractions les plus graves et aux violences conjugales entraînant un ITT de plus de huit jours, à condition qu’elles soient commises en présence de l’enfant.
Dans un souci de cohérence, j’émets un avis de sagesse « bienveillante » sur ces amendements identiques.
L’amendement n° 26, qui vise à supprimer la condition de présence de l’enfant, rompt, selon moi, les équilibres ; j’y suis donc défavorable.
Enfin, pour ce qui concerne l’amendement n° 28 relatif à la durée de suspension de l’autorité parentale, il convient de rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, qui prévoit la saisine du JAF par les parties et non plus par le procureur de la République.
J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Cette explication de vote porte sur l’ensemble des amendements faisant l’objet de cette discussion commune.
Mme la rapporteure reproche à notre amendement n° 22 de comporter quelques maladresses qui risquent d’entraîner des contresens juridiques ; je l’entends.
Je la trouve particulièrement sévère à l’égard des amendements, présentés par d’autres groupes que le mien, qui visent à rétablir la version issue de l’Assemblée nationale, laquelle me semble plus protectrice. J’apprécie, en, revanche, l’avis de sagesse et l’avis favorable émis par le garde des sceaux.
J’appelle nos collègues à réfléchir. Nous cherchons sur toutes les travées, comme Mme la rapporteure, à mettre en place une protection qui soit la meilleure possible pour l’enfant. Il faut donc trouver l’équilibre entre les différentes propositions. À cet égard, la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale me semble plus juste et plus protectrice.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. J’ai entendu les arguments de la rapporteure et du garde des sceaux, mais nous partageons tous un même objectif : la protection de l’enfance. Au travers de ces amendements, nous avons voulu attirer l’attention sur la dangerosité.
Il ne saurait y avoir de gradation de la dangerosité. Lorsqu’existe un soupçon, quelle que soit la nature de la violence intrafamiliale, il y a danger. Le nombre d’enfants qui décèdent sous les coups d’un parent – un tous les cinq jours – et celui des femmes tuées dans le cadre de violences intrafamiliales nous obligent à mettre en œuvre au maximum ce principe de précaution.
En dépit de l’avis défavorable de Mme la rapporteure, je maintiens l’amendement n° 45 rectifié ter. Quant à l’amendement identique n° 44 rectifié bis, il sera certainement maintenu par ses signataires. Je vous invite à les voter, mes chers collègues !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 44 rectifié bis et 45 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 27.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol, Meunier, Blatrix Contat et Le Houerou, MM. Michau, Pla et Todeschini, Mme Jasmin, M. P. Joly, Mmes Lubin, Poumirol, Conway-Mouret, Briquet, Féret et Monier et MM. J. Bigot, Tissot, Temal et M. Vallet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
incestueuse commis sur la personne de son enfant
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, les dispositions de ces amendements ayant toutes le même but, je les présenterai en même temps.
Mes chers collègues, au préalable, je tiens à rappeler que mon premier choix eût été le vote conforme de l’article 1er. Mais, puisque tel ne peut être le cas, nous avons décidé de déposer quelques amendements.
En vertu du présent texte, l’autorité parentale est suspendue ou retirée « pour un crime ou une agression sexuelle commis sur la personne de son enfant ». J’en déduis qu’elle peut être maintenue sur les autres enfants de la fratrie, ce qui, selon moi, pose un premier problème. Comment un père – c’est l’exemple le plus fréquent – qui a commis un inceste sur l’un de ses enfants peut-il conserver son autorité parentale sur les autres ?
S’y ajoute un second sujet de préoccupation. Prenons le cas d’un père de famille qui se livre à des agressions sexuelles sur mineur, qu’elles soient incestueuses ou non : ce dernier peut être victime d’un oncle ou d’un ami de la famille.
J’imagine que beaucoup d’entre vous ont vu Les Chatouilles, d’Andréa Bescond, qu’il s’agisse de son seul en scène ou de son film : cette histoire, c’est celle d’une petite fille violée pendant toute son enfance par un ami de la famille.
Peut-on imaginer qu’un père de famille condamné pour violences sexuelles sur mineur conserve l’exercice de son autorité parentale sur ses propres enfants ? On peut considérer que pèse sur lui, sinon une suspicion, du moins une présomption de commission d’actes répréhensibles.
Un homme, poursuivi ou condamné pour une agression sexuelle, incestueuse ou non, perpétrée sur un enfant ne saurait conserver son autorité parentale : tel est l’objet de ces cinq amendements.
Nous proposons cinq rédactions différentes. L’une d’elles conviendra peut-être à la commission et au garde des sceaux. Pleine d’espoir, je me dis que la même rédaction pourrait convenir à la commission et au garde des sceaux. (Sourires sur les travées du groupe SER.) Ainsi pourrions-nous étendre la portée de cet article.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol, Meunier, Blatrix Contat et Le Houerou, MM. Michau, Pla et Todeschini, Mme Jasmin, M. P. Joly, Mmes Lubin, Poumirol, Conway-Mouret, Briquet, Féret et Monier et MM. J. Bigot, Tissot, Temal et M. Vallet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
incestueuse commis sur la personne de son enfant
par les mots :
prévu aux articles 222-22, 222-22-1, 222-2-2, 222-22-3, 222-23-1, 222-23-2 et 227-23 du code pénal sur un mineur de seize ans
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 10 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol, Meunier, Blatrix Contat et Le Houerou, MM. Michau, Pla et Todeschini, Mme Jasmin, M. P. Joly, Mmes Lubin, Poumirol, Conway-Mouret, Briquet, Féret et Monier et MM. J. Bigot, Tissot, Temal et M. Vallet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
incestueuse commis sur la personne de son enfant
par les mots :
commise sur un mineur
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol, Meunier, Blatrix Contat et Le Houerou, MM. Michau, Pla et Todeschini, Mme Jasmin, M. P. Joly, Mmes Lubin, Poumirol, Conway-Mouret, Briquet, Féret et Monier et MM. J. Bigot, Tissot, Temal et M. Vallet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
incestueuse commis sur la personne de son enfant
par les mots :
commise sur un mineur de moins de 16 ans
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 12 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol, Meunier, Blatrix Contat et Le Houerou, MM. Michau, Pla et Todeschini, Mme Jasmin, M. P. Joly, Mmes Lubin, Poumirol, Conway-Mouret, Briquet, Féret et Monier et MM. J. Bigot, Tissot, Temal et M. Vallet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
commis sur la personne de son enfant
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, vous allez peut-être me trouver sévère…
Mme Laurence Rossignol. Ne me parlez pas comme à une enfant : je n’ai pas peur de la sévérité !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Il s’agissait d’une simple remarque…
Ces cinq amendements visent tous à étendre les motifs de suspension de l’exercice de l’autorité parentale, en cas de crime ou d’agression sexuelle commis sur un enfant quel qu’il soit, afin d’intensifier la lutte contre la pédocriminalité. (Mme le rapporteur se met à parler très rapidement.) Ces dispositions me semblent aller bien plus loin que les recommandations de la Ciivise, laquelle ne s’est intéressée qu’au lien entre un parent et son enfant. (Protestations sur des travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Rappel au règlement !
Mme Émilienne Poumirol. On ne comprend rien !
Mme Marie Mercier, rapporteur. L’amendement n° 9 rectifié bis tend à permettre une suspension de plein droit pour tout crime ou agression sexuelle sur un tiers, quel que soit l’âge de la victime ou son lien de parenté avec le parent.
L’amendement n° 8 rectifié bis vise à rendre cette suspension automatique chaque fois qu’un parent est poursuivi pour un crime, un viol, une agression sexuelle ou la diffusion et l’enregistrement d’images à caractère pornographique d’un mineur de 16 ans.
L’amendement n° 10 rectifié bis vise à permettre une suspension de plein droit pour tout crime, sans préciser qui est la victime, ou toute agression sexuelle commise sur un mineur.
L’amendement n° 11 rectifié bis est le même que le précédent, mais ses dispositions se limitent aux mineurs de 16 ans.
Enfin, l’amendement n° 12 rectifié bis vise à permettre une suspension en cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse, quel que soit le lien de parenté de la victime avec l’auteur.
L’idée sous-jacente serait qu’une personne commettant un crime, un viol ou une agression sexuelle sur quelqu’un – c’est l’objet de l’amendement n° 9 rectifié bis – ou, plus précisément, sur un mineur – c’est l’objet des autres amendements – ne pourrait être un bon parent. En conséquence, il faudrait suspendre l’exercice de son autorité parentale dès les poursuites.
Une telle extension n’a pas été envisagée par l’auteure de cette proposition de loi. Je n’ai donc pas conduit de travaux à ce titre. Elle n’a pas non plus été envisagée par le législateur, puisque l’article 378 du code civil ne prend en considération que les crimes et délits commis sur l’enfant ou les crimes commis sur l’autre parent.
Il me semble que ces dispositions élargiraient énormément le champ de la suspension automatique, au point d’encourir un grief d’atteinte à la proportionnalité. Plus on s’éloigne de l’enfant qui fait l’objet de l’autorité parentale, plus il faut se méfier des solutions automatiques. Gardons en tête que la situation de l’enfant doit être examinée in concreto, en fonction de son intérêt, par le JAF. Il ne s’agit pas de punir le parent délinquant ou d’appliquer un principe de précaution de manière maximaliste.
Enfin, j’observe que les amendements nos 8 rectifié bis et 11 rectifié bis ont pour objet les mineurs de 16 ans. Il s’agit certes de la limite d’âge figurant dans le code civil, que ce soit pour l’émancipation ou pour la nationalité ; mais le code pénal retient quant à lui l’âge de 15 ans pour la définition de certaines infractions. De telles dispositions créeraient donc un décalage.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces cinq amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame Rossignol, la suppression des mots « incestueuse commis sur la personne de son enfant » entraînerait de facto le déclenchement de la suspension en cas d’infractions de natures extrêmement variées commises par l’auteur en dehors de son cercle familial.
Un parent qui se lance dans le faux monnayage commet un crime : il perdrait ainsi son autorité parentale sur ses enfants…
Mme Laurence Rossignol. On garde « ou d’une agression sexuelle » !
M. Didier Mandelli. C’est un dialogue ?…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. De même, un notaire commettant un faux en écriture publique se verrait privé de l’exercice de l’autorité parentale. Je suis donc évidemment défavorable à l’amendement n° 9 rectifié bis.
Par l’amendement n° 8 rectifié bis, vous excluez en réalité du dispositif les mineurs de 16 à 18 ans, qui ne seraient plus protégés, même en cas de crime sexuel. J’y suis évidemment défavorable.
J’en viens aux amendements nos 10 rectifié bis et 11 rectifié bis. Des mineurs ayant commis une agression sexuelle sur un autre mineur, quel qu’il soit, ne seraient pas à l’abri de subir une suspension de leur autorité parentale sur des enfants nés longtemps après les faits. (Mme Laurence Rossignol manifeste son désaccord.) J’y suis forcément défavorable.
Enfin, en vertu de l’amendement n° 12 rectifié bis, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale aurait lieu en cas de crime, quelle que soit la victime, qu’elle appartienne ou non au cercle familial de l’auteur. Une nouvelle fois, vous excluez du dispositif le mineur de 16 à 18 ans, qui ne serait plus protégé, même en cas de crime.
En résumé, l’adoption de ces amendements mettrait en péril la cohérence même du dispositif. Leurs effets de bord seraient particulièrement étendus, au point que l’intérêt même de l’enfant pourrait ne plus être protégé.
Voilà pourquoi je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je note que la commission et le Gouvernement sont défavorables à ces amendements. Je n’ai pas tout compris des raisons avancées par Mme la rapporteure, car elle a parlé très vite, mais j’ai tout de même pu noter un certain nombre d’éléments.
Elle fait valoir que la situation de l’enfant s’apprécie in concreto. Mais – je le répète – comment apprécie-t-on in concreto la situation d’un enfant dont le frère ou la sœur a été victime d’inceste de la part du père ?
C’est une question de bon sens. Comment justifiez-vous qu’un père, après s’être livré à des agressions sexuelles sur l’un de ses enfants, continue, sans aucune restriction, d’exercer son autorité parentale sur ses autres enfants ? In concreto, ces derniers me semblent être dans une situation préoccupante, pour ne pas dire dangereuse.
Mme Émilienne Poumirol. Tout à fait !
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le garde des sceaux, je m’adresse également à vous. J’ai bien compris que les rédactions proposées avaient toutes des défauts. Mais, si vous êtes sensible à mes propos – et je pense que n’importe qui peut l’être –, vous avez la possibilité de nous proposer une autre formulation.
J’admets volontiers ce que vous me dites au sujet de l’amendement n° 9 rectifié bis. Vos observations corroborent d’ailleurs mes inquiétudes.
Vous relevez également que la suspension de l’autorité parentale pourrait frapper une personne ayant commis un crime ou une agression sexuelle quand elle-même était mineure ; l’intéressé se verrait appliquer cette mesure quinze ans après les faits, une fois devenu parent.
Mme Laurence Rossignol. Je suis perplexe…
Je vois que vos conseillers hochent la tête et j’en déduis que cette interprétation fait consensus au sein de votre équipe. Mais, dans ce cas, sous-amendons pour ajouter la mention « par un majeur ».
Après la présentation de ces cinq amendements, vous ne pouvez pas vous contenter de me répondre que l’on va laisser un père exercer son autorité parentale sur les frères et sœurs d’un enfant victime d’inceste.
Ce débat me rappelle l’affaire Marina : depuis la prison, le père de cette enfant continuait d’exercer son autorité parentale sur ses frères et sœurs, ce qui avait choqué beaucoup de personnes, moi la première. C’est précisément ce dont nous parlons aujourd’hui.
Dans six mois, dans un ou deux ans, peut-être nous retrouverons-nous pour examiner une autre proposition de loi, à la suite d’une nouvelle affaire. On nous dira alors : « Il y a un problème avec les frères et sœurs. Le père a conservé son droit de visite et d’hébergement tous les week-ends et, quand il est sorti de prison, il s’est livré à de nouvelles agressions sexuelles sur ses enfants. »
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. J’ai entendu la présentation de ces cinq amendements et j’ai compris que notre collègue Laurence Rossignol avait tout mis en œuvre pour tenter de trouver une rédaction opportune.
À mon sens, le principe de proportionnalité ne s’applique pas en la matière. Nous sommes là pour protéger les enfants et cela me dérange d’entendre parler d’une telle proportionnalité pour les agresseurs et les victimes d’agression. En revanche, j’entends évidemment les arguments relatifs aux effets de bord.
Les problèmes exposés par Laurence Rossignol méritent toute notre attention. Nous devons trouver, ensemble, une rédaction permettant d’éviter les situations qu’elle vient de décrire.
Monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteure, je vous engage vivement à travailler en ce sens. On sait bien qu’en la matière les agressions isolées n’existent pas : il y a toujours des récidives. Nous devons créer les outils législatifs permettant d’éviter ces agressions et ces récidives.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame Rossignol, ma circonspection ne signifie pas qu’il ne faut pas travailler ensemble, sur la base de vos propositions.
Je vous l’ai dit précédemment en vous remerciant de vos remerciements. (Sourires.) Devant la délégation sénatoriale aux droits des femmes, nous avons évoqué la prise en charge des enfants témoins, qui doivent également être considérés comme victimes. Je vous ai promis d’agir en ce sens et j’ai tenu parole.
Dans les situations que vous évoquez, il faut procéder avec prudence afin de préserver les équilibres textuels, notamment constitutionnels et conventionnels. Il faut également veiller à la présomption d’innocence : ce principe est tout sauf anecdotique. Travaillons ensemble sur ces amendements, dont je comprends évidemment le sens.
Madame Billon, de fait, l’enjeu n’est pas la proportionnalité : pour ma part, je souligne qu’il ne faudrait pas ouvrir la porte à d’autres crimes.
Permettez-moi de reprendre, sans provocation aucune, l’exemple d’un notaire qui commet un faux en écriture publique. Il s’agit d’un crime qui mérite sanction, mais cela ne fait pas de lui un mauvais père. Chacun l’admettra : il faut bien distinguer sa paternité, la manière dont il exerce ses fonctions et les infractions qu’il a pu commettre à ce titre.
Nous allons travailler ensemble…
Mme Laurence Rossignol. Au titre de ce texte ? Dans la suite de la navette ?
Mme Frédérique Puissat. Sans nous ? Si nous dérangeons, il faut le dire…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous allons étudier la question. Peut-être faudra-t-il remplacer un « ou » par un « et ». Nous allons trouver !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le garde des sceaux, je suis pleine d’espoir depuis le début de l’examen de ce texte et, par votre attitude encourageante, vous confortez mon optimisme : vous avez envie, comme nous, d’avancer sur ces questions.
Madame la rapporteure, pourriez-vous nous préciser plus tranquillement les raisons de votre refus ? Vous avez parlé très vite, sans doute sous l’effet de l’émotion provoquée par les remarques de certains de nos collègues. J’entends les observations formulées par M. le garde des sceaux, même si je ne suis pas une spécialiste de légistique. Mais pourquoi refusez-vous ces dispositions ?
Il y va de l’intérêt supérieur de l’enfant, dont, à l’évidence, ce débat s’est très vite écarté. On parle à présent de la situation du père incarcéré ou du père empêché. Or – j’y insiste – il s’agit des droits de l’enfant et de son intérêt supérieur. C’est pourquoi je souhaite comprendre vos explications.
Mme Frédérique Puissat. Nous, nous avons compris !
M. le président. Madame Rossignol, ces amendements sont-ils maintenus ?
Mme Laurence Rossignol. J’ai entendu la réponse de M. le garde des sceaux…
Mme Laurence Rossignol. … et j’espère que nous allons trouver la bonne rédaction avant la deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Tout d’abord – nous sommes bien d’accord sur ce point –, un père ne saurait exercer son autorité parentale sur les frères et sœurs de l’enfant sur lequel il a commis un inceste.
Mme Michelle Meunier. Dans la famille !
Mme Laurence Rossignol. Exactement : l’agression sexuelle peut avoir été commise par un oncle, sur son neveu ou sur sa nièce.
Ensuite, et plus largement, je porte à votre attention la question des hommes reconnus coupables d’agression sexuelle sur mineur : comment peuvent-ils exercer leur autorité parentale ?
Monsieur le garde des sceaux, vous avez lu, comme nous tous certainement, la récente enquête du Monde relative aux viols en streaming. Elle décrit la dérive de ces pères qui commencent par regarder, puis offrent leurs propres enfants. Ce n’est pas un petit sujet.
Ces précisions étant apportées, je vous fais confiance et je retire mes cinq amendements.
M. le président. Les amendements nos 9 rectifié bis, 8 rectifié bis, 10 rectifié bis, 11 rectifié bis et 12 rectifié bis sont retirés.
L’amendement n° 29, présenté par Mmes Harribey, Meunier, Rossignol, Monier et de La Gontrie, MM. Durain, Kanner, Bourgi, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
ou pour des violences volontaires sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Il s’agit d’un amendement de repli.
Mme Harribey et les membres de notre groupe renouvellent un souhait déjà exprimé : que l’article 1er de la proposition de loi inscrive à l’article 378-2 du code civil la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné pour des violences volontaires sur l’autre parent ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours.
Une initiative législative visant à lutter contre les violences intrafamiliales et, qui plus est, à en protéger les enfants ne saurait faire l’économie de dispositions liant les violences conjugales à une suspension de l’exercice de l’autorité parentale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, vous avez bien compris que l’autorité parentale ne pouvait être disjointe de la protection de l’enfant : l’une et l’autre vont de pair.
Contrairement au dispositif proposé par l’Assemblée nationale, cet amendement tend à préciser que la suspension provisoire de plein droit peut avoir lieu dès les poursuites ou la mise en examen en phase amont de la procédure pénale, pas seulement en cas de condamnation et quand l’enfant a assisté aux faits.
Nous sommes bien d’accord sur ce point : cela ne signifie pas que, lorsqu’il n’a pas assisté aux faits, l’enfant ne se rend pas compte de ce qui se passe. Françoise Dolto disait toujours : dans une famille, les premiers informés, ce sont le bébé et le chien ! Même s’il n’a pas assisté aux faits, l’enfant sait très bien que des choses graves sont en train de se passer.
Je rappelle que la commission a choisi de réserver la suspension provisoire de plein droit aux cas les plus graves – crimes et agressions sexuelles incestueuses sur l’enfant –, au nom du principe de proportionnalité.
Cet amendement a pour objet les ITT de plus de huit jours. Pour avoir signé beaucoup d’ITT, je vous assure qu’une telle durée n’est pas courante.
En outre, signe-t-on des ITT lorsque les violences conjugales sont de nature purement psychologique ? Non,…
Mme Michelle Meunier. Ce n’est pas vrai.
Mme Marie Mercier, rapporteur. … même s’il s’agit bien entendu de violences gravissimes.
Voilà pourquoi ce critère n’est pas pertinent. Les violences dont il s’agit ont des conséquences psychologiques extrêmement graves, dont les ITT ne font pas état.
Enfin – nous l’avons souligné en commission –, il ne serait pas cohérent de ne pas inclure les violences volontaires directement dirigées contre l’enfant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?