M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une bien triste litanie que je reprends : près de 400 000 enfants en France vivent dans un foyer où des violences intrafamiliales sévissent ; dans 21 % des cas, ils en sont directement victimes. Ces violences – nous le soulignons tous – leur laissent des séquelles psychologiques et physiques.
Cette proposition de loi, déposée par notre collègue députée Isabelle Santiago, présente aujourd’hui dans les tribunes du Sénat, et votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, après – il est vrai – un certain nombre de modifications et un travail avec la Chancellerie, a pour objectif de mieux protéger les enfants victimes et covictimes, directes ou indirectes, de ces violences.
Ce texte est pour nous important, car il constitue un pas de plus vers la protection des enfants et prend place dans un continuum législatif qui, peu à peu, se consolide. À chaque fois, nous sommes au rendez-vous.
Rappelons, par exemple, que nous avons approuvé la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, qui a opéré un changement attendu dans l’appréhension pénale des violences sexuelles perpétrées sur des victimes mineures, en insérant dans le code pénal de nouvelles infractions d’agressions sexuelles autonomes sur mineur de moins de 18 ans dans le cas de l’inceste. Rappelons tout de même que c’est le groupe socialiste qui avait, par amendement, proposé de relever l’âge du non-consentement de 15 ans à 18 ans dans le cas du crime d’inceste.
De même, nous avions proposé par amendement le retrait de l’autorité parentale, notamment dans le cadre de l’ordonnance de protection, lors de l’examen de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, mais cela avait été rejeté. C’est regrettable, car de nombreux mois ont été perdus.
Pour nous, la question de la protection des enfants victimes ou covictimes de violences intrafamiliales doit être comprise dans un ensemble plus large, qui prend en compte aussi la protection du parent victime et la question de l’emprise du parent violent sur la victime par l’instrumentalisation de l’enfant. Protéger l’enfant est primordial, mais c’est aussi une manière de protéger le parent victime, la plupart du temps la mère. Rappelons que le nombre de féminicides a augmenté de plus de 20 % lors des trois dernières années et que nous en sommes à 34, déjà, pour l’année 2023.
Le cœur de ce texte, c’est bien l’article 1er relatif à la suspension de l’exercice de l’autorité parentale ainsi que des droits de visite et d’hébergement, non seulement après une condamnation, mais aussi pendant toute la période présentencielle.
Cet article, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, a été voté à l’unanimité par nos collègues députés. Aussi regrettons-nous, comme d’autres sur ces travées, que la commission des lois du Sénat, sur l’initiative de notre rapporteure qui a pourtant fait un travail approfondi – je le sais pour avoir auditionné avec elle de nombreuses personnes –, l’ait en partie vidé de son contenu. C’était pourtant un point majeur pour la portée de ce texte.
En effet, si la commission a maintenu l’élargissement du dispositif au crime ou à l’agression sexuelle incestueuse commis sur un enfant, elle est en revanche revenue sur la suppression du délai maximal de six mois, limitant ainsi la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que sur le nouveau régime prévu en cas de condamnation pour des violences ayant entraîné une ITT de plus de huit jours.
Dans la mesure où – je le rappelle – une procédure peut durer plusieurs années, il est à nos yeux nécessaire de protéger l’enfant pendant l’intégralité de cette période.
Nous souhaitons aussi que la loi précise que la suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement doit être effective dans un délai maximal de six jours. Ce délai est calqué sur celui prévu par l’article 515-11 du code civil relatif à la délivrance de l’ordonnance de protection.
Si ces dispositions étaient rétablies, ce qui permettrait de recentrer le texte sur son objet initial, nous pourrions le voter. Tel est l’objet de nos amendements, ainsi que de nombreux amendements issus de toutes les travées – nous tenons à le souligner, car cela montre qu’il manque encore des éléments essentiels dans cette proposition de loi.
Nous attendons encore des évolutions en termes de droits de l’enfant, notamment le droit pour un enfant d’être entendu ou celui d’être automatiquement assisté par un avocat lors de toute procédure judiciaire le concernant.
Les annonces gouvernementales vont certes dans la bonne direction, mais, au-delà des textes, se pose aussi la question des moyens. Il ne faudrait pas, au prétexte que l’argent manque, limiter la portée de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen, Mélanie Vogel et Esther Benbassa applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer notre collègue députée Isabelle Santiago, et à remercier notre rapporteure, Marie Mercier, pour le travail qu’elle a effectué sur ce texte.
Hannah Arendt écrivait que le développement de l’enfant était la continuité du monde. L’enjeu de cette proposition de loi est de faire en sorte que les enfants ne soient pas tributaires d’un passé douloureux, marqué par la violence, responsable de traumas lourds.
Les études et les statistiques sont glaçantes, sans équivoque : 60 % des enfants témoins de violence souffrent de stress post-traumatique ; 50 % des victimes de viol durant leur enfance ont fait une tentative de suicide.
Nombreux sont les psychiatres et pédopsychiatres, tels Muriel Salmona ou Luis Alvarez, à considérer que les enfants ayant été au centre de violences conjugales développent par la suite des symptômes caractéristiques d’un stress similaire à celui dont sont atteintes les victimes de guerre.
Grâce à la mobilisation des mouvements et des associations féministes, les violences faites aux femmes et les féminicides ne sont plus considérés comme des drames passionnels, mais comme la résultante du système patriarcal qui gangrène nos sociétés.
Permettez-moi de dénoncer de nouveau la culture du viol et de l’inceste, véhiculée par l’industrie pornographique notamment, et que nous avons analysée dans le rapport que nous avons présenté au nom de la délégation aux droits des femmes, ainsi que dans la proposition de résolution adoptée à l’unanimité par notre assemblée au début du mois.
Malheureusement, les enfants sont encore trop souvent des victimes collatérales, l’objet de chantages de la part de conjoints violents. Malgré les avancées législatives de 2019 et de 2020, les enfants ne sont toujours pas assez pris en considération.
Mes chers collègues, non seulement nous devons protéger les enfants témoins de violences commises sur la personne de l’autre parent – dans la majorité des cas, la mère –, mais nous devons également faire en sorte que plus aucun enfant ne meure des suites de maltraitance.
Aujourd’hui encore, un enfant meurt tous les cinq jours de maltraitance. Un an après l’adoption de la loi Taquet, nous considérons toujours que les moyens accordés à la protection de l’enfance sont insuffisants.
Il est plus que temps d’agir. C’est pourquoi nous saluons cette proposition de loi, inspirée des recommandations de la Ciivise, qui va dans le bon sens. Nous tenterons de renforcer la portée de ce texte par nos amendements, notamment à l’article 1er, en proposant la suspension de l’autorité parentale, et pas seulement celle de l’exercice de l’autorité parentale.
Pour ce qui me concerne, j’ai toujours considéré qu’un conjoint violent ne pouvait pas être un bon père, et je me réjouis que cette analyse soit de plus en plus largement partagée. La vulnérabilité des enfants nous commande de prévoir une protection stricte, sans concession.
Nous regrettons par ailleurs que la présente proposition de loi ne traite pas de tous les cas de violence à l’encontre de l’enfant qui, quelle que soit leur forme, doivent être dénoncés. Ayons en tête que la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) nous oblige à protéger les enfants contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalité physique ou mentale.
Mettons-nous réellement au service de l’intérêt supérieur de l’enfant, mes chers collègues, et ce d’autant plus que, bien souvent – on le sait –, les enfants victimes reproduisent ces violences à l’âge adulte.
Avant de conclure, je souhaiterais vous interpeller, monsieur le garde des sceaux, au sujet de l’un de nos amendements, qui a été déclaré irrecevable.
Il nous semblait pourtant essentiel de faire évoluer l’article 227-5 du code pénal relatif au délit de non-représentation d’enfant. (M. le garde des sceaux opine.) Il n’est plus possible qu’un parent, bien souvent une mère en l’occurrence, face au risque tangible que court son enfant – maltraitance, attouchements, violences, inceste –, tombe sous le coup de cet article. Il est impératif, dans l’intérêt de l’enfant, d’appliquer le principe de précaution.
De même, il est grand temps d’en finir avec le prétendu syndrome d’aliénation parentale, trop souvent utilisé lors des conflits ou en cas de violences conjugales. Je tiens à dénoncer ce concept et à vous faire partager mes réserves à ce sujet, mes chers collègues.
Dans la mesure où cette proposition de loi est un pas supplémentaire vers une meilleure protection des enfants en cas de violences intrafamiliales, nous la voterons, en espérant tout de même pouvoir encore en améliorer le dispositif grâce à nos amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Joël Labbé et Mme le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer Mme la députée Isabelle Santiago, présente aujourd’hui dans nos tribunes.
Enfin ! L’immuable lien entre parent et enfant peut enfin être considéré comme délétère lorsque le parent est violent. Que d’années perdues, que de vies abîmées, pour n’avoir pas su dissocier le père du mari, la femme de la mère, pour avoir nié l’évidence qu’un mari violent – car c’est souvent un mari – est un homme violent, un père violent !
Non, un enfant ne peut pas se construire de façon équilibrée dans un climat de violence. Même si cette dernière n’est exercée que sur la mère, elle constitue une violence pour l’enfant.
Il s’agit d’une violence psychologique : l’enfant est pris dans un étau entre son père et sa mère, impuissant, inquiet pour sa propre sécurité face à un conflit qui, pour reprendre les termes du juge Édouard Durand, s’apparente à une scène de guerre ou à un attentat. Pour lui, c’est même pire que cela, car, dans une guerre ou après un attentat, l’enfant peut encore se réfugier dans les bras de l’un de ses parents.
L’enfant n’a d’autre choix que de se taire, d’assister, impuissant, au délitement des piliers de son existence. Cette violence psychologique aura incontestablement des effets graves sur son développement, sur l’enfant qu’il est et sur l’adulte qu’il deviendra.
Protéger l’enfant, c’est donc l’éloigner de cette violence, quitte à suspendre l’autorité parentale qui, rappelons-le, vise à protéger l’enfant, sa sécurité, sa santé et sa moralité, afin de garantir son éducation et de permettre son développement dans le respect dû à sa personne.
L’autorité parentale est une responsabilité vis-à-vis de l’enfant, un devoir. Un parent violent n’est pas un bon parent. De nombreuses études montrent qu’un père violent se sert de ses enfants pour nuire à la mère ; car la victime est souvent la mère. Il l’utilise comme monnaie d’échange, y compris après la séparation.
L’autorité parentale que peut exercer le parent violent, condamné, soumet l’enfant à une pression insidieuse, perverse, qui ne permet pas à l’enfant de se reconstruire et qui place la mère face à un danger permanent. Aujourd’hui, le bourreau dicte encore sa loi.
Et que dire de la violence directe, de l’inceste ! À ce titre, je tiens à saluer tout particulièrement le travail et l’engagement de longue date sur ce sujet de notre rapporteure, Marie Mercier.
La commission des lois a fait le choix d’autoriser la suspension en urgence, avant tout jugement, de l’exercice de l’autorité parentale d’un parent mis en cause pour les infractions les plus graves sur son enfant – crime, viol et agression sexuelle.
Je comprends cette position équilibrée, qui tend à concilier présomption d’innocence et protection de l’enfant. Je souhaite cependant que nous puissions aller plus loin : plus que l’exercice de l’autorité, c’est bien l’autorité parentale en tant que telle qu’il faut suspendre, car le parent privé de l’exercice de cette autorité en reste néanmoins le titulaire. Ainsi, le parent poursuivi, mis en examen ou condamné pour des faits graves, conserve certains attributs fondamentaux de l’autorité parentale, comme le droit de surveillance de l’enfant. Il est important de corriger cette situation.
Nous devons être plus ambitieux ! Pourquoi ne pas étendre le dispositif de l’article 1er aux atteintes sexuelles incestueuses ? Nous aurons l’occasion d’en rediscuter, madame la rapporteure.
Je me félicite également du choix de la commission d’ériger en principe la suspension du droit de visite et d’hébergement dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour violences intrafamiliales. Il s’agit là encore d’une mesure de cohérence, qui aura pour effet d’acculturer les juges et de les inciter à porter un regard neuf sur ces dossiers complexes.
En tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et auteure de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, texte enrichi des apports du Parlement et complété par vos travaux, madame la rapporteure, je me félicite des avancées proposées aujourd’hui par la commission des lois.
Ce texte marque bien le début d’un changement profond dans notre manière d’appréhender les violences intrafamiliales et d’accompagner les victimes. C’est, du reste, la raison pour laquelle le groupe Union Centriste le votera.
En m’exprimant à la tribune cet après-midi, je n’oublie pas toutes les personnes que j’ai reçues et rencontrées. J’ai une pensée toute particulière pour cette maman, qui m’a sollicitée pour la première fois il y a quelques mois, et dont les trois enfants avaient été victimes d’inceste.
Cette mère, comme beaucoup d’autres, a besoin que la justice l’aide à éloigner ses enfants de leur père. Je lui emprunterai ses mots : « Les enfants sont l’avenir, protégeons-les ! » Pour l’instant, hélas, nous n’y parvenons pas…
Enfin, je souhaite rendre hommage au travail de la sénatrice Dominique Vérien, qui aurait également dû prendre la parole à cette tribune, et qui est actuellement chargée par l’exécutif d’une mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Nous attendons, monsieur le garde des sceaux, les conclusions de ce rapport qui nous permettra d’avancer sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Michelle Meunier et Mme le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, qui aménage les conditions du retrait ou du maintien de l’autorité parentale et de son exercice en cas de violences intrafamiliales, est un texte attendu par de nombreuses associations.
Elle traduit le principe, enfin admis, selon lequel un parent violent ne saurait être un bon parent. Elle vise aussi à ce que les enfants bénéficient de la meilleure protection juridique possible. Cela suppose de trouver la bonne articulation entre cet impératif et le respect de l’autorité parentale et de la présomption d’innocence, ce qui n’est pas chose facile.
L’autorité parentale ne peut pas se résumer à un droit sur l’enfant, car elle constitue un ensemble de droits et de devoirs qui, en principe, garantissent une protection à l’enfant dans le cadre de son éducation.
D’emblée, je tiens à approuver la réécriture de l’intitulé du texte opéré par la commission, laquelle a fait disparaître le terme de « covictimes ». En effet, si l’on comprend l’intention de l’auteure de la proposition de loi, il n’en reste pas moins qu’un enfant qui vit des violences intrafamiliales est une victime directe de ces violences. Le terme « covictime » pouvait laisser entendre que l’enfant était une victime collatérale. Ce changement d’intitulé vaut surtout reconnaissance, pour l’enfant, du statut de victime de violences intrafamiliales.
Sur proposition de la rapporteure, Marie Mercier, la commission a simplifié ou complété les dispositifs initialement conçus.
Pour ce qui est des simplifications apportées, je salue l’approche pragmatique adoptée par la commission à l’article 1er, qui impose aux juridictions de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice. Cette réécriture assure la lisibilité du lien, désormais automatique, entre condamnation pour violences sur la personne de l’autre parent ou sur l’enfant et autorité parentale. Il s’agit d’une réelle avancée.
De même, le texte initial prévoyait fort opportunément d’étendre la mesure de suspension automatique de l’autorité parentale, prévue à l’article 378-2 du code civil, aux violences provoquant une ITT de plus de huit jours sur l’autre parent, ainsi qu’aux faits de viol ou aux agressions sexuelles incestueuses sur l’enfant.
La commission a limité cette suspension aux cas les plus graves, considérant que, pour les autres cas, l’objectif visé était déjà satisfait par le droit.
L’article 2, qui garantit l’individualisation des décisions des magistrats, pose le principe du retrait de l’autorité parentale avec, si je puis dire, une différenciation entre les obligations incombant aux magistrats en matière de prononcé de décision relative à l’autorité parentale ou son exercice.
La possibilité pour le juge de maintenir l’autorité parentale ou son exercice sur décision spécialement motivée devra, quant à elle, permettre de prendre en compte les cas, même marginaux, de crimes commis à la suite de violences subies par l’un des deux parents. Vous avez sans doute en tête, tout comme moi, la terrible histoire de Valérie Bacot.
Avec force, les associations œuvrant contre les violences faites aux femmes et, plus particulièrement, celles qui accompagnent les familles de victimes de féminicide, réclament une suspension automatique de l’autorité parentale jusqu’au procès.
Cette demande se justifie par les situations dramatiques que vivent les enfants orphelins à la suite de féminicides, qui sont restés sous l’autorité parentale du parent survivant, voire pire, sous la menace de l’exercice du droit de visite. Ces cas sont rarissimes, mais en la matière – vous en conviendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues –, un cas c’est déjà trop !
Si je ne doute pas une seconde de la rigueur du travail des magistrats et de leur souci de l’intérêt de l’enfant, j’ai été étonnée, à la faveur des témoignages, par l’existence de disparités territoriales en matière de coordination.
Comment garantir une articulation optimale entre l’ensemble des acteurs impliqués pour ce qui est des décisions de maintien ou de retrait de l’autorité parentale ? En matière de féminicide, le « protocole féminicide » me semble offrir un cadre adapté.
J’ai moi-même engagé un travail pour concevoir un statut propre à ces enfants orphelins, qui dépasse le simple cadre de ce texte. À ce titre, je vous adresserai prochainement, monsieur le ministre, les conclusions du colloque que j’ai coorganisé avec l’Union nationale des familles de féminicides (UNFF) en février dernier.
L’article 2 bis élargit et précise les cas de délégation de l’autorité parentale. Il facilitera le quotidien des enfants recueillis et des familles les accueillant. Il existe en effet, hélas, des situations dans lesquelles l’autorité parentale peut devenir une arme entre les mains du parent.
Les féminicides sont des drames que l’on n’anticipe pas. Les enfants sont souvent placés dans de telles situations que chaque obstacle administratif ou juridique paraît insurmontable aux familles.
Cet article 2 bis apporte une solution à l’une des conséquences pratiques des violences intrafamiliales. Il en va de même pour la mesure de stabilisation prévue à l’article 2 ter, qui est prise dans l’intérêt de l’enfant.
Vous l’aurez compris, ce texte me semble contribuer à la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales. On ne peut que se féliciter de son enrichissement tout au long de son examen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer Isabelle Santiago, l’autrice de la proposition de loi, que je remercie pour son initiative. Je profite également de l’occasion qui m’est donnée pour remercier la Chancellerie, qui, si j’ai bien compris, a collaboré avec notre collègue députée sur ce texte.
Je voudrais, pour commencer, vous faire part de trois regrets.
Le premier concerne le choix de la commission des lois de restreindre la portée de cette proposition de loi.
Le deuxième porte sur la méthode. Je déplore un patchwork législatif : on avance sur ce sujet de proposition de loi en proposition de loi – c’est la quatrième en quatre ans ! –, ce qui nous conduit à laisser des trous énormes dans la raquette.
Troisième regret, nous nous apprêtons à voter des dispositions similaires à des mesures que certains de mes collègues et moi-même avions défendues via des amendements il y a moins de deux ans de cela, et qui, à l’époque, avaient été rejetées, certainement parce qu’elles n’avaient pas eu l’heur de plaire à la commission des lois… En attendant, on a perdu du temps ! Et nous avons toujours besoin d’une belle et grande loi sur la protection des femmes et des enfants, ainsi que sur les violences intrafamiliales.
Cela étant dit, permettez-moi de vous raconter ce que je vis : il ne se passe pas une semaine – j’y insiste – sans que je sois saisie par des mères de famille ou des avocates de dossiers qui, tous, se ressemblent.
Ces affaires commencent généralement par la séparation des parents, laquelle découle presque toujours du départ de la mère. Ayant été quitté, abandonné, le père en ressort à chaque fois l’orgueil blessé. La séparation se passe mal, et c’est évidemment autour des enfants que se cristallise le conflit consécutif à la séparation.
Quelque temps plus tard en effet, les enfants rentrent du week-end qu’ils ont passé chez leur père en dénonçant des comportements incestueux, dont ils n’avaient jamais été victimes jusqu’ici. Il se passe vraisemblablement des choses graves dans de pareilles situations, monsieur le garde des sceaux (M. le garde des sceaux acquiesce.) : ce sujet mérite que l’on s’y intéresse davantage !
À étudier ces cas de près, j’ai le sentiment que le père se venge de la mère en lui portant des coups là où cela lui fait le plus mal, c’est-à-dire en commettant des agressions sexuelles sur leurs enfants.
La mère de famille porte ensuite plainte et c’est alors que commence pour elle le chemin de croix. Car c’est un chemin de croix ! Sachez que le doute profite toujours à l’accusé, au père donc, dans ce type d’affaires par nature complexes.
J’ai en tête l’exemple d’une mère de famille devant laquelle le juge a admis savoir que son enfant disait la vérité ; mais il a conclu qu’il ne pouvait rien faire d’autre que de lui recommander de renvoyer cet enfant chez son père, pour mieux établir la matérialité des faits…
Finalement, les experts s’en mêlent, et c’est à cette occasion que le fameux syndrome d’aliénation parentale, que certaines de mes collègues ont évoqué, fait son apparition. En règle générale, on en déduit que la mère est une manipulatrice, une affabulatrice qui transforme la parole de son enfant, et que le père est une victime.
De ce fait, la mère finit par ne plus vouloir envoyer l’enfant chez son père, de peur qu’il ne soit exposé à des comportements incestueux. Et le père se retourne immanquablement contre elle en invoquant le délit de non-représentation d’enfant.
Ces cas sont légion ! Évidemment, je ne remarque que les trains qui arrivent en retard, puisque c’est de ceux-là que l’on me parle, monsieur le garde des sceaux…
Ces femmes vivent un enfer judiciaire, au point, pour certaines d’entre elles, de devoir partir à l’étranger avec leurs enfants, seule solution à leur disposition pour s’en sortir.
Je tenais absolument à évoquer ces dossiers devant vous. Nous devons absolument réfléchir ensemble à des solutions permettant d’apporter des réponses plus efficaces. Ce que je viens de décrire s’apparente en effet à de la maltraitance institutionnelle infligée aux femmes et aux enfants !
Mes chers collègues, nous sommes beaucoup trop frileux sur le sujet : il nous faut répondre à cette immense souffrance et non poursuivre cette politique des petits pas.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous remercier pour le décret du 23 novembre 2021 relatif au délit de non-représentation d’enfant, qui a déjà permis d’améliorer les choses. Il faudra aller encore plus loin et supprimer totalement ce délit, qui ne sert finalement qu’aux pères.
De même, quand s’inquiétera-t-on enfin de la différence de traitement entre, d’un côté, ces pères qui, bien que n’exerçant pas leur droit de visite et d’hébergement, ne sont jamais sanctionnés et jamais condamnés au paiement d’une amende civile et, de l’autre, ces mères qui, parce qu’elles ne remettent pas leur enfant à leur père un week-end, sont régulièrement harcelées par celui-ci ?
Qui n’a jamais entendu parler des « enfants à la fenêtre », ces enfants qui, chaque week-end, passent leur temps à attendre un père qui ne vient pas parce que c’est le meilleur moyen que celui-ci a trouvé pour empêcher la mère de sortir de chez elle ? (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains, car l’oratrice a épuisé son temps de parole.)
Pour terminer, j’évoquerai cette circulaire, diffusée en 2017 auprès des magistrats, pour les mettre en garde au sujet du syndrome d’aliénation parentale : il y est question de « mères manipulatrices », ce qui montre bien que nous sommes face à un problème de culture. C’est en changeant la culture du milieu que les choses changeront ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales. Le 9 février dernier, elle a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement n’a pas engagé la procédure accélérée sur ce texte, car il traite d’un sujet sensible, celui de la protection de l’enfance, qui requiert que toutes les précautions soient prises par le législateur.
Nous constatons que cette proposition de loi a fait l’objet de modifications lors de chaque lecture, depuis son dépôt jusqu’à son examen aujourd’hui en séance publique par notre assemblée. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Ce texte a introduit dans notre droit une distinction entre le retrait de l’autorité parentale et celui de l’exercice de l’autorité parentale.
Il vise à élargir le mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale dans le cadre des procédures pénales, et à rendre plus systématique le prononcé du retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales en cas de crime commis sur la personne de l’enfant ou de l’autre parent ou d’agression sexuelle incestueuse.
Depuis 2016, le nombre de cas de violences intrafamiliales ne cesse d’augmenter.
En 2019, 44 % des plaintes pour violences physiques et sexuelles enregistrées par les services de sécurité concernaient des violences commises au sein de la famille. Un pic a été atteint en 2020 en raison du confinement, mais la tendance à la hausse ne semble pas fléchir, comme le prouvent les chiffres enregistrés depuis 2021. La libération de la parole et l’encouragement à signaler toutes les formes de violences intrafamiliales ont sans aucun doute contribué à cette augmentation.
Ces chiffres effrayants, derrière lesquels il convient de mettre des visages, nous obligent, en notre qualité de législateur, à agir : il s’agit pour nous d’enrayer ce phénomène.
Je tiens à saluer le travail minutieux de réécriture effectué par notre rapporteur, Marie Mercier, qui maîtrise parfaitement ces mécanismes juridiques complexes, et qui a déjà beaucoup œuvré sur le sujet des violences conjugales et intrafamiliales. Je la rejoins dans son choix de limiter son intervention à quelques ajustements, en se concentrant sur l’amélioration des dispositifs que sont la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et le retrait de cette autorité par les juridictions pénales.
Le respect des principes généraux du droit, constitutionnels et conventionnels, que sont la présomption d’innocence, l’intervention nécessaire du juge appréciant in concreto l’intérêt de l’enfant, le droit à une vie familiale et privée normale, a très nécessairement guidé le travail de la commission des lois.
J’ajoute que les amendements adoptés en commission ont permis de rationaliser et de mettre en cohérence le droit civil avec le droit pénal.
Ainsi, à l’article 1er, le dispositif adopté par la commission réserve l’extension de la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement aux cas les plus graves, ceux de crime ou d’agression sexuelle incestueuse sur la personne de l’enfant. Cette disposition permettra de suspendre en urgence, avant tout jugement, l’exercice de l’autorité parentale d’un parent mis en cause commission des infractions les plus graves sur son enfant, le temps qu’un juge se prononce.
La commission a considéré qu’une suspension automatique, tout le temps de la procédure – comme on le sait, celle-ci peut durer des années –, était disproportionnée au regard de la présomption d’innocence et du droit de chacun de mener une vie normale.
L’article 2 prévoit de faire un principe du retrait total de l’autorité parentale en cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse sur l’enfant ou de crime sur l’autre parent.
Enfin, l’article 3 contribuera à rendre plus cohérentes et effectives les mesures figurant dans cette proposition de loi.
Ainsi modifié par la commission des lois, le texte améliore les dispositifs juridiques existants, afin de garantir une meilleure protection des enfants victimes de parents violents. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Billon et Colette Mélot ainsi que Mme le rapporteur applaudissent également.)